— En images
Susan Sontag, image de la pensée


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Peter Hujar, Susan Sontag, 1975, tirage gélatino-argentique, The Morgan Library & Museum , achat en 2013 grâce au Charina Endowment Fund © Peter Hujar Archive, LLC, courtesy Pace/MacGill Gallery, New York and Fraenkel Gallery, San Francisco

Peter Hujar a composé un portrait saisissant du milieu artistique et intellectuel newyorkais des années 1960 à 1980. Dès les années 1950, sa professeure d’anglais à la School of Industrial Arts, Daisy Aldan, également poète et traductrice de Baudelaire, l’initie à la littérature. Ses liens avec la Factory d’Andy Warhol et le milieu underground, l’amènent à entrer en contact avec les auteurs de la Beat Generation comme Allen Ginsberg et William Burroughs. Fasciné par le portrait de la bohème artistique parisienne que Nadar a dressé au milieu du XIXe siècle, Peter Hujar tente de le transposer dans le New York contemporain. Il réalise leur portrait en 1975 et tente de capter, à travers le recours à la posture allongée, l’image de leur réflexion.

 

Il compose ce portrait de Susan Sontag la même année. Figure majeure de la littérature et de la pensée d’avant-garde américaine, proche de Peter Hujar, Susan Sontag rédige alors la préface de son livre, Portraits in Life and Death, qui sera publié l’année suivante. Dans ce livre, Peter Hujar associe des prises de vue dans les catacombes de Palerme à des portraits de la bohème newyorkaise. Réunies par la posture étendue et une même impression de temps inéluctablement figé, ces images donnent à Susan Sontag une nouvelle occasion d’écrire sur la photographie. Auteure d’une série d’essais intitulée Sur la photographie à partir de 1973, Susan Sontag y évoquait déjà l’idée d’un visage « embaumé dans l’image fixe », à propos du portrait photographique. Pour elle, comme pour Peter Hujar, « ce lien entre la photographie et la mort hante toute la photo de portrait ». 

 

Le portrait de Susan Sontag fait lui-même partie de ce mélancolique ensemble. Comme le dit Peter Hujar, « tous les personnages du livre sont censés venir de l’underground – du royaume des Enfers ». Tous appartiennent au monde souterrain, au domaine de l’invisible qui caractérise bien souvent les marges. Susan Sontag s’est beaucoup intéressée à la question de la visibilité, en particulier à travers ses Notes on Camp, concept de théâtralité sociale qu’elle a forgé en 1964 et qui est en grande partie inspiré de la vie de Peter Hujar. Comment donner à voir l’invisible ? Comment figurer l’intériorité ? À travers cette image, où l’écrivaine et essayiste, allongée sur un lit, le regard perdu, est absorbée dans sa réflexion, Peter Hujar tente justement de capter l’invisible : la pensée. Si Susan Sontag écrit dans la préface de Portraits in Life and Death, « Life is a Movie. Death is a Photograph », Peter Hujar parvient néanmoins à saisir dans ce portrait la pensée puissante, bien vivante et en mouvement de l’auteure américaine.

Ève Lepaon

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