Dans le cadre de son séminaire consacré aux séries télévisées contemporaines, Emmanuel Burdeau1 adresse quelques questions à des amateurs de tous horizons, afin de mieux savoir quelles séries chacun regarde et — tout aussi important — comment.
1. Comment regardez-vous les séries (ordinateur, télé ; fichiers, DVD ; téléchargement, VF ou VO, avec ou sans sous-titres) ? Quelle importance a selon vous ce « dispositif » ?
2. À quel rythme, à quelles heures, selon quels rituels les regardez-vous ? Pourquoi ces préférences ?
3. Quelle série récente, postérieure à 1995 — le défi est de n’en citer qu’une — a bouleversé votre vision du « genre » ? Pourquoi, en quelques mots ?
4. Quelle série en cours vous semble incarner l’avenir du « genre » ? Pourquoi, en quelques mots ?
Maël Le Garrec
Professeur de philosophie en classes terminales.
1. Je les regarde sur l’ordinateur, en téléchargeant les fichiers par Bittorrent ; très rarement en DVD, seulement lorsqu’une série m’apparaît, avec un temps de retard, incontournable et qu’un ami a entretemps acheté le coffret, et peut me le prêter. Les fichiers sont en version originale, les sous-titres aussi, par commodité (ce sont les plus faciles à trouver) mais aussi par scrupule (mon anglais n’étant pas parfait, j’aurais peur de louper une expression, un mot saillant dans la langue d’origine).
2. Le rythme : à la fois échelonné et à court terme. Pas de binge watching (deux épisodes maximum à la suite, trois si c’est du 26 minutes), je ne supporte pas la saturation qui s’installe, l’engourdissement. Je regarde des séries par intensité : un avis, un article, une photo, et j’essaie immédiatement de me lancer, de regarder tous les épisodes, de manière soutenue, régulière, dans les semaines qui suivent, et ainsi de l’avoir vue (Nietzsche parle de « brèves habitudes », dans Le Gai savoir). D’où par la suite des périodes blanches, sans séries. Donc pas de rituel en soi, pas de forme qui préexiste au désir de regarder cette série-là.
3.The Office, Ricky Gervais. Parce que pour la première fois, j’ai vu une série qui était, sur un thème, sur certains affects, des vies, en avance sur n’importe quelle forme autre artistique ou intellectuelle. Je me souviens l’avoir vu en DVD, qu’on m’avait offerts, début 2006 seulement. Je préparais l’agrégation de philosophie, j’étais plongé dans Etre et temps de Heidegger, qui était une révélation. Pour me détendre, j’ai regardé The Office, alors que le concours approchait. J’ai immédiatement pensé que ce que je voyais était (pour moi, mais pas seulement…) au moins aussi important qu’Etre et temps, sans pouvoir encore dire exactement ce qui y était traité, problématisé, exploré et qui ne l’avait pas encore été auparavant. The Office supplantait la philosophie, et je ne m’en suis toujours pas remis.
4. Je ne suis pas vraiment de séries actuelles, en tout cas pas de manière à pouvoir motiver un pronostic. Alors je dirais The Leftovers, justement parce que je n’arrive pas à y plonger, qu’elle me semble objectivement captivante, mais qu’elle me laisse à l’extérieur – sur la touche, et je me demande si cela signifie quelque chose quant à la nature des séries actuelles.
Clémence Madeleine-Perdrillat
Réalisatrice
1. Je regarde les séries sur mon ordinateur. Je les télécharge et j’attends toujours les sous-titres français. J’aime regarder une série lors de sa parution, ainsi je me sens proche de ce qui se passe dans d’autres pays.
2. Je regarde souvent le soir après mon travail et le dîner, vers 22h. Généralement je regarde deux épisodes de 52 minutes dans mon lit, ou plusieurs de 26′. J’aime ce moment assez intime avec les séries, j’ai un sentiment de proximité que je n’aurais pas avec la télévision, d’ailleurs je n’ai pas de télévision. Lorsque je suis en couple j’aime partager ce moment si l’autre aime les même séries et que nous sommes au même stade dans les saisons. J’ai le souvenir d’avoir vu les 5 premières saisons de Mad Men avec un homme que j’ai aimé, c’était un rituel important pour nous, un vrai rdv et le sentiment de découvrir ensemble quelque chose de rare.
3. Les Soprano. J’ai découvert grâce à cette série l’importance des personnages, j’ai eu le sentiment de faire partie de cette famille. La fin de la série m’a attristée comme si un monde s’arrêtait.
4. La série qui incarnait l’avenir du genre pour moi c’était Mad Men qui est à mon sens la plus belle création en série. Aujourd’hui je ne trouve pas d’équivalent, sauf peut-être dans Girls qui est moderne, drôle et qui a, selon moi, un ton unique de sitcom tragi-comique.
Cécile Montigny
Co-fondatrice d’APAR.TV et productrice.
1. En streaming et toujours en VO, depuis mon ordi que je connecte à ma tv (pour avoir un grand écran et du bon son) car la plupart des films que je regarde sont piratés. Mais chut, les agents d’Hadopi sont partout.
2. En binge watching. Avec des provisions, téléphone éteint, en immersion totale, tard le soir, ou la nuit. Parce que ça change tout.
3. Derek, de Ricky Gervais. Parce qu’il est le maitre du genre « mockumentaire » que j’affectionne particulièrement.. Parce qu’il est étonnant de voir à quel point le principe du faux documentaire peut trouver plusieurs résonances chez Ricky Gervais. La sincérité enfantine, la fragilité, la pureté du personnage m’a transportée. Parce que j‘en ai marre du cynisme ambiant. Dans Derek, il n’y a pas de drogue, pas de sexe, pas de violence mais beaucoup de tendresse et d’empathie. Je peux rire et pleurer à 10 minutes d’intervalle dans le même épisode. C’est un chaud/froid permanent, comme la vie.
4. House Of Cards, parce que les temps de production se raccourcissent. Qu’on arrive scénaristiquement à mélanger la fiction avec la réalité. Et je pense que dans les années à venir ce procédé va s’intensifier dans le sen où ce genre de séries/soap opéra peut permettre d’appréhender une nouvelle forme de prospective télévisuelle.
Guillaume Orignac
Critique (Chronic’art), auteur de David Fincher ou l’heure numérique (Capricci).
1.J’ai toujours regardé les séries télévisées sur l’écran pour lesquelles elles sont produites. Soit, avant le développement d’internet, au rythme parfois irrégulier de leurs diffusions sur les chaînes de télé française, soit, avec les sites de téléchargement, en lisant les fichiers video à l’aide d’un boîtier branché sur la télévision. Dispositif qui me semble tout autant naturel que conventionnel. La convention étant d’éviter de les regarder seul. La consommation frénétique de séries prend parfois des allures de shoot opiacé et addictif.
2. Dès lors que le carcan de la diffusion télévisée a sauté, le rythme choisi a été celui d’un visionnage quotidien de deux à trois épisodes pour épuiser une série en une semaine. Cela avec la volonté de briser l’idée du rendez-vous régulier étalé sur plusieurs mois, et ramener la série vers l’expérience d’un film très long. Reste qu’en suivant en direct la diffusion d’une nouvelle série, on se contraint à la voir au rythme généralement hebdomadaire de leur diffusion. Et donc à substituer à l’expérience du voyage, ramassé mais intense, que suppose la vision d’un film, celle de l’accompagnement familier. Cela crée probablement des affects singuliers, en nouant sa vie à celle de personnages fictifs, mais permet rarement de mesurer la qualité en elle-même de la série.
3. The Wire a été et reste, à ce jour, la plus grande série télévisée que j’ai pu découvrir. Parce que David Simon a fait de son principe même un mode d’exploration du tissu social, en répartissant chaque saison comme une porte d’entrée dans une communauté humaine. C’est à la fois très malin dans son cadre général et éblouissant dans les détails. Sa quatrième saison implantée dans le système éducatif américain s’élève à la hauteur d’un mélo néo-réaliste. En utilisant les codes de la fiction sérielle, The Wire permet surtout de retrouver ce qu’est l’essence de la télévision rêvée, un regard critique et attentif sur la société contemporaine.
4. Je ne sais si True Detective est une série en cours, ou plus simplement récente. Mais elle a en tout cas, indépendamment des qualités qu’on lui prête ou qu’on lui nie, ouvert l’horizon des séries vers une nouvelle forme, plus ramassée et tenue, où tous les épisodes seraient entièrement écrits par la même personne et filmés par un réalisateur unique. Où il s’agit moins d’imposer une cohérence à coups de feuilles de styles que de retrouver le chemin de l’auteur un peu solitaire, quitte à verser dans le fossé parfois. Et, au final, d’hybrider le temps du cinéma avec celui de la télévision.
Ariane Gaudeaux
Enseignante, chercheuse et auteure de « La Balade sauvage (Badlands) de Terrence Malick » (Editions de la Transparence, 2011)
1. IMac (ou Ipad, très rarement). Netflix, streaming, DVD, télé. Avec ou sans sous-titres. L’important est que ce soit simple, pratique et de bonne qualité.
2. À midi et parfois le soir. Pour être raisonnable.
3.Fargo. Six Feet Under. Pour la complexité très réaliste des personnages, leur profondeur, la photographie très soignée, le montage précis, poétique et discrètement évocateur, le scénario d’une sensibilité aussi cynique que touchante, laissant une grande place à l’implicite, et l’idée de la volatilité des instants.
4. The Leftovers. Pour son intensité dramatique, parce qu’elle sonne juste par rapport à notre époque, parce qu’elle flotte entre les genres, parce que sa structure narrative est souvent surprenante et nous fait voguer d’un personnage à l’autre à un rythme irrégulier. C’est une série émouvante, subtile, onirique, mystérieuse, dense, grave et profonde.
Marie-Fleur Albecker
Professeure d’histoire-géographie et blogueuse
1. Je n’ai pas de télé donc toujours sur mon ordinateur, en streaming – j’en regarde une telle quantité que je ne pourrais pas les stocker, mais j’achète en DVD mes séries « cultes », DVD que je ne regarde jamais, bien sûr. Satisfaction de la possession à portée de main. Sans sous-titres bien sûr, pour avoir le prétexte de pratiquer mon anglais. Liberté de s’assujettir à l’image n’importe où, n’importe quand.
2. Une à deux heures par jour, si je ne lis pas ou je n’écris pas (c’est par alternance), en binge-watching total pour les bonnes séries Netflix ou Amazon, sinon selon le rythme des sorties, donc beaucoup le lundi… En ce moment Girls, The Good Wife, The Walking Dead, Shameless, The Family et Elementary ; bon, ça fait donc plus qu’une à deux heures là-dessus. Je suis hyper-fidèle à de vieux soaps qui m’ont vu grandir mais qui tiennent toujours leurs promesses de mélodrame, ah Grey’s Anatomy ! Je n’ai pas de préférences, si ce n’est que je regarde plutôt sur mon canapé quand il fait jour et dans mon lit quand il fait nuit. Le cinéma (sur l’ordinateur), les séries et les livres, c’est l’évasion. Quand je suis vraiment au fond du trou, il m’est arrivé de laisser tomber des séries, par exemple Horace and Pete très récemment (c’est quand même super déprimant), mais que je reprendrai bientôt je pense.
3. Bon, ben, je vais répondre comme tout le monde The Wire, quoiqu’étant une femme je dois dire que Sex and the City a beaucoup compté aussi, mais pour d’autres raisons. Je travaille sur les Etats-Unis et quand je vivais à New York j’ai réussi un double défi : comprendre l’accent de Baltimore sans sous-titres (ça m’a beaucoup aidée pour mes entretiens de thèse) et comprendre mieux les Etats-Unis (on dirait que cette série a été faite par des sociologues, mais humains). Je me souviens d’ailleurs avoir eu du mal à « rentrer dedans » parce que j’avais du mal à m’habituer au rythme plutôt lent. Last but not least, Jimmy McNulty et Stringer Bell ne dormiraient pas dans la baignoire.
4. Ça commence à bien faire avec « une série » ! Ce fascisme ! Bon, alors, il y a Girls qui est pour moi une série absolument remarquable sur une certaine féminité (même si c’est sûr, c’est pas The Wire niveau spectre socio-ethnique) – et pourtant je trouve ce que produit Judd Apatow assez affligeant du point de vue du féminisme, la plupart du temps. Les séries de trash-politique avec leurs accents shakepeariens comme Boss, House of Cards ou Baron noir (malgré le désastreux contre-emploi d’Anna Mouglalis, mais passons), qui sont l’épitomé de la crise politique que traversent les démocraties libérales. En séries policières, j’ai récemment trouvé Murder (série britannique) assez remarquable, comme Making a murderer : des réflexions sur le rapport entre série, documentaire et enquête. Je trouve aussi que les séries historiques peuvent être de la balle, par exemple Un village français (malheureusement comme c’est sur France 2, je n’arrive pas à convaincre mes élèves de le regarder), The Knick, Wolf Hall ou 1992 (qu’on pourrait aussi classer dans les séries politiques sur la montée du berlusconisme). Un regret, la science-fiction me semble assez molle ces derniers temps, à quand le prochain Battlestar Galactica ? Sinon, les chefs d’œuvres, mais il faut quand même un peu s’accrocher, je dirais Fargo et The Leftovers.
Gérald Duchaussoy
Responsable de Cannes Classics et chargé de mission au Marché du Film Classique au Festival Lumière
1. Pendant longtemps, j’avais un ami qui achetait tout ce qui paraissait chez Album en DVD. Ce fut mon moyen de prédilection. Puis le téléchargement et le « replay » ont modifié cette habitude. En revanche, la VO, sans sous-titres pour les séries anglo-saxonnes, demeure la norme. Sur ordinateur, à la télévision ou sur tablette, mes frontières de visionnage ont totalement éclaté sans que j’y perçoive quelque inconvénient que ce soit.
2. Cela dépend du temps dont je dispose, bien que je préfère de plus en plus enchaîner une série dans sa continuité. J’y trouve des qualités de développement narratif et scénaristique ainsi qu’une forme compacte qui me donne le sentiment de traverser un tunnel me liant de manière forte à une histoire sans possibilité de m’échapper.
3. The West Wing (À La Maison Blanche) m’a balayé du fait de ce jeu politique et médiatique qui ne laisse aucun répit au spectateur qui a étudié l’histoire américaine que je suis. En outre, l’énergie qui s’en dégageait m’a fait prendre conscience que l’on franchissait une étape et que le cinéma se devait de rester à niveau !
4. À ma grande surprise, la série qui m’a très impressionné ces derniers temps fut Baron noir qui, tout comme Les Beaux mecs en 2011 et la première saison de Kaboul Kitchen, m’a plongé dans la réalité de notre société et de ses basses manœuvres. Difficile d’affirmer que cela représente l’avenir des séries. Cela dit, si cela fait prendre conscience à des décideurs que le public est avide de choc, j’en serais on ne peut plus ravi.
Virginie Sassoon
Auteure et enseignante à l’institut français de presse, coordinatrice du #WES festival (Web En Séries) et du Txiki festival, festival de cinéma pour enfants.
1. Je regarde les séries sur mon ordi portable en VOST. Mon ordinateur portable est comme une extension de moi-même, un dispositif mobile qui m’accompagne partout, dans mes déplacements, à l’intérieur comme à l’extérieur.
2. J’ai des phases addictives, parfois jusqu’à l’épuisement ! C’est un plaisir assez transgressif d’enchaîner sur un nouvel épisode à 2h du mat’ alors qu’on doit se lever aux aurores le lendemain! J’aime découvrir les séries à deux ou en même temps que des ami-e-s, pour pouvoir en parler, discuter des personnages qui deviennent familiers, comme des potes ou des collègues. Au bout de deux saisons ils font partie du quotidien !
3.J’ai adoré Six Feet Under, qui propose une réflexion inédite sur la mort, à travers une immersion affective dans l’univers d’une entreprise familiale de pompes funèbres. Le dernier épisode est extraordinairement émouvant…The Wire m’a beaucoup impressionnée et marquée, par son ambition et l’aridité, aussi, des premiers épisodes.
4. Les web-séries représentent aujourd’hui un espace de création foisonnant… Ploup, Osmosis, Meufisme, La Loove sont des formats courts qui répondent à un mode de consommation ultra-connecté. C’est aussi le sentiment d’un rapport plus direct, plus libre, avec les créateurs. Reste à trouver le mode de financement de l’avenir !
Nicolas Vieillescazes
Editeur
1. Je les regarde soit, à partir de fichiers téléchargés, a) sur mon ordinateur (la plupart du temps) ou b) sur mon téléviseur ; soit, toujours sur mon ordinateur, sur Netflix. Dans le premier cas, je regarde (ou revois) des séries « choisies », autrement dit des séries – récentes, le plus souvent – que j’ai décidé de regarder ; dans le second cas, le visionnage fonctionne un peu comme la télévision : me soumettant à l’offre disponible, je peux regarder un peu n’importe quoi (cela vaut aussi pour les films). Dans le cas où je choisis, je m’astreins à une discipline : comme la série m’intéresse a priori, je la visionne de façon plus attentive et m’efforce de la suivre même si elle me déçoit. Sinon, je regarde un, deux épisodes ou plus, puis j’abandonne totalement ou pendant quelque temps. Le plus souvent, j’oublie rapidement l’avoir vue. Une série qui ne m’intéresse que peu présente l’avantage d’être un bouche-trou – exactement comme pour les livres. J’ai besoin de regarder des séries comme j’ai besoin de lire des romans, et le dispositif fondé sur les fichiers, Netflix et l’ordinateur permet d’emporter les séries un peu partout avec moi (bien que je n’aime pas en regarder dans le train).
2. Le soir, chez moi, est le moment dédié à la fiction (audiovisuelle ou romanesque). Habitude contractée de longue date, je n’arrive pas à lire un roman ou à regarder une série dans la journée. Je n’en ai pas non plus le temps. Mais, travaillant sur les idées, ce n’est pas seulement un moment de détente et d’oubli, mais aussi un moyen de continuer à réfléchir par d’autres moyens : les fictions que s’invente le monde contemporain pour se penser.
3. Sans hésiter une seconde : The Wire. Parce qu’elle porte moins sur des personnages que sur des mécanismes sociaux, des espaces et des groupes, ce qui les façonne, ce qui les détruit.
4. Better Call Saul : elle est nécessairement finie et déterminée par sa fin et la transformation de l’échec en réussite (comment Saul et Mike deviennent ce qu’ils seront dans Breaking Bad ; comment cette fiction secondaire va rejoindre sa matrice, et peut-être transformer notre perception de celle-ci ; et comment, tout secondaire qu’elle soit, dans l’ordre de production, elle va devenir une source, une parmi d’autres peut-être, dans l’ordre du récit). Par ailleurs, comme Breaking Bad, elle repose entièrement sur la contingence, qui me semble constituer l’un des traits dominants de la fiction contemporaine : personnages et situations s’apparentent à des coordonnées arbitraires – on aurait pu en choisir, en ajouter, en retrancher d’autres – qui se déploient non pas selon un ordre rationnel (comme, par exemple, dans le mélodrame, avec sa mécanique tragique) mais de manière chaotique. Capacité infinie de la fiction à s’engendrer elle-même, tant qu’il y aura des spectateurs, mais aussi reflet d’une condition contemporaine marquée à la fois par les conditions rigides qui s’imposent aux différents acteurs sociaux et par l’instabilité et l’imprévisibilité que ce cadre produit. The Walking Dead, autre série fascinante à mes yeux, fonctionne exactement de la même façon.
Maud Wyler
Actrice
1. DVD. VO. Qualité. Respect du droit d’auteur.
2. Par ci par là. Aucune addiction.
3. The Office. Liberté. Mélange des genres. Génie du jeu.
4. Louie. Génie du jeu. Contre-performance. Insolence.
Rémi Lauvin
Etudiant en Master 2 (Recherche) à Paris 7, sous la direction d’Emmanuelle André.
1.Je télécharge les fichiers dans la meilleure définition possible, en version originale, puis je trouve les sous-titres en anglais. Je visionne ensuite les épisodes sur mon ordinateur. Pour certaines séries (policières, le plus souvent), je me réserve des créneaux durant lesquels le visionnage m’accapare totalement : au casque, désactivant la wifi et fermant toutes les autres fenêtres, je ne fais rien d’autre, sans interruption. Pour d’autres, de format généralement plus court et dans des genres comiques, je me rends sur des sites de streaming, sans souci de VF ou VO — je choisis au plus rapidement disponible. Dans ce deuxième cas de figure, il m’arrive fréquemment de faire autre chose, parfois même de n’écouter que d’une oreille. Souvent, cela concerne des épisodes de sitcoms déjà vus et revus dans le désordre.
2. Je ne suis qu’une poignée de séries au long cours, semaine après semaine, depuis le début (The Walking Dead ; Game of Thrones ; True Detective ; Dexter et Breaking Bad en leur temps). Pour les séries que je découvre une fois qu’elles sont terminées, je visionne généralement les épisodes par blocs de saisons (une saison en 3 ou 4 jours : Six Feet Under ; The Wire). Quand une série me plaît, j’essaie d’espacer les visionnages de saisons différentes de plusieurs mois. Je digère mieux les événements de chaque saison ainsi, et le désir frustré, puis dégonflé, renaît avec plus de vigueur. Je visionne ces séries le soir : je commence pendant le dîner, dans le salon, et termine dans ma chambre. Pour les séries comiques de format court (Simpsons ; Friends ; Scrubs), mes visionnages ressemblent davantage à des « pioches » dans le bain d’épisodes disponibles en streaming.
3. Breaking Bad — parce que la série gonflait chaque semaine en audace. A mes yeux, c’est comme si une série avait ingéré toutes les réactions et l’engouement qui l’entourait, tout en restant au-delà des attentes et des questionnements classiques sur l’issue de la fiction (non pas « qui/quoi ? » mais « comment/dans quelle mesure/jusqu’où ? »). Cela m’a donné l’impression qu’une série était autre chose qu’un programme (littéralement, un objet dont le développement suivait des rails tracés à l’avance) — un organisme qui grandit au contact de son succès. Une série qui donne à voir et dit à la fois : « vous n’avez encore rien vu… »
4. Making a Murderer — Non pas parce qu’il s’agit d’une des séries les plus belles, mais parce que je crois y voir un nouveau paradigme, entre série-télé et télé-réalité. C’est aussi parce que la série semble ouvrir une brèche, en termes d’écriture : au-delà du storytelling virtuose et des situations ou héros exceptionnels, la série peut se tourner vers des images du réel déjà mises en scène (ici, le processus judiciaire). La série-reportage en avenir ? Terminé, le temps des acteurs ?
Marie Bortolotti
Etudiante en classes préparatoires
1. Ordinateur (Netflix, fichiers téléchargés, streaming) et home cinema (Netflix, coffrets DVD). VO sous-titrée, parfois sans sous-titres lorsqu’un épisode vient de sortir et que je n’ai pas la patience d’attendre la traduction en streaming. Netflix est sans doute la meilleure solution pour voir toujours plus d’épisodes sans que la qualité d’image ou le budget en pâtissent.
2. Je suis ce qu’on appelle une sérievore. Cette pathologie se caractérise par une consommation erratique et le plus souvent frénétique d’épisodes à toute heure du jour et de la nuit. J’en suis atteinte depuis presque cinq ans et mon score sur l’application TVShowTime est actuellement de 2 mois 9 jours 11 heures et 55 minutes (ça devrait être plus, mais je suis en prépa). Généralement j’aime bien manger et boire du thé lorsque j’en regarde (devant Twin Peaks, mon rituel était donut/café), mais je peux aussi prendre un bain, me laver les dents, me poser du vernis. Je n’ai cependant jamais poussé l’hérésie jusqu’au sport, parce qu’un certain niveau de concentration est tout de même requis pour apprécier un épisode à sa juste valeur.
3. Fargo. Coup de maître. Chapeau bas. Chapeau pointu. 10 mini-films par saison, une photographie, un scénario, une direction d’acteur et des raccords métaphoriques qui n’ont rien à envier au grand écran (en revanche, rien ne surpassera jamais Dexter en terme de générique. Et puis avant 1995, Twin Peaks, comme tout le monde).
4. Fargo. Parce que le format d’anthologie à l’échelle d’une saison permet, tout en conservant l’esprit et l’esthétique de la série, de renouveler efficacement les enjeux narratifs (et par extension l’intérêt du public). Une histoire, douze épisodes, les scénaristes savent où ils vont, pas de prolongations ennuyeuses ou tirées par les cheveux (ou encore, d’intense frustration lorsque la série est annulée inopinément).
Gabriel Bortzmeyer
Critique et universitaire. Travaillant à une thèse sur les figures du peuple dans le cinéma contemporain.
1. Ordinateur, téléchargement, sous-titres anglais.
2. Dépend des périodes. Les séries sont pour les soirs où je rentre tard. Un épisode maximum, sauf quand c’est une session de travail sur une série particulière. Bref, aucune régularité : parfois des semaines sans série, parfois des semaines avec ou un deux épisodes, parfois plusieurs saisons dans la semaine. Aucun rituel au sens propre.
3. Treme, parce que j’y ai vu la tentative d’un non-récit, d’un récit sans finalité, sans orientation, d’une pure chronique seulement faite du défilé des jours, et qui minimise l’action au sens traditionnel pour en faire un pur passage du rien, ou du peu dont est faite la vie.
4. True Detective, mais cela m’inquiète : c’est une tentative de synthèse entre récit cinématographique et format sériel, et j’y vois plutôt une régression. Mais les réactions peuvent, hélas, représenter un avenir (ceci dit, la première saison est formidable, comme on sait).
Thomas Clolus
Cinéphile, membre du Conseil d’Administration du Café des Images
1. Je regarde les séries sur mon ordinateur domestique après les avoir téléchargées à partir de lui, sans doute par goût de continuité entre le support à partir duquel je déniche les séries et l’interface par laquelle elles continuent par le visionnage à venir jusqu’à moi. Cela relève aussi d’un plaisir physique de proximité entre mon bureau et moi, un rapport d’intimité accru entre mon ordinateur et moi. Piètre linguiste, je regarde systématiquement les séries étrangères accompagnéees de sous-titres. J’imagine que l’impression de facilité d’accès et de souplesse du contrôle que je ressens par l’informatique se combine très bien avec la représentation que je peux avoir des séries dans notre monde comme de plus en plus abondantes, en aisance de circulation où l’embarras et le privilège du choix devient la norme.
2. De toute façon de manière très irrégulière. J’attends souvent que les séries et les saisons passent l’actualité. Je découvre la plupart des séries a posteriori du gros de l’accueil public et critique. La quantité de productions sérielles me dépasse très largement, alors, par manque d’énergie et de courage, je me limite à quelques objets qui ont été adoubés par d’autres lors de leur actualité. Également, je regarde les saisons plutôt par blocs, en quelques jours, avec souvent plusieurs épisodes sur une journée espacés par des pauses, de l’après-midi jusqu’à tard le soir. Il faut que je sois dedans, immergé. Je n’ai pas très bonne mémoire non plus et c’est ma façon d’essayer d’appréhender cela comme un tout, une unité. Je suis en cela un spectateur de Cinéma qui adapte tant bien que mal sa pratique de cinéphile à ces objets monstres, fleuves, morcelés et ingrats que sont les séries télé. Tenter de compenser l’existence temporelle sérielle, intermittente et dispersée, durable et fuyante par une logique de concentration, de réduction.
3. Les Soprano ! L’anecdote amusante est que ça ne m’a ma frappé d’emblée. J’avais commencé à regarder la première saison en me disant que c’était intéressant, sans plus. C’est en reprenant un ou deux ans plus tard, et c’est en cela un symptôme consubstantiellement sériel, que, sur la durée, je me suis dit avec évidence combien c’était absolument remarquable. Et plus j’avançais dans la série, plus ça pesait, plus ce sentiment d’importance de l’objet dans son ensemble s’approfondissait. Là, j’ai pour la première fois par moi-même, physiquement, ressenti que la série télé, c’était effectivement du grand Cinéma. Les Soprano, par sa qualité romanesque, son intelligence vis à vis des personnages, son sens des histoires et de l’Histoire supplantait la relative faiblesse du Cinéma américain présent dans les salles. Et cette prise de puissance ne s’est aucunement démentie depuis, tout au contraire.
4. Il y aurait une relative imposture pour moi à répondre à cette question car, comme je le disais, je suis loin d’être le plus en prise avec l’actualité du territoire sériel. Toutefois, je me permettrai d’émettre un souhait : que la série Louie, par sa souplesse de jeu, de travail de durée des séquences et de relations qu’elles entretiennent entre elles encourage les séries à se libérer, à s’émanciper encore un peu plus d’elles-mêmes et proposent des formes et des formats toujours plus surprenants, aventureux et volatiles.
Vera Derrida
Lycéenne
1. Toujours sur mon ordinateur, elles proviennent du téléchargement ou plus rarement de Netflix. Avec sous-titres anglais. Le visionnage sur écran portable, bien qu’il soit étroit est parfaitement adapté à mon mode de vie : il me permet d’être le moins possible dans la salle commune où se trouve la télévision et de ne jamais m’en servir. Je peux ainsi rapidement passer de la série au travail (bien que ce soit plus souvent l’inverse qui se produise).
2. Parfois un épisode entre les moments de travail de l’après-midi, souvent au moment où je commence à avoir faim, rien de plus triste que de manger en travaillant. Le soir, avant de lire, en dînant j’en regarde toujours un – parfois le deuxième voire troisième si ma journée n’a pas été très productive. Il semblerait donc que les séries soient étroitement liées à la nourriture et au repos dans mes rituels. En une semaine — selon la longueur moyenne des épisodes, je regarde souvent une saison d’une dizaine d’épisodes. Le problème de l’immédiateté du téléchargement c’est que rien ne peut ralentir ma consommation d’épisodes, l’excès arrive vite.
3. La première saison de True Detective, pour le parfait usage du temps dans ses plans. Pour la première fois j’ai regardé une série comme un artefact complexe, dont la fabrication mérite d’être étudiée. Après celle-ci, de nombreuses séries ont renforcé autrement ce sentiment.
4. Difficile. The Leftovers n’incarne aucun avenir, sauf celui d’un « genre » qui s’appuierait sur le doute. Peut être que Baron Noir pourrait incarner un hypothétique futur pour la série française. Je penche pour les premières saisons de Louie, son alliance intelligence-hasard-humour me semble très prometteuse.
Alice Barnole
Actrice
1. Je regarde les séries sur mon ordinateur, en abonnements streaming. Je suis pas très douée en téléchargement, ça ne me dérange pas de payer un peu. Je regarde en VOST. L’importance du dispositif ? Celui de l’ordi m’ennuie. Je vais m’acheter un vidéo projecteur pour mieux en profiter. Et je trouve que parfois la mise à disposition de tous les épisodes sur Internet rompt un peu le charme de l’attente et du suspens. Petite nostalgie de l’adolescence. (Attendre le nouvel épisode de Buffy était assez excitant). Tout ça c’est fini. Ça se finit quand on ne veut plus de télé chez soi, en tout cas.
2. Quand je m’y mets c’est boulimique. A la chaîne. Ça peut être la nuit et ça signifie que je souffre d’insomnie. Et si c’est le jour ça veut dire que j’ai la grippe.
3. Utopia. Hypnotisme visuel, musical, dramaturgique. Je n’ai jamais autant sautillé sur mon canapé. Il paraît qu’ils veulent la refaire. Je suis outrée.
4. Je ne suis pas assez au courant. J’en ai commencé quelques unes… Je n’ai pas le temps de tomber dedans. Et la profusion m’effraie 🙂
Iris Brey
Critique cinéma et séries. Enseignante-chercheuse.
1. Sur mon ordi en téléchargement VO sans sous-titres. Le dispositif permet de créer une intimité avec l’objet, un rapport fusionnel à l’écran et un espace sécurisé.
2. Une fois qu’il fait nuit. Toutes les nuits. Ça n’a pas la même saveur pendant la journée.
3. The West Wing. L’unité de lieu, les dialogues savoureux, le personnage de Toby, le storytelling.
4. Transparent. Une exigence formelle et des dialogues savoureux avec une liberté de ton et un sous-texte politique que l’on ne peut pas voir ailleurs. Amazon rend ça possible.
Oriane Hurard
Productrice et programmatrice spécialisée dans les nouvelles écritures.
1. Je regarde les séries de deux manières :
– les séries actuelles, en téléchargement, en VO avec sous-titres français ou anglais si les sous-titres français ne sont pas encore disponibles. Je regarde ça soit sur mon ordinateur portable dans mon lit, soit sur la télévision via le serveur de la freebox ou encore dans le train quand je voyage. – Idem pour les séries Netflix : sur mon ordinateur ou sur ma télé via la clé « chromecast » et l’application mobile de Netflix. J’utilise aussi l’appli « Mycanal » (mes parents sont abonnés) pour les séries de Canal+, mais l’application bugue souvent et m’oblige parfois à devoir télécharger illégalement les épisodes que je voulais regarder par ce biais.
– les séries « anciennes », que je rattrape, je les achète en coffrets DVD ou Bluray et je regarde ça sur la télévision
J’aime la proximité que me donne mon écran d’ordinateur que je place à côté de moi dans le lit. Etant myope cela me permet de regarder de plus près les personnages, de me sentir proche d’eux. Je fais aussi souvent des captures d’écran des séries que je trouve belles, de plans dont la composition me plaît, etc.
2. Pour moi, la série, c’est la nuit. Je regarde les séries avant de dormir, c’est même la dernière chose que je fais, et c’est le plus souvent assez tard, de minuit à 2h. J’aime regarder les séries actuelles (c’est-à-dire celles en cours de diffusion) en respectant leur rythme de diffusion hebdomadaire, en téléchargeant l’épisode le lendemain et en le regardant dans les jours qui suivent. J’aime pouvoir en parler avec ma meilleure amie ou encore sur Twitter (dont l’utilisation oblige à être très rapide dans le visionnage de certaines séries pour ne pas être « spoilé » trop vite !). Ainsi, j’aime le lundi soir du premier semestre, avec Girls, Game of Thrones ou feu Mad Men… Même les séries Netflix, je ne les « bingewatche » que très rarement. Je dispose rarement de plages de plus de trois heures pour regarder plein de séries.
Je dîne devant d’autres séries, d’autres encore je les regarde en direct (pour les séries françaises) mais pour mes favorites j’essaie de ne rien faire d’autre devant.
3. Buffy contre les vampires : j’avais 12 ans lors de la diffusion sur M6 de la première saison, et c’est l’une des premières séries que j’ai assidûment suivi (avec Friends notamment). Mais en grandissant, et en lisant des critiques et commentaires de la série, j’ai aussi réalisé que contrairement aux autres séries diffusées le samedi soir sur M6 (Charmed par exemple), Buffy allait plus loin qu’un simple divertissement en entamant une vraie réflexion sur le féminisme, sur l’empowerment et l’âge adulte. C’est la première série « d’auteur » que j’ai regardé. Six Feet Under et Mad Men ont été ensuite de vraies découvertes correspondant à des moments-clés de ma vie d’étudiante, puis d’adulte.
4. Question difficile tant le choix est désormais vaste ! Je dirais Girls car la série est très contemporaine dans la gestion de ses personnages, dans l’affirmation quasiment autobiographique de son sujet (un peu comme Master of None), dans l’apparition d’un auteur (Lena Dunham) et dans ses thématiques, la manière de filmer le sexe ou le fait de montrer un féminisme non revendicatif, dans le fait de montrer son corps tel quel et que jamais elle ne le remette en question ou le compare à des canons. Les séries « méta » ont aussi beaucoup la cote en ce moment (Man Seeking Woman, Crazy Ex-girlfriend) mais je ne sais pas si elles ont la capacité à aller au-delà et à se renouveler.
Olivier Joyard
Critique aux Inrockuptibles
1. Je regarde encore un peu les séries sur un écran de télé grâce à l’amélioration prodigieuse de l’offre légale ces deux dernières années en France. DVD très rarement, replay souvent. Environ un quart de mon séries-time total. Le reste se joue avec un ordinateur sur les genoux via streaming (Netflix) et screeners envoyés par les chaînes, ou téléchargement de fichiers avi via Bit Torrent.
2. Je regarde des séries tous les jours, souvent seul ou à deux, jamais à plus de deux pour rester dans un rapport domestique aux images. C’est une partie de mon activité professionnelle, ce qui veut dire que les épisodes sont insérés à la fois dans mon temps de travail et dans le temps intime – avec un regard de spectateur parfois légèrement différent, un peu plus « binge watcher » dans le second cas. En général, les séries que je préfère regarder sont celles qui dérangent quelque chose : le sommeil, les rendez-vous, la vie sociale. Je n’ai presque aucun rituel de confort. Je ne parle pas beaucoup en regardant une série, ce sont des restes de ma cinéphilie.
3. Celle qui m’a retourné en direct me vient en premier : Oz, créée en 1997 par Tom Fontana, premier drama commandé par Chris Albrecht sur HBO, série de prison ultra-violente et sexuée. J’y retrouvais un plaisir simple hérité du soap (dont le devenir-sophistiqué a été la grande affaire des années 80-90, par exemple avec Urgences) mais je tremblais aussi devant l’audace figurative et la dureté des personnages, en me disant : les séries, c’est donc ça. Quelque chose s’est réveillé en moi.
4. Difficile de n’en citer qu’une puisque le genre éclate un peu plus chaque jour. Aucune série ne résume les séries aujourd’hui. Les outsiders et les marges sont rois et reines. Quand je regarde Transparent, je pense que l’avenir sera peut-être moins formel (au contraire de la révolution des années 2000) que thématique. Les séries pourraient donner le « la » politique et social des récits contemporains. Quand un art a beaucoup travaillé sa forme (fin probable de l’épisode, avant un retour probable de l’épisode, arrivée des réalisateurs de cinéma, etc) il lui reste à revoir le fond. Ce qui revient à faire bouger la forme autrement. Transparent est autant un cours de gender studies qu’une grande série – qui a fait mieux que les trois dernières minutes de sa deuxième saison récemment, tous supports confondus ?
Simon Lefebvre
Donne des cours à Paris 1 et écrit pour la revue du Café des Images.
1. Le plus souvent sur ordinateur et en fichiers (téléchargement). Quelques fois en dvd. À la télévision également, mais jamais en replay. Parfois en connectant mon disque dur sur la télé. L’avantage des fichiers, c’est de pouvoir facilement revenir, revoir, aller d’un épisode à un autre qu’importe la saison à laquelle il appartient. C’est la même chose pour les films finalement. On a immédiatement tout à disposition.
2. Visionnage quasi-quotidien, sur trois ou quatre séries environs. Tôt le matin quand je suis seul à regarder telle série. Le soir quand avec mon amie nous suivons une série à deux. Le matin, ça permet d’y travailler par la suite, de prendre immédiatement quelques notes. Le soir ça discute.
3. The Wire. Vu à une époque où je regardais encore peu de séries. Premier intérêt : l’écart entre le plus de voir (épisodes, mais également indices de l’enquête) et la défaite de cette visibilité. L’écart trouvé entre les cartographies et le terrain, entre les observations depuis le haut des tours, et la vie en bas des tours. C’est d’ailleurs très propre à la première saison. Deuxième intérêt (deuxième saison et celles qui suivent) : la série traite de programmes, sans cesse. Du scolaire au politique on est toujours à l’épreuve d’un processus à l’intérieur duquel il faut se libérer des espaces. La série était le format idéal pour traiter de cela.
4. Je n’en vois pas suffisamment pour dire. Ce que fait Vince Gilligan avec Better Call Saul par exemple, ça me rappelle ce que je trouve déjà dans les sérials de Louis Feuillade, à savoir que la série permet au négatif de se transformer en positif (c’est le mauvais côté qui devient éclatant). Et je pense que c’est encore lié à des choses comme l’interruption du récit, le découpage en épisodes, la question du retour, de la programmation et du renouvellement etc. Comment échapper à un programme (la mort, la fin) en survivant à un autre (programme sériel) ? L’avenir est une vieille histoire.
Laure Dardonville
Professeur de lettres au lycée
1. Je regarde les séries selon différents modes : d’abord en coffret DVD bien sûr (mais c’est rare). Ensuite, en streaming sur dp stream afin de les visionner en même temps que leur diffusion US. Il y a deux mois, j’ai pris un abonnement Netflix. Assez convaincue par cet abonnement. Toujours en VOST. Je visionne sur mon ordinateur portable. Il y a sans doute quelque chose de régressif là-dedans dans la mesure où c’est dans mon lit, sous la couette et seule. Je supporte difficilement la présence d’autres spectateurs avec moi.
2. Le rythme est variable mais je peux véritablement enchaîner les épisodes : à l’époque de la série 24h chrono j’avais regardé en 24h les 24 épisodes de la saison 3. Idem pour Les Soprano : en une semaine, j’avais vu trois ou quatre saisons peut-être. Cela peut être le matin avec des litres de café ou la nuit. Je peux passer une journée entière à ne faire que ça, avec très peu de temps entre les épisodes. Cela dépend de la densité. Dans le cas de True Detective, je m’arrêtais car la fiction me forçait à me reposer l’âme, pour le dire de manière lyrique. Je crois que ces modes de visionnage très hystériques renvoient à la volonté de s’enfermer dans un univers et à ne plus en sortir pendant quelque temps. Je sais que les séries m’aident à vivre mais sur le mode du décalage, de l’écart ou du pas de côté.
3. La série “récente” qui a bouleversé ma vision du genre est sans nul doute Six Feet Under. Ce fut mon premier contact avec la « grande saga fictionnelle ». Buffy contre les vampires m’a sauvée d’une adolescence tourmentée mais Six Feet Under, par le biais du prégénérique et de son importance comme clef de lecture, m’a fait comprendre qu’un programme télé pouvait avoir autant de sens qu’une grande œuvre littéraire dont on déchiffre les signes et les thématiques. Sans parler de ce rapport à la mort et au désir qui est au coeur de toute création. Je me souviens d’épisodes incroyables comme celui où David (Michael C. Hall) est pris en otage par un braqueur et puis le sublime dernier épisode, avec cette chanson de Sia qui hante n’importe quel fan… Et les larmes.
4. L’avenir du genre ? Peut-être que True Detective (saisons 1 et 2) a fait un pas de plus que les autres : je pense à cette rivalité avec le cinéma, un dialogue ininterrompu que chaque programme reconvoque comme un leitmotiv (comment produire de la fiction et la reprendre encore et encore là où le cinéma tend vers une résolution dans un temps réduit). La saison 2 de True Detective, si largement décriée par la critique, m’a totalement fascinée : les personnages n’en finissent pas de dire qu’ils vont lâcher prise, abandonner et puis ça continue quand même. C’est une des grandes réussites de la série « moderne » que d’être toujours confrontée à sa propre impossibilité et de tenir. Malgré tout.
Sophie Fillières
Réalisatrice
1. Plutôt sur l’ordi, en VO of course avec ou sans sous-titres selon, fichiers qu’on me refile ou DVD. Sur l’ordi car c’est une consommation différente plus immédiate, rien de « sacré », une pure pulsion, qui permet la frénésie parfois, vite vite enchaîner les épisodes.
2. Pas de rituel, ça peut être n’importe quand et n’importe comment aussi, en plusieurs fois ou en enchaînant les épisodes, au rythme de trois ou quatre par séance. Je « glisse » ça entre les films de cinéma et le travail, c’est comme une récompense, car il y a une facilité, l’attention nécessaire est très différente de celle que demande un film.
3. 24 Heures Chrono, pas ma série préférée mais je n’en avais vu aucune autre depuis Twin Peaks. Grand écart. Une forme d’addiction avec les codes, le rythme, les cliffhangers, le sériel dans sa splendeur (limitée mais efficace). Disons que tout est sacrifié à l’efficacité. Encore une fois pas ma série préférée ni la mieux, juste la découverte d’une autre forme de narration.
4. Love, la série produite par Judd Apatow, parce que c’est « rapide », léger entre la série et la sitcom, » facile à fabriquer « . Ou Fargo : la revisitation d’un film en série ; je ne sais pas si c’est « l’avenir » mais c’est un créneau, indéniablement.
Gilles Grand
Professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon, compositeur
1. VO avec (et parfois sans) sous-titres. Les relectures (rares) seront sans sous-titres.
a] Fichiers dans une box sur TV + enceintes audio stéréo.
b] Tablette + enceintes audio stéréo en wifi ou casque.
La qualité audio impose le « dispositif » de lecture, l’un est fixe, l’autre est mobile. La VO pour apprécier un mixage d’origine, la stéréo pour distinguer les pistes et les répartitions spatiales. Le confort pour tolérer trois épisodes enchaînés (durée totale équivalente à un film). Peu de variation technique pour simplifier les manipulations. Les interventions sur l’interface, sur la télécommande, doivent être efficaces. La qualité de l’image doit être proportionnée aux sons, pas d’espace sonore large envisageable avec un écran trop petit et réciproquement.
2. En fin de journée, rarement l’après-midi, jamais le matin, sauf pour combler une impatience soudaine. Au minimum, par trois épisodes, probablement pour retrouver la durée d’un film. Au pire jusqu’à épuisement du regardeur. Tout usage de la pause est mal vécu, donc évité, même si des exceptions s’imposent. Aucune nourriture ou grignotage, cela gâche les sons, ici, l’écart existe lors des rares séances à deux ou plus.
3. Breaking Bad (2008–2013) pour son originalité à de nombreux niveaux, narratifs, stylistique, musicaux, etc.
Le résumé après-coup était aisé, présupposer les suites était plus hasardeux. L’invention par l’évitement des attendus ne nuisait nullement à la cohérence fictive. La caricature de chaque personnage laissait exister une familiarité admissible. Partant d’une nécessité réduite, simple conséquence des insatisfactions banales, le parcours, tout autant frustrant, s’ouvrait sans limites apparentes, parsemé de contretemps.
4. Person of Interest (2011– ) débuté avec deux personnages, la tête et les jambes, agissant selon les ordres d’un ordinateur mystérieux, trois forces profitent de tous les canaux de contrôle pour protéger ou traquer un inconnu. Le trio se complique au fur et à mesure du succès de la série et admet les possibilités, anciennes ou récentes, des technologies.
Face au huis-clos d’un groupe de personnage tolérant prudemment leur extension, la progression d’un binôme, ou un très petit groupe, outillé permet une variation plus rapide du casting et l’invitation d’une imagerie inspirée par la transformation des usages de la technologie, la principale source de la concurrence aux séries.
L’accroissement du nombre de personnage est envisageable avec un minimum de principes nécessitant quelques explications, sans être condamné à la seule angoisse des structures de contrôle (un filon largement surexploité).
Noter ici que l’Histoire ou le déjà-vu apparaît comme un indispensable pour toutes les séries. La futurologie est ici peu à son aise.
Laura Marsac
Actrice et réalisatrice
1. Toujours en VO bien sûr. Avec sous-titres ou sans pour les series anglophones. Tv pour celles qui sont en cours. Mais surtout Netflix ou Ocs sur mon ordinateur ou mon ipad. Et de préférence quand une saison est entièrement disponible, pour la voir d’un coup.
2. Le soir, la nuit, en insomnie, ou en voyage (train, avion), à l’hôtel, dans ma caravane sur un tournage, plutôt seule, ou alors avec un seul autre spectateur, que je dois connaître trés bien : mon mari, ma grande fille, mon frère. La nuit je ne suis pas interrompue, je suis emportée, je m’attache aux personnages, je sens la structure l’écriture le grand plan du créateur qui se déploie.
3. Les Soprano parce que chaque épisode est presqu’un film qui reste en vous longtemps longtemps après.
4. House of Cards. Toute une saison d’un seul coup, shakespearien et détestable autant qu’aimable. The Americans est celle que j’attends avec le plus d’impatience. Tout y est : l’epoque le couple la famille le sexe le secret la politique.
Raphaël Nieuwjaer
Critique de cinéma. Il s’occupe de la revue en ligne Débordements depuis sa création en 2012.
1. C’est très variable, et cela définit sans doute un certain rapport affectif à la série en question : il y a celles que je découvre sur ordinateur (fichiers téléchargés, VOST si possible, ou américains), et qui seront conservées ou supprimées au fur et à mesure ; celles que je revois par hasard à la télévision, en VO ou en VF indifféremment, et avec lesquelles je suis très familier (Les Simpsons ou Friends) ; celles enfin, assez rares, découvertes sur ordinateur mais que j’ai aimées au point d’acheter l’intégrale en DVD (Les Soprano, The Wire,…).
2. Je n’ai pas vraiment de rituel. Alias et Six Feet Under sont les dernières séries que j’ai regardées sur un mode proprement feuilletonesque, en suivant le rythme des diffusions télé – c’est d’ailleurs sans doute vers ce moment-là, autour de 2010, que le téléchargement a modifié beaucoup les habitudes de visionnage. Depuis, il m’arrive d’en découvrir certaines au fur et à mesure, mais plutôt saison par saison qu’épisode par épisode (Homeland, Breaking Bad, Louie…). Et puis il y a celles que j’ai découvertes une fois achevées, de manière compulsive, comme Friday Night Lights, The Wire ou Treme. Ma préférence va peut-être à cette dernière manière, pour la raison simple que l’on éprouve alors un attachement aux personnages d’une intensité rare, propre peut-être à ce type de récit. À la fin d’un film ou d’un roman, même lorsqu’il s’agit d’À la recherche du temps perdu, on n’éprouve pas, me semble-t-il, aussi fortement ce sentiment de perte qui vous étreint lorsque McNulty, DJ Davis ou Tony Soprano décident de poursuivre leur vie sans vous.
En tout cas, ce n’est jamais tout à fait prémédité, même si j’aime attendre d’avoir deux-trois saisons devant moi pour commencer quelque chose.
3. Treme, probablement, en ce qu’elle invente des durée moins soumises aux impératifs narratifs (et donc, à la télévision, publicitaires) : il n’y a plus d’intrigue principale pour « cadrer » la série, plus de trucs pour « accrocher » le spectateur ; pourtant, l’on retrouve bien certaines inventions de David Simon : le pic dramatique situé à l’avant-dernier épisode, la séquence « chorale » en musique à la fin de la saison, etc. Mais tout semble couler, se nouer et se dénouer selon une autre logique.
4. Louie, avec son sens si particulier du hasard, de l’absurde et de la rencontre, est probablement vouée à rester une série unique en tant que telle, mais on peut supposer que des productions de ce type, plus souples, plus légères, et dirigées par un homme-orchestre, peuvent se développer. Master of none, d’Aziz Ansari, me semble suivre cette voie « minoritaire », aussi éloignée des grands récits que des cocons familiaux ou amicaux.
Pierre Alferi
Écrivain
1. Par téléchargement, plus rarement par Netflix. En anglais sans sous-titre. (Avec sous-titres anglais pour la première saison de The Wire.)
Sur l’iPad, parfois l’ordinateur. (Sauf la première saison de True Detective, projetée pour mieux profiter de l’image.)
Le visionage sur très petit écran crée une intimité sans éclat qui me semble fidèle à la quotidienneté du genre.
2. Un épisode par soir, fumant et buvant. Effet recherché : immersion, plutôt anxiolithique, dans une fiction documentée, ou bien drôle.
3. The Wire, pour l’intelligence politique.
4. Peut-être The Knick : inventer une image sui generis, explorer un monde réel jamais montré. Les séries comiques sont à part. Pour elles je dirais Louie, qui prend des libertés narratives prometteuses.
Thomas Cantaloube
Journaliste et coordinateur de l’actualité internationale à Mediapart, ancien correspondant aux Etats-Unis.
1. Téléchargement en VO, avec sous-titres en anglais (pour les séries US ou britanniques) ou en français pour les autres langues étrangères.
Visionnage généralement sur ma TV, parfois directement sur l’ordi quand je suis en voyage.
Sur le dispositif : le téléchargement est avant tout une question de « confort » : possibilité de visionner les séries en même temps que leur diffusion aux US. Sur la TV, aussi pour une question de confort « visuel » et parce que c’est pour ce type de visionnage qu’elles ont été conçues. Contrairement aux films que je regarde parfois sur grand écran avec vidéoprojecteur, je visionne les séries sur écran de TV.
2. Je regarde en moyenne une demi-douzaine d’épisodes de série par semaine, mais c’est très variable, cela dépend de ma charge de travail. Je visionne généralement le soir, finalement en lieu et place de regarder la TV ou un film. Le week-end, je peux regarder à n’importe quelle heure.
Pas de rituel particulier, si ce n’est que je regarde rarement un épisode isolé. J’en vois au moins deux d’affilée.
3. The Wire. J’ai adoré l’approche « journalistique » (pour des raisons personnelles évidentes) de l’écriture et de l’ancrage dans le réel. Le choix de raconter finalement une seule histoire par saison, et de thématiser les saisons, m’a fait prendre conscience que la série TV se rapprochait ainsi du genre littéraire du feuilleton ou de la saga que j’ai toujours beaucoup aimé (que cela soit Balzac et Zola ou Cheri Bibi et Perry Rhodan), même si The Wire n’a pas été la première série à jouer sur cette narration au long cours (Twin Peaks ou Wild Palms, une minisérie un peu méconnue que j’avais chroniquée pour Les Cahiers, étaient déjà passé par là).
Enfin, la rupture de nombreux dogmes télévisuels dans The Wire (pas de héros seul ou en tandem, pas de casting « hollywoodien », pas d’« arrondissement des angles » politiques…) m’a convaincu que la série TV pouvait être un médium en soi qui, dans bien des cas, pouvait surpasser le cinéma.
4. Mmmm… je ne sais pas bien.
Je vais tenter plusieurs réponses :
1) The Knick, ou une série hyper-personnelle, quand un metteur en scène aux choix affirmés (Soderbergh) tourne tous les épisodes et impose sa vision à la fois esthétiquement baroque (image, BO) dans un cadre narratif finalement très conventionnel (Urgences au début du XXè siècle)
2) The Expanse, ou comment des moyens assez considérables en termes d’effets spéciaux permettent de concurrencer les blockbusters sur leur terrain et de raconter une histoire beaucoup plus riche qu’en 2h00
3) Le phénomène « Peak Series », ou comment la prolifération de séries empêche désormais à tout sériphile normalement constitué de pouvoir voir tout ce qui paraît intéressant. Et du coup, de conduire les amoureux des séries à s’en détourner en disant : « À quoi bon, je ne peux pas voir tout ce qui est bien, alors j’arrête de regarder… »
Sarah Hatchuel
Professeur en littérature anglaise et cinéma anglophone, auteur de “Rêves et séries américaines. La fabrique d’autres mondes” (Rouge Profond, 2016).
1. Je regarde les séries à la télévision et sur ordinateur, en DVD ou en fichiers téléchargés, strictement en version originale (avec ou sans sous-titre). Le téléchargement me permet de « tester » les séries et d’en voir un grand nombre. J’achète ensuite les coffrets des saisons de celles que j’ai aimées.
2. Je regarde généralement 2 ou 3 épisodes le soir avec la personne qui partage ma vie. Quand nous sommes éloignées, je regarde moins de séries car nous les suivons (et les commentons) ensemble. Il peut m’arriver de rattraper le visionnage de séries que l’on me conseille. Et là je peux aller jusqu’à regarder 10 épisodes par jour. Mon record: 14 épisodes de LOST en une journée quand j’ai découvert cette série lors des vacances de Pâques 2009.
3. Pour moi, sans hésitation, c’est LOST. Pour les raisons que j’ai évoquées dans LOST, Fiction vitale (PUF, 152p, 2013)
4. Je dirais que l’avenir du genre se trouve dans des séries comme The Leftovers, Rectify, Mr. Robot ou The Affair — des séries dont le fondement est marqué par le doute, la mémoire défaillante et une tension entre réalité et fiction.
Mais c’est aussi ce qui correspond à mes propres goûts…!
Mathieu Macheret
Critique de cinéma
1. Je télécharge de préférence par séries complètes, sinon par saisons complètes, sur les réseaux P2P, en VO non sous-titrée. Je récupère les sous-titres à part, sur les sites dédiés, la plupart du temps en anglais, car plus faciles à dénicher. Pour visionner, je branche mon ordinateur, ou mon disque dur, sur un écran plat et des enceintes. Dispositif permettant une meilleure réception du son et de l’image que sur l’ordinateur.
2. Quand l’emploi du temps le permet, donc quand une plage s’ouvre dans la liste des choses à faire. Il faut ajouter à cela une variable : quand l’envie m’en prend. Il n’y a donc aucun rythme, aucune heure, aucun rituel régulier (sinon brancher l’ordinateur). Comme j’ai toute la série, ou toute la saison, sous la main, je dose au feeling (selon l’intérêt, la fatigue, l’appétit) le nombre d’épisodes, très variable, que j’enchaîne. Ça peut aller de 1 à 8 épisodes, le plus souvent entre 3 et 4. Les sessions sont espacées, des fois d’une ou deux journées, par moments d’une ou plusieurs semaines, jusqu’à un ou deux mois. Ce ne sont pas des préférences, mais des contingences.
3. The Wire. Le projet global, sa cohérence extrême, impensable auparavant, la forme sérielle ayant toujours été par essence du domaine de l’inégal, d’une certaine forme d’improvisation (les baisses qualitatives, d’un épisode à l’autre, étant généralement compensées par l’affect de ce qu’il faut bien appeler une « fréquentation »).
4. Trop difficile. C’est un genre très vieux. Un besoin très vieux. Qui remonte aux romans de chevalerie, voire aux récits picaresques. Le besoin des retrouvailles, de prendre des nouvelles, même de loin en loin. Cette angoisse que la fiction qu’on vient d’apprivoiser, où peut être l’on s’est senti bien, ne disparaisse avec le mot « fin ».
Eugenio Renzi
Professeur de philosophie et critique de cinéma
1. Je vidéoprojette sur écran des fichiers (mkv ou mp4, 1080 ou 720) que je télécharge depuis internet.
2. Tous les soirs, vers 20h, je regarde un épisode d’une série, en dînant dans le noir. À la fin (de l’épisode, du dîner), la question se pose d’enchainer sur un nouvel épisode. Et si on ne l’a pas téléchargé ? Alors il faut le faire sur le champ. En attendant, je prépare une tisane. Souvent, les temps d’infusion et de téléchargement coïncident (merci la fibre) : confort total.
3. Tout à été dit sur les deux séries qui ont donné à certains l’impression qu’une politique des show runners était possible : The Soprano, The Wire. Sans forcément choisir entre le deux, je trouve tout de même The Wire plus surprenante. Elle a montré qu’une série pouvait dépasser tout ce qui avait été produit jusqu’à alors en termes de roman matérialiste.
4. Peut-être True detective. The Sopranos et The Wire ont représenté l’âge d’or de la série. True Detective est une, la, série de série b. C’est le moment de la réflexion. Le genre doute, s’éprouve lui-même. Sans cynisme (on est quand même aux States).
References