3. Couper la corde
Dès le XVIIIe siècle, les Jésuites introduisirent dans le nord du Brésil une procession en l’honneur de Notre Dame de Nazareth. Ce cortège, connu sous le nom de Círio de Nazaré (« Cierge de Nazareth »), réunit plus de deux millions de personnes dans la ville de Belém. La corde fut introduite en 1868 afin de repêcher l’image de la vierge immergée dans l’eau. Elle devint peu à peu l’espace autour duquel s’échangent promesses et grâces obtenues. Il s’agit d’une ligne de traction de 800 mètres environ. Corda (Pablo Lobato, 2014, vidéo, 6′47″) revisite la signification matérielle de l’objet dans cette tradition. Les corps mouillés forment une masse dont le mouvement suit une ligne, à la manière d’un serpent. La vidéo, de par son montage, respecte le rythme traditionnel, de nouveau à la limite du documentaire. Ainsi, les images se succèdent en un flux continu jusqu’au plan final. La vidéo reproduit ce chaos, à l’exception du cadre, qui reste focalisé sur les têtes, les pieds et les mains des fidèles. À force d’observer ces extrémités du corps montées suivant une structure circulaire, le regard finit par se perdre dans la foule, nous faisant également perdre de vue le contexte de la longue procession. Nous nous concentrons alors sur la relation à l’objet corde, et nous participons à sa coupe. L’acte de couper la corde dans la procession du Círio de Nazaré, dont le parcours s’étend sur trois kilomètres, est une façon de remercier pour une grâce rendue, ou encore d’en demander une, en participant d’une économie religieuse qui met l’accent sur un acte de sacrifice. Ce remerciement collectif et festif donne lieu à la formation d’un corps unique autour de la corde. Parfois, cependant, le collectif se disperse. Une fois la corde coupée, la masse se désagrège, jusqu’à ce que la corde soit reconstituée par un nœud, et que la ligne soit ainsi rétablie. Le geste de couper la corde équivaut à en enlever une petite partie, qui sert de relique, d’amulette, d’objet protecteur. Ce geste finit par recouvrir un caractère déterminant dans le montage. C’est aussi une façon d’ouvrir ce corps unique et extatique.
E.J.