— Bibliothèque idéale
James Coleman,
description d’un combat


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C’est à l’occasion de l’exposition consacrée au travail de James Coleman, à l’Irish Museum of Modern Art, en 2009 à Dublin, que cette monographie fut publiée. Son travail, au-delà de sa richesse intrinsèque, fut décisive pour plusieurs générations d’artistes d’une école dublinoise prolifique. On trouve dans cet ouvrage un essai très complet de Dorothea von Hantelmann1 sur son installation-vidéo Box.

Reproduction : James Coleman, Irish Museum of Modern Art, 2009 (couverture)

Du combat de boxe, on peut reprendre ce qu’écrivait Roland Barthes dans ses Mythologies2 à son propos, comparé au catch duquel il se différencie point par point dans une opposition éclairante : « Le match de boxe est une histoire qui se construit sous les yeux du spectateur ; au catch, bien au contraire, c’est chaque moment qui est intelligible, non la durée. Le spectateur ne s’intéresse pas à la montée d’une fortune, il attend l’image momentanée de certaines passions. Le catch exige donc une lecture immédiate des sens juxtaposés, sans qu’il soit nécessaire de les lier. » N’est-ce pas là ce que l’on retrouve précisément dans le montage de la vidéo de James Coleman (Box, ahhareturnabout, 1977), qui donne à voir des images brutalement syncopées d’un match de boxe historique qui opposa un jour Tunney contre Dempsey ? Le récit du combat – son développement et son issue – est suspendu au profit d’images parcellaires, entrecoupées de noirs, dues à la soustraction de très nombreuses photographies de la pellicule du film. Le positionnement des adversaires dans le jeu, les avantages pris ou les revers subis, sont de la sorte rendus difficiles à départager. La bande sonore seule n’est pas discontinue : on entend sourdre un monologue tourmenté derrière une respiration lourde et éreintée. On peut présumer, au spectacle de ce duel, que la voix, de parler seule, n’en charrie pas moins dans son monologue intérieure un interlocuteur féroce. Mais à l’inverse, on peut constater que ce halètement se prête aussi bien à l’un qu’à l’autre des lutteurs. De sorte que l’on peut dire que la mise en morceau du récit ne va pas sans une forme de dépersonnalisation.

James Coleman ; Minimal art ; video ; Box ; Sport ; body ; semiotics

Reproduction : James Coleman, Irish Museum of Modern Art, 2009 (page 67)

« Avec l’art minimal, l’intention première était de s’opposer à la critique d’art de l’époque et de produire une forme d’art qui refusât toute appropriation subjective ou linguistique. L’œuvre de Coleman Box introduit un champ d’expérience dans l’art qui n’exclut pas le sens, le langage, la critique et l’histoire, mais donne à ces catégories une forme concrète, en tant qu’elles sont le substrat nécessaire à toute expérience. Le sujet est présenté dans un contexte social et géopolitique déterminé, en même temps qu’il est mis en scène sur le terrain incontrôlable des affects et de réactions physiques – à cet égard – inconscientes. Le corps est ainsi conçu simultanément comme matériau concret, comme vecteur sémiotique de sens et comme être psycho-physiologique. C’est en ce sens que Coleman enracine l’expérience individuelle dans un contexte historique concret. Mais il ne le fait pas sans un réel souci de recréer une tradition cohérente. »3

James Coleman ; Box ; Sport ; Minimal ; Video

Reproduction : James Coleman, Irish Museum of Modern Art, 2009 (page 74)

Cette dissolution en miroir dans l’affrontement (qui est aussi la visée de la confrontation dans le KO de l’adversaire) va au plus près des gestes réflexes, de ces gestes pulsionnels et animals. L’identité des parties qui s’opposent sur le ring devient ici indifférente. Ce que l’image d’une captation de mauvaise qualité ne manque d’ailleurs pas d’accentuer. Car en effet ces champions d’une autre époque, même s’ils ne sont pas oubliés de quelques rares connaisseurs, apparaissent difficilement reconnaissables sous la patine du grain de l’image au contraste saturé, sans compter la rapidité des flashs. Ils n’ont pour ainsi dire plus de visages ; ils sont déjà défigurés, épuisés comme sujet. Seulement là où Barthes parle d’emphase à propos du catch, qui joue d’une forme de théâtralité (parce que les signes du jeu sont comme surlignés à l’adresse des spectateurs), c’est au récit d’un combat non seulement brisé que nous livre Coleman, mais qui demeure aussi répétitif qu’il est irrésolu, sans victoire ni défaite. Ce qui définit un état cauchemardesque dans lequel les protagonistes sont absorbés, et qui faute d’avancer ou de progresser, piétinent sur place. Images momentanées, sens juxtaposés et déliés : on reconnaît ce qui de Manet à Coleman alimente une passion moderne pour le fragment.

Damien Guggenheim

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