Le sport est-il un loisir ou une performance ? Avec l’avènement de la presse illustrée à partir des années 1920, la pratique de la photographie sportive accompagne l’idée que le sport est une occupation professionnelle ou tout du moins une activité d’initiés. Les clichés des photographes professionnels montrent les athlètes en pleine performance, dans des postures de demi-dieux, la photographie permettant de supprimer visuellement toute idée de gravité, de difficulté ou d’effort. Seul l’instant de l’exploit est montré, occultant presque tout ce qu’il a fallu de sacrifices – entraînements, échecs, blessures – pour arriver à un tel résultat.
Documentation céline duval, nom sous lequel l’artiste Céline Duval officie, met au défi ce paradigme dans Sport de vie. Livre de moyen format publié par ses soins, Sport de Vie rassemble des clichés d’anonymes en pleine pratique sportive. On y voit des femmes, des hommes et des enfants s’exercer, cultiver et réaliser leurs performances. Or la manière dont ces clichés sont présentés incite à repenser la quasi-divinité du sportif. La photographie amateure, qui se développe en même temps que l’essor de la presse illustrée, se plaît à imiter la photographie professionnelle, et dévoile ainsi les lieux communs présents dans les pratiques professionnelles de la prise de vue. Le sport ne fait pas exception, et déjà dans Les Trophées (2011), documentation celine duval explorait ce ressort. Mais contrairement aux Trophées, qui démontrait justement ce mimétisme, Sport de Vie raconte plutôt comment le sport, loin d’être une performance, s’immisce dans les loisirs sans que l’on ne s’en aperçoive vraiment. Une page nous montre des nageuses, que l’on pourrait croire en pleine compétition, pour les révéler la page suivante alanguies sur une pelouse près de l’eau… Tout cela nous ramène à un temps où la pratique sportive n’était pas encore professionnalisée et rend la frontière entre sport et loisir plus mince encore. Cela est réjouissant de voir que l’effort sportif et la paresse vont en réalité main dans la main, et que le réconfort qui vient après l’effort fait partie de la pratique complète du sport.
Le livre en lui-même, joli objet toilé sans aucun texte, avec ses photos en pleine page, sans légende, invite le lecteur à la rêverie et au déploiement de son imagination. L’artiste qui rassemble ces clichés nous offre cela avec la simple intention de célébrer l’être au monde, et la joie et l’énergie que ce sentiment suscite : en d’autres mots, le sport de la vie.
Camille Moreau
Documentation céline duval, Sport de Vie, 2020