Textures de l’animalité

Rodrigo Braga, Comunhao / Communion, 2006. Photographie ©Rodrigo Braga

Nous pouvons lire l’animalité au travers de ses textures, de ses détournements. Maurice Merleau-Ponty, dans ses cours sur le concept de Nature, écrivit dans l’une de ses notes que la vie ne poursuit pas obligatoirement ce qu’elle a commencé. Ce risque d’inaccomplissement d’un projet est appelé accident. Ces failles d’origine naturelle ou biologique étaient habituellement identifiées dans le champ de la culture, c’est à dire dans le cadre d’une vie intellectuelle dotée en elle-même d’une forte cohérence. De sorte qu’à la nature revenait une place extérieure et que tout compte fait, l’humanité la dominerait grâce au progrès technologique. Penser l’animalité à partir de ses tissus permet de reconsidérer cette séparation comme une façon de plus d’entretenir l’illusion que nous sommes à l’abri sous notre épithète d’humain.

Rodrigo Braga, Tônus (2012), vidéo, 10 min. ©Rodrigo Braga

L’artiste Rodrigo Braga (Manaus, 1976) explore la plasticité animale à partir d’un type de rapport à l’environnement. Depuis Communion I (2006), il met en scène la réconciliation avec le monde naturel à travers des images où l’animalité côtoie la performance lorsque l’artiste apparaît sur la photo, presque entièrement recouvert de terre, avec un bouc mort. Cette performance serait en réalité une façon de donner plus de tonus à l’animalité – dans sa dimension physiologique –, comme dans l’œuvre qu’il a présentée à la dernière Biennale de Sao Paulo en 2012, composée d’une installation vidéo et de cinq photographies. Ce tonus est montré à travers les corps d’animaux qui résistent les uns aux autres, incluant celui de l’artiste. Sur l’une des images de Braga, sa main est attachée à un crabe, sur une autre, un poisson est posé sur son corps flottant dans une barque. Différentes mises en scène de cette tension montrent un corps attaché aux arbres ou encore ligoté à un bouc. Il y a dans l’œuvre de Rodrigo Braga une circulation d’énergies dont ressort une passion animale : c’est ce sur quoi repose l’expérience de l’artiste.

Sur l’une des images de l’ensemble présenté à la Biennale, il montre un être composite qui nous fait penser à l’histoire naturelle comme forme d’organisation des savoirs. Il s’agit du néologisme qu’emploie l’artiste : “biólito”. Digne de l’une de ces histoires extraordinaires conservées dans un cabinet de curiosités, l’objet est dans son habitat, comme si l’artiste se servait de l’héritage ethnographique de voyageurs et d’explorateurs pour faire travailler son imagination. En appréhendant l’animalité à travers ses textures, Rodrigo Braga touche à une notion d’environnement ou Umwelt, un milieu sensoriel qui permet à ses images de saisir une communauté. En disposant la matière dans des vases communiquant, les images accueillent toute une gamme de la vie végétale et minérale, ce qui explique que son travail puisse éventuellement être perçu comme un retour en arrière, prenant la nature comme motif de représentation, comme le suggère le titre de son exposition individuelle à Sao Paulo (de septembre à novembre) : « Agriculture de l’image ». Agriculture, ce mot d’origine latine désigne la culture du sol et l’ensemble des moyens par lesquels une production végétale est transformée en un environnement naturel. Il évoque une façon de contourner l’image dans ce qu’elle a de plus technique.

 Rodrigo Braga, Biolito I, photographie, 2010 ©Rodrigo Braga

Mais ne nous y trompons pas, la technique est aussi présente dans l’environnement plastiquement modifié par l’intervention de l’artiste lui-même, qui amplifie ainsi cette dimension nous permettant d’explorer quelque chose situé aux confins du monde : un enchantement vis-à-vis de l’inconnu et la possible existence de bruits sont matière à certaines légendes. Grâce à cette façon de cultiver l’image, nous avons quelque chose à raconter, tels ces rares privilégiés qui, ayant assisté à un événement, fondent, à partir d’un événement plastique et grâce à la valeur testimoniale de la parole, un ailleurs.

E.J.

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