Le court essai d’Étienne Helmer, Parler la photographie, se divise en deux parties. La première est une hypothèse qui revient, dans un style argumentatif, sur une thèse de Roland Barthes dans La Chambre claire suivant laquelle : « C’est à proportion de sa certitude que je ne puis rien dire de cette photo ». Pour la prolonger en son envers, la seconde partie du livre est constituée de variations où, dans un style plus descriptif, une écriture se développe au cas par cas à partir de photographies plus ou moins connues. Ce qu’il avance comme hypothèse et nous démontre dans ses variations est qu’une photographie commence à nous parler – à devenir parlante – à mesure que sa plénitude visuelle vacille. Il suffit pour cela qu’un obstacle en suspende l’évidence ou qu’une obscurité vienne faire tache dans la transparence de notre compréhension intuitive. Ce qui surgit alors, c’est une incertitude : le référent se voile et le photographique, comme une fine pellicule, se décolle de sa fonction d’index. Un doute méthodique s’installe qui fait droit au langage propre de la photographie, à son langage plastique.
Autrement dit, la photographie peut se parler à partir du moment où on ne lui fait plus porter un autre langage ; que ce soit celui de la publicité, de la propagande, de la preuve juridique, du témoignage historique ou du souvenir personnel. « Le pouvoir subversif ou, plus généralement, politique des photographies réussies, écrit Étienne Helmer, réside là : il ne tient pas au message qu’elles délivrent, au sujet dont elles traitent, au scandale que parfois elles révèlent ou déclenchent, mais à ce que leur génie visuel autorise de pensée et d’imagination chez qui prend le temps de les regarder »(p.31). Ce second temps nous introduit dans la dimension signifiante de la photographie, qui rend sensible, à qui veut bien s’y attarder, son inquiétante étrangeté de représentant de la représentation. La photographie considérée dans ses effets médiumniques nous conduit ainsi de chambres vides en maisons hantées, nous place devant des fenêtres condamnées, nous entraîne le long des rues aux murs placardés d’avis de recherche ; dans des décors peuplés de spectres indifférents, de corps en lévitation et de morts-vivants. C’est un entre-deux mondes qui nous apparaît : à la fois coupé du monde qui a été capturé par l’appareil photographique, et de celui, étranger à cette photographie, d’où nous la regardons maintenant en lecteur absorbé.
Damien Guggenheim
Parler la photographie, Étienne Helmer, éditions Mix., Paris, 2017. ISBN : 979-10-90951-16-7 / 17,5 x 11,5 cm – 80 pages – 10 €