La première exposition conçue par Mathieu Copeland dans le cadre de la programmation Satellite du Jeu de Paume envisage l’exposition du mot et la diffusion d’une œuvre dans sa globalité par la parole. Il propose une révision du modèle traditionnel de l’exposition et de renouveler son rapport au mot, à la lecture et à l’écoute. Ainsi, son projet aboutit dans un premier temps à l’exposition du catalogue. Le texte – lu – permet son interprétation, et en devient ainsi autant sa partition que sa mémoire. « Une exposition à être lue » génère des figures à être dites, l’abstraction du langage permettant à une forme d’être et, naturellement, une fois dite, de se dissoudre.
Parallèlement à cette exposition par le livre est présentée une série de « rétrospectives parlées ». Chaque rétrospective n’existe qu’au travers des mots dits par les artistes — par la mémoire de ceux qui ont créé —, générant ainsi l’image mentale d’une exposition du temps (temps d’une œuvre dont la disparition affirme son existence, temps d’une vie passée) dans l’esprit de ceux qui écoutent. Lors des enregistrements, Mathieu Copeland a laissé chaque artiste libre de choisir la forme de parole qui lui convenait le mieux pour générer une rétrospective. Après Gustav Metzger et David Medalla, l’architecte théoricien Yona Friedman est le dernier invité en date à avoir enregistré sa voix pour « une exposition parlée » présentée au Jeu de Paume et dont le magazine retransmet ici un extrait. En une demie-heure, Yona Friedman propose un condensé de la réflexion qui a guidé son travail au fil des années. Il répond à la proposition de Mathieu Copeland en définissant le statut d’artiste comme incitateur et provocateur, le public devenant lui-même artiste. Selon lui, l’objet d’art n’est art qu’en tant qu’il porte un message. D’autre part , il considère qu’il y a autant de messages qu’il y a de publics et d’individus :
L’objet d’art dépend d’un récepteur, mais le récepteur moyen n’existe pas. Chaque récepteur est individuel.
Cette conception de l’art, qui place la réception et l’appropriation du message par chacun au centre du dispositif, a en effet guidé la carrière de Yona Friedman. C’est pourquoi sa « rétrospective parlée » s’étend bien au delà du monde de l’art pour aborder des problématiques sociales et le vivre-ensemble aujourd’hui. Yona Friedman ne propose pas de nouvelles constructions, mais des alternatives à la manière dont nous utilisons l’existant, à travers les concepts de mobilité, de modularité, et par une re-conceptualisation de la Ville.
Biographie
Yona Friedman est né en 1923 à Budapest (Hongrie). Il vit à Paris. Il exerce aujourd’hui une influence mondiale dans l’architecture. Artiste-architecte, il est reconnu pour ses « utopies réalisables ». Il a beaucoup écrit, enseigné à travers des conférences sans jamais devenir un pur théoricien. Il a également produit de nombreuses études, maquettes et prototypes. Il fuit la Hongrie pour Israël, où il achève ses études et devient architecte, puis il s’installe à Paris en 1957. Il y fonde le Groupe d’étude d’architecture mobile, qui étudie des formes d’architectures adaptées aux transformations de la vie moderne dans une optique concrète. Il en arrive à son nterrogation fondamentale : comment libérer l’habitat du sol ? Ainsi il entreprend de dessiner la « ville spatiale ». L’expérience fondatrice et radicale de la Seconde Guerre mondiale – il sera détenu par la Gestapo – lui fait remettre en question l’influence du Bauhaus, et le pousse à une certaine forme de réalisme. Selon Yona Friedman, il est primordial en architecture que l’usager soit maître du projet. Dans les ouvrages qu’il conçoit, l’architecture est réduite à l’essentiel du bâti, fondations et structures. Il préconise l’autoconstruction, où l’architecte se bornerait à fournir le mode d’emploi, que tout un chacun pourrait exécuter.
Liens
« Une exposition parlée » / Satellite 6. Une proposition de Mathieu Copeland
« Utopie réalisable » et « L’architecture de survie ; une philosophie de la pauvreté » de Yona Friedman