— Entretien
Fabienne Fulchéri, commissaire de la programmation Satellite


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Avec la Programmation Satellite, le Jeu de Paume complète son exploration de l’image sous toutes ses formes, en l’ouvrant à des pratiques résolument ancrées dans le domaine de l’art contemporain. Le magazine a posé deux questions sur la création contemporaine à Fabienne Fulchéri, commissaire indépendante de la première édition de cette programmation, d’octobre 2007 à septembre 2008.

le magazine En exergue de l’ouvrage In actu, de l’expérimental dans l’art, sous la direction de Elie During, Laurent Jeanpierre, Christophe Kihm, et Dork Zabunyan (Les presses du réel, 2010), il est écrit : « Deux manières dominent la description de l’art contemporain. Tantôt il est un art de l’innovation permanente, tantôt un art de recyclage. » Qu’en pensez-vous ?

Fabienne Fulchéri L’art du XXe siècle repose en effet sur cet écart. Les avant-gardes se sont construites en réaction contre ce qui les précédaient, faisant quasi-systématiquement table-rase du passé, jusqu’à ce que le post-modernisme ne finisse par « rafler la mise » en ingérant parfois jusqu’à l’excès les propositions antérieures. Cette apparente dichotomie d’approche tend, me semble-t-il, à fusionner depuis quelques années, reflétant peut être en cela une société qui a abandonné un positionnement tranché au profit d’un mode de fonctionnement plus versatile. Beaucoup d’artistes revendiquent sans complexe les deux postulats s’inscrivant dans l’innovation par le biais du recyclage par exemple. Les frontières et les attitudes manichéennes tendent à disparaître au profit d’une attitude critique plus globale, tantôt plus responsable, tantôt plus détachée aussi.

le mag Marta Gili introduit le cycle d’expositions du Jeu de Paume de février à juin 2010 en faisant référence à un écrit de Rainer Maria Rilke :

« Le poète Rainer Maria Rilke disait que, pour écrire un vers, il fallait avoir vu beaucoup de villes, de personnes et de choses ; qu’il fallait aussi avoir côtoyé un mort, perçu le mouvement secret des fleurs, accompagné une femme dans les douleurs de l’accouchement, saisi comment volent les oiseaux. Cependant, ajoutait-il, il ne suffit pas d’accumuler tous ces souvenirs : encore doit-on savoir les oublier et avoir l’immense patience d’attendre qu’ils resurgissent. Il faut qu’ils se muent en sang, en regard et en geste ; et ce n’est que lorsqu’ils n’ont plus de nom, que l’on ne parvient plus à les distinguer les uns des autres que le premier mot d’un vers peut alors surgir. » (Le Mot de la directrice, Programme février – juin 2010)

« La mobilisation du passé et la réactualisation du présent par l’image et la parole », constituent un axe thématique entre les travaux des artistes de la programmation en cours au Jeu de Paume, avec Lisette Model, Esther Shalev-Gerz et Mathilde Rosier. Selon vous, comment la création contemporaine mobilise-t-elle le passé pour appréhender certains enjeux du présent, qu’ils soient politique ou artistique ?

FF Il me semble évident que toutes les expressions artistiques se fondent sur des bases culturelles et sociales passées. Ces références peuvent être niées, contournées, inconsciemment engagées ou pleinement assumées, elles demeurent selon moi présentes. Il faudrait d’abord s’entendre sur ce qui constitue véritablement aujourd’hui pour les artistes les enjeux du présent. Les approches sont multiples et elles prennent des formes aussi diverses et singulières qu’il existe de créateurs ! Ce qui me semble essentiel c’est la façon dont les artistes réussissent à aborder justement certains questionnements politiques. Comment ils parviennent en restant dans le champ de l’art et en mettant en jeu des paramètres esthétiques à révéler une vision du monde plus affutée et perçante que ce qui nous est donné à voir au quotidien.

Fabienne Fulchéri est commissaire d’exposition et critique d’art. Elle a notamment été commissaire invitée de la première édition de la Programmation Satellite au Jeu de Paume, en 2007-2008, et de l’Espace culturel Louis Vuitton, à l’été 2009. Depuis février 2010, elle est directrice de l’Espace de l’Art Concret, centre d’art contemporain de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes).