La société capsulaire

Herman Asselberghs, Still de « Capsular », 2006. © Herman Asselberghs

Le 26 mai 2011, la Chambre du Parlement belge a adopté une proposition de loi renforçant les règles en matière de regroupement familial. Eva Brems, qui siège au parlement pour le parti écologiste flamand (Groen!), a non seulement voté contre cette proposition, mais – le lendemain du vote, elle a également publié un article d’opinion dans le journal belge néerlandophone De Standaard. Son texte est publié en français ci-dessous. Dans cet article, le texte de Eva Brems entre en dialogue avec un fragment de l’essai cinématographique que Herman Asselberghs a réalisé en 2006 sous le titre de Capsular.

 

Eva Brems est convaincue que la Cour constitutionnelle belge ainsi que la Cour européenne de justice vont réduire cette loi à néant, car elle va à l’encontre du droit européen et elle est une attaque contre des droits humains fondamentaux.

Voici son texte:

Le parlement belge méconnaît les droits de l’homme et la justice européenne.

Hier la chambre a approuvé une proposition de loi qui modifie la réglementation concernant la réunion des familles. Sur instance de la N-VA et Open VLD, la CD&V, Sp.a et MR ont approuvé une proposition qui va à l’encontre de la législation européenne et qui est une attaque directe des droits de l’homme fondamentaux. Moi qui suis profondément convaincue que les droits de l’homme sont la base essentielle de notre démocratie, j’ai ressenti cette décision comme une douche froide. Une fois de plus !

Lorsqu’il s’agit de situations hors de nos frontières tous les partis sont à l’unisson pour exiger le respect des droits de l’homme. Mais s’il s’agit de la politique intérieure, ils changent leur fusil d’épaule. Tout à coup les droits de l’homme deviennent pour beaucoup de députés un obstacle difficile à traverser mais qu’ils sont – souvent à contrecœur et de préférence le moins possible – obligés de franchir. Surtout lorsqu’ il ne s’agit pas de leurs droits de l’homme, mais de ceux des autres. Les dossiers traitant des problèmes de la migration en sont des exemples très évidents.

En principe la Belgique a fermé ses portes pour la migration. Mais puisque, tout comme les autres pays européens, nous sommes un état démocratique qui veut et doit respecter les droits de l’homme, nous ne pouvons à certains moments pas faire autrement que de laisser entrer des hommes dans notre pays. L’article du droit de l’homme concernant la vie familiale stipule que les partenaires doivent pouvoir vivre dans le même pays et que les enfants doivent pouvoir grandir auprès de leurs parents. Pour cette raison l’Europe – dont on peu difficilement dire qu’elle est indulgente quand il s’agit de migration – suit des directives très strictes pour favoriser le regroupement des familles.

C’est bien le contraire de ce que les pétitionnaires de la loi approuvée hier ont comme but. Ils veulent limiter la réunion des familles. Ce qui est tout à fait légitime à condition de respecter les directives préconisées par les droits de l’homme et par l’Europe.

Et c’est là ou le bât blesse. Sur différents points cruciaux cette nouvelle loi est en conflit de façon absolument flagrante avec les instructions européennes qui sont appliquées par la Cour de justice de la communauté européenne à Luxembourg ainsi qu’avec le droit à la vie familiale sauvegardé par la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. L’exigence que les demandeurs doivent démontrer qu’ils ont accès à 120 % du revenu d’intégration sociale avant d’avoir droit au regroupement familial n’est pas seulement immorale – et discriminatoire vis-à-vis de ceux qui ont moins d’argent – mais également juridiquement inadmissible. Ceci n’est pas uniquement l’avis des juristes en matière des droits de l’homme, mais également du Conseil d’état, de la Cour de justice de la communauté européenne et de l’Ordre des Barreaux flamands. Dans la commission Groen ! – le parti écologique flamand – a exprimé son soutien pour que la condition concernant les revenus soit égale au revenu d’intégration sociale. Bien que juridiquement défendable, cette suggestion n’a pas été retenue. Le principe qui rend le regroupement familial plus difficile pour les nouveaux belges (par exemple les belges turcs et marocains) que pour les autres civils de l’union européenne est également inconciliable avec les principes des droits de l’homme et de la justice européenne. Il est tout à fait en opposition avec l’objectif de citoyenneté que l’Europe veut réaliser.

Il est absolument certain que la Cour constitutionnelle et la Cour de justice de la communauté européenne réduiront cette loi en bouillie et que heureusement de ce fait elle ne pourra pas faire grand tort.

Mais quelle mouche a piqué mes collègues pour dédaigner consciemment la justice européenne et de faire fi du droit de l’homme fondamental qui unit et garde unis les familles et leurs proches ? La N-VA qui aime s’inspirer du cabinet néerlandais – qui lui bénéficie d’un soutien sans participation du parti de Wilders – est parti vaillamment en ‘voyage scolaire’ vers le Nord pour y glaner des idées. La législation néerlandaise étant pourtant la championne des condamnations par la Cour européenne de justice. L’Europe sera-t-elle après la Belgique l’ennemie suivante de la Flandre de Bart De Wever ?

L’attitude du CD&V, Open VLD et Sp.a est encore plus étonnante. En 2004 tout ces partis ont donné leur accord au parlement européen pour les directives du regroupement familial. Est-ce que cette nouvelle loi qu’ils viennent de voter n’est donc rien d’autre qu’un moyen douteux pour manipuler d’une façon facile l’esprit des électeurs flamands dans l’éventualité de nouvelles élections qui se pointeraient à l’horizon? Dans cette période de crise politique certains essayent de présenter cette loi comme un succès. Selon moi ceci prouve bien au contraire très clairement l’impuissance du parlement. Une impuissance – ou mauvaise volonté manifeste – de surpasser le populisme ainsi que l’impulsion ordinaire de se profiler et de se moquer délibérément des piliers fondamentaux qui sont la base de la démocratie belge et européenne.

L’Europe n’est pas un self-service. Les droits de l’homme ne sont pas une option. Il s’agit de cadres impératifs que la Belgique a souscrit, poussée par un engagement politique sincère. Je souhaite à ce parlement qu’il retrouve cet engagement.

 

Herman Asselberghs, still de « Capsular », 2006. © Herman Asselberghs

 

Dans Capsular, Herman Asselberghs nous offre une réflection profonde sur la forteresse que l’Europe est devenue. Le film alterne des images d’un voyage de l’artiste à Ceuta, enclave espagnole sur la côte marocaine – via le détroit de Gibraltar – avec des images de Bruxelles et ses environs.

 

 

 

Eva Brems (°1969) est juriste (candidature, FUNDP Namur 1989, licence KU Leuven 1992, LL.M. Harvard Law School 1995, doctorat KU Leuven 1999), spécialisée en droits humains. Elle est professeur à l’université de Gand, située dans la région flamande de la Belgique. Elle y enseigne les cours « Droit international des droits humains », « Droit et genre » et « L’Islam et le droit ». Ses recherches et ses publications couvrent de nombreux domaines du droit belge, européen, international et comparé des droits humains. En particulier, elle a une ligne de recherche focalisée sur le raisonnemen de la Cour européenne des droits de l’homme, et une autre sur les droits humains en contextes de pluralisme juridique. Elle a été membre du conseil de la Ligue flamande des droits de l’homme et d’Avocats sans Frontières, et présidente de l’ association flamande pour l’éducation des droits humains (‘Vormen’) ainsi que de la section flamande d’ Amnesty Inernational (2006-2010). Depuis juillet 2010 elle siège au parlement fédéral belge pour le parti écologiste flamand (Groen!).

Pour en savoir plus sur les activités politiques d’Eva Brems, voir:

Eva Brems

Pour en savoir plus sur les activités académiques de Eva Brems, voir son Projet ERC et le blog (Strasbourg Observers) lié à ce projet.

Centre de droits humains

Herman Asselberghs (°1962) est un artiste belge dont le travail focalise sur la mise en question de zones frontalières entre son et image, monde et média, poésie et politique. Ses installations et vidéos ont été montrées au Centre Pompidou, Paris; documenta X, Kassel; Deitch Projects, New York; CGAC, Santiago de Compostela; hartware, Dortmund; Witte de With, Rotterdam; Netwerk, Aalst; M HKA, Anvers; Van Abbemuseum, Eindhoven; International Film Festival Rotterdam; Internationale Filmfestspiele Berlin; FID Marseille; EMAF Osnabrück; Medien- und Architectur Biennale Graz; Rencontres Internationales Paris/Berlin/Madrid. En 2007, il a gagné le Transmediale Award à Berlin. Herman Asselberghs, qui a également publié de manière extensive sur la culture visuelle et sur le cinéma, enseigne au département de film del’École Supérieure des Arts de Saint-Luc (Sint-Lukas) à Bruxelles. Il vit et travaille à Bruxelles.

Pour en savoir plus sur le travail de Herman Asselberghs, voir:

Auguste Orts

Pour plus de renseignements sur Capsular, voir:

Capsular

 

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