04/06/2019 | Allotrope | Laissez un commentaire

Pensée picturale et textuelle : exercices de montage avec Elsa-Louise Manceaux

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« Mais de loin la majeure partie de ce qui se dit ne peut être vérifiée »1Samuel Beckett, Company, London: Calder, 1979 ; Édition française : Paris, Ed. de Minuit, 1989

Pour la série de juxtapositions qui suit, j’ai invité Elsa-Louise Manceaux à jumeler certains de ses dessins avec des fragments des Nouvelles en « espace clos » de Samuel Beckett, ainsi qu’avec des passages d’Une fille est une chose à demi d’Eimear McBride (2015) et de Fruta Podrida [Fruit pourri] (2016) de Lina Meruane. La façon dont ces auteurs utilisent le langage et la grammaire – ou plutôt les fragmentent pour réduire le temps du récit à une série de points et d’espaces – me semblent œuvrer de la même manière que l’univers visuel abstrait d’Elsa-Louise Manceaux, qui fonctionne par soustraction et fragmentation des formes et des champs de vision, s’appropriant des figures déjà existantes, avant de transposer ces perceptions visuelles à l’intérieur de ses dessins. Pour Elsa, les associations d’images et de textes fonctionnent comme autant de dichotomies, d’espaces entre les choses, d’ anti-illustrations, tantôt ouvertures, emboîtements, contrastes.



Quelques dessins d’Elsa-Louise Manceaux




À suivre…

References

References
1 Samuel Beckett, Company, London: Calder, 1979 ; Édition française : Paris, Ed. de Minuit, 1989
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29/05/2019 | Allotrope | Laissez un commentaire

Désilluminations.
Par Elsa-Louise Manceaux

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Pourquoi les gens voient-ils ce qu’ils voient ? Il faut qu’il y ait des conventions. Il faut qu’il y ait des attentes. Sans cela nous ne voyons rien ; tout serait chaos. Types, modes, catégories, concepts.

Siri Hustvedt, Un monde flamboyant, p. 73.

Peinture ; Elsa-Louise Manceaux ; vision

Vue de l’exposition d’Elsa-Louise Manceaux, « Desiluminaciones », 2018. Peinture acrylique, gouache, Flashe, tempera à l’œuf et crayon de couleur sur lin. 213 x 165 x 4 cm. Courtesy Galerie Lodos, Mexico, Mexique.

D’après Hito Steyerl, l’inintelligibilité est devenue la nouvelle norme. Elle explique que l’information est transmise par des signaux que nos cinq sens ne peuvent percevoir1Hito Steyerl, Duty Free Art. Londres et New York : Verso, 2017, p. 47 – 49. (charges électriques, ondes radio, impulsions lumineuses). Aujourd’hui, notre perception du monde se fait très souvent à travers des machines. La vision humaine ne joue plus qu’un rôle mineur, elle a perdu de son importance. Ce que l’on voit est filtré, d’abord passé par la reconnaissance de formes et le décryptage des machines. Pour ces machines, les images ont une autre apparence, et sans traitement des signaux, les êtres humains sont incapables de les percevoir. Autrement dit, ces images invisibles à nos yeux forment une réalité inintelligible. Dans une certaine mesure, la réalité elle-même est devenue inaccessible à la compréhension humaine. Très souvent, la réalité est transmise par l’intermédiaire d’écrans (et je ne peux m’empêcher de penser au camouflage pixélisé de certains uniformes militaires). Si les machines décodent la réalité pour nous, et si tous les objets sont devenus des informations immatérielles, comment nous est-il encore possible de percevoir quoi que ce soit ? Cela ne fait aucun doute : la transformation de l’ensemble du réel en données numériques et la circulation de l’information ont une influence sur le sensible et sur notre manière de le percevoir. Pour la peintre Elsa-Louise Manceaux (née en 1985 à Paris et installée à Mexico), dans cette situation, il faut reconsidérer la peinture par rapport aux écrans et aux données; il faut que la peinture agisse sur ces nouvelles sensibilités.

References

References
1 Hito Steyerl, Duty Free Art. Londres et New York : Verso, 2017, p. 47 – 49.
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28/03/2019 | Allotrope | Laissez un commentaire

Miguel Ventura

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Miguel Ventura, sans titre, collage, 2019. Courtesy de l’artiste.

Dans ses collages, Miguel Ventura (né en 1955, à San Antonio, Texas, actuellement installé au Mexique) juxtapose une multitude d’images apparemment disparates. Bâtiments d’architecture moderne ou contemporaine réalisés par des starchitectes, personnes célèbres, artistes, personnalités politiques, cadavres, quelques svastikas de-ci de-là… Le tout est méticuleusement agencé dans des motifs intriqués. L’artiste avait déjà eu recours à ce type de collage en 2008, dans une immense installation intitulée Cantos cívicos, exposée au Musée universitaire d’art contemporain de Mexico (MUAC).

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20/03/2019 | Allotrope | Laissez un commentaire

Des limites de la rencontre et des fantômes du colonialisme : Mescaline, de Clarisse Hahn

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Clarisse Hahn ; Irmgard Emmelhainz ; mescaline ; Mexique

Mescaline, un film de Clarisse Hahn, France, 2017, 45’04, Production Les films du Bélier


Défaire l’organisme n’a jamais été se tuer, mais ouvrir le corps à des connexions qui supposent tout un agencement, des circuits, des conjonctions, des étagements et des seuils, des passages et des distributions d’intensités, des territoires et des déterritorialisations mesurées à la manière d’un arpenteur.
Ciguri[…] est le mystère même de toute poésie

Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux

Dans son film Mescaline (45 min, 2017), Clarisse Hahn (née en 1973 à Paris, où elle vit) raconte les conséquences d’une rencontre où les parties en présence ignorent qu’elles sont en train de franchir les limites intrinsèque à celle-ci. L’histoire se déroule dans une petite ville du désert de Wirikuta, dans l’État de San Luis Potosí, au centre du Mexique. Un jeune couple de touristes français, curieux et cultivés, fait un voyage de « tourisme mystique » à la recherche du peyotl, un cactus hallucinogène. Cultivés et curieux, ils marchent dans les pas d’Antonin Artaud et de Henri Michaux qui, eux aussi, ont recherché des secrets mystiques en ingérant ce cactus psychotrope. Depuis plus de 5000 ans, le peyotl est une nourriture sacrée pour les Huichols et d’autres peuples autochtones, ils la consomment lors de cérémonies religieuses. D’après eux, cette plante aurait des propriétés thérapeutiques et permettrait de communiquer avec leurs dieux. Selon leurs croyances, tout être vivant possède une âme, et la prise du peyotl donne accès à l’esprit et à la sagesse du cactus. Pendant longtemps, des voyageurs comme Antonin Artaud — mais aussi Carlos Castañeda, anthropologue américain qui a beaucoup écrit sur ses expériences sous peyotl — sont venus dans le village de Catorce pour un voyage spirituel au milieu du désert.

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