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Klonaris/Thomadaki : Manifestes


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En écho à la rétrospective « Manifeste. Le Cinéma Corporel », consacrée à l’œuvre de Maria Klonaris et Katerina Thomadaki au Jeu de Paume, le magazine réédite ici trois de leurs nombreux Manifestes, une forme littéraire privilégiée qui, sans être exclusive, correspond en effet à leurs engagements et a toujours accompagné leur pratique artistique. Nous avons choisi leurs trois premiers manifestes, publiés à Paris entre 1977 et 1979, ainsi que leur préface à l’édition d’un recueil de ces textes aujourd’hui épuisé.

 

Sommaire

LE TEMPS DES MANIFESTES N’EST PAS RÉVOLU (2002)

Préface des Manifestes Klonaris/Thomadaki. 1976-2002, Les Cahiers de Paris Expérimental n°9, Paris, 2002

14 SLOGANS POUR UN CINÉMA DE RUPTURE (1976)

Première publication dans Cinéma Différent n°11-12, mai-juin 1977

MANIFESTE POUR UNE FÉMINITÉ RADICALE. POUR UN CINÉMA AUTRE (1977)

Première publication dans CinémAction I, Dix ans après mai 68. Aspects du cinéma de contestation, Paris, 1978

MANIFESTE POUR UN CINÉMA CORPOREL (1978)

Première publication dans Jungle n°4, Subversion, Paris, 1979

Maria Klonaris & Katerina Thomadaki dans Tri-X-Pan (Double autoportrait) © Klonaris/Thomadak

Maria Klonaris & Katerina Thomadaki dans Tri-X-Pan (Double autoportrait)
© Klonaris/Thomadaki





 

LE TEMPS DES MANIFESTES N’EST PAS RÉVOLU (2002)

MANIFESTES. Prises de positions, prises d’oppositions. Écarts. Heurts.
Ruptures. Affrontements. Contre-propositions
.

Nous commençons à affronter nombre de constructions du statu quo déjà à l’adolescence avec nos représentations théâtrales à Athènes. Notre théâtre expérimental précoce est entièrement traversé et renversé par le corps. De Sartre étonnamment combiné avec Giraudoux (collage des Mouches et d’Électre, 1965), en passant par une décomposition fougueuse de la « rationalité » théâtrale (lonesco, La Cantatrice Chauve, 1966) et aboutissant au rituel et a l’érotisme via Genet (Les Bonnes, 1968) et Wilde (Salomé, 1969) nous élaborons déjà notre langage corporel. Nos mises en question extrêmes des conventions théâtrales débouchent sur Experience I : Images de la vie quotidienne (1972- 73), où nous procédons a une élimination quasi chirurgicale des structures théâtrales traditionnelles, y compris de la pièce. La fiction théâtrale est niée au profit d’une matière plus « organique », autobiographique, le début d’une « quête d’identité ». Ici nous prenons un nouveau risque : la mise à l’épreuve physique. Nous testons le pouvoir de résistance du corps, jusqu’au fond de son marquage par l’oppression incorporée. Cela se passe a l’époque de la dictature en Grèce. Sans y faire allusion explicitement, ces images de la vie quotidienne, imbibées d’une temporalité quasi cinématographique, où règnent lenteur, immobilité et répétition, transposent et vomissent la violence que nous avons absorbée. La mise en crise du corps par le risque ou la douleur devient pour nous l’état limite du théâtre aboli.

C’est ainsi que nous abordons, intuitivement d’abord, la question du pouvoir sur le corps et de la parole du corps comme contre-pouvoir, une préoccupation qui devait traverser la totalité de notre œuvre. Cette préoccupation s’amplifie au contact de l’art corporel (Gina Pane, Michel Journiac, Urs Lüthi…) que nous découvrons à notre arrivée à Paris en 1975. Et elle s’élucide lorsque nous découvrons la pensée critique « post-68 » : le structuralisme, la sociologie, l’anthropologie, la psychanalyse, l’anti-psychiatrie et plus tard la pensée féministe – des discours qui nous ont aidées à forger nos propres outils théoriques.

La blessure politique motive notre projet de l’ACTlON/MANIFESTE que nous réalisons collectivement (Collectif 010) en 1975-76 : La Torture. Mise en corps d’une interrogation / réflexion / dénonciation / protestation. Nous examinons alors la violence institutionnelle à la fois visible et invisible. Cette action de trois jours se situe au croisement de l’art sociologique, de l’art corporel et des créations collectives du « théâtre du corps ». C’est exactement en même temps que nous réalisons à deux Double Labyrinthe (1975-76), notre première « étude intercorporelle » selon la formulation inscrite dans le générique. À travers ce FILM/MANIFESTE nous rencontrons à la fois le milieu du cinéma expérimental français (par l’intermédiaire de Dominique Noguez) et le mouvement des femmes (lors de la fameuse rétrospective Kinomata, à Rome en 1976). C’est sur l’intersection de ces deux mouvements que devait désormais s’articuler notre pratique filmique, notre théorie, notre activisme.

Film-matrice, Double Labyrinthe partage avec Expérience I et La Torture mise en corps la violence intériorisée. Mais aussi, il transporte notre pratique corporelle du théâtre et de « l’action en direct » vers le cinéma. Nous lançons alors le terme « cinéma corporel » pour définir notre démarche et pour établir un pont entre art corporel et cinéma expérimental. Ce terme est accompagné d’une avalanche d’autres termes/concepts que nous introduisons pour préciser nos innovations : « actante » (par opposition à actrice), « femme/sujet », « je/femme », « filmante /filmée », « cinéma intercorporel », « film action », etc. Comme nous l’écrivions en 1980, « un problème primordial de terminologie se pose. Le langage doit suivre les transformations déjà établies dans les actes » 1.

Maria Klonaris et Katerina Thomadaki dans
Double Labyrinthe © Klonaris/Thomadaki


Les MANIFESTES accompagnent notre pratique cinématographique dès le départ, comme une autre parole que celle, imagée, des films. « 14 slogans pour un cinéma de rupture » est contemporain de Double Labyrinthe (1976), « Manifeste pour une féminité radicale, pour un cinéma autre » de L’Enfant qui a pissé des paillettes (1977), « Manifeste pour un cinéma corporel » de Soma (1978). Les TEXTES/MANIFESTES deviennent l’autre versant des IMAGES/MANIFESTES qui, elles, sont souvent silencieuses. Tantôt nous les lisons nous-mêmes par micro dans la salle obscure au début ou à la fin d’une projection, tantôt nous les distribuons au public. La plupart sont publiés dans des journaux, des revues, des ouvrages : Libération, CinémAction, Revue du Cinéma Image et son, Cinéma différent, Rote Küsse, Jungle, Film Forum… « Féminité radicale » et « Cinéma corporel » sont traduits en plusieurs langues. Ils circulent lors d’événements cinématographiques, féministes ou de « gender politics » à Paris, Londres, New York, Amsterdam, Zurich, Bruxelles… D’autres restent inédits.

Nos manifestes retracent brièvement l’essentiel de nos combats. Ainsi, nous associons la radicalité d’un cinéma en rupture à celle d’une féminité en rupture, puisque nous avons toujours posé la question du cinéma à travers la question du féminin. Notre regard politique sur le féminin et notre contestation du cinéma « dominant » convergent vers la question du corps, de l’inconscient, de la sexualité. Notre Cinéma corporel revendique la « dimension politique du poétique ». 2

Mais notre critique va vite s’étendre aux rapports transversaux de pouvoir, non seulement tels qu’ils sont institués par l’idéologie patriarcale, par l’économie marchande ou par les politiques culturelles d’Etat, mais aussi par les mécanismes de contrôle qui surgissent dans les groupements alternatifs, par exemple dans le milieu du cinéma expérimental. Il nous arrive alors d’engager une lutte contre la compétition et l’institution des prix, ou de nous détacher d’un collectif de diffusion, pour finir par revendiquer un statut de cinéastes « indépendantes indépendantes ».

Quant à notre défense acharnée du Super 8, ce mythique format léger, notre outil privilégié jusqu’à la fin des années 80, grâce auquel nous avons pu réaliser sans entraves la totalité de notre œuvre filmique de cette période, elle s’inscrit dans l’urgence lorsque le Super 8 est menacé de disparition, face aux nouvelles cartographies des media dessinées par les marchés de l’électronique.

La fondation d’A.S.T.A.R.T.I. pour l’Art Audiovisuel, en 1985, a comme premier objectif stratégique de promouvoir la création des femmes dans les champs de l’art à médiation technologique – cinéma expérimental, art vidéo, photographie, installations, art numérique, son… Elle marque en même temps notre désir de décloisonnement des pratiques plastiques et notre opposition à certains discours normalisateurs féministes ou artistiques, notre refus des catégories, puisque nous avons toujours tenu les classifications pour une violence faite aux identités et aux langages.

Notre volonté d’en finir avec les cloisonnements et les frontières conduit dans les années 90 à la création d’un ÉVÉNEMENT/MANIFESTE, organisé par A.S.T.A.R.T.I., les Rencontres Internationales Art cinéma/vidéo/ordinateur. Cette manifestation « d’intervention » à grande échelle nous permet de croiser et de contextualiser les scènes respectives du cinéma expérimental, de l’art vidéo et des arts numériques pour penser l’image en mouvement non narrative dans toute la complexité de ses stratifications technologiques et de son histoire. En soulignant sa puissance visuelle et critique, nous nous battons pour la reconnaissance de sa centralité dans le champ des arts plastiques contemporains.

Aujourd’hui, on ne peut que constater que presque l’ensemble de ces luttes reste d’actualité ! En ces temps d’inondation médiatique, de capitalisme avancé, de mondialisation, les exclusions prolifèrent. Le cinéma expérimental ne cesse de se battre pour sa visibilité, accrue, certes, grâce aux efforts de plusieurs de ses protagonistes, mais toujours insuffisante. La reconnaissance de ce cinéma qui détient le record de l’exclusion parmi tous les secteurs de l’art contemporain, devient ultra-urgente à un moment où son rôle majeur dans les développements récents des arts plastiques est illégitimement occulté. Dans un contexte économique de plus en plus rude, les cinéastes expérimentaux se battent encore pour un statut. Les « cinéastes Super 8″ récusent le destin d’une minorité poussée vers la marge de la marge et les cinéastes femmes, qui se disent « non féministes, car l’engagement féministe n’est plus une nécessité aujourd’hui » 3, découvrent peu à peu que les discriminations des sexes sont insidieuses et qu’elles n’appartiennent pas qu’au passé.

LE TEMPS DES MANIFESTES N’EST DONC PAS RÉVOLU.

Nous remercions Christian Lebrat d’avoir eu l’idée de publier nos MANIFESTES réunis, ce témoignage de l’héritage activiste méconnu d’artistes d’une génération qui révolutionna, dès les années 70, la scène du cinéma expérimental. Le présent aurait pu se construire sur les acquis critiques d’un tel passé, mais c’est loin d’être le cas. Si en ce moment il est de bon ton d’imputer à la morale ce qui relève du politique, c’est que l’on veut ignorer certaines forces de contestation qui traversent l’histoire récente – comme par exemple la critique politique du regard/désir « masculin » tel qu’il domine la figuration dans le cinéma, y compris expérimental. Nos films mettent en crise la « naturalité » de ce regard, et lui substituent un regard autre , générant des architectures relationnelles inédites. Une démarche pionnière qui a nécessité des mises au point théoriques. C’est ainsi que nos écrits ont apporté la première théorisation, en France, d’une prise de conscience « féministe » au sein du cinéma, notamment non narratif. Car même le milieu du cinéma expérimental se préoccupe peu d’analyser le codage du pouvoir sur le corps (en particulier féminin) qui structure la mythologie cinématographique dominante, dont nous sommes vite devenues des contre-figures.
Ces textes proposent une attitude, un engagement de vie, la température de combats vécus dans le corps.

Klonaris / Thomadaki
Paris, novembre 2002

 

 

14 SLOGANS POUR UN CINÉMA DE RUPTURE (1976)


CONTRE L’INSTITUTION CINÉMATOGRAPHIQUE ET SES MÉCANISMES
D’ASSERVISSEMENT DU MENTAL ET DU CORPS.
CONTRE LES IMAGES ILLUSTRATIVES PRISONNIÈRES DES FABLES SOCIALES VENDUES PAR LE CINÉMA CAPITALISTE.
CONTRE L’ACADÉMISME DU REGARD ENTRETENU
PAR L’INDUSTRIE DE L’IMAGE.
CONTRE LES NOTIONS PRÉFABRIQUÉES DE “RÉEL”
DE “NATUREL”
DE “NORMAL”
D’ “OBJECTIF”
DE “COMPRÉHENSIBLE”
ALIBIS D’UNE SOCIÉTÉ QUI NE PRODUIT QUE DES NÉVROSES
PROPAGÉES PAR LES MASS MEDIA.
CONTRE LES IMAGES UNIFORMISÉES D’UNE SOCIÉTÉ UNIFORMISÉE.
CONTRE LA STANDARDISATION DES INDIVIDUS.


POUR UNE EXPLOSION D’IMAGES DE STRUCTURES ET DE
SIGNIFICATIONS.
POUR UN CORPS REBELLE.
POUR UN MENTAL REBELLE.
POUR UNE VISION SAUVAGE CONSTAMMENT RÉINVENTÉE
NI “NATURELLE”
NI “NORMALE”
NI “OBJECTIVE”
MAIS RÉELLE PUISQU’ELLE SURGIT DU DÉSIR
ET COMPRÉHENSIBLE SI L’ON OUBLIE CE QUE LES ÉCOLES
NOUS ONT ENSEIGNÉ À COMPRENDRE.
POUR UNE RÉFLEXION ACTIVE.
POUR TOUTE IDENTITÉ REJETÉE PAR L’ORDRE SOCIAL
IDENTITÉ CULTURELLE
IDENTITÉ MENTALE
IDENTITÉ SEXUELLE.
POUR DES ACTES CRÉATEURS DE RUPTURE.
POUR UN CINÉMA DE RUPTURE.



 

 

MANIFESTE POUR UNE FÉMINITÉ RADICALE
POUR UN CINÉMA AUTRE (1977)


C’est dans le sexe féminin que l’orgasme nous reste le plus énigmatique,
le plus fermé, peut-être jusqu’ici, dans sa dernière essence, jamais authentiquement situé
.
Jacques Lacan 4

1. AUTOUR D’UNE CULTURE FÉMININE : ÉVIDENCES

La culture existante est une culture à dominante masculine, créée par l’homme à son image/profit.
La femme a contribué à sa création, mais surtout comme support de l’« esprit » masculin. Dans cette culture la femme est quasi absente. Inconnue. Ignorée. Muette. Prisonnière. Méprisée. Déformée. Énigmatique. Fermée.
Dans cette culture la féminité n’est qu’une projection masculine.
La culture féminine est à créer.
Elle se crée déjà par les femmes insoumises à l’ordre de l’homme.
C’est par cette culture que les femmes pourront conquérir les territoires politiques nécessaires à leur épanouissement.

Tout acte créateur féminin qui met en évidence l’écart entre l’image d’une féminité générale, uniforme et fabriquée par l’homme et l’identité spécifique, unique et auto-révélée par les femmes contribue à la création de cette culture.

Ceci mis à part, je pense de plus en plus qu’il faudrait se garder de sexualiser les productions culturelles : ceci serait le féminin, ceci le masculin. Le problème me semble autre : donner aux femmes les conditions économiques et libidinales pour analyser et dialectiser l’oppression sociale et le refoulement sexuel, de sorte que chacune puisse réaliser ses particularités, ses différences, dans ce qu’elles ont de singulier, produites par les hasards et les nécessités de la nature, des familles, de la société. Julia Kristeva 5

La culture féminine ne peut qu’être en rupture avec la culture dominante.
Ne peut qu’être une négation du langage dominant.
Ne peut que rejeter les procédés de la création dominante.
Ne peut que faire émerger tout ce que l’ordre social opprime dans la personne : corps, désir, sexualité, inconscient, singularités.
Ne peut que mener à l’irruption du refoulé révolté dans les normes des expressions.

 

2. VISION D’UNE FÉMINITÉ RADICALE

Une féminité radicale ne peut que rompre, casser, briser, déchirer tout ce qui pèse sur elle et la contraint.
Ne peut qu’inventer, éclater.
Arrachant ses inventions au plus profond, au plus sombre de ses entrailles. Donnant naissance à son identité.
Une féminité radicale ne peut qu’être une harmonie entre les traits dits féminins et les traits dits masculins.
Une symbiose d’énergies « femelles » et « mâles ».
Ne peut qu’être un équilibre entre le sexe physiologique et le sexe mental, subjectif.
Ne peut que réunir des pulsions contradictoires et/mais complémentaires.
Une féminité radicale ne peut qu’être un tout – ni fragment, ni manque, ni insuffisance.
Une yoghini manifestant une énergie serpentine de sa vulve.

 

3. PASSION DE LA CRÉATION RADICALE : CE CINÉMA AUTRE

Insoumission. Indépendance. Rupture. Autonomie.
Déchirer la dépendance économique du cinéma à grandes salles, à grands budgets, à grande consommation, à grands moyens, à grande dépendance.
Déchirer les images illustratives prisonnières des fables sociales vendues par le cinéma capitaliste.
Briser l’académisme du regard entretenu par l’industrie de l’image.
Briser les notions préfabriquées de « réel », de « naturel », de « normal », d’« objectif », de « compréhensible », alibis d’une société qui ne produit que des névroses propagées par les mass média.
Briser le cloisonnement des spécialités.
Briser les hiérarchies et les rôles.
Briser le miroir de la femme fabriquée, l’actrice passive, celle qui obéit, celle qui se laisse faire, celle qui médiatise pour l’orgasme d’un étranger.
Casser vitres et miroirs.
Je sors.
Une féminité radicale ne peut s’épanouir que dans une création radicale.
Je fabrique mes propres images.
J’invente ma vision ni “naturelle”, ni “normale”, ni “objective”, mais réelle puisqu’elle surgit du désir et compréhensible si l’on oublie ce que les institutions nous ont enseigné à comprendre.
Je libère mon introspection.
J’expose mes racines et mes douleurs : enfance, désir, révolte, oppression, torture, vieillesse, mort.
J’expose mes couleurs archétypiques et sociales : le rouge, le noir, le blanc, le rose, l’or, l’argent.
Je mets en scène mes structures mentales, mes géométries.
Mon image corporelle s’inscrit sur la pellicule.
Je m’ouvre à vous par mon corps sentant et sensible. Mon corps de femme sujet.
Je vous livre les rituels de mon identité.
Hémorragie d’identité non médiatisée par quelqu’un d’autre mais assumée par moi-même devant vous.
Je vous regarde.
Je vous interroge.
J’accouche d’un film AUTRE.

Paris, octobre 1977

 

 

MANIFESTE POUR UN CINÉMA CORPOREL (1978)

Car le sens du corps est violent
Car mon corps est danger de vie et de mort
Car mon corps est de femme / sujet
Car mes images naissent de tous les corps de mon corps
Car mes images sont identité illimitée
Car mes images sont du sang manifeste
Car faire exister mes images c’est faire exister ma révolte
Car mon corps n’est toujours pas libre
Car je ne suis pas libre et mon corps est enragé

Car ma révolte ne s’arrête plus
Car ma création est désir de rupture sauvage avec les codes imposés
Car mes éclats visuels sont désir de désordre
Car mes rituels silencieux sont cri intérieur
Car mon feu de cristal

Je sens la nécessité de m’engager corporellement de plus en plus dans ma production cinématographique, de me révéler de plus en plus, de me consumer par l’auto-révélation. C’est un besoin, une soif sans fin, une obsession du vécu le plus limpide, le plus éclatant, le plus incisif, incarné dans un cinéma corporel, limpide, éclatant, incisif. En m’autorévélant je passe de l’individuel au social. Je projette sur le social mon je / femme-différence, femme-parole, femme-identité, femme-création : mon je / femme interdit. Je vide sur le social le vécu de mon quotidien, de mon inconscient, de mon imaginaire, de ma sexualité rebelle. Je pars d’un vécu amoureux absolu et politique

Car mes images son brillance du regard amoureux
Car mes images sont peau de regard
Car mon regard est folie de toucher
Car ma beauté est celle du corps exposé dans ses désirs et ses blessures
Car ma violence est celle du corps exposé dans son vécu
Car mon vécu mis à nu est désir d’abolir la scission entre vie et création
Car ma nudité fait ma force et ma parole
Car me dévoiler c’est être présente
Car ma présence est amour et menace
Car mon corps est obsession de liberté
Car mes images

Je sens la nécessité de libérer de plus en plus mes images des stéréotypes de l’imaginaire social et du corps social qui perpétue mon emprisonnement. Je suis perpétuellement à la recherche de stratégies de subversion. Je tente de perturber la perception par des synthèses imagées déroutantes. Je subvertis un medium de masse, le cinéma, en le personnalisant par la démarche du cinéma expérimental contre-industriel. Je subvertis un medium technologique en le corporalisant par ma présence. Le tactile ressurgit. Mon sens le plus avide c’est le toucher

Car (je) mon corps reste insoumis et sauvage
Car (je) mon corps déborde les barrières qui lui ont été assignées
Car (je) mon corps est traversé par l’élan de dire
Car je pousse je grandis je me transforme
Car j’explose en images

Car ainsi
mon corps me revient.

Athènes, septembre 1978

 

 


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