Une « fille de service » (2)

Allan Sekula, Edit 9, 2008, Oiko nomos-Koreatown - UIUI 05. Copyright Allan Sekula.

La désignation de Christine Lagarde comme directrice générale du FMI, fait fureur dans le monde entier. Au sein de ce blog, cela nous amène –  étrangement – à conclure qu’une fille a effectivement rendu service à une autre…

Dans son essai « Polonia and Other Fables », Allan Sekula écrit : « Oiko nomos : la femme de ménage polonaise à la côte d’or […] Ce que Thomas Struth ne nous montre pas à propos de la famille du collectionneur : quelqu’un doit gérer toutes ses affaires — oiko nomos. » [1] « Oiko nomos-Koreatown » est également le titre d’une photographie d’Allan Sekula, de la séquence « Edit Nine » (2008), exposée sur un panneau d’affichage géant dans les jardins de la Huntington Library, l’ancienne demeure d’un grand patron du rail en Californie, où elle est soumise à toutes les intempéries. Elle montre la femme de l’artiste, l’historienne d’art Sally Stein, debout sous le porche de leur maison, habillée comme si elle venait de faire le ménage (c’est le sens littéral de oiko nomos). Le grand format de l’image et le thème de la femme capturée dans son environnement, évoquent inévitablement les « Family Portraits » de Struth. Mais tandis que les images de Struth sont neutres et soigneusement composées, l’œuvre de Sekula est humoristique et provocatrice. La tenue de cette ménagère ne pouvait pas former un plus grand contraste avec les dames habillées et parées avec soin des photographies de Struth.

Une caractéristique constante dans l’iconographie féminine de Sekula semble être sa préférence pour la présentation de la femme au moment où le travail est (presque) terminé, le moment où les masques et les lunettes peuvent être enlevés (mais où le maquillage du soir n’apparaît pas encore sur son visage). Il veut saisir la beauté des femmes dans la fatigue, comme s’il s’inclinait devant leur pouvoir de séduction au travail. L’artiste exprime un désir masculin anticonformiste en faveur de la femme active et attirante, bien loin des clichés de charme réduisant le corps féminin à un simple objet de désir.

En regardant cette image, on pense à « La Liberté guidant le peuple » (1830) d’Eugène Delacroix. La posture de l’historienne de l’art Sally Stein, femme de l’artiste, dans « Oiko-nomos Koreatown », est comparable à celle de la personnification de la Liberté par Delacroix. Elle révèle le désir de célébrer une femme prête à proclamer la révolution.


[1] Allan Sekula, Polonia and Other Fables (Chicago, The Renaissance Society et Varsovie, Zachęta galerie nationale, 2009), p. 69.

Pour lire plus au sujet de la représentation de la femme dans le travail d’Allan Sekula, voir mon texte: ‘Allan Sekula: lire l’artiste dans l’œuvre’, in J. Baetens et A. Streitberger, Autobiographies mixtes, à paraître chez Minard (2011).

 

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