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« Photographie publicitaire » de Laure Albin Guillot


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Deux livres ponctuent les parcours de l’exposition Laure Albin Guillot (1879-1962), l’enjeu classique. Le premier, Micrographie décorative, fait la renommée de l’artiste lors de sa publication en 1931. Portfolio constitué de vingt planches, ce luxueux album affirme ouvertement la proximité de son œuvre avec les arts décoratifs.
Le second, Photographie publicitaire, est un ouvrage théorique publié en 1933 qui demeure encore quasiment inconnu aujourd’hui.  Il ne s’agit pas d’un livre de photographies à proprement parler. Il n’est pas remarquable pour la qualité de ses vingt-sept illustrations (des photographies de Laure Albin Guillot pour l’essentiel, mais aussi des études d’Emmanuel Sougez, d’André Vigneau et du studio Deberny et Peignot) mais pour la nature du texte signé par la photographe elle-même. Laure Albin Guillot y fait preuve d’une grande connaissance et compréhension des enjeux médiatiques et commerciaux qui se construisent autour du cinéma, de la radio et surtout de la presse illustrée. S’adressant aux professionnels de la publicité et aux annonceurs, elle définit dans cet essai le rôle que la photographie va désormais jouer dans la publicité moderne qui est alors en train de se dessiner.

Extrait du catalogue de l’exposition Laure Albin Guillot, l’enjeu classique :

En 1933, la photographie est précisément en train de devenir une des composantes clés de l’annonce publicitaire. Si l’image photographique a remplacé le dessin ou l’estampe pour relater l’information dans la presse écrite, elle s’impose également en publicité. Laure Albin Guillot est parfaitement consciente de cette intrusion en masse de la photographie dans la société de son époque. Elle décrit d’ailleurs avec discernement l’environnement médiatique qui se construit et auquel elle participe. Elle sait, en tant que photographe, que la presse illustrée occupe désormais une place considérable dans la diffusion de l’information – une presse à fort tirage dont le succès auprès du public se confirme par le nombre croissant de nouveaux périodiques – devenant de ce fait le vecteur idéal pour le message publicitaire.

Magazines et journaux disposent désormais de moyens techniques performants pour la reproduction et l’impression des illustrations photographiques, mais Laure Albin Guillot s’étonne du faible usage encore réservé à la photographie dans les pages d’annonces publicitaires. Contrairement au dessin, une image argentique peut montrer l’aspect réel d’un produit, d’un emballage ou d’un contenu. Elle souligne à ce propos que le photographe, comme l’étalagiste, est en mesure de valoriser les qualités de ce produit par une mise en scène et une disposition d’éclairage appropriées. Mais au-delà de son évidente capacité à montrer, la photographie sait aussi « parler » et répondre, selon Laure Albin Guillot, aux recherches des publicitaires et aux attentes commerciales des annonceurs : si l’image photographique dépasse le dessin, elle peut également s’affranchir du texte pour délivrer à elle seule le message publicitaire fondamental. Une image reproduite dans Photographie publicitaire [page 35] montre par exemple un verre de lait, une assiette de sucre et deux mouches disposés à la manière d’une nature morte. Cette composition datée de 1930 est imaginée par Laure Albin Guillot pour la vente d’un insecticide, le « Fly-Tox ». Le produit lui-même n’est pas photographié. Seul son usage est suggéré par la juxtaposition des deux éléments, insectes velus et aliments, et par le sentiment de répulsion induit.

À partir de 1929, la photographe exécute un grand nombre d’illustrations publicitaires. Elle élabore ainsi un répertoire où les mises en scènes des objets et des personnages mènent le « lecteur-consommateur » vers une forme de récit ou d’interprétation. Sa méthode empirique visant à stimuler l’imaginaire et les sens du destinataire repose sur des schémas visuels simples et facilement intelligibles. Une seule source lumineuse éclaire ordinairement l’article à vendre et valorise la forme du conditionnement ou le nom de la marque. Un personnage, physiquement présent dans le champ de l’image ou évoqué sous forme d’une ombre projetée, simule l’utilisation, la prescription du produit ou le plaisir qu’il procure. Ses créations publicitaires, comme l’ensemble de son œuvre, s’inscrivent dans un registre strictement figuratif : si le montage et la retouche contribuent à l’élaboration finale de l’illustration, on ne trouve chez Laure Albin Guillot aucune forme d’abstraction et, rarement, des manipulations de laboratoire.

 

Une grande majorité de sa production publicitaire concerne les produits de luxe, comme l’horlogerie haut de gamme, la bijouterie ou la mode. Elle réalise aussi de nombreuses illustrations pour les industries cosmétiques et pharmaceutiques, qui sont les secteurs industriels les plus récents et les plus dynamiques d’alors. Son univers visuel, fait de codes convenus et de protagonistes socialement idéalisés, s’adresse à une clientèle essentiellement bourgeoise et citadine : l’imagerie de l’artiste et l’imaginaire du public ciblé coïncident.

Michaël Houlette, « Photographie publicitaire », in Laure Albin Guillot, l’enjeu classique, p. 77-78

Le magazine du Jeu de Paume remercie vivement Marie-Loup Sougez, La Parisienne de Photographie et Delphine Desveaux, directrice des collections Roger-Viollet à la Parisienne de photographie, et co-commissaire avec Michaël Houlette de l’exposition Laure Albin Guillot, l’enjeu classique.

Crédits :
Laure Albin Guillot, photographie publicitaire
nouvelle bibliothèque photographique dirigée par l.p. clerc
Gauthier Villars Éditeur, Paris, 1933
Photographies de Laure Albin Guillot, Emmanuel Sougez, André Vigneau et Studio Deberny et Peignot.

Liens

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