— Brèves
Lì per lì ou la féerie critique de Pierre Léon.


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C’était dans une autre vie, il y a bien longtemps. Les cartes postales étaient la menue monnaie du contact amical ou affectueux. Il n’était pas de voyage, de séjour, de vacances sans la recherche de la petite image qui dirait le mieux notre sentiment. La plupart étaient attendues : monuments, points de vue fameux, ou plus modestement, la place du village et sa fontaine, sans oublier l’église. Pendant quelques années, j’ai collectionné les intérieurs d’église en carte postale. Et puis, j’ai oublié : elles se ressemblaient trop, me privant de la singularité de chacune pour ne désigner que le commun et le banal.

Une carte postale n’a pas le droit d’être banale si elle veut toucher son destinataire. Lì per lì, de Pierre Léon, se présente comme une espèce de petit film de vacances entre copains (du 14 au 23 août 1994), tourné sans moyens mais non sans soin dans une belle maison de campagne. La campagne, l’été, le soleil, une grande maison vide : une image de vacances, qui fait rêver en ce moment. Et pourtant, il fuit la banalité.

D’abord, par sa façon savoureuse de marier la fiction – et même, la fiction fantastique – avec le document, et aussi, un peu, l’essai filmé. L’histoire se résume en deux phrases : des extraterrestres qui ont l’air de sympathiques jeunes dandys ont achevé une mission d’exploration de notre planète, et doivent rentrer chez eux après avoir appris les cinq sens qui distinguent l’humain. À la veille de ce départ non désiré, ils savourent une dernière fois cette sensibilité humaine qu’ils ont appris à aimer, un peu trop peut-être. Le précieux du scénario de Pierre Léon c’est que tout cela, qui semble un peu simplet, est donné sur un ton d’évidence qui le fait accepter, avec les saynètes instructives et amusantes, les chansons aussi, qui viennent le nourrir, plus tongue in cheek l’une que l’autre. Et puis, la lecture d’un poème célèbre de Louise Labé est occasion de réfléchir sur le rythme et le sentiment ; la cueillette de quelques roses, soudain colorées – prétexte à évocation de la beauté. Aussi le film porte-t-il, comme sous-titre, la belle étiquette de Féerie critique.

Lì per lì est le titre de la chanson qui conclut l’aventure, quand, les explorateurs retournés « chez eux » malgré qu’ils en aient, le dernier d’entre eux, et le plus fruste, resté seul, quitte à vélo la grande maison désertée. C’est sa voix qui, peut-être, tire l’une des leçons de l’histoire : « più ci penso e meno capisco », plus j’y pense et moins je comprends. À moins qu’il ne faille préférer la trouver dans cette remarque de l’un des garçons, blasé ou désolé : « Nous n’aurons jamais le temps de connaître tout ce que nous voyons. »

On peut penser, et penser de manière critique, même au revers d’une petite carte postale du mois d’août, rédigée en s’amusant avec quelques amis. Si cela, en outre, est occasion de légèreté, d’humour et d’un ineffable charme, c’est un plaisir qu’il faut partager. Le voici :



Un film de Pierre Léon, 1994, restauration 2016, avec le concours de Maxence Dussère. Avec Serge Renko, Mathieu Riboulet, Vladimir Léon, Renaud Legrand, Pierre Léon.




Jacques Aumont, mai 2020

Le magazine remercie Pierre Léon pour son aimable autorisation.