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Martin Parr, ironie d’un repas de charité


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Martin Parr, Vente de charité à Hollywood.De la série « Luxury » © Martin Parr, Magnum Photos



Cette image fait partie de la série que Martin Parr a consacré au luxe à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Après s’être intéressé au monde ouvrier et aux classes populaires dans les années 1970-1980, il entame, en effet, au début des années 1990, une réflexion sur le consumérisme et ses effets à l’ère Thatcher. Cette première étape l’amène progressivement à documenter la richesse, iconographie beaucoup moins présente que celle de la pauvreté dans l’histoire de la photographie sociale mais néanmoins tout aussi nécessaire. Il se focalise alors sur la jet set internationale, ses événements mondains et ses rites : soirées, cocktails, défilés de mode, foires d’art, ventes de produits de luxe, courses hippiques et opérations caritatives.

Cette scène se passe à Hollywood, temple de l’argent et des célébrités, à l’occasion d’une vente de charité. L’attitude de ces bienfaiteurs que parvient à capter Martin Parr n’est pas sans ambiguïté. Leurs gestes semblent déplacés et contredire ironiquement la raison même de leur présence à cette manifestation : offrir aux plus démunis les moyens de se nourrir et de subvenir à leurs besoins. Les corps sont tendus autour de la nourriture. Les bouches s’ouvrent et se ferment, engloutissant frénétiquement des beignets préparés pour l’occasion. Les mains enserrent des piques lourdement chargés et des verres bien remplis, ou agrippent fermement leurs effets personnels. La scène peut rappeler l’enchevêtrement des corps et de la nourriture représenté dans les tableaux d’orgies flamandes du XVIIe siècle. Pourtant, nous sommes en Californie, en l’an 2000. Chacun a revêtu sa plus belle tenue et arbore ostensiblement ses plus beaux atours : bijoux, châles, smoking, nœud papillon et lunettes noires. Il y a, dans cette image, quelque chose d’une scène de prédation. La brillance sombre de leurs mises évoque presque le plumage funeste de certains rapaces. Le moment suspendu trouble notre perception : ces personnes sont-elles en train d’avaler ou de régurgiter la nourriture ?

Si la nourriture est centrale dans le travail de Martin Parr, c’est parce qu’elle est au cœur des enjeux sociaux contemporains qu’il tente de documenter. Consommation de masse, junk food, produit de luxe, la nourriture incarne les différences sociales. L’usage du gros plan qui donne à voir les matières, le travail de la couleur, du cadrage et l’art de la composition, si caractéristiques de Martin Parr, mettent en avant avec humour et sans concession les tensions qui traversent la société. En ce sens une telle image se révèle tout à fait emblématique de la période qui a précédé la crise de 2008. Telle une version contemporaine des Romains de la décadence de Thomas Couture représentant au XIXe siècle les fastes de l’Antiquité tardive qui ont précipité la chute de Rome, cette image nous rappelle cyniquement, au tournant du XXIe siècle, que la nourriture est un luxe et demeure un enjeu de pouvoir.



Ève Lepaon





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