31 Jan. 2017 | Salut | Laissez un commentaire

« La censure est le symptôme d’une société craintive, n’est-ce pas ? »

Salut

Censors Must Die, Ing K, 2013.

29 janvier 2017. Nouvel an chinois. À Paris, les traditionnelles festivités qui se déroulent dans le XIIIe arrondissement sont annulées « pour raisons de sécurité ». Depuis cet été, sous nos yeux, la Turquie se transforme en dictature aussi rapidement que fond la banquise. Comme dans les années 1930 en Europe, devrons-nous constater une fois encore à quelle vitesse foudroyante les acquis de la culture et de l’éducation peuvent être balayés ? Ce blog se termine tandis que la Trumperie commence à propager une tempête de chaos, falsification, racisme, égoïsme, ignorance béate et cruauté partout dans le monde. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et ses promesses de reconstruction, comment avons-nous régressé si rapidement ? Que faire, et que faire avec les armes de l’art ?

 film Macbeth Satan, Death and the Director

Macbeth, Satan, la Mort et l’auteur, photographie de tournage de Shakespeare Must Die,
Ing K (2013). ©Ing K.


Avec son Witz et son énergie coutumières, la cinéaste Ing K, qui depuis presque 40 ans lutte au quotidien contre l’oppression en Thaïlande, via son blog intitulé « Bangkok Love Letter » nous envoie quelques nouvelles et principes imagés au sujet de la censure et de l’autocensure.

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07 Avr. 2016 | Tan Pin Pin | Laissez un commentaire

TAN PIN PIN. JAMAIS DE VACANCE POLITIQUE.

Tan Pin Pin

Tan Pin Pin. Photo: Karine Azoub


Cinéaste, photographe et plasticienne, Tan Pin Pin représente aujourd’hui l’une des grandes voix de la scène artistique à Singapour, la Cité-État à laquelle elle a consacré la plupart de ses œuvres. Son travail frappe d’abord par sa diversité formelle, offrant chaque fois la radicalisation d’une ressource filmique : à la documentation de l’exhumation et du déplacement d’une tombe (celle des grands-parents de l’auteur) pour cause d’urbanisation galopante, Moving House (1996), répond l’invention de l’immolation en direct d’une poupée Barbie, Microwave (2000) ; au plan-séquence de 38 minutes pris du Pan Island Expressway pour traverser l’île, 80km/h (2003), succède un portrait pointilliste de la ville par ses chants et dialectes interdits, Singapore Gaga (2005) ; au collage cinétique strictement visuel des archives léguées par quatre décennies de célébration nationale, 9th August (2006), succède l’enquête sémantique et strictement graphique conduite autour du terme « souvenir » par Thesaurus (2012). Si chaque film déploie une forme nouvelle, toutes sont traversées par une même énergie critique qui consiste à décrire, sauvegarder et défendre un Singapour multi-ethnique, multi-culturel et fraternel face aux politiques coercitives d’uniformisation gouvernementale. Moving House (2001), Gravedigger’s Luck (2003), Invisible City (2007), The Impossibility of Knowing (2010), Yangtze Scribbler (2012) se confrontent à la mort, à la vie criminelle, aux vestiges parfois infimes que laisse derrière elle une existence humaine même la plus modeste, et s’arc-boutent contre la disparition. Un tel sens des responsabilités face à l’histoire collective, qui emporte les individus vivants et les corps morts comme fétus dans un torrent, cherche tous les moyens visuels et sonores possibles pour contrer terme à terme l’idéologie du progrès imposé à marche forcée depuis l’Indépendance par les autorités de Singapour et pour en contrebalancer les dégâts mémoriels, culturels et affectifs.

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15 Mar. 2016 | Jocelyne Saab | 1

JOCELYNE SAAB, LES VOIES MULTIPLES DE LA CENSURE

Jocelyne Saab
1. Radio libanaise : première confrontation avec la censure

J’animais une émission de musique pop à la radio, « Les Marsupilamis ont les yeux bleus », et avais été marquée par le film Mondo Cane [Paolo Cavara, Gualtiero Jacopetti et Franco Prosperi, 1962] : je proposais un journal d’actualités du même type en cherchant dans les fils de l’AFP des informations sur ces choses un peu étranges qui peuvent se dérouler sur la terre. Un jour de 1970, j’arrive à la radio et on m’annonce l’arrêt de mon émission. Un journaliste m’avait appris à sortir des normes : outrée que l’on m’interdise l’antenne sans raison, j’ai pris le micro quand même, en signalant qu’on voulait me faire taire mais que les marsupilamis auraient toujours les yeux bleus.

2. Télévision libanaise

Après le Septembre noir en Jordanie (1970), je travaille à la télévision libanaise avec Jörg Stocklin. On me dit de supprimer dans un reportage tout ce qui concerne les Israéliens et les Palestiniens. Je proteste, nous avions manifesté aux côtés de ces derniers en 1969. Seul un journaliste qui recevait chaque semaine une enveloppe remplie d’argent venant d’Arabie Saoudite avait le droit d’évoquer ces sujets.

En 1973, bombardements sur les Palestiniens réfugiés au Liban. Nous montons sur les toits, nous voyons les avions larguer leurs bombes, des quartiers entiers attaqués, les fedayin combattant dans les rues. Je prends conscience des interdits à la télévision, dont les dirigeants ne voulaient pas que l’on aborde la présence des combattants palestiniens dans les camps, ni le problème des refugiés.

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05 Fév. 2016 | Jocelyne Saab | 1

JOCELYNE SAAB :
« LA LIBERTÉ COÛTE CHER »*

Jocelyne Saab

Jocelyne Saab filme Le Bateau de l'exil

Jocelyne Saab filme Le Bateau de l’exil, 1982


Née à Beyrouth en 1948, Jocelyne Saab est journaliste, photographe, scénariste, cinéaste, productrice, plasticienne. En 1972, l’écrivaine Etel Adnan l’engage dans son journal As Safa, en 1976, elle rédigera le commentaire du film de Jocelyne, Beyrouth, jamais plus. Après avoir réalisé de nombreux reportages pour les télévisions libanaise et française en Égypte, au Sahara Occidental, au Kurdistan irakien, en Iran, en Syrie, au Vietnam…, Jocelyne Saab produit et dirige son premier long-métrage documentaire, Le Liban dans la tourmente (1975). Etel Adnan écrit à ce sujet : « C’est un film extraordinaire. Il saisit le milieu libanais qui a donné lieu à cette guerre comme aucun document jamais écrit ou filmé la concernant. Jocelyne a saisi d’instinct, grâce à son courage politique, son intégrité morale, et sa profonde intelligence, l’essence même de ce conflit. Aucun document sur cette guerre n’a jamais égalé l’importance du travail cinématographique que Jocelyne a présenté dans les trois films qu’elle a consacrés au Liban.

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25 Jan. 2016 | Ing K | Laissez un commentaire

Entretien avec Ing K

Ing K

Nicole Brenez : Quels furent votre éducation, votre formation, votre environnement artistique d’origine ?

Ing K : Je suis le rejet d’une école des Beaux-Arts, je suis donc formée par la vie plutôt que par une éducation formelle, bien que j’aie reçu un excellent enseignement classique à la fois en Thaïlande et plus tard en Angleterre (collège et lycée).

Ing K. Photo : Manit Sriwanichpoom

Ma plus grande influence a sans aucun doute été ma mère, artiste et professeur, activiste très engagée en faveur de l’environnement. Elle était thaï mais est née et a grandi en Angleterre pendant la Première Guerre mondiale (à ce jour, dans notre famille nous ne gaspillons pas la nourriture !). Elle m’a inculqué un amour profond pour la nature, l’art et la musique, en particulier pour la poésie anglaise (Shakespeare, Wordsworth et Blake, mais aussi les poèmes non-sensiques), les mythes du monde et les contes de fées, en particulier la mythologie grecque, qui est probablement ma première religion. Simultanément, à l’école en Thaïlande je me suis ancrée dans la poésie épique thaï que, enfant, j’aimais chanter à la manière traditionnelle. (Le sytème éducatif thaïlandais a depuis évolué vers le pire, le programme actuel néglige presque totalement la rédaction d’essais et l’enseignement de la poésie. La culture thaï est de fait très lyrique ; nous en priver, c’est nous priver de notre notre âme. Je considère ce fait comme l’une des racines de notre mal actuel.)

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13 Jan. 2016 | Ing K | Laissez un commentaire

ING K : « ATTEINTE À L’UNITÉ DE L’ÉTAT »

Ing K
Shakespeare Must Die de Ing K, 2012, vidéo, couleur, 172 minutes

Shakespeare Must Die de Ing K, 2012, vidéo, couleur, Thaïlande, 172 minutes (vo st ang)

Abandonner ses études en arts plastiques pour secourir les réfugiés à la frontière cambodgienne parce qu’il y a plus d’urgence à secourir son prochain : la démarche de la journaliste et cinéaste Ing K (anjanavanit) peut se résumer dans un tel mouvement. Une telle décision engendre l’effet involontaire mais fondé en nécessité de rebrancher l’art sur la violence du réel et de s’en trouver totalement reconfiguré, comme en atteste le diptyque magistral Shakespeare Must Die (fiction, 2012) et Censor Must Die (documentaire, 2013). Auparavant, Ing K réalise une fiction, My Teacher Eats Biscuits (1998, 16mm), censuré par le gouvernement « démocrate », et quatre documentaires : Thailand for Sale (1991), Green Menace: The Untold Story of Golf (1993), Casino Cambodia (1994) et Citizen Juling (2008), respectivement consacrés aux problèmes économiques, écologiques, sociaux et religieux de son pays, la Thaïlande ou, comme elle préfère l’appeler, le « Siam », selon son nom anté-fasciste.

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21 Déc. 2015 | Bani Khoshnoudi | Laissez un commentaire

Une éthique de la question. Entretien avec Bani Khoshnoudi

Bani Khoshnoudi

Bani Khoshnoudi. Photo : Felipe Perez-Burchard


« Chaque visage pourrait être celui d’un prisonnier politique ou d’un martyr », explique Bani Khoshnoudi dans son chef d’œuvre The Silent Majority Speaks, tourné à Téhéran en 2009 au moment du Mouvement vert, puis diffusé clandestinement sous le pseudonyme « The Silent Collective » jusqu’en 2013. Attester d’un soulèvement populaire contre la dictature, tout en prenant soin de ne pas mettre en danger ceux qu’elle filme, récapituler un siècle de soulèvements politiques plus ou moins insurrectionnels et toujours réprimés dans le sang, réfléchir les fonctions létales, toxiques ou au contraire émancipatrices des images : l’ensemble de ces tâches remplies par The Silent Majority Speaks indique d’emblée l’exigence envers elle-même qui anime la plasticienne, cinéaste et productrice Bani Khoshnoudi. Fuyant tout dogmatisme, elle développe ce que l’on pourrait appeler « un activisme de la question », qui s’est exercé successivement sur les manifestations populaires en Iran, la politique anti-migratoire en France, la culture zapotèque au Mexique. Dans un ouvrage consacré à l’auto-émancipation dont le titre, Les sauvages dans la cité, assone avec le nom choisi par Bani Khoshnoudi pour sa maison de production ainsi placée sous l’égide de Claude Lévi-Strauss, « la Pensée sauvage », l’historien René Parize distinguait « le savoir de soumission » et « les savoirs de révolte »*.

Confronté à la censure politico-religieuse autant qu’aux stratégies d’autocensure, le travail de Bani Khoshnoudi développe non seulement une connaissance experte et des « savoir et savoir-faire de révolte » ingénieux, mais aussi, et surtout, comme on pourra le lire ici, l’essentiel : une infrangible conviction.

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17 Déc. 2015 | “Prends garde, censeur” | 2

Each Dawn a Censor Dies

“Prends garde, censeur”

« Prends garde, censeur, regarde cette main de femme palpiter au premier plan, regarde cet œil ténébreux, regarde cette bouche sensuelle, ton fils en rêvera cette nuit et, grâce à eux, il échappera à la vie d’esclave à laquelle tu le destinais. [… Les censeurs] ne reconnaissent pas la toute-puissante vertu libératrice du rêve, de la poésie et de cette flamme qui veille dans tout cœur assez fier pour ne pas se comparer à une porcherie. Malgré leurs ciseaux, l’amour triomphera. Car le cinéma n’est un instrument de propagande que pour les idées hautes. »*

La sensuelle mise en garde de Robert Desnos, publiée en 1927, décrit comment, dans toutes les sphères de l’existence, publique, collective, privée, intime, fantasmatique, il existe des conventions, des interdits et des tabous. L’histoire de la censure institutionnelle et celle des arts s’entrelacent comme deux plantes volubiles autour du cep social.

René Vautier en 1973, pendant sa grève de la faim. Droits réservés.

René Vautier en 1973, pendant sa grève de la faim. Droits réservés.

Bras judiciaire de ce qu’une société refoule comme dangereux pour sa survie, la Censure d’État se trompe rarement. Au mitan du XXe siècle, elle a donc, par exemple, judicieusement tenté de désamorcer trois des films les plus explosifs et programmatiques pour le devenir des formes : Afrique 50, pamphlet anticolonialiste de René Vautier (1950), Un Chant d’amour, poème visuel érotique de Jean Genet (1950), et L’Anticoncept, installation cinétique et sonore de Gil J Wolman (1951). Les deux premiers sont tournés clandestinement et interdits, le troisième censuré « pour imbécillité ». Afrique 50 vaudra un an et un jour d’inculpation à René Vautier. L’intrépidité et l’inventivité des auteurs (de respectivement 22, 30 et 21 ans) ont offert au cinéma trois bombes formelles, toutes trois indissociablement politiques, érotiques et plastiques, et l’on pourrait résumer l’histoire esthétique du XXe siècle en analysant les différences manifestes et les similitudes plus profondes qui traversent cette sublime triade involontaire.

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