— Bibliothèque idéale
La photographe
qui n’en était pas une.


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Aveux non avenus de Claude Cahun


Il est peu d’artistes qui représentent autant la lutte pour la liberté individuelle que Claude Cahun. Androgyne, se moquant des diktats, dédaignant les catégories, essentielle à la pensée des surréalistes mais refusant d’en faire partie, résistante acharnée pendant la guerre mais n’intégrant aucun réseau, Claude est toujours en marge. Aveux non avenus représente exactement cette manière d’exsuder l’indépendance à chaque souffle. Le livre, le deuxième qu’elle fait paraître, sort en 1930 et se présente comme un ensemble sans précédent de pages de journal, de poésie, de correspondance, d’aphorismes et de photomontages. Cette œuvre multiple témoigne à chaque page que « neutre » est son mantra. « Masculin ? féminin ? mais ça dépend des cas. Neutre est le seul genre qui me convienne toujours »1, écrit-elle, et dans cette absence de hiérarchie entre les genres, se trouve latent une absence de hiérarchie entre les arts. Claude passe de l’écriture à la photographie sans enjamber de barrière, pour elle tout est création, et la façon de créer avec l’image n’est pas différente de celle qui utilise les mots.

Claude Cahun, Aveux non avenus (couverture)


Témoignage et fiction, journal et poésie, Claude n’accorde pas plus d’importance à la réalité dans ses écrits que dans ses photographies. Dans Aveux non avenus, elle ne s’embarrasse pas d’unité de genre. Les photomontages, qui rythment les chapitres, sont autant de parties de l’œuvre et ne sont en rien des illustrations. Ils ont été créés en même temps que le texte, alors que l’éditeur lui avait donné carte blanche, ils sont le propos même, à l’égal des fragments écrits. Pour résumer, “la démarche intermédiale qu’elle met en place à travers la présence des photomontages au sein du texte”2 contribue à brouiller les frontières entre écriture et photographie. Une de ses biographes l’appelle « la photographe sans le savoir »3, et il semble en effet que ce ne soit pas la spécificité du médium qui l’intéresse. Comme on peut lire dans Aveux non avenus, « Accommodements du poète avec son infirmité : S’aveugler pour mieux voir. Faire jaillir des étincelles en frappant sur les ténèbres. Frapper sur le silence assourdissant pour s’en faire un ami malléable. Frapper la syntaxe et le rythme et le verbe un grand coup pour en tirer l’eau de la mort. »4 La création en soi l’intéresse plus que la manière. Dans ce paragraphe se mélangent les cinq sens dans un même élan pour créer : lumière, toucher, mots, ouïe et même le goût de l’eau, tout est syntaxe. En un mot, elle prend la photographie comme une matière littéraire. Le photomontage devient l’équivalent du cadavre exquis, et l’utilisation des mots dans le corps même de ces images accentue l’effet littéraire déjà présent dans le montage. Mais ce n’est pas uniquement le cas des photomontages, ses photographies elles-mêmes distillent une certaine forme de littérarité. La manipulation de l’image, les références aux mythes, la mise en scène par le costume ou le décor, tout cela participe d’une forme de narrativité fictionnelle. L’autoportrait devient autofiction, et le portrait fable.
Liberté de genre, liberté de ton, liberté de création, liberté politique, liberté dans le choix du medium, Claude Cahun nous donne une leçon de témérité et d’irrévérence face aux catégories esthétiques. “Vivre (écrire)”, résume-t-elle dans une lettre, et écrire, pour Claude Cahun, ce n’est pas seulement aligner des mots, mais aussi créer des images. Lire Claude Cahun aujourd’hui, c’est se souvenir que “photographie” signifie “écrit avec la lumière”. Et que, en conséquence, il n’y a rien que l’image ne puisse dire que l’écrit ne fait déjà.



Camille Moreau


Claude Cahun, Aveux non avenus, Fayard / Mille et une nuits, 2011
Exposition « Claude Cahun », 2011

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