Cet album est présenté dans le cadre de la « Carte Blanche à la Cinémathèque de Tanger » au Jeu de Paume, du 11 au 23 septembre 2012.
J’imagine Tanger comme je pourrais imaginer New York, Tokyo, Berlin… et pourtant je n’y suis jamais allée. Ce sont des villes de cinéma. Elles ont une double nature : celle de l’expérience réelle du monde, l’autre de la fabulation magique de l’image. Deux vies parallèles pour une seule ville, qui se croisent et s’éloignent, qui se répondent et se contredisent. Tanger fait partie de cette famille, de ces territoires de fiction modelés par les cinéastes. Comme New York et ses gratte-ciel, ou Londres et son brouillard, le seul nom de la ville de Tanger évoque ses attributs de façon presque naturelle : exotique, canaille, libertine… le jeu, la drogue, le vice… les femmes, la trahison… Berceau de personnages qui ne pourraient exister qu’entre ses murs, on y découvre le cinéma comme créateur d’une mythologie sociale.
Son emplacement stratégique sur le détroit de Gibraltar – couloir entre deux continents – et son histoire politique atypique ont stimulé l’imagination de cinéastes et d’écrivains occidentaux et donné lieu à toute sorte de fables et de créations. À l’imagerie du film noir et de la série B d’après-guerre, qui associait Tanger à tout ce qui est tabou, scandale, sordide ou illicite, a succédé dans les années soixante-dix, la gestation d’une cinématographie nationale marocaine qui s’interrogeait sur la spécificité d’un cinéma autochtone et indépendant, loin des représentations coloniales véhiculées par le cinéma de l’autre rive.
Malgré sa jeunesse, la Cinémathèque de Tanger compte donc avec un trésor inhabituel. Elle préserve la mémoire cinéphile de Tanger et promeut la création de nouvelles images qui s’expriment en ajoutant de nouvelles strates au patrimoine de la ville. Issue d’une politique culturelle indépendante, en marge des institutions gouvernementales, le projet de la Cinémathèque prend une ampleur significative, lui conférant le statut d’acteur politique. Carles Guerra identifie cette transmutation comme un exemple de « la constitution d’une société civile interconnectée par le cinéma » .
Cet album photo mélange des affiches de l’archive iconographique de la Cinémathèque avec quelques images representatives des activités qui s’y déroulent : séances d’éducation à l’image pour les jeunes publics, ateliers de formation pour les cinéastes amateurs ou professionnels, débats, concerts… ainsi que les travaux réalisés pour re-conditioner les espaces abandonnés de l’ancien cinéma RIF. Cette salle historique de Tanger, qui ouvrit ses portes en 1938 sous le nom de Cinéma Rex et connut ses heures de gloire dans les années soixante-dix, s’est aujourd’hui transformée en espace de rencontres, entre public jeune et adulte, cinéastes professionnels et amateurs, patrimoine cinématographique et création contemporaine… Bouchra Kalili et Yto Barrada la comparent à une école libre, ouverte à tous, mais une école « d’un savoir sauvage et démocratique qui naît hors de l’institution, même si le terme de cinémathèque peut paraître institutionnel ». Nous l’avons vu, son but est double : sauvegarder le cinéma historique et offrir à Tanger un lieu de culture, de création et de débat.
Après avoir voyagé à Barcelone en 2011, la Cinémathèque de Tanger s’installe temporairement au Jeu de Paume. Elle propose une nouvelle programmation de films, conçue à cette occasion. Pendant deux semaines, l’auditorium du Jeu de Paume sera une porte d’accès à Tanger, le lieu de rencontres entre les collaborateurs de la Cinémathèque, le public et les cinéastes. Ce sera l’occasion de rendre hommage à Ahmed Bouanani, figure majeure de la culture marocaine aux talents multiples (cinéaste, monteur, scénariste, poète, romancier, dessinateur), puis d’esquisser un état des lieux de la jeune production documentaire de ce pays. La Cinémathèque nous rend visite à Paris et avec ses films, c’est toute la ville de Tanger qui voyage.
Marina Vinyes Albes
Liens
Carte blanche à la Cinémathèque de Tanger
L’album de la Cinémathèque / Librairie