Entre deux fermetures, le musée du Luxembourg a eu la chance de pouvoir présenter au public pendant quelques semaines l’exposition « Man Ray et la mode », qui retraçait le travail du photographe dans le milieu de la haute-couture et de la publicité, au tournant des années 1930. L’exposition a fermé ses portes prématurément, mais grâce au catalogue, nous pouvons continuer à l’explorer. Agrémenté d’une demi-douzaine d’essais remarquables, l’ouvrage rassemble les travaux de Man Ray comme photographe de mode, depuis ses débuts très conventionnels jusqu’à son travail novateur pour Harper’s Bazaar, et tend à démontrer combien le destin des arts est convergent.
En latin il existe un terme, à l’origine du terme d’« art » mais qui n’en a pas exactement le sens. Il s’agit du mot ars. « Dans le vocabulaire latin, ars, outre le sens très général de manière d’être ou de comportement, s’applique à trois domaines : ce qui est l’objet d’un « faire », d’un métier manuel ; ce qui exige un savoir-faire ; et ce qui relève de l’application de règles : la menuiserie, la rhétorique ou la grammaire sont ainsi subsumées sous une même catégorie »1. Or à l’époque de Man Ray, mode et photographie sont toutes deux des savoir-faire, des techniques, rattachées à l’artisanat par bien des aspects. Elles sont des ars et non des arts. Or par son traitement de l’image, par ses idées de la composition, par son usage du cadrage, et par la popularité de ses clichés, le travail de Man Ray a contribué à faire aussi bien de la mode que de la photographie un des Beaux-arts.
Man Ray commence sa carrière de photographe dans le secteur de la mode, en photographiant des modèles de Paul Poiret. Il n’en sortira que peu, le temps de quelques fulgurances qui ont fait de lui le photographe mythique que l’on connaît aujourd’hui. Comme le dit Serge Bramly, sa carrière photographique « s’achève aussi avec la mode, comme si celle-ci l’éclairait, la sous-tendait de bout en bout. Épuisée par l’une, il renonce à l’autre. Ses appareils ne ressortiront plus de leur étui »2. Mais malgré le dégoût et la lassitude, son œuvre produite dans ce cadre est pourtant magistrale. Comme l’écrit Claude Miglietti dans le catalogue, « c’est pourtant dans l’éphémère de la mode, dans la fugacité facile de la photographie qu’il a accompli une œuvre qui demeure un des sommets du siècle »3. Car on se souvient plus de Man Ray aujourd’hui pour ses photographies que pour son œuvre de peintre, qu’il produisit pourtant pendant plus de trente ans.
Or, ce succès photographique contribua aussi largement au succès des couturiers pour qui Man Ray travaillait, amenant la haute-couture sur le devant de la scène : « Sa carrière fut certes courte, à peine dix-huit ans, elle n’en préfigure pas moins le rôle pivot que la photographie va jouer dans la conquête par la mode d’un public en passe de devenir universel »4. Ainsi la popularité des photographies de Man Ray mettra la mode au premier plan de la vie artistique, donnant ainsi l’occasion aux couturiers de toucher le plus grand public, et de petit à petit passer d’un artisanat à un véritable art. Comme l’écrit Paméla Grimaud dans un des essais du catalogue, « la porosité entre art et mode est telle que l’un s’inspire de l’autre et si Elsa Schiaparelli est autant modèle qu’artiste et couturière, sa collection haute couture du printemps 1939 sur le thème de la Commedia dell’arte inspire à Man Ray son tableau Le beau temps »5. Photographie comme haute-couture se sentent maintenant investi de l’aura de l’art le plus légitime, jusqu’aux mannequins de vitrine eux-mêmes, désormais dessinés par des artistes.6
L’histoire de Man Ray et de la mode, c’est l’histoire de deux ars qui contribuent à s’élever l’un l’autre au rang d’art. Fabricant au passage, presque malgré lui, un photographe de légende.
Camille Moreau
Le catalogue de l’exposition / librairie
References