— Entretien
Laurent Grasso et Marta Gili (Fr/En)


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Toute observation est une manière partielle d’appréhender la réalité. Le travail de Laurent Grasso explore les interstices de cette observation partielle, c’est-à-dire les espaces d’incertitude ou de doute que suscite n’importe quelle conjecture — que ce soit dans le domaine de la science, de l’histoire, de la perception ou de la croyance—, afin de construire des réalités parallèles susceptibles de mettre à l’épreuve notre système de connaissance et notre capacité critique. Il ne s’agit pas pour lui de vérifier la véracité de nos suppositions, mais d’exploiter leurs fractures et leurs tensions pour en faire la matière première de son travail. L’observation, mais aussi le contrôle, la surveillance, le pouvoir ou l’emprise de la science ou de la croyance, ainsi que la réversibilité ou la simultanéité temporelle font partie des champs explorés par Laurent Grasso dans son oeuvre. En tendant la relation entre le connu et l’inconnu ou en contractant la distance entre le visible et l’invérifiable, le travail de Laurent Grasso met en évidence l’asymétrie entre voir et être vuMarta Gili

Laurent Grasso, « 1610 III », 2011 Néons, transformateurs 260 x 178 cm Collection François Blanc Courtesy Gallerie chez Valentin, Paris & Edouard Malingue Gallery, Hong Kong © Laurent Grasso / ADAGP, Paris, 2012

Entretien réalisé le 13 décembre 2011

Marta Gili Il y a dix ans, je t’ai invité au festival du Printemps de Septembre à Toulouse à présenter l’une de tes oeuvres, Du soleil dans les yeux : une projection vidéo dont la bande sonore est composée de très basses fréquences et dans laquelle défilent, sur une montagne très instable, des messages à caractère scientifique induisant la possibilité de contrôler le cerveau humain grâce à des ondes imperceptibles. Ce qui a provoqué de véritables réactions d’angoisse de la part du public. Tu as réussi à déclencher des automatismes, presque inconscients, face à l’invisible et à la peur de ce que l’on ne connaît pas. D’autres de tes oeuvres, comme Soyez les bienvenus ou le fameux nuage de Projection, ont le même effet. Placer le spectateur aux limites d’une expérience psychologique et physique inquiétante est-il important pour toi ?
Laurent Grasso Mon travail s’est en effet toujours situé aux limites — de la réalité, de la croyance, de la science. J’ai abordé de nombreux champs d’application ou d’étude, mais toujours dans le but d’aller, techniquement, physiquement ou conceptuellement, vers une forme de limite. Elle existe dans Du soleil dans les yeux, qui a un impact physique grâce au lien entre un dispositif architectural qui présente un film, le film lui-même et son contenu. Dans cette oeuvre, ce lien est renforcé par les messages qu’on lit dans le film et qui décrivent des risques auxquels le spectateur semble lui-même exposé par les fréquences des infra-basses diffusées dans la salle. Je cherche à recréer de micro-situations qui contiennent le pouvoir, la force ou la brutalité de celles auxquelles on est confronté dans le réel.

MG Dans tes installations, tu crées parfois un environnement occasionnant une perte de repères, un déséquilibre ou un trouble. Tu utilises pour cela des dispositifs architecturaux, des effets électriques, sonores, acoustiques, lumineux…
LG Oui, dès le départ, je cherche à produire une expérience. Parce que les véritables expériences sont rares.

MG La réception de ton travail est justement une expérience au cours de laquelle le spectateur doit se placer de l’autre côté du miroir, dans un monde parallèle où les évidences sont trompeuses : un monde habité par la rumeur, les mythes, la superstition, la science-fiction…
LG Je veux jouer sur l’idée du réel, à travers des leurres. Un de mes premiers projets a été une exposition à Paris, en 1999, Escape, qui présentait différents films — notamment un projet réalisé au Maroc sur les stratégies d’émigration clandestine — et, de l’autre côté de l’espace de projection, un espace parallèle caché où le spectateur pouvait découvrir un bar où de l’alcool était vendu. Un mur de dix mètres de longueur avait été construit dans la Galerie du Forum Saint-Eustache et un court passage permettait de passer de l’autre côté de l’exposition pour arriver, au bout de ce couloir, dans ce bar clandestin. Cette idée de passer de l’autre côté de l’image, d’accéder à une réalité parallèle a débuté ainsi. Puis, au Crédac, j’ai créé une cabine insonorisée avec une fenêtre à travers laquelle on pouvait voir mon film Radio Ghost. Ce film traite du rapport entre l’industrie du cinéma en Chine et la croyance en l’existence de fantômes qui peuvent apparaître sur les tournages ou sur la pellicule. Là aussi la question d’un monde parallèle était matérialisée par un dispositif d’exposition où l’on pouvait passer de l’autre côté du film et accéder à un autre point de vue. Je tente de reconstituer des fragments de réalité ou de créer des objets par des moyens similaires aux dispositifs que je souhaite reconstruire — le cinéma, l’architecture, une certaine période de l’histoire de la peinture —, mais en y insufflant un décalage presque invisible et en ayant plusieurs angles d’approche de l’objet présenté. Je veux aussi multiplier les points de vue de déambulation et d’écoute pour le spectateur, mettre en place une certaine forme de narration, sans exposer les références ni le processus. Il faut qu’il reste quand même une certaine forme de…

MG De secret ?
LGJe parlerais plus d’une tension que d’un secret. Je cherche aussi une forme d’ouverture, voire de liberté, pour le spectateur. Qu’il ait la possibilité d’accéder au processus de création, au concept d’une oeuvre ou d’une exposition, mais pas immédiatement.

Laurent Grasso, « Studies into the past », colle animale, résine mastic, huile cuite et pigments sur panneau de bois 45 x 58 cm (63 x 76 cm encadré) Collection Ellen et Michael Ringier Courtesy Galerie chez Valentin, Paris © Laurent Grasso / ADAGP, Paris, 2012

MG Une grande partie de ton oeuvre comprend des films et des vidéos ainsi qu’un dispositif pour les montrer. Tu travailles de plus en plus avec des objets, des néons, des peintures. Pourquoi cette évolution vers d’autres registres que l’image ?
LG Je ne m’intéresse pas forcément au médium lui-même mais plutôt au vecteur de réalité qu’il me donne. Grâce à une peinture, je peux réussir à produire une sensation de voyage dans le temps. Je conçois aussi des objets comme des images. Par exemple, la série Studies into the past est faite de sorte que l’on pense voir une peinture du XVIe siècle. C’est un travail sur le temps et sa perception. Des phénomènes montrés dans mes vidéos remplacent les phénomènes religieux habituellement représentés dans l’histoire de la peinture. C’est une façon de reconstruire l’histoire et le passé, en créant une fausse mémoire historique, l’important étant de produire un décalage, un vertige temporel face à un objet qui semble venir d’une autre époque — car il est réalisé d’une manière très historique — tout en rappelant un des phénomènes vus dans mes vidéos. Le néon 1610, d’après une constellation dessinée par Galilée, traitait du rapport entre le fait que la lumière des étoiles vient du passé et le temps que le Vatican a mis à reconnaître les recherches de Galilée.

MG La perception communément répandue selon laquelle ce sont les instruments d’observation et de surveillance qui exercent le pouvoir, indépendamment de ceux qui les manipulent, est mise en pratique dans ton oeuvre, dans laquelle il y a très souvent une tension entre la suspicion et la surveillance. Peux-tu en parler ?
LG Peut-être plus que de surveillance, je voudrais faire référence aux dispositifs de contrôle. Je pense aux écrits de Michel Foucault et de Giorgio Agamben. Dans The Silent Movie, on voit aussi qu’une architecture peut avoir un effet sur les consciences. Tout ce qui sert au pouvoir, à des sociétés secrètes, à n’importe quel groupe qui cherche à contrôler nos vies m’intéresse lorsque cela produit une forme et une esthétique — le réseau Echelon (les sphères géodésiques), la base HAARP, que j’ai reproduite au Palais de Tokyo, à Paris, les systèmes de surveillance que j’ai filmés en Espagne. D’autre part, l’observation est liée à la surveillance. Dans l’architecture carcérale pensée par Jeremy Bentham, la tour centrale devait se transformer en chapelle le dimanche, afin de moraliser les criminels. On voit bien comment on glisse de la surveillance à l’architecture et l’effet qu’elle peut exercer, comme l’idée d’un dieu omniscient.

Laurent Grasso, « The Silent Movie », 2010 Film 16 mm sur support Blu-Ray, couleur, son, 23 min 27 sec, en boucle Collection privée Courtesy Galerie chez Valentin, Paris & Sean Kelly Gallery, New York © Laurent Grasso / ADAGP, Paris, 2012

MG De quelle façon The Silent Movie, qui évoque un film policier, résonne-t-il aujourd’hui ?
LG Dans The Silent Movie, je montre les différentes strates temporelles de dispositifs de surveillance, de pouvoir et de mort, implantés sur la côte espagnole depuis le XVIe siècle. Aujourd’hui, certains sont en activité et d’autres abandonnés ou en ruine. D’autres encore ont été reconvertis en lieu de promenades touristiques — comme Berlin et ses bunkers. J’ai rencontré un colonel de l’armée espagnole qui dirigeait une unité de l’armée pendant la guerre civile et aussi durant le franquisme quand ces bases sont devenues actives. Il fait aujourd’hui partie d’une association qui revendique la conservation et la restauration de ces bâtiments. C’est justement cette confluence de plusieurs narrations sur un même endroit, ou sur un même sujet, qui opère un glissement de sens que j’essaie de réarticuler à partir de différents dispositifs.

Laurent Grasso, « The Silent Movie », 2010 Film 16 mm sur support Blu-Ray, couleur, son, 23 min 27 sec, en boucle Collection privée Courtesy Galerie chez Valentin, Paris & Sean Kelly Gallery, New York © Laurent Grasso / ADAGP, Paris, 2012

MG Ton intérêt pour Galilée et le Vatican est semblable, n’est-ce pas ?
LG Le Vatican est toujours très actif sur les questions scientifiques et artistiques. C’est un endroit unique, un vrai système passionnant à étudier, un État religieux avec un réel dispositif symbolique qui produit des formes et une influence dans le monde entier. J’ai filmé l’enterrement de Jean-Paul II et la foule qui attendait parfois jusqu’à vingt-quatre heures pour voir le corps du pape. Ce moment de l’attente est très étrange, presque païen, et la cérémonie était un déploiement de signes et de symboles, un dispositif d’une force incroyable. L’esthétique du pouvoir est l’une de mes préoccupations, c’est-à-dire comment un dispositif produit une influence sur les consciences et consolide le pouvoir. J’ai suivi de près ces dernières années l’intérêt du Vatican pour l’art et j’ai été invité à une rencontre avec des artistes organisée dans la chapelle Sixtine par Benoît XVI, car le Vatican souhaite participer à la biennale de Venise avec son propre pavillon. Actuellement, je suis en discussion avec les autorités pour filmer l’observatoire du Vatican — c’est de là que proviennent les images de pape et de religieux qui observent l’univers à travers d’énormes lunettes astronomiques. Il m’a semblé que cela pouvait constituer un bon point de départ pour plusieurs oeuvres. Il y a une histoire politique du pouvoir et des luttes qui accompagnent ceux qui créent et cherchent de nouvelles représentations du monde, de l’univers, comme Copernic, Kepler, Brahé, Galilée. Et le Vatican s’est confronté, et parfois affronté, à ces scientifiques.

MG Quel rôle occupent les interférences de la foi, des convictions et des croyances, bref, de la pensée magique, dans ton travail ?
LG On peut parler de pensée magique, moi je parlerais plutôt de l’inconscient. Notre regard est formaté par notre environnement. On peut l’appeler magique pour résumer, mais en tout cas cette action existe : quand on voit une oeuvre, cette oeuvre a un effet réel sur le cerveau et sur la vie de celui qui la regarde. Dans mon projet sur les architectures de surveillance à Carthagène, en Espagne, il n’y a rien de magique, mais j’essaie de montrer que dans l’architecture, dans un bâtiment, il y a une forme de pouvoir, une action sur l’inconscient d’un peuple. L’architecture possède une fonction utilitaire, mais aussi symbolique qui influence notre manière de penser. C’est un principe qui a déjà été analysé par Michel Foucault dans Surveiller et punir, mais cela n’est pas réservé aux bâtiments carcéraux. Tous les objets qui nous entourent façonnent notre regard sur le monde. C’est en cela que mon travail compte une part documentaire qui contient des éléments que l’on peut identifier mais qui sont agencés autrement. Et c’est cette part de réel que je tente de reproduire. C’est pour cela que pour faire mes films, les modes de production sont similaires à ceux du cinéma, mais pour un résultat autre. C’est la même chose pour mes projets d’architecture ou pour une peinture primitive flamande.

Laurent Grasso, « On Air », 2009 Film 35 mm sur DVD Pro HD, couelur, son, 17 min 30 sec, en boucle Courtesy Galerie chez Valentin, Paris & Sean Kelly Gallery, New York © Laurent Grasso / ADAGP, Paris, 2012

MG Peux-tu nous parler de la nouvelle pièce que tu veux produire autour de Tycho Brahé, Uraniborg ?
LG On m’a parlé du dispositif de Tycho Brahé, le château-observatoire Uraniborg, sur une île autogérée, un territoire entièrement dédié à l’observation du ciel à une époque où la lunette n’avait pas encore été inventée par Galilée. Il y a un lien très fort entre la spécificité de l’architecture du château Uraniborg et le dispositif que j’essaie d’imaginer pour cette exposition. Dans des pièces semi-enterrées, Tycho Brahé observait de jour en jour le déplacement des étoiles, notamment la nouvelle étoile apparue en 1572 (nova stella). Plusieurs sens se croisent : l’observation du ciel, un dispositif architectural avec des points de vue sur l’univers, un territoire parallèle et autonome, le pouvoir et la recherche de représentations de l’univers. Tycho Brahé a eu une influence sur le monde politique en Europe et s’est vu offrir l’île de Ven par Frédéric II de Danemark, qui l’en a chassé vingt ans plus tard. Il existe une très belle sculpture de lui, le visage tourné vers le ciel, et mon idée a été de filmer ce visage avec un travelling du ciel vers le sol, et ce qui reste de son observatoire.

MG Quelle est la spécificité du dispositif de l’exposition du Jeu de Paume et du Musée d’art contemporain de Montréal ?
LG Il part d’un constat : beaucoup de mes oeuvres entretiennent un rapport avec une réalité autre, parallèle. Un ensemble d’oeuvres étudiant l’histoire de certains dispositifs créent des représentations de la réalité avec différentes approches : locale avec The Silent Movie, symbolique avec Bomarzo, politique avec On Air, astronomique avec Uraniborg, religieuse avec Les Oiseaux. Comme dans d’autres expositions, j’ai voulu créer un dispositif architectural qui génère une tension similaire à ce que j’essaie de produire avec mes films. Il s’agit de matérialiser un dialogue avec une réalité parallèle. J’ai donc conçu deux expositions, avec un envers et un dehors : un couloir vide avec quelques percées, et des passages vers un autre côté plus labyrinthique qui mène vers les salles où sont montrés les films et d’autres oeuvres. Certains d’entre eux peuvent opérer de microdécalages afin de susciter des doutes, de jouer avec les mécanismes de la paranoïa, de l’ambiguïté, de la croyance, de la rationalité, de la fiction ou de la vérité. Créer des représentations en permanence, c’est une manière de s’approprier le réel et, en quelque sorte, de se protéger de lui.

Cet entretien a été publié dans le catalogue de l’exposition « Laurent Grasso : Uraniborg », présentée au Jeu de Paume jusqu’au 23 septembre 2012.

English / Interview, Decembre 13, 2011

 

All observation is a partial way of apprehending reality. The work of Laurent Grasso explores the interstices of this partial observation, that is, the spaces of uncertainty or doubt aroused by any conjecture, whether in the field of science, history, perception or belief, in order to construct parallel realities capable of testing our system of knowledge and our critical capacity. For him, the point is not to test the truth of our suppositions, but to exploit their fractures and tensions, and make them the raw material of his work. Observation, but also control, surveillance, the power or domination of science or belief, as well as the simultaneity or reversibility of time, are among the fields he explores. By extending the relation between the known and the unknown, or contracting the distance between the visible and the unverifiable, Grasso reveals the asymmetry between seeing and being seenMarta Gili

Marta Gili Ten years ago I invited you to present one of your works at the Printemps de Septembre festival in Toulouse, Du soleil dans les yeux. It’s a video projection with a soundtrack consisting of very low frequencies, and in which scientific messages regarding the possibility of controlling the human brain by means of imperceptible waves crawl past against the flickering background of a mountain. It provoked real anxiety among visitors. You managed to trigger almost unconscious reflexes, provoked by the invisible and the fear of the unknown. Other works, such as Soyez les bienvenus and the famous cloud of Projection, have had the same effect. Is putting the viewer on the verge of disturbing psychological and physical experiences something important for you?
Laurent Grasso My work has always been positioned at the limits — of reality, of belief, of science. I have explored many different areas of practical application of study, but always with a view to moving, technically, physically or conceptually, towards a kind of limit. This exists in Du soleil dans les yeux, which has a physical impact thanks to the link between the architectural device presenting the film, the film itself and the film’s content. In this work, the link is strengthened by the messages we read in the film describing the risks to which viewers seem exposed by the infra-bass frequencies played in the room. I try to create micro-situations that contain the power, the force or the brutality of the ones we are faced with in real life.

MG In your installations, you sometimes create an environment causing a loss of bearings, disequilibrium or confusion. To achieve this, you use architectural devices, and electrical, aural, acoustic and light effects.
LG Yes, right from the outset, I try to produce an experience. Because true experiences are rare.

MG Yes, receiving your work is an experience in which viewers have to position themselves on the other side of the mirror, in a parallel world where appearances are deceptive: a world inhabited by rumour, myth, superstition and science fiction.
LG I want to play on the idea of the real by using deception. One of my first projects was an exhibition in Paris in 1999, Escape, featuring a variety of films — notably a project carried out in Morocco on the strategies used in unauthorized emigration — and, on the other side of the projection space, a hidden parallel space where viewers could find where a bar where alcoholic beverages were sold. A 10-metre-long wall had been built in the Galerie du Forum Saint-Eustache and there was a short passage leading to the other side of the exhibition and, at the end of the corridor, this secret bar. This idea of passing through the image, of acceding to a parallel reality, began in this way. Then I created at the Crédac a soundproofed cabin with a window through which you could see my film Radio Ghost. This film is about the relation between the film industry in China and the belief in ghosts that might appear on shoots or on the film. There, too, the question of a parallel world was materialized by an exhibition set-up in which you could go through to the other side of the film and reach another point of view. I try to reconstitute fragments of reality or create objects using means that are similar to the apparatus that I wish to reconstruct — cinema, architecture, a certain period in the history of painting — but by inserting an almost invisible discrepancy, and with several angles of approach to the object presented. I also want to create lots of different positions for seeing and hearing as the viewer moves around, to put in place a certain form of narration, without exhibiting the references or processes. There still has to be a certain kind of . . .

MG Secrecy ?
LG I would say tension more than secrecy. I also look for a certain form of openness, or even freedom, for the viewer. I want them to have access to the creative process, to the concept of a work or exhibition, but not in an immediate way.

Laurent Grasso, « Studies into the past », colle animale, résine mastic, huile cuite et pigments sur panneau de bois 28 x 38 cm (38 x 48 cm encadré) Collection de l’artiste © Laurent Grasso / ADAGP, Paris, 2012

MG Films and videos, together with the apparatus for showing them, feature in a good part of your work. Increasingly, now, you are working with objects, fluorescent lights and paintings. Can you explain this move towards registers other than the image ?
LG I don’t necessarily take an interest in the medium itself but in the vector of reality that it provides. Thanks to painting I can produce a sensation of travelling in time. I also conceive objects as images. For example, the Studies into the past series is made in such a way that you think you’re looking at painting from the sixteenth century. It’s a piece of work about time and its perception. The phenomena present in my videos replace the religious phenomena usually present in the history of painting. It’s a way of reconstructing history and the past by creating a false historical memory, the important thing being to produce a discrepancy, a temporal disorientation when faced with an object that seems to come from another period — because it is made in a very historical way — while recalling one of the phenomena seen in my videos. Inspired by Galileo, the neon 1610 was about the relation between the fact that the light of the stars comes from the past and the time it took for the Vatican to recognize Galileo’s research.

MG The commonly held perception according to which it is the instruments of observation and surveillance that wield power, independently of those who manipulate them, is put into practice in your work, in which there is very often a tension between suspicion and surveillance. Can you say something about that ?
LG More than surveillance devices, perhaps, I mean to refer to the apparatus of control. I’m thinking of the writings of Michel Foucault and Giorgio Agamben. In The Silent Movie, one can also see how architecture can have an effect on consciousness. Everything that serves power, secret societies or any other group that tries to control our lives is of interest to me, providing it produces a form and an aesthetic — the Echelon network (geodesic spheres), the HAARP base, which I reproduced at the Palais de Tokyo in Paris, the surveillance systems that I filmed in Spain. Also, observation is linked to surveillance. In the prison architecture conceived by Jeremy Bentham, the central tower was to be transformed into a chapel on Sunday for the moral edification of the criminals. You can see how we slip from surveillance to architecture and the effect that it can have, like the idea of an omniscient god.

Laurent Grasso, « The Silent Movie », 2010 Film 16 mm sur support Blu-Ray, couleur, son, 23 min 27 sec, en boucle Collection privée Courtesy Galerie chez Valentin, Paris & Sean Kelly Gallery, New York © Laurent Grasso / ADAGP, Paris, 2012

MG What resonance does The Silent Movie, which evokes a thriller, have today?
LG In The Silent Movie, I show the various temporal strata of apparatus for surveillance, power and death situated on the Spanish coast since the sixteenth century. Today, some of them are still active and some lie abandoned and in ruins. Yet others have been converted into tourist attractions — like Berlin and its bunkers. I met a colonel in the Spanish army who led an army unit during the civil war, and also during the Franco period, when these bases became active. He now belongs to an association campaigning for the conservation and restoration of these buildings. It is precisely this confluence of several narratives in the same place, or on the same subject, which effects a shift in meaning that I try to articulate by means of different devices.

Laurent Grasso, « The Silent Movie », 2010 Film 16 mm sur support Blu-Ray, couleur, son, 23 min 27 sec, en boucle Collection privée Courtesy Galerie chez Valentin, Paris & Sean Kelly Gallery, New York © Laurent Grasso / ADAGP, Paris, 2012

MG Your interest in Galileo and the Vatican is similar, isn’t it?
LG The Vatican is still very active on scientific and artistic questions. It’s a unique place, a real system that’s fascinating to study, a religious state with a real symbolic apparatus that produces forms and influence around the world. I filmed the burial of John Paul II and the crowds waiting in some cases as much as twenty-four hours to see the pope’s body. This moment of waiting is very strange, almost pagan, and the ceremony was a deployment of signs and symbols, an incredibly powerful apparatus. The aesthetic of power is one of the concerns in my work, by which I mean how does an apparatus produce influence on consciousnesses and consolidate power. In recent years I closely followed the Vatican’s interest in art, and I was invited to a meeting with artists organized in the Sistine Chapel by Benedict XVI, because the Vatican wants to take part in the Venice Biennale with its own pavilion. At the moment I’m in talks with the authorities about filming the Vatican observatory — that’s where the images of popes and monks observing the universe through huge astronomical telescopes come from. It occurred to me that this might make a good starting point for several works. There is a political history of power and of the struggles that accompany those who create and seek out new representations of the world and the universe, like Copernicus, Kepler, Brahe and Galileo. And the Vatican confronted and sometimes fought these scientists.

MG What role does the overlapping of faith, convictions and belief — in a word, magical thinking — have in your work?
LG Well, you could call it magical thinking, but personally I’d rather talk about the unconscious. Our vision is formatted by our environment. You could call it magical to sum it up, but in any case this action exists: when you see an artwork, it has a real effect on the brain and on the life of the person looking at it. In my project on the surveillance structures in Cartagena, Spain, there is nothing magical, but I do try to show that in architecture, in a building, there is a form of power, an action on a people’s unconscious. Architecture has a utilitarian function, but also a symbolic one that influences the way we think. It’s a principle that has already been analyzed by Michel Foucault in Discipline and Punish, but it’s not limited to prison buildings. All the objects around us shape the way we look at the world. It is in this sense that my work has a documentary aspect which contains elements that we can identify but that are configured differently. That’s the part of the real that my work tries to reproduce. That’s why, when I make my films, the means of production are similar to those of cinema but the result is different. It’s the same with my architecture projects or for a Flemish primitive painting.

Laurent Grasso, « Uraniborg », 2012 Film 16mm sur support Blu-Ray, couleur, son, 15 min 48 sec. Courtesy Galerie chez Valentin, Paris, Sean Kelly Gallery, New York & Edouard Malingue Gallery, Hong Kong © Laurent Grasso / ADAGP, Paris, 2012

MG Can you tell us about the new piece that you plan to make about Tycho Brahe, Uraniborg?
LG Someone told me about Tycho Brahe’s apparatus, the castle-observatory at Uraniborg, on a self-managed island, at a time before Galileo invented the telescope. There is a very strong link between the specificity of the architecture of the castle at Uraniborg and the device that I have tried to devise for the exhibition. Every day, in his half-buried rooms, Tycho Brahe observed the movements of the stars, notably a new star that appeared in 1572 (nova stella). Several directions come together here: observation of the sky, an architectural device with views of the universe, a parallel, autonomous territory, power and the search for representations of the universe. Brahe had an influence on European politics and was offered the island of Ven by Frederick II of Denmark, who had expelled him from it twenty years earlier. There is a very fine sculpture of Brahe, looking up at the sky, and I had the idea of filming this face in a travelling shot going from the sky towards the ground, and what remains of his observatory.

MG What is the specificity of the exhibition set-up at the Jeu de Paume and at the Musée d’art contemporain de Montréal?
LG It begins with the realization that many of my works relate to another, parallel reality. There is a group of works that study the history of certain devices, which create representations of reality using a variety of approaches — local in The Silent Movie, symbolic in Bomarzo, political with On Air, astronomical with Uraniborg, religious with Les Oiseaux. As in other exhibitions, I wanted to create an architectural set-up that would generate the same kind of tension as I try to produce with my films. The aim is to materialize a dialogue with a parallel reality. I therefore conceived two exhibitions, with an inside and an outside: an empty corridor with a few openings, and passages towards another, more labyrinthine side leading towards rooms where films and other works are shown. Some of them can create micro-discrepancies in order to stir doubts, to play with the mechanisms of paranoia, ambiguity, belief, rationality, fiction and truth. To keep creating representations is a way of appropriating the real and, in a way, protecting oneself from it.
This interview was first published in the catalogue of the exhibition « Laurent Grasso : Uraniborg », at Jeu de Paume until Septembre 23rd.

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