Les commissaires Christine Frinsinghelli et Franz Schultheis, présentent au Château de Tours l’exposition « Images d’Algérie, une affinité élective », conçue au départ en collaboration avec Pierre Bourdieu. Les images présentées, restées depuis 40 ans dans des cartons, n’étaient pas destinées à être exposées. Elles ont fait partie intégrante du travail ethnographique et sociologique de Pierre Bourdieu en Algérie, entre 1958 et 1961. Le jeune sociologue fait état dans ses écrits de la difficulté d’aborder scientifiquement ce « laboratoire social » immense, qui plus est pendant la guerre. Il combine alors une multitude de dispositifs d’observation et d’analyse, en fonction des circonstances, parmi lesquels le médium photographique a tenu un rôle majeur.
Dans cette exposition et dans le catalogue qui l’accompagne, Christine Frinsinghelli et Franz Schultheis montrent quelle a été l’expérience algérienne de Pierre Bourdieu et comment la photographie s’est intégrée dans ce qui fut pour lui une véritable aventure et un engagement politique marquant. Si l’exposition a valeur de témoignage, elle retrace également l’histoire d’une recherche où l’affect et la science cohabitent (Bourdieu parle lui-même de libido sciendi) dans un rapport complexe entre textes et images.
« La photographie est en effet une manifestation de la distance de l’observateur qui enregistre et qui n’oublie pas qu’il enregistre (ce qui n’est pas toujours facile dans les situations familières, comme le bal), mais elle suppose aussi toute la proximité du familier, attentif et sensible aux détails imperceptibles que la familiarité lui permet et lui enjoint d’appréhender et d’interpréter sur-le-champ (ne dit-on pas de quelqu’un qui se conduit bien, amicalement, qu’il est « attentionné » ?), à tout cet infiniment petit de la pratique qui échappe souvent à l’ethnologue le plus attentif. Elle est liée au rapport que je n’ai cessé d’entretenir avec mon objet dont je n’ai jamais oublié qu’il s’agissait de personnes, sur lesquelles je portais un regard que je dirais volontiers, si je ne craignais pas le ridicule, affectueux, et souvent attendri. » Pierre Bourdieu, cité in « Images d’Algérie »,p.11, Ed. Actes Sud, 2003.
Travailler, dans l’Algérie en lutte pour son indépendance, à une analyse scientifique de la société algérienne, c’était essayer de comprendre et de faire comprendre les fondements et les objectifs réels de cette lutte…
Pierre Bourdieu, in Le Sens pratique, Paris, Ed. de Minuit, 1980, p.8.
Biographies
Christine Frisinghelli est commissaire d’exposition, éditrice et chargée de cours en photographie contemporaine. Elle fut co-fondatrice du journal Camera Austria International en 1980, et en fut l’éditrice en chef pour 112 numéros entre 1980 et 2010; elle fut directeur artistique du festival d’art contemporain “steirischer herbst” entre 1995 et 1999 et est aujourd’hui conservatrice des archives photographiques Pierre Bourdieu.
Franz Schultheis est sociologue et président de la Fondation Pierre Bourdieu, Saint-Gall, Suisse. Il a étudié la sociologie aux universités de Nancy II et de Fribourg-en-Brisgau, a fait son doctorat en 1986 à l’université de Constance et a obtenu son habilitation à diriger des recherches en 1993 auprès de Pierre Bourdieu à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris. Il a été nommé professeur à l’université de Neuchâtel en 1999 et à l’université de Genève en 2003 où il dirigea le département de Sociologie jusqu’en 2007. Il est désormais professeur à l’université de Saint-Gall.
Liens
Exposition « Pierre Bourdieu : Images d’Algérie, une affinité élective »
« La documentation photographique de Pierre Bourdieu en Algérie, 1957-1961 », par Christine Frisinghelli
« Du témoignage photographique à la description dense dans l’œuvre de Pierre Bourdieu » par Franz Schultheis
Pierre Bourdieu, biographie
Interview avec Christine Frisinghelli in Blog CBA (Circulo de Bellas Artes)
Le catalogue de l’exposition