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Création/Destruction. Vandalism de John Divola, éditions Mack, 2018


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Vandalism rassemble des photographies de John Divola, prises entre 1973 et 1975 à Los Angeles. Cette série présente des images de ses interventions éphémères réalisées dans des bâtiments abandonnés et en ruine, oscillant entre la peinture, la sculpture et la photographie. Vandalism trouve un écho singulier dans l’exposition « Gordon Matta-Clark. Anarchitecte » présentée en ce moment au Jeu de Paume.

John Divola ; Los Angeles ; Vandalism

John Divola, série “Vandalism”, Los Angeles, 1973-1975 © John Divola

Le travail de John Divola est avant tout expérimental. L’artiste repère un espace dans lequel intervenir, observe la façon dont l’ombre et la lumière s’y déploient, puis il produit des formes planes ou au contraire donnant l’illusion du volume à l’aide de différents matériaux (bombe aérosol, ficelle, découpe de papier peint, etc.). La prise de vue arrive ensuite, fixe puis suit les étapes successives du processus créatif, comme un palimpseste. La cadence des pages produit des allers et retours entre l’avant et l’après, l’absence et l’apparition de la forme.

À cela s’ajoute une dimension conceptuelle et réflexive. John Divola questionne les lieux et leurs traces mais aussi la société qui en désigne la valeur ou l’obsolescence. Il interroge aussi le médium qu’il utilise pour s’exprimer : la photographie. Enregistrant des traces de ce qui va disparaître, jouant avec l’instantané qui suspend le temps et les formes entre flottement et chute, il met en avant la valeur d’empreinte de la photographie.

John Divola ; Los Angeles ; Vandalism

John Divola, série “Vandalism”, Los Angeles, 1973-1975 © John Divola

Dans Vandalism, La lumière tient une place essentielle. Elle constitue le matériau et le sujet même de ses images. John Divola s’attache notamment à accentuer les projections lumineuses en les rehaussant à l’aide de couleur argentée. Peinture et lumière rivalisent de puissance. Lointain vestige de la Factory de Warhol, ces tracés irradient les ateliers de fortune, aveuglant le spectateur. L’espace et la temporalité de la lumière se matérialisent soudain. De la même façon, quand Gordon Matta-Clark, dans Day’s End, en 1975, découpe une partie de la façade d’un ancien hangar désaffecté donnant sur l’Hudson, il peint l’espace intérieur avec la lumière naturelle, et cette peinture se déplace en fonction du temps. La même année, son œuvre intitulée Conical Intersect transpose la forme de la projection lumineuse de Line Describing a Cone [Ligne décrivant un cône] d’Anthony McCall (1973) dans l’espace architectural et urbain de Paris, révélant ainsi, par l’irruption de la lumière, la stratification des lieux et du temps.

Dans les photographies de John Divola, le flash révèle souvent la matière en déréliction et exacerbe les contrastes. Il met en lumière les fissures et l’écaillement des surfaces abîmées ou brûlées par endroits, au point de transformer ces images positives en négatifs. Les contrastes semblent inversés, les surfaces surexposées ou parfois comme charbonneuses. La surface du mur, du sol ou du plafond se confond ainsi avec la surface brûlée par la lumière de la photographie elle-même. John Divola semble trouver fortuitement, dans ces espaces détruits, les constituants mêmes de l’image qui n’est pas encore apparue. Les pièces photographiées par John Divola, comme les lieux sur lesquels intervient Gordon Matta-Clark, sont pareilles à des chambres obscures : la lumière qui y pénètre produit une projection puis une image.

John Divola ; Los Angeles ; Vandalism

John Divola, série “Vandalism”, Los Angeles, 1973-1975 © John Divola

De la même façon que Gordon Matta-Clark pense la découpe des bâtiments comme celle de ses images (par le cadrage, le point de vue, le montage), John Divola considère ses interventions dans l’espace réel (révélation ou disparition des formes, enregistrement des traces, inscription dans le temps) comme il conçoit la photographie. Tous deux envisagent la capacité alchimique de la photographie et sa puissance de transformation. Chaque intervention dans l’espace réel, comme chaque photographie, est ainsi une métaphore de la manière dont la mise en image transforme et agit sur toute situation donnée. Sous l’effet de cette matérialisation, la perception de l’espace et du temps, tout comme la conscience du réel et la relation de ses éléments entre-eux se trouvent nécessairement métamorphosées. Performance éphémère et trace pérenne se rejoignent simultanément. Dans ces gestes, comme dans la photographie, l’acte de destruction coïncide parfaitement avec l’acte de création.



Ève Lepaon
Visuel en page d’accueil : John Divola, Série “Vandalism”, 1973-75 © John Divola



John Divola, Vandalism, Ed. Michael Mack, 20 Mars 2018.