« Si la vie n’est qu’un passage,
notre souvenir gardera ton image » 1
Dans l’église Saint-Eustache, en novembre 2014 j’ai découvert Déserteurs de Stéphanie Solinas. Cette œuvre dense qui s’ouvre par strates s’est imposée comme un bouleversement.
Trois « sentinelles » président à ce travail : Alphonse Bertillon, père de l’identification judiciaire, Nadar, maître du portrait et Valentin Haüy, premier instituteur des aveugles. Tyrannie de l’image, portrait psychologique, cécité ; ces trois figures interrogent la vision comme lieu de l’identité.
L’emplacement de leurs tombes dans le cimetière a imposé un dispositif: Déserteurs est construit sur un triangle qui rappelle le trajet des rayons lumineux venant frapper l’œil humain. Ce triangle est la forme sur laquelle se déploie l’œuvre, à l’échelle de Paris — en reliant le Cimetière du Père Lachaise, la Société Française de Photographie et la Chapelle de la Sorbonne —, et dans l’Eglise Saint-Eustache en unissant les bas côté nord et sud et la chapelle Saint-Louis.
Le protocole scientifique choisi par Stéphanie Solinas structure son œuvre avec une rigueur qui a la puissance de l’obsession.
Déserteurs s’articule autour de 379 disparitions que Stéphanie Solinas a recensées dans les allées du Père Lachaise : ces photographies de défunts que l’érosion et le temps ont fait disparaître des tombes. Un double anéantissement. Retirés du monde et de leur image ils ont été deux fois dissouts. Stéphanie Solinas photographie des photographies détruites. Avec un poinçon elle y indique, en braille, les coordonnées géographiques de la sépulture, redonnant aux morts effacés un endroit, un lieu de mémoire, un emplacement à déchiffrer.
Ces images disparues ont une force de sédition qui se dégage de leur mélancolie. Et si dans un monde où l’image contrôle sous des airs de divertissement, la liberté était à trouver dans l’anonymat ?
Hélène Giannecchini, 2015
Stéphanie Solinas, site officiel
“Experimenting Continuity” / Cosmos Arles Books aux Rencontres d’Arles, 2015
References