— En images
L’impossible « sécurité » du monde


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Safe ; Svalbard ; Ali KAzma ; Jeu de Paume ; vidéo ; conservation

Ali Kazma, Safe,
2015, série « Resistance »,
Vidéo HD, couleur, son, 3 min 18 s. Courtesy de l’artiste © Ali Kazma



Privilégiant le medium cinématographique et la vidéo dans sa pratique artistique, Ali Kazma documente un vaste champ des activités humaines : le monde industriel, technologique, administratif, à travers lequel il questionne les rapports des corps aux machines, et les gestes artisanaux et de création où le savoir-faire et la sensibilité ont toute leur place. Ses films, généralement courts, témoignent d’une approche méticuleuse de ses sujets. Ils restituent, de façon nécessairement fragmentaire mais précise, l’essence de ce qu’Ali Kazma a observé et traduisent la façon dont il explore l’environnement avec curiosité et sans idées préconçues plutôt que dans l’optique d’une démarche didactique. Seul pendant la durée du tournage, Ali Kazma souhaite perturber le moins possible le rythme de ce qu’il enregistre, en intervenant uniquement par les choix de cadrage, de point de vue, les prises de son et le montage.


Dans ses œuvres récentes, il offre un contrepoint à son « encyclopédie des activités humaines » en s’intéressant à des lieux qui révèlent les enjeux contemporains de l’humanité et la façon dont elle fait face aux bouleversements actuels et à venir. La vidéo Safe a été tournée en 2015 dans l’archipel du Svalbard, près du Pôle Nord, dans une zone administrée par la Norvège. Dans ce territoire reculé, atteignant des températures négatives extrêmes, sont conservées des semences, mises à l’abri de leur extinction de plus en plus souvent constatée dans les régions où elles sont habituellement cultivées. Ali Kazma nous révèle l’architecture qui abrite ces milliers de graines : un bloc de béton, dont la façade aiguisée semble sortir de terre. Sa caméra nous permet de pénétrer ce bunker, de parcourir les couloirs, de longer les murs et d’ouvrir les portes aux poignées gelées jusqu’à atteindre les étagères puis les bocaux contenant ce qui est nécessaire à notre survie en cas de catastrophes naturelles ou engendrées par l’homme. Ce trajet nous emmène au cœur même du paradoxe de ce type de lieu et dont le titre de la vidéo est un écho : « être en sécurité », se protéger de ce que l’on ne peut maîtriser, mais aussi des conséquences désastreuses des choix politiques, économiques et sociaux à l’échelle de la planète.


La sensation d’un temps figé et donc d’une conservation pérenne est troublée par l’un des seuls éléments mouvant du film : les remous de l’eau, donc de la matière glacée fondue, qui semble annoncer certaines difficultés que ce site pourrait rencontrer à l’avenir. En effet, le réchauffement climatique et le maintien des conditions adéquates est une préoccupation constante pour la sauvegarde de ce patrimoine agricole. Safe appartient à une série de films intitulée « Résistance », ce terme impliquant pour Ali Kazma une conscience aigüe de la complexité des situations, et une volonté d’accompagner, à travers ses films, cette réalité mouvante, en constante évolution qui nécessite un ajustement permanent du regard.



Cécile Tourneur



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