« Hollywood, en somme la ville pour nous faire sangloter ou rire aux larmes, la marchande de coups de revolvers, d’empoisonnements et de pillage de banque et, en général, de tout ce qui fait circuler le sang. Hollywood est aussi le dernier boudoir où la philosophie (devenue masochiste) pourrait trouver les déchirements auxquels, enfin, elle aspire: en vertu d’une immanquable illusion il ne semble pas, en effet, qu’on puisse encore rencontrer ailleurs des femmes assez dénaturés pour paraître impossibles d’une façon aussi criante. C’est que toute la terre leur jette chaque jour l’argent pour qu’elles ne lui fassent pas faute, ainsi qu’autrefois cela se faisait aux statues des divinités ou des saintes: triste moyen de placer ce qui sauve le cœur dans un mirage clinquant. »
Georges Bataille, « Lieux de pèlerinage : Hollywood ». Documents, 1992, p. 194.
Le thème du grand hold-up occupe fréquemment le grand écran. L’industrie du cinéma s’en prit avec romantisme aux grandes institutions de la finance. De jolis visages parfois masqués surgissaient l’arme au poing au cri de « mains en l’air ». Une fois l’argent volé, la police arrive immédiatement et la cavale peut commencer. C’est ainsi que des générations de spectateurs ont été prises d’assaut par le cinéma.
En 1959, Robert Bresson choisit comme antihéros la figure du pickpocket, titre de son film de la même année. Nous suivons alors les techniques discrètes de cet homme, souvent attentif aux personnes étourdies et distraites dans les lieux publics. Le personnage garde la porte de sa chambre toujours ouverte et observe sa routine d’allers et venues, tandis qu’il commet ses petits larcins. Ces petits vols dans une grande ville comme Paris sont pratiquement à l’opposé du genre des grands braquages épiques, alors que la caméra participe discrètement au flux des vols et des étourderies.
L’étourderie peut en outre être une stratégie visuelle. Elle est d’ailleurs partie intégrante du geste consistant à faire du photogramme une image autonome, une sorte de « mythogramme » du cinéma. C’est l’un des mécanismes qu’utilise Solon Ribeiro (Crato-Ceará, Brésil, 1960). Dans les années 1990, l’artiste hérita de plus de 35 000 photogrammes appartenant à son grand-père, ancien propriétaire d’un cinéma dans la province du Ceará au Nord est du Brésil. Le geste de son grand-père dans les années soixante-dix fait penser au pickpocket de Bresson. Solon remonte à son tour ces images de manière fictionnelle et autobiographique, montrant un alter ego dans cette vidéo montée à partir des photogrammes de plusieurs films hollywoodiens des années 1920. Ainsi, son film, Perdeu a memória e matou o cinema (Il perdit la mémoire et tua le cinéma), emprunte son titre, de façon parodique, à l’un des auteurs du cinéma marginal brésilien Júlio Bressane : Matou a familia e foi ao cinema (Il tua sa famille et alla au cinéma) de 1969.
Les montages de Solon Ribeiro sont structurels – le cinéma habite l’espace de l’installation à travers la photographie et des sémantiques – le titre et la structure de l’histoire du film cèdent le pas à la parodie du cinéma lui-même, tandis que Sage, son alter ego, part sur sa motocyclette à la recherche de la mémoire, perdu parmi les images des belles actrices d’Hollywood, ce véritable lieu de pèlerinage, comme le dit Georges Bataille. Pour Solon Ribeiro, cette recherche de la mémoire perdue implique un montage structurel et sémantique dans l’appropriation des photogrammes.
Les photogrammes de Solon Ribeiro, qui restent emplis d’un passé lointain et de ses lieux d’errance, sont l’un des vols les plus réussis de l’histoire du cinéma.
E.J.