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mardi 29 mai 2018


Sumériens : l’origine fantasmée de l’écriture dans le calcul.


Conversation avec Jean-Jacques Glassner, historien spécialiste du monde mésopotamien et de l’écriture cunéiforme, directeur de recherche émérite au CNRS


Daphné Le Sergent : J’ai beaucoup apprécié la lecture de votre ouvrage « Ecrire à Sumer, l’invention du cunéiforme ». Vous y réfutez
– entre autres – deux idées reçues sur l’écriture et ses origines. L’histoire de l’écriture commencerait avec une image proche de la chose représentée, puis s’éloignerait du réel pour rassembler des formes abstraites et stylisées dérivant de ces images premières. Cette conception nous permet ainsi de penser une histoire progressiste de l’écriture puisqu’on va de l’image à l’alphabet – ce qui place une fois de plus la Grèce Antique (et les phéniciens) comme berceau de notre culture. D’autre part, vous mettez en garde contre une autre idée reçue sur la naissance de l’écriture cunéiforme en Mésopotamie : les premiers signes écrits auraient dérivé des calculi, petits jetons d’argile destinés à l’enregistrement de transactions marchandes. Cette vision comptable de la naissance de l’écriture est là une doxa bien confortable puisque nous considérons l’archive comme enregistrement quantitatif des données. L’origine se fait encore une fois le reflet de notre identité.

Jean-Jacques Glassner : Il ne faut pas oublier en premier lieu que nous ne disposons actuellement que d’un corpus incomplet de calculi et que cette piste d’éclaircissement ne reste qu’une hypothèse. Dans une seconde mesure, cette conception présente l’écriture comme un système clos, un système de significations et d’équivalences où une chose produit un jeton puis un mot. Or l’écriture ne se borne pas à un ensemble de signes, elle est également une pratique, une technique de mémoire ancrée dans un tissu social. En Mésopotamie, il faut penser l’écriture en rapport avec l’oralité. Le signe écrit vient appuyer la parole, il permet de visualiser le mot. On passe de l’oreille qui écoute à l’œil qui vérifie. L’écriture apporte une explication du mot qu’elle écrit, sous la forme d’un commentaire. Par exemple le mot « abgal », « expert », s’écrit à l’aide de deux sous-graphies, « nun » et « me » ; la première dit le mot « excellence », la seconde un pronom réfléchi qui renvoie à la personne évoquée ; l’ensemble est un commentaire du mot « expert ».

L’écriture va également permettre d’accroître les capacités de la mémoire. À l’école, par exemple, la fragmentation d’un même texte en de multiples tablettes indexées par des numéros va en faciliter la mémorisation d’une part et sa restitution de l’autre, puisqu’à l’évocation d’un numéro on retrouve facilement son contenu. Il s’agit d’une technique de mémoire, comme le sont en Inde les techniques du corps, chaque position et contorsion du corps visant à appuyer la mémorisation d’un passage des Vedas.


Daphné Le Sergent : L’écriture ne serait pas seulement ce qui permet de dire le monde mais aussi un outil de maîtrise dans un ordre social ? Dans votre ouvrage vous citez le récit mythologique sumérien « Enmerkar et le seigneur d’Aratta » qui décrit la joute d’intelligence entre deux souverains où se décide la soumission de l’un envers l’autre et la remise d’un tribut. C’est dans la confrontation finale entre les deux rois qu’apparaît l’écriture comme ultime énigme que le seigneur d’Arrata ne peut déchiffrer.

Jean-Jacques Glassner : L’écriture est une invention humaine, Enmerkar n’a recours à aucune divinité pour la créer. Elle se distingue en cela des langues parlées qui sont des dons divins. À dire vrai, le récit de l’invention de l’écriture par Enmerkar pose toute la question complexe de la relation entre les dieux et les hommes. L’homme a été créé pour servir les dieux, tous les mythes sumériens s’accordent sur ce point. Dans le récit d’Atrahasis, après la séparation du Ciel et de la Terre, les dieux sont affectés à la production agricole mais las de cette situation, ils se révoltent et Enki est chargé de créer l’homme pour se charger de leur labeur. L’acte de création de l’humanité n’est pas autre chose, en ultime analyse, que l’acte de naissance des dieux! Mais les Sumériens croient aussi en la vertu créatrice des mots, en l’identité de nature et d’essence entre le nom et ce qu’il désigne. Jouant habilement de cette relation qui lie étroitement chose et mot, l’auteur de cette épopée montre que le fait de créer les signes écrits disant les mots revient à manipuler les choses elles-mêmes. L’écriture se pose d’emblée comme une transgression !


Daphné Le Sergent : Vous décrivez également Enmerkar comme un roi de l’époque post-diluvienne d’Uruk. Quelle est la portée symbolique de cette histoire du déluge dans la relation complexe des dieux et des hommes ?

Jean-Jacques Glassner : Le mythe du déluge permet un séquençage du temps historique, séparant deux périodes, en un avant et un après. On va parler d’un roi comme venant avant ou après le déluge. Il marque la fin d’une époque et annonce une ère nouvelle. Mais c’est aux dieux qu’il revient de décider la fin de l’humanité sous les eaux. Or si l’humanité disparaît, les dieux aussi. Ils ne peuvent donc souhaiter un total anéantissement. Dans les textes, le déluge est installé dans l’histoire comme phénomène récurrent. La chute d’Ur ou celle du premier empire d’Akkad sont décrits à l’instar de déluges, désignant une invasion humaine massive qui a tout détruit sur son passage. À leurs suites arrive un roi à nouveau en accord avec les dieux, marquant le retour d’une dynastie juste.

Ainsi le déluge comme fin de l’histoire, comme anéantissement total ne se réalise jamais. Il marque un mouvement dans l’histoire, mouvement que l’on pourrait comparer à un zigzag, parfois marquant un accord avec les dieux, d’autres fois prononçant un éloignement. Le temps historique ressemble soit à un mouvement sinusoïdal, soit à un mouvement pendulaire, avec des périodes alternées de prospérité et de dépression, de croissance et d’effondrement.


Daphné Le Sergent : Qu’en est-il de la Tour de Babel dont la destruction est le fruit de la volonté divine ?

Jean-Jacques Glassner : Le mythe de Babel admet deux niveaux de lecture qui se superposent et se complètent. Au terme d’un cycle et de son histoire, l’humanité soumise à l’autorité d’un seul monarque et aspirant à l’immortalité provoque la colère de Yahvé qui réduit son royaume à néant, rend ses ordres confus et inaudibles et disperse sa population à la surface de la terre. Cette description cache, en réalité une catastrophe assimilée à un déluge. Le nom de Babel prend place au sein d’un champ sémantique où se déploient des images d’inondations destructrices ou de pluies torrentielles.


lundi 28 mai 2018



Daphné Le Sergent







Mot-clé : objet émotionnel

dimanche 27 mai 2018



Daphné Le Sergent




Daphné Le Sergent


Mot-clé : WAY

samedi 26 mai 2018



Daphné Le Sergent







Mot-clé : analogie formelle

vendredi 25 mai 2018



Daphné Le Sergent




Daphné Le Sergent


Mot-clé : interface haptique

jeudi 24 mai 2018


mercredi 23 mai 2018


L’écriture des glyphes et leurs formes.



© Daphné Le Sergent, 2018

mardi 22 mai 2018


L’écriture des glyphes et leurs formes.


Conversation avec Jean-Michel Hoppan,
épigraphiste, ingénieur d’étude au CNRS.


Daphné Le Sergent : Ce qui m’a frappé dans l’écriture maya, c’est la structure mystérieuse, intrigante, de ses glyphes. En premier lieu, j’ai eu la forte impression qu’ils avaient une structure complexe et dense, comme s’ils étaient composés de plusieurs cellules qu’on avait agrégées ensemble. Et dans chacune de ces étranges cellules, les lignes et segments qui les remplissent sont courbes, rondes, souvent tournées vers le centre. On dirait qu’on a d’abord tracé le contour puis qu’on l’a rempli de la périphérie vers le centre, dans une logique centripète. Sait-on comment ces caractères ont été formés ? En connait-on les règles d’écriture ? Quel a été le support le plus usité ? La pierre ?


Jean-Michel Hoppan : La question reste ouverte car il s’agit d’une écriture morte et donc d’une pratique perdue. Il est délicat de dire dans un glyphe quel tracé vient en premier.

Nous avons tous en tête les glyphes gravés sur des stèles au pieds des pyramides. Mais ceux-ci sont présents sur de nombreux supports, sur les architectures elles-mêmes (jambages de portes ou colonnes) mais aussi sur du mobilier (autels, trônes) ou sur des objets du quotidien comme des céramiques. Pourtant – et même s’il ne nous reste que de rares exemplaires comme les codex de Dresde, Madrid ou Paris-, il y a suffisamment d’indices pour penser que le papier (le papier d’amate) fur le support le plus courant de l’écriture maya.

L’écriture maya mêle des logogrammes – ou « idéogrammes » – avec des phonogrammes à valeur syllabique. Ceci permet une grande souplesse dans la retranscription de chaque mot qui a souvent plusieurs logogrammes équivalents mais que l’on peut aussi décomposer en syllabes. L’exigence des scribes étaient, pour un mot répété au même endroit, de ne pas reprendre le même glyphe. On appelle cela l’esthétique de la variation. Cette idée d’esthétique couvre non seulement le soin donné à la forme de l’écriture, à son amplitude graphique mais aussi celui donné à la disposition des glyphes, souvent en relation avec des images voisines.

Avec cette esthétique de la variation, nous sommes loin de la civilisation égyptienne qui a produit des encodages normalisés avec les hiéroglyphes. Les formes y restent semblables, stables, en réponse à la volonté administratrice des dynasties au pouvoir. Chez les Mayas, au contraire, la variation a rendu l’écriture opaque, déchiffrable par le petit nombre des dirigeants et des religieux, vanité qui a rendu complexe le décryptage de cette écriture lancée depuis le 19ème siècle.



Hoppan , Maya ; Daphné Le Sergent ; glyphe ; sorcier

(Source) Jean-Michel Hoppan, Parlons Maya Classique. Déchiffrement de l’écriture glyphique (Mexique, Guatemala, Belize, Honduras), Paris, L’Harmattan, 2014




Jean-Michel Hoppan : WAY est une notion très fortement ancrée dans la civilisation méso-américaine. Il signifie « sorcier » mais aussi « double spirituel », « nagual ». Les dirigeants par exemple avait choisi le jaguar comme étant ce double. Dérivée de diverses façons, WAY est la racine des verbes compris dans le champ sémantique du sommeil et des songes, dans la plupart des langues mayas originaires des Basses terres (là où a essentiellement été employée l’écriture classique) : par exemple, WAEYEL signifie « dormir » en tzeltal (langue du Chiapas), WAYAK signifie « faire des rêves prémonitoires » et WAYIB « chambre (à coucher, avec son lit) » en yucatèque, le maya du Yucatan.

Il y donc deux sens pour ce glyphe, celui de double spirituel, de nagual, d’un être mythologique à la fois humain et animal, et celui de chambre, de lieu consacré au sommeil, où l’esprit s’échape. On entend donc aussi par là « cénote » qui est un puit naturel que l’on trouve au Yucatan et qui est considéré comme sacré pour les mayas. On plonge au cœur de la terre, dans ce qui évoque l’inframonde, le royaume des morts et des seigneurs de la nuit. Dans certains temples, l’univers tout entier est figuré, l’officiant peut, selon les besoins des rituels, aller de la surface de la terre à l’Infra monde, ou encore monter vers le ciel, là où séjournent les dieux du cosmogramme maya.

dimanche 20 mai 2018



Daphné Le Sergent






Mot-clé : SUM

samedi 19 mai 2018



Daphné Le Sergent







Mots-clé: MAY, compression