Henri Leys ou le passé repensé

Henri Leys, "Adriaen van Haemstede prêchant de manière clandestine la réforme à Anvers vers 1552", 1858. Huile sur panneau, 100 x 175 cm. Collection privée. Photo: Hôtel de ventes Bernaerts - Anvers. UIUI 02.

Bien que notre point de vue sur l’art du dix-neuvième siècle ait profondément changé au cours des dernières décennies, l’orientation historique d’une grande partie de la peinture de cette période est souvent considérée comme problématique : cette peinture peut être intéressante pour différentes raisons, mais en général seulement dans la mesure où elle se distancie du passé et de sa tradition artistique, et accède ainsi à la modernité.

 

La question se pose pourtant : cette approche réductrice du passé peut-elle être maintenue, alors qu’il joue un rôle si important dans l’oeuvre de nombreux artistes contemporains ? Les recherches sur le peintre belge Henri Leys (1815-1869) de Jan Dirk Baetens, doctorant au Fonds de la Recherche Scientifique Flandre (FWO) et chercheur affilié au Lieven Gevaert Centre (Louvain), partent justement du postulat opposé. Dans sa thèse de doctorat, qu’il défendra le 31 mai 2011, il est soutenu que précisément, la relation des artistes du dix-neuvième siècle avec le passé et sa tradition artistique a pu créer des possibilités artistiques et générer des significations complexes autrement impossibles.

L’envol de la réputation internationale de Henri Leys se concrétise lorsqu’il décroche une des grandes Médailles d’honneur à l’Exposition Universelle de 1855 à Paris, aux côtés de peintres comme Ingres et Delacroix. Il est alors acclamé par les grands critiques d’art français, comme Théophile Gautier, Maxime du Camp et, un peu plus tard, Théophile Thoré.

Un bon exemple de la relation complexe de son œuvre avec l’art du passé peut être trouvé dans Adrien Van Haemstede, prêchant clandestinement la réforme, à Anvers, vers 1552, de 1858. Le tableau montre un prêcheur protestant et la foule de ses disciples à Anvers, au seizième siècle. La scène se réfère clairement à des œuvres plus anciennes, comme le tableau de Bruegel l’Ancien, La Prédication de saint Jean-Baptiste. La force de la peinture de Leys réside, comme le démontre Jan Dirk Baetens, dans le double jeu de mascarade et démasquage qu’elle établit avec ce tableau ancien. On sait que la scène de Bruegel est en fait une scène contemporaine, qui représente un prêche en plein air au seizième siècle sous un déguisement biblique. L’œuvre de Leys démasque cette scène en faisant réapparaître saint Jean-Baptiste et son public du Nouveau Testament comme un prêcheur protestant et ses coreligionnaires.

Derrière ce démasquage se cache toutefois une nouvelle mascarade. Les réformateurs de Leys du seizième siècle sont en réalité des libéraux du dix-neuvième siècle, qui, dans la Belgique des années 1850, livraient un combat acharné contre les catholiques pour une séparation totale de l’Église et de l’État. La référence implicite à Bruegel fonctionne ainsi à différents niveaux. En premier lieu, le caractère stratifié de l’image peut ainsi être mis en évidence. En deuxième lieu, une continuité entre la signification politique actuelle de la peinture et le passé du seizième siècle est suggérée. Cette continuité est également accentuée du point de vue du style: la peinture de Leys s’inscrit clairement dans la tradition artistique autochtone et nationale de Bruegel et de ses contemporains. Enfin, même la Bible en tant que telle est invoquée, par l’intermédiaire de la peinture de Bruegel, pour soutenir l’anticléricalisme politique qui transparaît dans le tableau de Leys: les vrais successeurs de l’Eglise (paléo-)chrétienne sont les réformateurs libéraux qui prêchent la liberté de conscience et non pas les papistes qui abusent de la religion pour des raisons politiques.

En savoir plus:

– Thèse de doctorat de Jan Dirk Baetens (sous la direction de Hilde Van Gelder): Henri Leys, of het verleden herdacht. Resurrectionisme als schepping en herschepping, 2 vol. Défense publique à l’université catholique de Louvain (KULeuven) le 31 mai 2011 à 13.30h, Salle des promotions, Rue de Namur 22, 3000 Louvain.

– Jan Dirk Baetens, ‘Form, Reform and Reformation: The Politics of Pre-Rubenism’, essai dans un volume rédigé en cours d’impression.

 

Liens:

Résumé du projet doctoral de Jan Dirk Baetens

Bibliographie de Jan Dirk Baetens

 

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