— Performance
Dan Perjovschi : “Transparent Action”


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La librairie du Jeu de Paume est le point d’achoppement entre espace privé (l’intimité de la lecture) et espace public (le jardin des Tuileries). Dans 1984, roman d’anticipation de George Orwell, le novlangue, langue officielle mise en place par l’État, annihilait nombre de mots : honneur, justice, moralité, démocratie, science, religion… avaient simplement cessé d’exister. Quelques mots-couvertures les englobaient et, en les englobant, les supprimaient. À l’heure d’un langage écran dominant, d’une mutation digitale de la langue, engendrant parole-spectacle, quelle possible circulation de la parole publique ? « NOVLANGUE_ » envisage les correspondances entre le langage du post-internet et la langue, fictive, construite dans et par le roman d’Orwell.

Invité pour une Carte Blanche dans ce contexte, Dan Perjovschi a chroniqué sur les vitres de la librairie, au feutre, l’actualité en temps réel telle qu’elle se présente dans les journaux du jour. La performance faisait ainsi écho au second volet de « NOVLANGUE_ » qui interroge la classe C du vocabulaire orwellien, les mots techniques. Telle une parabole rhizomatique s’infiltrant sur le bâtiment, loin du format médiatique habituel, « Transparent Action » aborde la langue des médias dans sa forme sensationnelle, celle des breaking news. Le mot, qui fait ici image, est l’incubateur d’une information fragmentée, synthétisée et immédiate. Elle fait évènement.

Artiste roumain de renommée internationale, Dan Perjovschi peut être qualifié de « chroniqueur de l’Histoire en marche ». Son œuvre aborde l’actualité par le dessin critique prenant la forme de fresques in situ, plus ou moins monumentales. Évolutives, celles-ci prennent la forme des flux d’information où les nouvelles se chevauchent – ici, un dessin en recouvre un autre. Après une formation de dessinateur de presse, il mène depuis la fin des années 1990 une pratique faisant circuler le dessin et ses légendes de lieu en lieu, de support en support, sur le modèle d’un hypertexte.

Pierre Bourdieu pointait en 1996 la naissance du spectacle de l’information sur le plateau télévisuel, dans son ouvrage « sur la télévision ». Avant lui, en 1964, Marshall McLuhan avec sa « théorie des médias »1 annonçait la place prépondérante de la machine. Il la voyait comme une « extension de nos sens », déterminant une relation nouvelle entre soi et le monde, produisant ici une forme d’une errance langagière2. C’est ce « village global » et sa pensée unique que critique, non sans ironie, Dan Perjovschi.



Agnès Violeau, mai 2018




En savoir plus sur Novlangue_ / Programmation Satellite
Dan Perjovschi / Galerie Michel Rein
The Missing Show / Performance de Mounir Fatmi

References[+]