— La parole à…
Pascale Cassagnau


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Fin février 2010, à l’occasion de la parution du livre de Pascale Cassagnau, Un pays supplémentaire : la création contemporaine dans l’architecture des médias (Beaux-arts de Paris éditions), la librairie du Jeu de Paume organisait  une rencontre avec l’auteur.

Jeu de Paume, le magazine et Pascal Priest, libraire de l’institution, ont eu la chance de poursuivre la discussion avec Pascale Cassagnau.

Pascal Priest & le magazine Lors de la rencontre organisée par la librairie du Jeu de Paume, à l’occasion de la parution de votre livre, une œuvre sonore de l’artiste contemporain Vincent Labaume, ainsi qu’une émission de télévision (1972) conçue par Pierre Dac, ont été diffusées.
Pourquoi avoir choisi de présenter ces deux documents ?

Pascale Cassagnau Il me semblait en effet intéressant et drôle d’introduire à la lecture de mon essai par l’écoute d’une pièce radiophonique sur la télévision, c’est-à-dire en l’absence de toute image, en l’occurrence La Fée télévision de Vincent Labaume. Le passage du texte à la création sonore, en une sorte d’émission radiophonique, à propos de la télévision détermine déjà une architecture du sens, faite de passages d’un format à un autre. Vincent Labaume donne à imaginer toute une histoire de la télévision, celle des années 70-80, inventant les jeux télévisés, les émissions de variétés, les mythologies du quotidien, la « starisation » quelque peu dérisoire des présentateurs vedettes. Quant à Pierre Dac, homme génial de radio et de télévision, ses émissions produisent de véritables critiques de la représentation télévisuelle et des médias dans un sens plus large. Il est intéressant de se souvenir que toute sa réflexion sur les médias et leur rhétorique se fonde sur son expérience première qui fut celle d’un chroniqueur en guerre pour Radio Londres.

PP & le mag Dans le numéro 27 de la revue Particules, un article de Nicolas Bouyssi est consacré à l’écrivain américain David Foster Wallace, dont l’essai E Unibus Pluram, publié en 1990, a pour objet les rapports entre la littérature et la télé américaines. Pour David Foster Wallace, « la culture cathodique semble devenue invulnérable (…). En d’autres termes, (elle) est devenue capable d’intercepter et de neutraliser toute tentative de changer, ou même de regretter les postures de malaise passif et de cynisme qu’elle exige du Public afin d’être commercialement et psychologiquement viable à très haute dose quotidienne. »
Rejoignez-vous ce point de vue ?

PC Grand écrivain de la réalité, comme le sont tous les écrivains américains, David Foster Wallace désigne à son tour ici, après d’autres, la mécanique d’aliénation que produit la télévision. Les écrits théoriques sur ce sujet ont atteint leur masse critique, depuis l’École de Francfort jusqu’à aujourd’hui. Ce point de vue est incontestable. Pour autant, ce n’est pas complètement la perspective que j’ai choisie dans mon essai, tant cette analyse est tautologique. J’ai plutôt cherché à décrire des configurations plus dialectiques, en essayant de montrer que l’analyse, voire la critique des médias, pouvaient conduire à produire à son tour des formes,  constituaient un espace d’expression, de création.

PP & le mag Votre essai évalue la place de la création contemporaine « dans l’architecture des médias ».
Quelle est la structure architecturale des médias ? Peut-on distinguer le dedans du dehors ?

Le propre d’une architecture réside dans sa capacité à intriquer espace intérieur et espace extérieur, le dedans et le dehors.

PC Tout d’abord, on peut dire que chaque medium construit sa propre architecture, que ces architectures sont diverses et complexes dans leurs usages, leurs effets. En revanche, le propre d’une architecture réside dans sa capacité à intriquer espace intérieur et espace extérieur, le dedans et le dehors. C’est cette circularité fondamentale qui représente l’architecture des médias et qui fonde ses effets aliénants, car tout y est ressaisi ensemble,  jusqu’au brouillage du sens.

PP & le mag Votre précédent livre,  Future Amesia, enquêtes sur un troisième cinéma (2006), étudiait de nouvelles formes filmiques — « une voie médiane, entre art vidéo et cinéma expérimental » — qui ont une difficulté à exister du point de vue institutionnel.
Où se situe la limite entre cinéma et art contemporain, et comment décloisonner ces pratiques ?

PC À dire vrai, je ne sais pas où se situe la limite entre l’art contemporain et le cinéma, comme je ne sais pas ce qu’est l’art contemporain ni ce qu’est le cinéma ! Ce qui me semble plus intéressant et plus fécond est d’étudier comment ils se déplacent ensemble, comme ils contribuent, ensemble, à cartographier autrement l’extrême contemporain, pour reprendre ici un syntagme bien connu. À inventer d’autres configurations, en se mesurant à leur capacité réciproque à formuler des hypothèses, à défaire les catégories institutionnelles !

PP & le mag L’objet de votre essai porte sur les enjeux du partage des images et de la dimension critique qui en résulte. De novembre 2009 à juillet 2010, le Jeu de Paume organise un séminaire en six séances intitulé « Flux et Nexus : la coexistence des images », sous la direction de Elie During, qui vise à traiter du « problème de l’articulation spatiotemporelle des images », et pose notamment la question de la manière de vivre dans le flux des images.
Quelle est votre approche de ces sujets ?

PC Se tenir dans le flux des images est la condition contemporaine de l’aliénation mais c’est aussi, avec le cinéma, avec l’art contemporain, se tenir devant un gigantesque tableau de bord, pour l’analyse critique du présent. Disposés en constellations d’images, d’informations, de données, les médias sont bien ce feuilletage à l’infini de strates, à travers lesquelles la réification est aussi bien possible que le démontage systématique et leur mise en pièces.

PP & le mag Selon vous, comment la création contemporaine mobilise-t-elle le passé pour appréhender certains enjeux du présent, qu’ils soient politique(s) ou artistique(s) ?

PC Une réponse seulement, tant la question est énorme ! À la manière de Walter Benjamin, il s’agira de retourner la perspective, de chercher à voir comment le passé mobilise le présent, en une forme de promesse tenue, en une réalisation effective – aujourd’hui.

Pascale Cassagnau, Un pays supplémentaire : la création contemporaine dans l’architecture des médias, Beaux-arts de Paris éditions, coll. D’art en questions, 2010

Pascale Cassagnau est docteur en histoire de l’art, critique d’art et spécialiste des nouveaux médias au sein du ministère de la Culture et de la Communication. Ses recherches portent sur les nouvelles pratiques cinématographiques, dans leur dialogue croisé avec la création contemporaine. Son précédent essai, Future amnésia, enquêtes sur un troisième cinéma (Isthme éditions, 2006), cartographie ces nouvelles formes filmiques, entre fiction et documentaire.

Vincent Labaume est artiste, théoricien et auteur de Hommage pas fier au mage Pierre Dac (1983). Le texte de l’œuvre sonore diffusée lors de la rencontre au Jeu de Paume est tiré du catalogue La Fée télé,  ARC / MAM et Galerie Loevenbruck, Paris 2001.

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