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J’ai rencontré Alexandra Catiere il y a quelques mois en venant au musée Niépce à Chalon sur Saône où elle était en résidence à l’initiative de son directeur François Cheval et de la fondation BMW.
La plupart de ses images représentent des visages, des corps, des éléments du quotidien. Des clichés assez lisses, presque classiques, souvent en noir et blanc avec des tirages très soignés. Une photographie en partie liée à une certaine intemporalité dont l’intérêt pour le monde pourrait la rattacher à la tradition humaniste de l’image.
Mais il faut regarder plus attentivement ce travail qui se dévoile avec le temps et faire abstraction des référents habituels liés à la photographie. Alors ces images vont bien au delà de ce que l’on y voit au premier coup d’œil : elles sont la preuve qu’il n’y a rien de plus surréel, de plus abstrait que la réalité.
Il est vrai que l’appareil, pour Alexandra, est un substitut, une représentation métaphorique de l’œil, un instrument pour mettre en page son siècle et le questionner. Alexandra, comme tout créateur, nous manipule pour nous faire entrer dans son monde : elle tire partie de ses images pour explorer visuellement une narration qu’elle s’approprie. Par la sélection et le choix d’un ordre, elle nous propose comme vérité de partager son point de vue, singulier et subjectif.
Parce que ses photographies sont nées aussi de sa mémoire, souvent en résonnance avec sa vie personnelle, Alexandra travaille alors à partir d’un espace de contemplation qui lui est propre et qui fait sa richesse.
Elle restitue à travers ses images – ni reportage, ni fiction, ni témoignage – des émotions que nous partageons tous, qui nous concernent, nous émeuvent. Son engagement passe par des choix esthétiques plus que par des thématiques. Elle affirme que la mise en forme est productrice de sens. Chaque image demande un format particulier, souvent en noir et blanc, cadré ou non, en plein ou sur une double page.
Pour ses clichés, Alexandra fait elle même ses tirages. Elle aime la matière photographique et sait que le tirage est un des principaux moyens de donner un écho à l’image selon qu’on la rend plus claire ou plus sombre, plus chaleureuse ou plus froide.
La série Land without Shadows – le nom original donné à Coney Island parce que sa position par rapport au soleil garde la plage ensoleillée tout le jour durant – en est l’illustration. Les sujets sont de dos, assis sur un banc et regardent la mer. D’eux, on ne voit que le haut des corps dont la proximité ou l’écart invitent à imaginer de l’amitié, de l’amour et de l’empathie. La prise a été faite à moins de deux mètres avec un Fuji 6X9 sans cellule et sans motorisation, dans un format ressemblant à une chambre utilisable à main levée, qui permet au photographe de se rendre invisible. Cette notion d’intimité est renforcée par le format, très petit, celui d’une carte postale. Land without Shadows décourage toute anecdote. Cette construction multiplie la tension interne, constitutive de la photographie et lui donne sa force, à l’image de l’ensemble du travail d’Alexandra Catiere.
Françoise Docquiert, 2012
Crédits portfolio : Land without Shadows, gelatin silver prints, 11x17cm @ Alexandra Catiere
Alexandra Catiere est née à Minsk, actuelle Biélorussie. En 2000, elle s’installe à Moscou et commence à s’intéresser à la photographie. Elle part en 2003 à NYC et étudie à l’International Center of Photography(ICP). En 2005, elle rejoint le studio d’Irving Penn. Elle s’installe à Paris en 2008. En 2011, après une résidence au Centre d’art de GwinZegal à Guigamp, elle est lauréate de la première édition de la résidence BMW au musée Nicéphore Niepce de Chalon sur Saône et présente une exposition aux Rencontres internationales de la photographie d’Arles. Alexandra Catiere collabore régulièrement avec la presse (The New Yorker, The New York Times, FOAM, Le Monde….). Elle vit et travaille à Paris.
Liens
Alexandra Catiere, site de l’artiste
Alexandra Catiere en résidence BMW au Musée Niépce, Chalon sur Saône
Alexandra Catiere, catalogue