— En images
La meule de foin
de Thibaut Cuisset,
entre peinture
et photographie


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Cuisset ; Loire ; campagne ; paysage ; Cézanne

Thibaut Cuisset, Canal de la Martinière, Loire-Atlantique, 2004. Courtesy galerie Les filles du Calvaire © ADAGP, Paris, 2020




Thibaut Cuisset arpentait et photographiait le territoire comme les artistes ont commencé à le faire au XIXe siècle. Comme les peintres et les premiers photographes, il marchait beaucoup, s’arrêtait, observait les paysages et les perspectives qui s’offraient à lui. Muni de sa chambre photographique, il méditait longuement avant de poser son trépied et de réaliser ses prises de vue. Il prenait le temps de regarder et de s’imprégner de ce qui l’environnait. Comme eux, il composait.

Cette meule de foin, solidement ancrée dans le paysage plat des bords de Loire rappelle la série que Claude Monet a réalisée sur ce motif en Normandie entre 1890 et 1891. Sous le pinceau du peintre, ces amas de foin ne sont plus que des formes géométriques qui, sous l’effet des variations de lumière et de l’atmosphère se dissolvent peu à peu pour ne devenir que pures couleurs et matières. Comme lui, Thibaut Cuisset entrait en campagne et se confrontait à son sujet. Attentif à la lumière, il recherchait avant tout à capter sa transparence et sa clarté. Il travaillait essentiellement par temps couvert de façon à obtenir une lumière homogène, sans ombres portées et sans contrastes trop forts. C’est pourquoi nous avons cette impression d’un paysage figé, intemporel et suspendu. Comme si la nature retenait son souffle. En ce sens, cette photographie est très proche des paysages de Cézanne que Cuisset admirait. La meule devient sculpturale. Elle domine le paysage. Le point de vue en légère contre-plongée ainsi que la présence de cette ligne d’horizon verte et bleue au centre de l’image, soulignée par la fine bande des arbres et du relief au loin, contribuent à l’ancrer fermement dans le sol et à lui conférer puissance et monumentalité. Comme Cézanne, il recherchait l’épure, le « concentré du lieu », synthétisait, allait à l’essentiel.

Mais cette image porte aussi en elle le souvenir de la meule de foin d’Henry Fox Talbot, réalisée en 1844. Pour ce scientifique et passionné de botanique qui regarda beaucoup la nature pour mettre au point ses premiers « dessins photogénés » puis la technique du calotype, la meule était un sujet idéal pour démontrer les qualités de la photographie. Comme il l’affirmait dans The Pencil of Nature [Le crayon de la nature] en 1844, sa nature et sa structure même lui permettaient de saisir et de restituer « toutes les nuances d’ombre et de lumière » dans leurs moindres détails. En réponse, Thibaut Cuisset a capté dans cette image d’une grande précision, toute une palette de nuances de couleurs. Et, comme Talbot s’attachant à représenter un sujet simple et familier de la nature, il a tenté de donner à voir, comme il le disait lui-même, ces lieux « qu’on ne regarde pas toujours, peut-être tout simplement parce qu’ils crèvent les yeux ».

Ce qui intéressait Thibaut Cuisset, c’était « d’aller fouiller dans le paysage ». Ainsi cette image, d’une désarmante simplicité, représente et incarne une part du paysage français et nous révèle en même temps le pouvoir qu’a la photographie de rendre visible ce qui est devenu invisible. Comme Cézanne, qui souhaitait faire de l’impressionnisme « un art solide et durable comme l’art des musées », la meule de Thibaut Cuisset revisite la peinture et s’impose à nous comme elle s’inscrit dans l’histoire de la photographie.



Ève Lepaon


L’œuvre de Thibaut Cuisset sera présentée au Jeu de Paume-Château de Tours à partir du 26 novembre 2021.




Thibaut Cuisset / librairie

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