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Les Villes Invisibles est un livre un peu étrange, entre la fiction et le recueil de poésie. Italo Calvino y peint 55 portraits de ville aux noms de femmes que Marco Polo décrit à l’empereur Kublai Khan. Le récit est entrecoupé d’un dialogue imaginaire entre le voyageur vénitien et l’empereur des Tatars.
Les séries d’Ester Vonplon, avec des thématiques pourtant différentes, me font irrésistiblement penser au texte d’Italo Calvino. Par le titre – les images d’Ester ne dévoilent leur sens qu’en les regardant attentivement et peuvent paraître banales et presque invisibles pour celui qui ne sait pas les interroger – mais aussi par une tension constante qui nourrit ses images presque toujours en noir et blanc et nous les rend à la fois étranges et familières.
Dès la première série – Cudesch da visitas, 2006-2007 – l’expérience du voyage, le plus souvent en solitaire, fait de la narration de ces images, un discours mémoriel basé sur une multitude de visions de paysage entrecoupées encore de quelques portraits, tous surexposées de lumière et chargées de contrastes. Les tirages argentiques numériques, sont souvent saturés et accentuent l’isolement des formes.
Les deux séries de 2007-2009 sur une famille de roms du Kosovo – Es gibt nicht mehr Sonne, et Wenn das Wetter nicht mehr kaputt ist, werden wir spazieren gehen – parce qu’elles répondent d’abord à la demande de photographies souvenirs de la famille Gashi, semblent un pas de coté dans le travail de la photographe. Elles sont, en fait, des narrations « silencieuses » affirmant l’existence d’une culture défaillante comme point de fragilité et de faiblesse. Elles Inaugurent pour Esther la pratique du polaroid sans pour changer l’usage à terme des tirages numériques argentiques.
Avec les séries plus récentes – Surselva et Ruinalta – Ester Vonplon intensifie son dialogue entre nature et humain. Elle réalise des portraits – des paysages, des visages -, joue de la lumière pour installer une esthétique de la disparition et crée un réseau de connivences muettes. Des images mentales surgissent cliché après cliché à travers des voiles presque monochromes. La couleur s’invite dans certaines images, toujours lessivée par le temps.
Mais ce qui fait la force et l’élégance intrigante de l’ensemble du travail d’Ester Vonplon, c’est avant tout une étrangeté familière que l’on retrouve inexorablement à l’aune de toutes ses séries. Le banal, le vécu universel se mêlent à l’apparition de fantômes, de souvenirs ou de rêves. Comme chez Calvino, le travail d’Ester Vonplon se démarque par une densité onirique véritable et par le même goût des paradoxes et de la feinte. On y découvre des univers imaginés qui sont autant d’interrogations sur le monde.
Françoise Docquiert, 2013
Ester Vonplon est née en Suisse. Plus jeune, elle était snowboardeuse et skateboardeuse professionnelle. Elle s’installe en 2002 à Berlin pour travailler dans une société de productions de films. Presque par hasard, elle s’essaie à la photographie, y prend goût, entre à la Fotografie am Schiffbauerdamm dont elle sort diplômée en 2007. Ester Vonplon, dont le travail a tout d’abord été salué en Suisse, obtient une reconnaissance internationale en 2011 : elle est l’une des lauréats du prix Talent du Foam. Elle est représentée par la Galerie Vu. Elle vit et travaille à Zürich et Castrisch.
Liens
Ester Vonplon, site de l’artiste
Ester Vonplon, Galerie VU’
Way of Women (WOW Magazine) : « Storytelling Photography : Ester Vonplon »
GoSee « A Silent Visit but not an unnoticed one by Ester Vonplon at Vu Gallery, Paris »