— La parole à…
RUUD VISSCHEDIJK


Publié le


À l’occasion du colloque « Penser l’archive photographique au XXIe siècle », qui s’est tenu au Jeu de Paume les 28 et 29 janvier 2011, le magazine a rencontré Ruud Visschedijk, directeur du Nederlands Fotomuseum. L’exposition collective « ANGRY, jong en radicaal » présentée actuellement à Rotterdam comporte notamment une pièce d’Aernout Mik : Glutinosity.

le magazine L’exposition « Angry / Young and Radical » se tient actuellement au Nederlands Fotomuseum. Cette exposition, est-elle présentée en réaction à la situation politique aux Pays-Bas ?

Ruud Visschedijk Non ce n’est pas explicitement le cas. Nous avons commencé la préparation de l’exposition il y a deux ans. Aujourd’hui elle tombe juste au moment de discussions assez mouvementées sur l’élite culturelle, sur l’immigration et l’identité nationale. L’exposition soulève des questions comme « Qu’est-ce que la radicalisation ? », « Qui est radical et qui décide qui l’est ? », « La radicalisation est-elle une menace pour notre société ? ». Elle montre comment les médias construisent, à leur guise, une image de la radicalité, mais aussi comment les radicaux se servent des médias pour créer leur propre image.

le magazine Pourquoi avez-vous choisi de montrer la vidéo Glutinosity de l’artiste néerlandais Aernout Mik ?

Ruud Visschedijk Dans l’exposition, nous avons voulu montrer la radicalité de trois perspectives différentes : celle des radicaux et des ex-radicaux dont nous montrons des entretiens filmés, celle des médias dont nous montrons des extraits vidéo et celle des artistes qui réfléchissent aux questions de la radicalité.

Glutinosity n’est pas une réflexion sur la radicalité en soi, mais une réflexion sur la manière dont nous définissons habituellement les rôles dès que nous parlons de radicalité. Cette vidéo est présentée sur un seul écran. On y voit des personnes qui portent un uniforme d’agent de police et d’autres qui sont des manifestants. Il n’y a pas de sujet, seulement une sorte de chorégraphie, des gens qui luttent les uns contre les autres. Dans un premier temps, la police domine puis la situation bascule et les manifestants prennent le dessus. Glutinosity traite du retournement de situation et notre exposition sur la colère montre précisément la façon dont se produit ce basculement du sens. Dans le même ordre d’idée, nous présentons Dial H-I-S-T-O-R-Y de Johan Grimonprez, un film sur le terrorisme et sur la façon dont il est médiatisé.

le magazine À votre avis, l’œuvre d’Aernout Mik fait-il référence à la situation politique aux Pays-Bas ?

Ruud Visschedijk C’est une question extrêmement difficile. J’ai vu les vidéos Schoolyard, Communitas, Raw Footage et Glutinosity. Cette dernière peut être regardée comme une métaphore. Communitas ? Je n’y vois pas d’évocation de la politique des Pays-Bas. La question de l’œuvre d’Aernout Mik est celle de la construction de signification dans l’image. C’est pourquoi, il demande au spectateur d’être actif, d’attribuer lui-même une signification à l’image. Parfois il y arrive, d’autres fois non. Je m’y inclus, car il est difficile de mettre des mots précis sur ce que nous voyons dans les vidéos d’Aernout Mik. Peut-être que lui-même se garde de définir son œuvre, de peur d’enfermer ses vidéos dans un discours réducteur. Je pense qu’il souhaite que leur interprétation reste ouverte. La vidéo Schoolyard peut évoquer des prises de position sur le système scolaire et sur la mixité culturelle et sociale dans les écoles aux Pays-Bas, comme elle peut évoquer les événements violents qui se sont produits dans les écoles en Allemagne et aux États-Unis. Ces évocations, et beaucoup d’autres, se trouvent réunies de manière abstraite dans Schoolyard. Mais, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un commentaire. Aernout Mik ne commente pas des enjeux politiques ou idéologiques, c’est à nous les spectateurs de faire nos propres commentaires. C’est ce qui rend les œuvres de cet artiste si particulières.

Aernout Mik, "Glutinosity," 2001, video still, Courtesy carlier | gebauer

le magazine Vous avez mentionné la vidéo Raw Footage. Selon vous, s’agit-il d’une critique des médias ?

Ruud Visschedijk Comme son nom l’indique Raw Footage est constitué de rushs, produits par des journalistes de l’agence Reuters lors de la guerre en Yougoslavie. Mais au final, le résultat est loin de ce que nous avons vu dans les médias puisqu’Aernout Mik n’a retenu que des images non diffusées. Est-ce une réflexion sur les médias ? Je ne pense pas. Je n’ai pas l’impression qu’Aernout Mik ait l’intention de critiquer la manière dont les médias rendent compte des événements politiques.

Plus que des commentaires, ses vidéos sont des réflexions sur la relation entre l’œuvre et son spectateur. Oui, il évoque des questions comme il évoque des images connues des médias, mais ce n’est pas le sujet principal.

images issues du matériel documentaire de Reuters

Aernout Mik, "Raw Footage", 2006, Courtesy carlier | gebauer

le magazine Lors de la table ronde de ce matin, les intervenants ont évoqué différents usages de l’archive. Jusqu’à maintenant Raw Footage est la seule œuvre d’Aernout Mik produite à partir d’images d’archives. À quoi vous fait-elle penser ?

Ruud Visschedijk Pour être précis, Raw Footage est produite à partir d’images d’archives mises au rebut. La discussion était très intéressante. Nous avons évoqué les différentes façons de lire les archives, leur détermination archéologique, les idées politiques qui y sont dissimulées, les blancs, et aussi leur vocation utopique. Ceci me fait penser aux Archives de la Planète constituées par une équipe de photographes et de caméramans envoyés à travers le monde par le banquier Albert Kahn. Ce dernier ne leur demandait de documenter les grands évènements. Il n’était pas intéressé par ce qui faisait la une. En quelque sorte les rushs de Raw Material pourront faire partie de cette archive. C’est le genre de matériel qui en comble les lacunes.

> Ruud Visschedijk, directeur du Nederlands Fotomuseum, Rotterdam, est diplômé de l’Université libre d’Amsterdam en études politiques. De 1983 à 1991, il travaille au Zuiderzeemuseum à Enkhuizen puis, de 1991 à 2001, comme commissaire d’exposition à la cinémathèque d’Amsterdam. En 2001, il devient directeur du Nederlands Foto Instituut de Rotterdam qui fusionne en 2003 avec le Nederlands Fotomuseum.


« Aernout Mik, Communitas » au Jeu de Paume

« ANGRY Jong en radicaal » au nederlands fotomuseum

ANGRY : projet interactif et participatif