le magazine Suite à l’ouverture de votre exposition « Feux de camp » au Jeu de Paume, pouvez-vous nous présenter les choix qui ont prévalu dans la scénographie et lors de l’accrochage ? Ce travail d’exposition est-il l’occasion pour vous de porter un autre regard sur votre œuvre ?
Bruno Serralongue Le parti pris a été de ne pas construire de cimaises dans l’espace afin de ne pas organiser un parcours guidé pour le spectateur mais de privilégier la coexistence des images. Elles partagent un même espace-temps de visibilité. Elles se donnent à voir d’un seul regard, simultanément et non dans la succession d’un parcours imposé. Pour le spectateur, l’exposition ne s’appréhende pas par un parcours mais dans la distance qu’il souhaite mettre entre lui et l’œuvre. Il doit se rapprocher, afin de regarder les photographies de petites dimensions et s’éloigner pour regarder celles situées en hauteur. Un ajustement de la vision est en permanence nécessaire et on assiste à une chorégraphie des spectateurs dans l’espace laissé vide. C’est un accrochage photographique et non cinématographique si vous voulez !
Bruno Serralongue Justement par la coexistence des images. Le spectateur ne fait pas défiler les photographies devant lui selon une conception linéaire du temps. Je crois que la société numérique dans laquelle nous vivons nous a habitué à la présence simultanée des images selon un voisinage toujours en mouvement et précaire, c’est le fameux effet zoom des écrans tactiles. L’exposition d’œuvres d’art dans un musée ne peut pas échapper à cette nouvelle articulation des images entre elles. C’est à la transcription de cette contemporanéité que je me suis essayé à partir de mon propre corpus de photographies. Conjointement à la disparition des cimaises j’ai procédé à « l’éclatement » des séries afin de faire apparaître des répertoires qui constituent en fait autant d’idées fixes, de configurations qui s’imposent de série en série. Parmi celles-ci, les manifestations du rues, les rassemblements, les conférences de presse, les slogans et les textes accrochés dans l’espace public …
le magazine Cette exposition rétrospective semble marquer un tournant dans votre parcours en tant qu’artiste, du moins vous a-t-elle a permis d’articuler vos photographies et séries différemment… pensez-vous que cela puisse avoir un impact sur la façon dont vous travaillerez à l’avenir ?
Bruno Serralongue Non. La réalisation des séries photographiques et leurs expositions appartiennent à deux moments du travail sans aucun lien entre eux, totalement irréductible l’un à l’autre et appartenant à deux histoires distinctes. J’accorde la même importance à ces deux moments, car les deux réunis constituent le travail artistique, mais ils doivent rester séparés (Il faut comprendre séparation dans le sens où Debord l’entend) pour être efficaces. Mes projets futurs, je crois, aurons toujours comme motivation de montrer les effets négatifs du capitalisme. Dans le cinquième livre de la série « Cool Memories » (2000-2004), Baudrillard pose la question suivante : « Pourquoi se battre sans cesse pour une cause ? S’est-on jamais battu pour les effets ? » La photographie peut rarement (jamais je pense mais je n’en suis pas sûr ; il faudrait enquêter davantage) percer les causes, par contre s’il est un domaine dans lequel elle est imbattable c’est bien celui de rendre visible les effets (et remonter ensuite, pourquoi pas, vers les causes).