FEUILLE (DE ROUTE) une feuille, quelques routes

Eduardo Jorge (à gauche) & Pedro Araya. Photo Adrien Chevrot © Jeu de Paume 2014

Ceci est une invitation, la nôtre, à vous, lecteurs ; elle vient en réponse à l’invitation faite par le Jeu de Paume de nous héberger pour quelques mois. Ceci est une invitation qui se veut aussi une feuille, une feuille de route, de quelques routes.

Nous sommes des invités étrangers dans une maison qui n’est pas la nôtre. Qu’est-ce qu’un invité étranger ? Ce motif vient de Goethe ainsi que d’une conversation avec la philosophe portugaise Maria Filomena Molder. Le statut d’étranger est quelque chose qui viendrait de la maison elle-même.

Nous sommes des étrangers, nous sommes des invités. Voilà la situation de départ ; situation que nous avons voulu mettre littéralement en lumière – notre situation mais aussi celle de quelques images, celles que nous avons rencontrées, trouvées. Probablement, ces images ont aussi un petit accent et un chez-soi, inclus en elles. Elles sollicitent le séjour de nos regards, elles sont une expérience qui prend pied dans une oscillation, un rythme. Ce qu’on y trouve ? Peut-être une cartographie, voire une chorégraphie faite de quelques gestes à la fois poétiques et politiques. La chorégraphie d’un chiffonnier.

Des images donc, qui sont telles des invitées, des étrangères. D’un point de vue sémantique, l’insertion graphique de la virgule scande l’autonomie de chaque mot dans une opération de montage. Une opération de montage d’où émergent de nouvelles affinités entre les images : des photolalies. Invitées, étrangères. Étrangères parce qu’invitées. Dans chaque image, il y en a plusieurs. Et elles, en nous invitant, font également appel à notre condition d’étranger, de passant. Invitation multiple donc pour faire des pauses, mettre quelques virgules dans le temps des images ; soit pour laisser quelques traces, soit pour contribuer à leur migration.

« Ceci n’est pas une image. Ceci est une image. » Deux extrémités d’un fil invisible ; deux phrases qui encadrent un dégradé des gris possibles. L’image sera donc notre point de départ. Là où une fragilité s’expose, là où une fragilité est à exposer. En cherchant des mots. En quête des mots pour dire, et à la recherche de la syntaxe juste pour trouver d’autres images. Toujours situées : étrangères qui se font inviter.

Cette prémisse nous invite à revendiquer le parti pris des choses situées, d’un regard qui situe les choses dans leurs circonstances. Nous vivons parmi des images, nous vivons avec elles, nous les fabriquons, nous les décrivons. Elles constituent l’une de nos manières de participer à la contingence du monde. Tantôt désargentées tantôt luxueuses, ces images migrent sans papiers, et avec. Il fallait les inviter et accepter leur propre invitation. Elles demandent des mots : matière du regard. Des mots qui ne sont pas prévus, qui ne sont pas toujours prévisibles.

Les images savent nous séduire : sous la forme de mots ou en tant qu’apparition, parcourant en funambule le fil invisible de cette invitation, de cette feuille à dérouler. Elles adoptent des ruses diverses pour se faire inviter et faire survenir leur présence, leur matérialité et leur singularité devant nos regards. Pour nous montrer qu’elles y sont pour quelque chose. Il ne s’agit pas seulement d’expliquer ces images, mais surtout d’interroger en quoi elles nous impliquent. Nulle intention d’objectivité ; nul appel à la formulation d’une théorie générale ; une fiction critique, plutôt. Non seulement porter un regard sur, mais d’abord regarder avec ces images.

Ceci est une invitation. Ceci n’est pas une invitation.

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