Ed van der Elsken a photographié Amsterdam, sa ville natale, pendant plus de trente ans. Dès le début des années 1950, la photographie de rue en noir et blanc laisse progressivement place dans sa pratique à la photographie couleur, qui est pourtant largement dénigrée à cette époque. En effet, elle est alors considérée comme triviale et souvent associée à l’imagerie publicitaire. Ce parti pris traduit le peu de cas qu’il pouvait faire des normes et des conventions.
Lors de ses déambulations dans les rues d’Amsterdam, il manifeste un intérêt particulier pour la polychromie de la ville moderne et les personnes dont il peut exacerber l’apparence vestimentaire par le procédé couleur. La photographie de ces trois femmes saisies dans l’élan de leur marche en témoigne : elles semblent s’affranchir d’un même pas, par le port de la mini-jupe, des codes conservateurs qui régissent encore les Pays Bas. Véritable révolution dans le monde de la mode et symbole incontournable de l’émancipation de la femme dans les années 1960, ce vêtement, créé en Angleterre par Mary Quant, a été adopté massivement dans les sociétés occidentales jusqu’à gagner, non sans difficultés, les collections de haute couture.
Van der Elsken met en valeur cette liberté nouvelle à travers ses prises de vue qui s’apparentent souvent à un jeu : il se dissimule, suit ses sujets et finit souvent par les interpeller afin de détourner leur regard vers l’objectif. Deux des trois femmes de cette photographie se tournent vers lui et semblent amusées par sa harangue. Ses modèles se trouvent ainsi souvent piégés entre une attitude naturelle et celle adoptée plus ou moins consciemment face à l’appareil photographique. La rencontre a lieu : ce point de contact semble chez Van der Elsken au moins aussi importante que le cliché obtenu.
Cécile Tourneur