2. Chanter la douleur
La douleur peut se muer en une sorte de chant. Un fausset ou falsetto, en italien, est une forme de contraction des cordes vocales produite par une voix clairement masculine. Une fois de plus, c’est le son, en l’occurrence un chant, qui guide les images de Pablo Lobato. Ces hommes transforment leurs voix en les rendant plus aiguës, les infléchissent, et simulent ainsi une douleur vraiment ressentie, rappelant la définition que Fernando Pessoa donne du poète : un simulateur. Douleur inévitable pour tout un chacun comme pour la communauté. La douleur n’est jamais seulement personnelle, elle vient de loin. Ce qui signifie également que la douleur de celui qui chante en groupe est aussi celle de celui qui écoute.
Dans la deuxième vidéo présentée ici, inspirée d’une tradition du XVIIIe siècle, Pablo Lobato explore la Folia de Reis (« Fête des Rois »), en suivant sept compagnies d’une petite ville du Minas Gerais, Bom Despacho. Afin de composer le deuxième pli, c’est-à dire le son du travail de Pablo Lobato, une voix adopte ce ton éloigné, mais néanmoins communicatif, dans un cri qui veut se faire entendre. Folia (vidéo qui fait partie de l’installation éponyme et inédite, 2013) en portugais, est un mot ambigu qui associe la folie et la fête. Les cris chantés, les aïe aïe aïe, en font une fête mélancolique. Ay est une lamentation, une expression d’origine funèbre par laquelle on pleure la perte de l’autre, et qui donne à entendre une blessure profonde comme l’a observé Georges Didi-Huberman. Ces lamentations chantées sont le fil conducteur du montage de Pablo Lobato. Il déplace sa caméra suivant des mouvements minimaux, des gestes pour ainsi dire contenus, qui imitent le timbre de ces voix disparaissant dans la nuit obscure.
E.J.