— La parole à…
Yve-Alain Bois : “Abattoir”


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Les trois photographies d’Éli Lotar dont Bataille illustre son article « Abattoir » pour le « Dictionnaire critique » de Documents forment une sorte de sommet, dans la revue, de l’iconographie de l’horreur1. La cruauté et le sacrifice, la terreur et la mort y sont assez souvent abordés dans les articles (dès le texte de Bataille sur le manuscrit enluminé de L’Apocalypse de Saint-Sever, dans le deuxième numéro), mais aucune image n’y est aussi réalistement macabre que ces photographies prises à la Villette en compagnie d’André Masson – sauf, peut-être, dans l’avant-dernier numéro, la reproduction assez peu lisible d’une double page de X Marks The Spot, ouvrage groupant sous forme de montages grossiers des photographies de presse révélant la brutalité de la guerre des gangs à Chicago. « Il semble que le désir de voir finisse par l’emporter sur le dégoût ou l’effroi », note Bataille à propos de ce livre2. Quant à lui cependant, il se refusera à flatter ce voyeurisme dans Documents (il ne publiera que beaucoup plus tard -en 1961 dans Le Larmes d’Éros– la fameuse photographie du jeune Chinois découpé en morceaux vivant, que son psychanalyste, le docteur Adrien Borel, lui avait passée dès 1925) 3.

Eli Lotar, Aux abattoirs de la Villette, 1929 © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN-Grand Palais

Eli Lotar, Aux abattoirs de la Villette, 1929 © The Metropolitan Museum of Art,
Dist. RMN-Grand Palais


Il n’est pas exclu que l’autocensure ait joué un certain rôle dans cette réserve (après tout, la publication de Documents dépendait du soutien continu d’un commanditaire), mais cela reste assez douteux : Bataille ne reproduit même pas le plan de l’œil coupé d’Un chien andalou, auquel il se réfère, alors que d’autres revues ne s’en sont pas privées (dont Cahiers d’art, beaucoup plus conformiste, à quoi il renvoie), et ce bien que l’image eût étayé son discours (Comment ne pas voir à quel point l’horreur devient fascinante et aussi qu’elle est seule assez brutale pour briser ce qui étouffe4). Même quand il s’agit de têtes réduites des Indiens jivaros, la violence iconographique est en général médiatisée dans Documents, distanciée par la représentation : y sont exposés des faits ethnographiques ou artistiques, et non pas quotidiens (le seul cliché à renvoyer aux faits divers est la photographie ridicule du « meurtrier Crépin », la tête emmitouflée, après une tentative ratée de suicide au cours de laquelle il se sera défoncé la bouche et le nez à coup de fusil – poupée de gaze ostensiblement dérisoire)5. Certes, cette violence, toute médiatisée qu’elle soit par l’art ou la culture, n’est pas pour autant toujours sans effet : le détail du soldat romain fouillant à mains nues dans la poitrine béante d’un homme qu’il vient de décapiter, isolé dans un tableau d’Antoine Caron auquel Michel Leiris consacre un article halluciné, et magnifié en plein page, est d’autant plus saisissant qu’il est extrait d’une œuvre maniériste du XVIe siècle. Mais il s’agit là plutôt d’une exception : ce qui frappe, dans le dessin naïf d’un sacrifice humain aztèque tiré d’un Codex du Vatican et dont la reproduction accompagne un texte de Roger Hervé sur le sujet, c’est au moins autant les cheveux blonds en bouclettes des victimes espagnoles que le sang jaillissant de leur poitrine6.

L’art étant le truchement par lequel l’horreur (amplement distillée dans les textes) se donne à voir dans la revue, on peut donc se demander pourquoi Bataille n’a pas choisi d’illustrer son article par un tableau de son ami André Masson sur le thème boucher que celui—ci avait déjà commencé à explorer, du genre de L’Équarrisseur, par exemple, datant de 1928 et reproduit dans un numéro précédent de Documents. C’est peut-être que la violence n’est pas ici un thème – il y serait plutôt question de son refoulement. On pourrait même croire qu’il y a là un simple chassé-croisé : pour parler de la violence, on la montre telle que la culture (même « primitive ») la traite; pour parler de son son occultation, on la montre brute. Ce serait vrai si les photographies de Lotar correspondaient au texte de Bataille, or elles semblent à première vue y contredirent. L’article, très bref, commence par énoncer un postulat: « L’abattoir relève de la religion en ce sens que des temples des époques reculées (sans parler de nos jours de ceux des hindous) étaient à double usage, servant en même temps aux implorations et aux tueries. Il en résultait sans aucun doute (on peut en juger d’après l’aspect de chaos des abattoir actuels) une coïncidence bouleversante entre les mystères mythologiques et la grandeur lugubre caractéristique des lieux où la sang coule ». Rien de tel dans le reportage de Lotar : aucun rapport avec ces sacrifices sanglants d’hommes ou d’animaux sur lesquels Bataille reviendra dans la revue (par exemple à propos du culte de Kali), aucun « chaos » 7. Les photographies n’exhibent au contraire rien que de très ordonné, et c’est l’ordre lui—même, banal, comme si de rien n’était, qui est sinistre. La première, en pleine page, montre une double rangée de pieds de veau soigneusement appuyée contre un coin de mur extérieur; la deuxième, un tas qui s’avère être, après examen, la peau roulée d’un animal que l’on a traînée sur le sol devant une porte comme pour en nettoyer l’accès, et laissant derrière une trace sombre de sang; la troisième, en surplomb, est la seule qui donne à entrevoir ce lieu en activité (des bouchers s’affairant en vitesse — ils sont un peu flous — autour de plusieurs animaux abattus). L’horreur est plate, sans simagrées.

Le démenti qu’apportent les photographies de Lotar au texte de Bataille n’en est pourtant pas un, car ce dernier n’a cure des animaux mis à mort en série dans une usine à viande (on se doute que ce n’est pas par esprit S.P.A. qu’il cite avec un plaisir évident, dans la notice « Homme » du « Dictionnaire critique » parue dans le précédent numéro de Documents, les élucubrations comptables de Sir William Earnshaw Cooper quant aux quantités phénoménales de sang animal dont s’abreuve quotidiennement la chrétienté). C’est la deuxième partie du texte qui aide à comprendre l’utilisation à contre-courant que fait ici Bataille de la photographie : « Cependant de nos jours l’abattoir est maudit et mis en quarantaine comme un bateau portant le choléra ». Suit un paragraphe sur les effets de cette malédiction par laquelle « les braves gens » sont amenés « à végéter aussi loin que possible des abattoirs, à s’exiler par correction dans un monde amorphe, où il n’y a plus rien d’horrible et où, subissant l’obsession indélébile de l’ignominie, ils sont réduits à manger du fromage ». En d’autres termes, ce n’est pas la violence en tant que telle qui intéresse Bataille, mais sa scotomisation civilisée qui la désigne comme altérité, comme désordre hétérogène : la mettre en quarantaine par « un besoin maladif de propreté, de petitesse bilieuse et d’ennui », fût-ce même au sein de l’abattoir, c’est participer d’une entreprise de sublimation (d’homogénéisation), et c’est cette activité sublimatoire qu’il veut analyser et mettre en brèche. Montrer l’équivalent visuel des cris de porcs qu’on sacrifie, ces mêmes cris de porcs que Bataille dit pousser devant Le Jeu lugubre de Dalí, ce serait d’une certaine manière nier qu’un tel refoulement a bien lieu 8. Aucune « grandeur lugubre » dans les photographies de Lotar : rien à voir avec la corrida — ou, pour le dire autrement, on a la corrida qu’on mérite. Exhiber purement et simplement la violence serait en quelque sorte l’incorporer: il est plus efficace de souligner comment elle est évacuée, d’où l’image laconique de l’ignoble petit tas formé par la peau de vache devant la porte de l’abattoir.

Mais il y a plus : aucune sublimation n’est jamais totalement accomplie, aucun rempart ne protège hermétiquement contre le retour en sous—main de ce qui a été exclu. Le fromage végétarien a beau sembler anodin, il pue, comme les pieds : ce n’est pas un hasard si le fameux texte sur « Le gros orteil », illustré de trois non moins célèbres photographies de l’organe en question (dues à Boiffard), paraît dans le même numéro que la notice « Abattoir ». De même, comme le note Georges Didi-Huberman, ce n’est pas un hasard si la dernière photographie reproduite dans ce numéro, des jambes nues de danseuses de cabaret dont le corps est masqué par un rideau de scène en train de tomber, renvoie à la rangée de pieds de veau de Lotar, et si Bataille parle d’étalage à propos des Folies—Bergère (la nature sadomasochiste de l »amusement » et de la « distraction » est un thème qui revient souvent dans la revue).

Ce dont il est question dans « abattoir », « Le gros orteil », et la plupart des textes de Bataille à l’époque de Documents, c’est du « double usage » de toute chose. Il y a l’usage élevé, consacré par l’idéalisme métaphysique et l’humanisme rationaliste, et il y a l’usage bas. Il y a deux sortes d’usages de la bouche (parler, noble, s’oppose à: cracher, vomir ou crier), deux usages de Sade, deux usages des temples, deux usages de la Grèce, deux usages de l' »Amérique disparue » (on peut renvoyer aux sacrifices spectaculaires des Aztèques ou, au contraire, à l’empire bureaucratique des Incas, où « tout se trouvait prévu dans une existence sans air ») 9. Il y a même deux usages de l’abattoir (on peut se référer à lui pour parler de l’horreur comme pour faire état de la manière dont elle est occultée). Tout se divise en deux mais cette division n’est pas symétrique (il n’y a pas répartition simple de part et d’autre d’un axe vertical), elle est dynamique (la limite du partage étant horizontale) : le bas entraîne le haut dans sa chute. C’est l’usage bas, son affirmation intempestive, qui crève d’un mauvais coup le ballon de baudruche de l’idéal.

Eli Lotar, Aux abattoirs de la Vilette © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais


Dire que l’abattoir tient du temple, c’est donc aussi dire que le temple peut être sordide comme un abattoir et que la religion n’a de sens qu’à être sanguinaire (elle l’est d’ailleurs toujours au départ, mais finit à plus ou moins long terme par réprimer ce trait constitutif : « Dieu perd rapidement et presque entièrement les éléments terrifiants et les emprunts au cadavre en décomposition pour devenir, au dernier terme de la dégradation, le simple signe (paternel) de l’homogénéité universelle 10 ». Comme plusieurs auteurs l’ont remarqué, le texte qui fait pendant à la notice « Abattoir » est une autre entrée du « Dictionnaire critique », « Musée ». Bataille y est tout aussi manichéen : « D’après la Grande Encyclopédie, commence-t-il, le premier musée au sens moderne du mot (c’est-à-dire la première collection publique) aurait été fondé le 27 juillet 1793 en France par la Convention. L’origine du musée moderne serait donc liée au développement de la guillotine ». Suit un développement ironique (au cours duquel les visiteurs du musée sont désignés comme son vrai contenu), se terminant par un assaut contre la contemplation esthétique considérée comme autocélébration narcissique: « Le musée est le miroir colossal dans lequel l’homme se contemple enfin sous toutes les faces, se trouve littéralement admirable et s’abandonne à l’extase exprimée dans toutes les revues d’art » (expression d’extase que le lecteur de Documents serait donc en droit d’attendre, mais dont il ne trouvera pas grande trace dans la revue) 11. On pourrait être tenté de voir dans ce texte comme une annonce de la phrase inoubliable prononcée quelques années plus tard par Walter Benjamin (« Rien n’est jamais un document de culture sans être en même temps un document de barbarie 12 mais ce serait là faire loucher la pensée de Bataille vers le marxisme, avec quoi il ne se frottera que très épisodiquement (juste après la fin de Documents, vers 1932-1939), et toujours en prenant ses distances 13. Plus que de lutte des classes, il s’agit ici de déclassement, et la barbarie serait plutôt ce que Bataille appelle de tous ses vœux. Aucun marxiste ne pourrait signer cette phrase : « Sans complicité profonde avec des forces de la nature telles que la mort sous sa forme violente, les effusions de sang, les catastrophes soudaines y compris les horribles cris de douleur qui les suivent, les ruptures terrifiantes de ce qui paraissait immuable, l’abaissement jusque dans une pourriture infecte de ce qui était élevé, sans la compréhension sadique d’une nature incontestablement tonitruante et torrentielle, il ne peut y avoir de révolutionnaires, il n’y a qu’une écœurante sentimentalité utopique14.

Ces lignes sont extraites de « La valeur d’usage de D.A.F. de Sade », réponse de Bataille à la diatribe lancée contre lui par André Breton dans le Second manifeste du surréalisme. À tel passage de ce texte essentiel, que Bataille ne publiera pas, fait écho l’une des dernières notices parues dans Documents, le commentaire d’un article réactionnaire d’Emmanuel Berl contre l‘emprise croissante de la psychanalyse sur la production artistique et littéraire 15. Bataille renchérit contre ceux (les surréalistes) qui se réclament de la psychanalyse et qui, « tenant à échapper à ses conséquences, se réfugient dans l’inconscient le plus mystérieux (alors que Freud n’a jamais voulu que mettre tout en lumière en éliminant rigoureusement le moindre mystère entretenu par l’inconscient) »: ils ne font, dit Bataille, que du « fromage » ou du « dessert » ou de la poésie, ce qui revient au même (« Je ne crois pas avoir haï rien autant que la poésie », note-t-il dans l’un des nombreux brouillons de sa réponse à Breton) 16. Le règne de l’inconscient-fromage ou dessert est fini, ça n’amuse plus personne : « La réduction du refoulement et l’élimination relative du symbolisme ne sont évidemment pas favorables à une littérature d’esthètes décadents, entièrement privés même d’une possibilité de contact avec les basses couches sociales ». Et « comme il est hors de question de mettre la psychanalyse au rancart, dit encore Bataille, il faudra bien passer à un autre genre d’exercice ». La révolution sociale, certes (on approche de la conclusion de l’aventure de Documents et du moment relativement bref où Bataille déportera sa réflexion sur le champ politique), mais surtout un autre usage de Freud. Car de la psychanalyse aussi il y a un double usage : celui des exploiteurs littéraires de l’inconscient, qui le visitent en touristes et, y puisant comme dans un réservoir de métaphores, s’amusent à singer le délire, et il y a les analysés. Il y a ceux qui transposent, mimant les déplacements et condensations au travail dans le rêve, et il y a ceux qui sont altérés par la psychanalyse (c’est en terme d’altération, non de guérison, que Bataille fera plus tard référence à sa cure psychanalytique)17. Il y a ceux qui ne voient dans le texte psychanalytique qu’une mine de symboles, et ceux au contraire qui le lisent comme une machine de guerre dirigée contre la symbolisation. L’onirisme poétique du surréalisme est, pour Bataille, l’ »échappatoire la plus dégradante » en ce sens qu’il marque une nette soumission à la loi : « Les éléments d’un rêve ou d’une hallucination sont des transpositions; l’utilisation poétique du rêve revient à une consécration de la censure inconsciente, c’est—à—dire de la honte secrète et des lâchetés18.

Contre la transposition (attaquée sur un ton amer dans le tout dernier article qu’il publie dans Documents, « L’esprit moderne et 1919 des transpositions »), Bataille opte pour l’altération et c’est en tant qu’altération vers le bas qu’il valorise la « réduction du refoulement »: « Un retour à la réalité n’implique aucune acceptation nouvelle, mais cela veut dire qu’on est séduit bassement, sans transposition et jusqu’à en crier, en écarquillant les yeux : les écarquillant ainsi devant un gros orteil 19. La psychanalyse est une entreprise de démystification, elle obéit à ce mot d’ordre: « Il s’agit tout d‘abord d’altérer ce que l’on a sous la main » ; elle fait des taches d’encre sur l’idéal du moi 20.

L’altération est un mot à double usage (« Le terme d’altération a le double intérêt d’exprimer une décomposition partielle analogue à celle des cadavres et en même temps le passage à un état parfaitement hétérogène correspondant à ce que le professeur protestant Otto appelle le tout autre, c’est—à-dire le sacré, réalisé par exemple dans un spectre »21). Mais c’est surtout le mot qui désigne le coup bas porté aux mots quand on souligne leur double usage, un double usage le plus souvent refoulé mais parfois entériné par le dictionnaire lorsque deux sens opposés sont réunis dans un même terme. Comme le note Denis Hollier, Bataille avait lu l’étude de Freud sur cette question, et il n’aura pu qu’être frappé par certains de ses exemples (« en latin, altus veut dire haut et profond ; sacer, saint et maudit 22 »). Plus encore, peut-être, Bataille se sera réjoui de l’affirmation par Freud, dès ses Trois essais sur la théorie de la sexualité, de l’origine organique de ce dédoublement alternatif — la double fonction des organes, notamment du pénis, qui « servent deux maîtres à la fois » — et du rôle joué par le refoulement de cette conjonction dans le développement de la civilisation comme du sujet humain, sans parler de la sublimation esthétique 23.

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Kazuo Shiraga, Chasse au sanglier (Shisigari), 1963. Droits réservés.


Même si les références de Bataille à Freud ne sont pas très nombreuses, et si l’usage qu’il fait de la psychanalyse n’a rien d’orthodoxe, il y trouve un modèle pour l’opération de rabaissement qu’il veut mener sur « tout ce qui lui tombe sur la main » (sur tout ce qui est présenté comme « élevé » ou idéal, s’entend). Freud n’est pas nommé dans « Le gros orteil », peut-être l’exemple le plus criard d’altération à laquelle Bataille soumet l’homme (le début du texte énonce un axiome dont la preuve définitive n’a été fournie que récemment par la paléontologie, à savoir que « le gros orteil est la partie la plus humaine du corps humain »), mais on peut lire ce brûlot fulgurant comme un pastiche freudien: « Quel que soit le rôle joué dans l’érection (la position verticale) par son pied, l’homme, qui a la tête légère, c’est-à-dire élevée vers le ciel et les choses du ciel, le regarde comme un crachat sous prétexte qu‘il a ce pied dans la boue ». Freud insistera sur la fonction du refoulement dans la formation du moi, Bataille enfoncera le clou de la désublimation : il n‘y a rien de plus humain que ce crachat que l’homme méprise ; l’homme, c’est crachat. D’où aussi la portée heuristique des sacrifices humains, qui ne diffèrent finalement pas tant du spectacle que l’on peut voir dans les abattoirs : si l’on considère « l’utilisation du mécanisme sacrificiel à diverses fins telles que la propitiation ou l’expiation comme secondaire », on est porté à retenir « le fait élémentaire de l’altération radicale de la personne » et à voir que « la victime affalée dans une flaque de sang, le doigt, l’œil ou l’oreille arrachée ne diffèrent pas sensiblement des aliments vomis » ni du minable rouleau de peau ensanglanté de la photographie de Lotar 24.Cette altération produit le tout autre, à savoir le sacré, selon la définition de Rudolf Otto que Bataille conservera toute sa vie — mais ce sacré n’est qu’un autre nom de ce que l’on rejette comme excrément.

Yve-Alain Bois
Ce texte est extrait du catalogue de l’exposition L’Informe : mode d’emploi, présentée au Centre Pompidou en 1996.
Rosalind KRAUSS et Yve-Alain BOIS, L’Informe : mode d’emploi. Ouvrage sous forme d’un abécédaire, 252 pages, Édition du Centre Georges Pompidou, 1996

References[+]