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Clara Veci :
« Un nouveau Jeu de Paume » (étude architecturale)


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Cette proposition d’extension du bâtiment du Jeu de Paume et de réaffectation des espaces est le projet de fin d’études de Clara Veci, aujourd’hui diplômée de l’École Technique Supérieure d’Architecture de Barcelone. Les fondements et les contraintes du projet furent abordés lors d’un premier entretien avec Marta Gili, en mars 2010. Clara Veci présente ici les grandes lignes d’une étude architecturale complexe, qui imagine des réponses adaptées aux besoins et aux missions d’une institution culturelle moderne soucieuse des publics, tout en respectant le patrimoine en présence.

Clara Veci, architecte - Photo Adrien Chevrot, 2014

Clara Veci, architecte © Jeu de Paume, 2014


Exposé

L’emplacement du Jeu de Paume dans Paris est exceptionnel. Le Jardin des Tuileries est un site archi-historique qui s’insère dans le Grand Axe « Louvre — Défense ». Ensembles, ces deux pôles retracent les cinq derniers siècles de l’histoire de France et représentent ainsi la politique et le pouvoir français.

Dans le dessin du jardin des Tuileries commandé par Catherine de Médicis à Philibert Delorme, les limites du jardin suivent celles de Paris. Dans la seconde version des Tuileries, Le Nôtre ose créer des terrasses triangulaires qui s’orientent vers l’Ouest et depuis lesquelles on discerne l’horizon du futur territoire de la capitale. Suite à la construction de la place Louis XV, dont le but est de donner au périmètre de la place une allure solennelle, les terrasses triangulaires de Le Nôtre sont englouties par un rembourrage qui donne lieu au socle en angle droit sur lequel se pose aujourd’hui le bâtiment du Jeu de Paume. Tout au long du Ier Empire, le jardin est clairement délimité et intégré dans un axe représentatif de l’évolution de Paris et de l’expression de son pouvoir. Napoléon ouvre la rue de Rivoli et crée l’avenue des Champs Elysées, qu’il couronne par l’Arc de Triomphe. Deux siècles plus tard, l’axe est intégré à la ville de Paris, lors de l’inauguration simultanée de la pyramide du Louvre et de l’Arche de la Défense. Cet axe qui naît dans la cour carrée, se prolonge au-delà des limites de Paris, jusqu’au quartier de la Défense, peut-être dans le but de démocratiser un symbole construit par rois et empereurs.

Lors de sa construction en 1861, le bâtiment avait pour fonction celle d’un jeu de paume (le fameux serment du Jeu de Paume eut lieu dans son homonyme de Versailles). Au début du vingtième siècle cette salle de sport devient un musée et à partir de 1956, abrite les peintures impressionnistes. Cette affectation des Galeries nationales du Jeu de Paume leur assure un grand succès, jusqu’à l’inauguration du Musée d’Orsay en 1986. En 1987, le ministère de la Culture et de la Communication entreprend la rénovation du Musée du Jeu de Paume et sa transformation – sous la Direction de l’architecte Antoine Stinco – en Galerie nationale d’Art contemporain, sans collection permanente. La mission ne se spécialise en arts audiovisuels qu’en 2004, lors de la fusion du Patrimoine Photographique, du Centre National de la Photographie et de la Galerie d’Art Contemporain du Jeu de Paume. Mais cette nouvelle institution, désormais appelée « Jeu de Paume », hérite d’un bâtiment conçu pour un lieu culturel dont la programmation et la mission étaient différentes.

Aujourd’hui le jardin des Tuileries est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO (depuis 1991) et le grand axe Louvre-Défense est devenu l’un des symboles majeurs de la capitale.
Cela signifie que, les perspectives du jardin ne pouvant être modifiées, la possibilité de rajouter des volumes dans le parc reste exclue

Mais alors comment réaliser une extension du Jeu de Paume ?

Stratégie: le site

Au bout du compte, l’image photographique nous lance un défi : « Voici la surface. À vous maintenant d’appliquer votre réflexion, ou plutôt votre sensibilité, votre intuition, à trouver ce qu’il y a au-delà, ce que doit être la réalité, si celle-ci est son apparence. »

Susan Sontag, « Sur la photographie », 1977

Lorsque l’on retrace ce grand axe de symétrie en détail, on constate qu’il manque quelque chose. Le Musée de l’Orangerie, binôme du Jeu de Paume, mesure 15 mètres de plus que notre « musée ». La contrainte sera donc que seuls ces 15 mètres pourront être bâtis au-dessus du niveau du sol. Seul ce volume là sera rajouté en surface, en essayant d’être représentatif de la mission du Jeu de Paume. Le reste de l’espace devra être soustrait au site.


La stratégie du projet est de cacher l’extension tout en permettant que celle-ci puisse être déduite. Seul un volume apparaît en surface, tout le reste du programme étant placé sous la terrasse des feuillants.

Aujourd’hui cette terrasse est vécue par ses usagers comme un passage périphérique. C’est-à-dire qu’entre le bâtiment du Jeu de Paume et le socle sur lequel il se trouve, il n’y a pas d’interaction. Le Jeu de Paume est tout à fait isolé de l’intérieur des jardins. Son entrée principale appartient plutôt à l’urbanité de la rue de Rivoli, et joue la fonction d’accès aux Tuileries lorsqu’on sort de la station de métro Concorde. Le bâtiment lui-même est une sorte de couloir dont la façade qui donne sur le parc et sur le grand bassin octogonal est bouchée. Et entre cette façade et la limite de la terrasse d’André Le Nôtre subsiste une zone résiduelle et abandonnée, composée de rangées d’arbres et d’arbustes qui séparent encore davantage le Jeu de Paume de son environnement.

D’où le choix de rouvrir la façade sur les jardins, pour que chaque nouvelle exposition puisse exister visuellement dans l’environnement. De là aussi le choix de créer un café ouvert sur la nouvelle pelouse qui relie le Jeu de Paume et la promenade créée par Le Nôtre.


Le reste de l’extension consiste à exploiter la possibilité d’habiter le socle qui occupe déjà deux niveaux du parc : le niveau terrasse où l’entrée du Jeu de Paume se situe aujourd’hui et le niveau de l’esplanade du grand bassin. On propose de transformer la paroi qui sépare ces deux niveaux en entrée principale. Cela permet d’intégrer le musée dans le parc et de tirer profit d’une connexion directe avec le grand bassin qui constitue aujourd’hui l’espace principal de visite du jardin des Tuileries.

Le mur du socle devenant la façade de l’extension, on récupère tout un flux de flâneurs venant du parc, autant de visiteurs potentiels pour qui l’accès au Jeu de Paume est trop discret. On inscrit alors l’institution culturelle dans le circuit d’un parc qui pourrait bien devenir le parc des musées, étant donné la longue série de musées qu’il intègre. Puis suivant le principe de symétrie, le musée de l’Orangerie pourrait adopter le même système d’entrée, puisque il dispose déjà de salles d’exposition en sous sol.

Les accès sont alors restructurés : deux accès et une sortie donnant sur la rue Cambon sont prévus pour les nocturnes. L’accès principal au niveau du grand bassin ainsi qu’au niveau du grand patio sur la terrasse donnent sur l’espace d’accueil. Puis, sachant que les horaires d’ouverture du Jardin des Tuileries et du Jeu de Paume ne sont pas forcément les mêmes, on prévoit un accès direct sur la sortie du parc rue Cambon, qui permet de profiter du musée tardivement.

Programme

Depuis la création en 2004 du nouveau Jeu de Paume, lieu pluridisciplinaire dédié à l’image, celui-ci connaît un succès croissant, avec une augmentation des visites de 60% sur les cinq dernières années. Une des raisons de son succès est la spécificité de sa mission, qui ne connaît pas de véritable « concurrent » à Paris.

Vu l’intérêt du public, le Jeu de Paume a développé de nombreuses propositions culturelles. En relation avec les expositions sont programmées des conférences, journées d’études, colloques, masters class, cartes blanches aux artistes invités… La principale contrainte reste les limites physiques du bâtiment.

Aujourd’hui le musée regroupe deux salles d’exposition, un petit espace d’exposition intermédiaire, une salle de documentation, un auditorium de 98 places, une librairie, un café, la régie et les bureaux de l’équipe éducative et de la direction. Extra muros on retrouve le reste des bureaux délocalisés dans Paris en raison du manque d’espace.

Cette proposition d’extension mise sur la diffusion de la mission photographique. Il s’agit d’abriter toutes ces activités pour lesquelles aucun espace n’a encore été conçu. Cela permettrait de compléter l’offre culturelle du Jeu de Paume, avec un nouveau programme centré sur la pratique et la diffusion des arts audiovisuels.

Dans ce projet, on distingue trois types d’espaces, ou pôles : une zone publique – en libre accès –, l’autre semi-publique – accès payant – et la dernière privée, dédiée à l’organisme du musée.

Deux nouvelles salles d’exposition s’ajoutent aux salles existantes, qui elles aussi sont réaménagées. Un auditorium de 247 places et une salle de conférence sont intégrées au pôle « activités ». Mais aussi une bibliothèque sur deux niveaux, qui parcourt la nouvelle façade du bâtiment, ouverte sur le grand bassin du parc des Tuileries, un laboratoire digital et un laboratoire analogique à disposition des amis du Jeu de Paume et enfin des ateliers et de nouvelles salles pour accueillir de façon simultanée les différentes formations proposées par le musée. Tout cela autour du patio principal qui remplit la fonction d’accueil et qui nous conduit sous le cube, point de départ de la visite des expositions. Puis la partie la plus privée du musée : les bureaux des équipes au complet viennent s’installer autour du deuxième patio.

Stratégie interne

Le lieu de l’image. Lumière.

Au cours de trois nuits de l’année 1825, une fête fut organisée dans le but de montrer la nouvelle acquisition – et la plus précieuse – d’une collection privée. La pièce était exposée dans la salle la plus profonde de la maison de son propriétaire. Cependant on arrivait à pressentir l’objet depuis l’extérieur. L’œuvre en question était un sarcophage d’albâtre, illuminé uniquement par l’éclat de bougies depuis son intérieur. Cette lumière transperçait l’albâtre égyptien, éclairait le reste de la maison et la rue de Londres où elle se trouvait. Des ombres se formaient. Le soupçon de cette présence s’installait subrepticement chez les passants noctambules de Lincoln’s Ill. (cf. Gillian Darley, John Soane, an Accidental Romantic, Yale University Press, 1 Sep 1999, p.274)

Les horaires d’ouverture du musée coïncident assez souvent avec ces moments où le parc des Tuileries est plongé dans la nuit. Des quatre salles d’expositions prévues dans le projet, deux se trouvent dans le bâtiment hérité, les deux autres dans l’extension. Les premières perdent leur façade condamnée et sont rouvertes vers le parc. Les deux nouvelles salles se trouvent tout au fond de l’extension… Toutes s’allument lorsque la nuit approche. Le jour, le cube et le porche de la nouvelle entrée principale sont translucides. Lorsque le soleil se couche, le bâtiment s’allume, participant au jeu nocturne des lumières de Paris. Le cube devient une boite de lumière. Des patios émane l’éclat de tout ce qui se passe à l’intérieur de cette extension cachée.

Vases communicants

La connexion principale entre le musée et son extension se fait à travers un cube de 13m de côté, qui rétablit en extérieur la symétrie originelle entre le Jeu de Paume et l’Orangerie. Mais ce volume joue aussi le rôle d’un diaphragme qui régule l’entrée de la lumière à l’intérieur du bâtiment, jusqu’à l’arrivée de celle-ci sur la pellicule, c’est à dire dans l’atrium qui distribue à son tour les flux de visiteurs vers l’ensemble des salles d’exposition.

Le cube se répète plusieurs fois à l’intérieur du bâtiment, ce n’est pas un vide isolé, mais le premier d’une série de vases communicants qui gèrent l’affluence des visiteurs dans le musée. Ces volumes, qui se miment dans un dialogue perpétuel, sont comme des bouffées d’oxygène pour les diverses occupations et activités du bâtiment.

Un de ces grands vides est le patio principal, négatif du cube avec lequel il partage une façade qui se prolonge sous le niveau du sol et s’enfonce sous le socle du musée. Autour de lui se déplie le programme du musée, garantissant les connexions visuelles entre les différents espaces et usages. L’usager a alors une perception simultanée de tout ce qui a lieu dans le bâtiment. Voyeurisme. Succession de patios et intérieurs vitrés, les reflets se multiplient. Les ouvertures et fermetures de volumes se succèdent, plongeant l’usager dans des espaces semi-publics où la participation et la présence se confondent. Le visiteur est invité à participer librement au bâtiment, les espaces publics et gratuits étant par ailleurs tous directement accessibles depuis le patio principal. Les filtres que sont la billetterie, la réservation ou l’adhésion s’appliquent progressivement dans son parcours, sans discriminer les autres espaces.
C’est aussi dans cet esprit que le cube, qui est translucide en extérieur, devient transparent en sous-sol, proposant ainsi une solution de continuité entre les jardins et le bâtiment. De même, les trois patios permettent une ouverture sur la surface de la terrasse, où la végétation peut se redéployer et donner lieu à un découvert de pelouse praticable. Le Jeu de Paume peut s’ouvrir davantage sur son environnement immédiat, le Jardin des Tuileries.

© Clara Veci



Clara Veci

Clara Veci a suivi des études d’architecture à l’ETSAB (Escuela Tecnica Superior de Arquitectura de Barcelona), l’IIT (Illinois Institute of Technology) et l’ENSAV (École Nationale Supérieure d’architecture de Versailles). Elle obtient son diplôme d’architecte à l’ETSAB en 2011. Depuis, elle travaille au sein des Ateliers Jean Nouvel sur le projet de la Philharmonie de Paris.