Gordon Matta-Clark (1943-1978) se forme à l’architecture à l’université Cornell d’Ithaca, dans l’État de New York (États-Unis), avant d’en réévaluer les principes, les formes et leurs conséquences sur la vie quotidienne des habitants. Influencé par les réflexions des artistes du Land Art autour des notions d’espace et d’entropie qu’il découvre dans l’exposition « Earth Art » en 1969, Matta-Clark décide de consacrer son travail non pas à ce qui est construit, mais à ce qui est détruit, se défait et disparaît. À l’architecte, il oppose l’« anarchitecte », concept qui traduit bien cette démarche. Ses premières œuvres se concentrent sur les murs, intérieurs et extérieurs, ce qui s’y exprime de la vie des occupants des lieux, présents ou passés, et aux traces qui persistent. Il est un des premiers à s’intéresser au phénomène des graffitis à New York au début des années 1970. Comme Brassaï dans le Paris des années 1930, Matta-Clark photographie les inscriptions et les signes sur les parois du Bronx alors en pleine mutation. Sa démarche revêt un caractère social : inventorier les manifestations silencieuses des populations du quartier qui clament à travers leurs noms ou leurs avatars, leur présence et leur désir de s’approprier une partie de l’espace public. Ces photographies prises en noir et blanc puis colorisées à la main mettent aussi en avant la dimension esthétique de ces graffitis et l’inventivité de leurs tracés. En enregistrant ces traces considérées comme du vandalisme et donc vouées à disparaître, Gordon Matta-Clark interroge leur statut autant que leurs formes et prolonge leur durée de vie. Ses images donnent à voir la façon dont le mur, investi par le langage, matérialise le récit souvent invisible d’un quartier populaire écrit à plusieurs voix.
Ève Lepaon
Catalogue de l’exposition Gordon Matta-Clark, Anarchitecte, Ed. Jeu de Paume, Paris, 2018