Entretien – le magazine http://lemagazine.jeudepaume.org Wed, 27 Jan 2021 14:59:02 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.6.4 http://lemagazine.jeudepaume.org/wp-content/uploads/2015/12/logo-noir-couleur-disc-140x140.png Entretien – le magazine http://lemagazine.jeudepaume.org 32 32 Meeting Point #6 Comment les choses changent. http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/05/leslie-kaplan/ Mon, 04 May 2020 09:01:30 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=34483 Le travail d'écriture de Leslie Kaplan a toujours entretenu une relation à la fois distanciée et subtile avec la société de consommation : ses dérives constantes, ses contraintes parfois imperceptibles, les aliénations qu'elle suscite et dont elle se nourrit en permanence [...]

Une conversation entre Leslie Kaplan et Dork Zabunyan, autour de l'exposition Le Supermarché des images.

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Le travail d’écriture de Leslie Kaplan a toujours entretenu une relation à la fois distanciée et subtile avec la société de consommation : ses dérives constantes, ses contraintes parfois imperceptibles, les aliénations qu’elle suscite et dont elle se nourrit en permanence. « Subtile », sa position l’est au sens où à la dénonciation frontale et directe des méfaits du capitalisme globalisé, Leslie Kaplan a toujours préféré esquisser une critique qui interroge les mots de la critique : la puissance à la fois modeste et incommensurable des mots, ces mots qui traversent les époques – par exemple les mots de « commerce », de « monnaie », de « travail », etc. –, qui nous traversent aussi, et dont nous héritons pour parler du « marché de l’individu et de la perte de l’expérience », pour reprendre une formule du critique de cinéma Serge Daney, citée dans une « conférence ininterrompue » de Leslie Kaplan sur Mai 681 : Mai 68, le chaos peut être un chantier. Dork Zabunyan



Gursky ; Zoe Leonard ; Jeu de Paume ; Amazon ; Photography

Vue de l’exposition Le Supermarché des images au Jeu de Paume (Salle 7 « Stock »), Paris ; Photo François Lauginie.
Au premier plan : Zoe Leonard, How to Make Good Pictures, 2016 ; Installation, 429 livres, 64,1 × 15,6 × 631,8 cm. Au second plan : Andreas Gursky, Amazon, 2016 ; Tirage C-Print, 200 × 400 cm.




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Dork Zabunyan : Leslie Kaplan, bonjour.

Leslie Kaplan : Bonjour !

DZ : L’exposition « Le Supermarché des images » témoigne-t-elle selon vous d’une disparition de l’expérience, dont un trop-plein d’images produites, échangées, transférées serait de nos jours le symptôme ? Opère-t-elle un écart ou un saut par rapport à des « formes de mort » – autre expression extraite de votre « conférence interrompue » – que représente pour vous la combinaison du capitalisme et de l’impérialisme ? Suivant cette piste, la circulation des images à une vitesse exponentielle serait-t-elle l’un des vecteurs insoupçonnés de ces formes de mort ? Et est-ce qu’une interruption de cette circulation, que Peter Szendy désigne par le terme d’« iconomie des images », peut constituer justement l’une des tâches assignables aux pratiques artistiques aujourd’hui ? Le salut, s’il est possible, serait-il dans le « suspens »2, pour reprendre un autre mot de votre livre sur Mai 68 ? Autant de questions qui pourront nous accompagner tout au long de ce parcours avec vous dans « Le Supermarché des images ».

Et par extension nous pourrons peut-être suivre la manière dont les images aujourd’hui, dans leur envers sombre comme dans leur part de lumière, inspirent aussi votre travail d’écriture. J’aimerais commencer par le commencement, avec l’œuvre monumentale qui accueille les visiteurs quand ils entrent dans le Jeu de Paume, à savoir cette fresque d’images que l’artiste Evan Roth a intitulée Since you were born. Elle rassemble des images du web stockées dans la mémoire cache de son ordinateur depuis la naissance de sa seconde fille. Quelle a été votre impression quand vous êtes entrée dans le Jeu de Paume et que vous vous êtes retrouvée nez à nez avec cette œuvre d’Evan Roth ?

LK : Bonne question… en fait, je crois qu’on est frappé par le geste qui est là, un geste qui s’arrête pour qu’on le voit et que l’on mesure son impact. C’est une façon, je crois, d’attraper la personne qui vient au Jeu de Paume en lui disant : « voilà, il y a tout ça… c’est comme ça et voilà où nous sommes ». À mes yeux, une question traverse l’exposition et elle peut s’étendre bien au delà : comment se détacher d’une répétition ou d’une reproduction du monde pour passer ailleurs ? Évidemment, cela rejoint une autre question de savoir qu’est-ce que l’art, si ce n’est une certaine façon de passer, de montrer, d’indiquer, de faire signe vers autre chose, sans quoi nous serions accablés.

Evan Roth

Evan Roth, Since You Were Born, 2019-2020. Installation, impression d’images sur vinyle. Vue de l’installation, Jeu de Paume, Paris, 2020. Courtesy de l’artiste et du Jeu de Paume. Photographie François Lauginie.


DZ : Oui, c’est vraiment intéressant cette idée du détachement, de la reproduction et d’une répétition qui crée aussi ce trop-plein d’images dont on parlait. C’est vrai que l’œuvre d’Evan Roth interroge l’accumulation des images et la possibilité de sortir de cette surabondance. Je sais que l’accumulation est un phénomène qui vous intéresse. Il en est question dans Mon Amérique commence en Pologne, un autre récit que vous avez publié aux éditions POL en 2009. Aujourd’hui, cette accumulation prend des proportions considérables. Peter Szendy indique dans son texte pour le catalogue, qu’en 2015 déjà, 3 milliards d’images étaient échangées chaque jour sur les réseaux sociaux. Je voulais avoir votre avis sur la représentation de cette accumulation. Quand on regarde Since you were born, qui imprègne les espaces d’accueil du Jeu de Paume ou bien la photographie Amazon d’Andreas Gursky, qui relèverait d’ailleurs moins d’une forme d’immersion que d’un effet d’abstraction, je me demande si l’on peut sortir de l’accumulation par l’accumulation…

LK : J’aurais tendance à dire : Non (rires). Je pense qu’on est plutôt noyé dans l’accumulation. Pour sortir, il faut toujours avoir un point d’appui. Où est le point d’appui ? Où est ce point qui permet de passer ailleurs, à partir duquel on peut commencer à imaginer autre chose ? Toutefois, il faut admettre que l’accumulation produit un effet, un effet frappant et si l’on se tient là et que l’on réfléchit un peu sur ce qui nous arrive devant ça, c’est intéressant, cela nous invite à nous questionner. Mais je pense que cet effet reste limité à un certain point, pour moi en tout cas.

DZ : Toute la difficulté est en effet de créer un écart ou un pas de côté par rapport à ce flot indistinct que les œuvres rendent sensible. Cela me permet d’enchaîner sur une autre question, à partir de ce que vous disiez à propos de quelque chose qui vous saisit, qui est frappant… Qu’est-ce que c’est qu’une image qui frappe et dont on se souvient, et qui ne soit pas solidaire nécessairement d’une image cliché ou d’un stéréotype ? Quand on pense à une image frappante, on se réfère souvent à une esthétique du choc : l’image choc, l’image spectaculaire. On pourrait être tenté de répondre à cette question à partir de deux œuvres de Minerva Cuevas : Silver Shell et surtout Horizon II, qui montre un paysage bucolique trempé dans du goudron, comme pour dénoncer justement l’exploitation des énergies fossiles et leurs effets sur l’environnement. Est-ce que cette œuvre permet selon vous de frapper l’esprit du spectateur et de susciter une prise de conscience ? Peut-être au même titre que les images de pollution des mers, ce qu’on appelait dans les années 1970 et 1980 « la toilette des pétroliers », qui renvoie aussi à un stéréotype de la catastrophe écologique.

Minerva Cuevas,
Horizon II, 2016. Huile sur toile trempée dans le goudron, 55 × 71 cm. Courtesy de l’artiste et du Jeu de Paume, Mexico/Paris


LK : Une image peut devenir un cliché, alors qu’elle ne l’a pas été avant. Une image qui m’avait énormément frappé, comme beaucoup de monde, fut l’image des cormorans pris dans le mazout. L’animal, le vivant, était tout d’un coup paralysé, étouffé, ce qui était terrible évidemment. Ce qui m’amène à considérer que l’horizon bucolique et le mazout dans la pièce Horizon II de Minerva Cuevas m’ont moins frappé, de même que le bidon de Shell. J’y vois une forme de répétition. Je ne suis pas sûre que pour moi ça représente vraiment quelque chose d’assez frappant.

DZ : Je vous propose que l’on persévère dans notre tentative de trouver une image qui permettrait ce détachement dont vous parlez. Nous pourrions également convoquer la forme du retournement des images sur elles-mêmes. Un retournement que nous pourrions assimiler, avec vous, à un « suspens » ou à une interruption de la société marchande que vous évoquez dans vos livres. Ce suspens peut-il révéler l’envers matériel des images, ce que l’on ne voit pas ? C’est en tout cas une orientation forte de l’exposition il me semble, qu’il s’agisse des câbles sous-marins de Trevor Paglen ou des Clickworkers de Martin Le Chavalier par exemple. Le suspens se produit en montrant un envers qui contraste avec l’accumulation dont on parlait au départ, ce qui revient à dire… le vide.

LK : Oui. Je suis obligée de dire que, pour moi, il est important que, d’une certaine façon, tout soit dans l’image, et que le « à côté », à savoir, la lecture qui donne un savoir sur ce qui est dans l’image – que ce soit pour les câbles sous-marins ou pour les pièces vides où travaillent les « clickworkers » –, cela m’impressionne sans doute moins que des choses que l’on voit vraiment directement dans le cadre. C’est ça que j’attends d’une image : qu’elle soit elle-même porteuse ou pleine de quelque chose qui me touche. L’œuvre que j’ai énormément aimée, c’est l’installation de William Kentridge, Second-Hand Reading, parce qu’il s’y trouve à la fois un sujet, lui-même marchant, réfléchissant, mais aussi une musique, de Neo Muyanga, qui tient un rôle magnifique et qui creuse l’espace des photographies. Et il y a vraiment à l’œuvre, je ne saurais le dire autrement, une métamorphose ou des métamorphoses. C’est un sujet intemporel : comment les choses changent. Je trouve cela absolument extraordinaire, car c’est une représentation de ce qui est, puisqu’on voit des choses, des arbres, des oiseaux, des femmes qui font des gestes, quelques pas de danse ; et en même temps, c’est presque l’énoncé d’un art poétique, c’est-à-dire que se pose vraiment la question de la métamorphose. Cela m’évoque également les petites figures de Kafka car les dessins de Kentridge ne sont pas sans rappeler ceux de Kafka, l’auteur de La Métamorphose, entre autres… Second-Hand Reading de Kentridge nous emmène dans énormément de directions en même temps et condense à l’intérieur d’un objet, par ailleurs mouvant, énormément de sens différents. Je trouve que c’est presque une manière de dire : voilà ce que c’est une image, ou de l’art. Pour moi, c’était vraiment formidable de voir ça.

William Kentridge

Vue de l’exposition Le Supermarché des images au Jeu de Paume (Section « Échanges »), Paris ; Photo François Lauginie.
William Kentridge, Second-Hand Reading, 2013 ;
Vidéo, couleur, son, 7 min 1.


DZ : C’est vraiment suggestif que vous mentionniez cette œuvre-là, dans la mesure où c’est une œuvre qui, dans l’économie générale de l’exposition, ne fait pas référence au phénomène de flux incessant des images ou d’un trop-plein des signes visuels…

LK : William Kentridge montre comme les images changent, peuvent changer, devenir autre chose dans la tête de quelqu’un qui est en train de penser à tout un tas de choses. Il y a un aller-retour entre les phrases et les images. Ce n’est pas du tout une reproduction des images par les mots ou le contraire, mais plutôt une correspondance comme l’écrivait Baudelaire. Et je trouve cette idée intéressante pour reposer la question des images car la seule piste de l’accumulation ou de la masse des images ne donne par vraiment d’issue pour reprendre un mot de Kafka : comment en sortir, trouver une issue ? Je trouve que l’approche par l’accumulation enfonce, plutôt qu’elle n’ouvre.

Second-Hand Reading, 2013 ; Vidéo, couleur, son, 7 min 1 s. © William Kentridge


DZ : C’est intéressant de passer par une œuvre comme celle de Kentridge pour interroger ce qu’est une image alors même que cette installation-vidéo a une place un peu spécifique dans l’exposition. Elle ne coexiste pas avec d’autres œuvres dans l’espace et elle ne participe pas vraiment du brouillage qui s’opère dans cette exposition entre des images qui relèveraient de l’art et d’autres appartenant au non-art. L’idée n’étant pas de rétablir une hiérarchie entre l’art et le non-art, mais simplement j’observe que cette coexistence s’estompe autour de Kentridge, et je me demandais si cette distinction vous intéressait ou pas ? Je pense que c’est un des enjeux de l’exposition, que l’on peut poursuivre ou bien critiquer. L’exposition propose en effet une déhiérarchisation des régimes d’images et brouille la distinction entre les images qui relèveraient de l’artistique et des images qui relèveraient plutôt du vernaculaire ou de quelque chose qui n’appartient pas au domaine de l’art en tout cas : la distinction entre le haut et le bas, le noble et le vil, etc… En tant qu’écrivain, cette déhiérarchisation des régimes d’images est-elle problématique pour vous, ou au contraire, est-ce un acquis quand vous travaillez avec les mots ?

LK : Ecoutez. Mon critère, c’est toujours tout de même, l’émotion. C’est-à-dire que, si une image me frappe, me touche, m’emmène quelque part, peu importe d’où elle vient. Et par exemple, je ne sais pas si c’est noble ou pas, en haut ou en bas, mais il y a des images, issue du photojournalisme par exemple, qui me touchent. Je trouve absolument formidables certaines images pour leur capacité à montrer quelque chose : évidemment, elles font voir. C’est quand même ça qui m’importe dans une image, ce qu’elle fait voir. Donc, je ne ferais peut-être pas allusion aux images de famille ici, mais je pense à des images qui ne sont pas forcément, entre guillemets, des images d’artistes… Pour résumer, je me soucie peu des questions d’étiquettes.



Robert Bresson, Bande-annonce du film L’Argent, 1983. Film 35 mm, couleur, son, 30 s. Production : Marion’s Films ; Distribution : mk2 Films

DZ : Je sais que vous allez aussi beaucoup au cinéma, que c’est très important pour vous. Dans l’exposition, il y a la bande-annonce du film L’argent (1983) de Robert Bresson, ou encore, sous une forme installée, Le travail en une seule prise, véritable encyclopédie des gestes du travail de Harum Farocki et Antje Ehmann. À partir de ces œuvres, je me demandais quelle était la place du cinéma dans votre travail d’écriture. Le montage des images dans un film peut-il être rapproché de votre travail sur l’enchaînement et la succession de phrases ? Y a-t-il un rapport d’homologie ou de correspondance (vous citiez Baudelaire tout à l’heure) entre le cinéma et votre travail d’écrivain ?

Farocki ; Travail ; Ehmann

Vue de l’exposition Le Supermarché des images au Jeu de Paume (Salle 4 « Travail »), Paris ; Photo François Lauginie. Harun Farocki et Antje Ehmann, Eine Einstellung zur Arbeit (« Le travail en une seule prise »), 2011-… Installation vidéo multi-écrans, dimensions variables.


LK : Vous savez, c’est compliqué de parler des influences qu’on a, qu’on a subies parfois. J’ai toujours été au cinéma, enfant. Mes parents étaient très cinéphiles. C’est vraiment quelque chose qui fait partie de moi, au même titre que tout ce que j’ai pu lire. Et je suis absolument sûre que cela a joué un rôle, c’est une évidence pour moi. J’évoquerais notamment la question du montage, comment on coupe, comment on interrompt, comment on s’arrête, comment on reprend, comment on organise. On n’est pas dans le linéaire classique du XIXe siècle. C’est sûr que le cinéma a joué un rôle très important dans mon travail. Un certain cinéma en tout cas, disons le cinéma que j’ai pu aimer. Je pense aussi à Chaplin, pas seulement pour l’humour et son côté franchement comique, mais aussi pour la manière dont c’est fabriqué. C’est évident que ça a dû jouer… et que ça joue.

DZ : J’ai une dernière question à vous poser concernant le rapport à une expérience qui vous est chère et que vous relatez aussi dans vos écrits – je pense notamment à Mathias et la Révolution (2016)–, c’est l’expérience de la marche dans la ville. L’espace urbain est très important pour vous, que ce soit à travers la promenade, la balade, ou encore la dérive, pas forcement situationniste d’ailleurs. Et si l’on revient au parcours dans l’exposition, Peter Szendy, dans un précédent Meeting Point, appelait de ses vœux une expérience du phrasé, avec des points de suspension, des contrepoints dans l’exposition pour « Le Supermarché des images », qui est un prolongement de son livre Le Supermarché du visible. J’aborderais cette question-là en évoquant les rythmes temporels, car au fur et à mesure que vous traversez l’espace, vous traversez ce qui s’est produit dans le temps, sachant que les rythmes urbains changent aussi en fonction de l’apparition de nouveaux moyens de circulation dans la ville. Je trouve important qu’il y ait dans l’exposition une œuvre dont on parle assez peu d’ailleurs, qui est La vue Lumière : une vue qui montre une plateforme mobile que l’on aurait même pu imaginer à l’entrée de l’exposition, en contrepoint de la circulation des images mises en espace par Evan Roth. Je voulais savoir quelle était la place de la balade urbaine dans votre travail et vous demander si, lorsque vous visitez une exposition comme « Le Supermarché des images », cette expérience de la ville est là physiquement pour vous ?

Frères Lumière ; Li Hao

Vue de l’exposition Le Supermarché des images au Jeu de Paume (Section « Échanges »), Paris ; Photo François Lauginie. À droite : Les frères Auguste et Louis Lumière,
Vue prise d’une plateforme mobile, I ; Exposition universelle, Paris, France, 1900
Film 35 mm, noir et blanc, muet, 34 s
Institut Lumière, Lyon, Film Lumière nº 1155. À gauche : Li Hao, « Les Mécanismes répétitifs » 01, 04, 05, 2012 ; Impressions giclées, 150 × 100 cm
Courtesy de l’artiste / Jeu de Paume.


LK : Oui, je trouve que c’est bien vu, en somme, ce que vous pointez : j’aime énormément marcher dans la ville et j’ai beaucoup aimé aussi le parcours dans l’exposition. Je pense qu’il y a en effet une sensation de… – je n’y avais pas pensé sur le moment – … quelque chose d’un parcours dans une ville d’images peut-être ou quelque chose comme ça et qui est très plaisant, avec des bifurcations, des arrêts, etc. J’ai pris tout mon temps et j’avais très envie de le faire, c’était très agréable de s’arrêter, de réfléchir, de voir… De toute façon, j’aime bien faire ça dans une exposition en général. Il n’y avait pas trop de monde ce jour-là. Ça joue quand même. Et c’était très bien…

DZ : Très bien, merci beaucoup Leslie Kaplan ! On va essayer aussi de revoir l’exposition avec vous dans ses bifurcations, ses interruptions et ses nombreux flux. Encore merci.

LK : Merci à vous !



Le Blog de Leslie Kaplan
Leslie Kaplan / POL
Peter Szendy : Ausculter les images
Exposition « Le supermarché des images »
Le catalogue de l’exposition






References[+]

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Meeting Point # 6 “How things change” http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/05/meeting-point-6-how-things-change/ Mon, 04 May 2020 07:40:59 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=34737 With Leslie Kaplan & Dork Zabunyan.

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EN


Leslie Kaplan’s writing has always fostered a subtle, distanced relationship with the society of consumption—its constant deviations, its sometimes-imperceptible constraints, the alienation that it constantly provokes, and on which it feeds without fail. Her position is “subtle” in the sense that, rather than condemning the harmful effects of capitalism head on, directly, Leslie Kaplan has always preferred to form a critique that interrogates the critique’s very terms—the modest yet immeasurable power of terms that have crossed the ages, words like “business”, “currency” or “work”. We have assimilated, inherited these terms to speak of the “marketing of the individual and loss of experience”, in the words of the film critic Serge Daney, cited in her “conférence interrompue” [interrupted conference] on May 681.
Dork Zabunyan



Gursky ; Zoe Leonard ; Jeu de Paume ; Amazon ; Photography

View of the exhibition The Supermarket of Images at Jeu de Paume, Paris (« Stock » Section); Photo François Lauginie. Foreground : Zoe Leonard, How to Make Good Pictures, 2016 ; Installation, 429 books. Background: Andreas Gursky, Amazon, 2016; C-Print, 200 × 400 cm.




Dork Zabunyan: Leslie Kaplan, hello.

Leslie Kaplan: Hello!

DZ: Does the exhibition “The Supermarket of Images” attest to a disappearance of experience, of which the glut of images produced, exchanged and transferred is the symptom nowadays? Does it create a gap or a leap in terms of the “forms of death”—another expression taken from your “interrupted conference”—that you see in the combination of capitalism and imperialism? Following this lead, would the circulation of images at an exponential speed be one of the unexpected vehicles for these forms of death? Might an interruption of this circulation, which Peter Szendy designates by the term “iconomy of images”, fall precisely within the realm of the roles of artist practices today? Might salvation, presuming it is possible, lie in “suspens” [hiatus]2, to borrow another term from your book on May ’68? These are questions we can very well keep in mind along this path through “The Supermarket of Images” in your company.
And by extension, we might gain insight into how images today, with their shadowy underbelly or in their splendor, also inspire your writing. I would like to begin with the beginning, the monumental work that greets visitors upon entering the Jeu de Paume—the fresco of images that the artist Evan Roth titled Since You Were Born. It gathers web images stocked in the memory cache of his computer since the birth of his second daughter. What were your impressions upon entering the Jeu de Paume and coming face to face with Evan Roth’s work?

LK: Good question. In fact, I think that what strikes us is the act there before us, an act that is frozen so as to become visible, to allow us to assess its impact. I think it’s a way of grabbing visitors to the Jeu de Paume by telling them, “there you go, look at all of this… that’s how it is, this is what it’s come to”. There is for me a question present throughout the exhibition, but which also transcends it: how is it possible to detach from a repetition or reproduction of the world in order to move beyond this? And this clearly overlaps with another question—that of knowing what art is, other than a certain way of pointing out, revealing, signalling or crossing over to something different, without which we would be doomed.

Evan Roth

Evan Roth, Since You Were Born, 2019-2020. Installation at Jeu de Paume, Paris, 2020. Photo François Lauginie.

DZ: Yes, this idea of detachment, of reproduction and repetition that also creates this deluge of images we were talking about is really interesting. It’s true that Evan Roth’s work examines the accumulation of images and the possibility of escaping this overabundance. I know that accumulation is a phenomenon that interests you, featuring in Mon Amérique commence en Pologne [My America begins in Poland], another book of yours published by P.O.L. in 2009. Today, this accumulation is taking on considerable proportions. In his text for the catalogue, Peter Szendy points out that already in 2015, three billion images were exchanged daily on social networks. I’m curious about your thoughts on the representation of this accumulation. In looking at Since you were born, which fills the Jeu de Paume’s reception areas, or Andreas Gursky’s photograph Amazon, which happens to be less a feat of immersion than one of abstraction, I wonder whether we can in fact use accumulation to escape accumulation.

LK: I am tempted to say no [laughs]. I think that in fact, we are drowning in accumulation. To escape, you always need a foothold. Where’s the foothold? Where’s the point that allows you to go elsewhere, that can spark the invention of something different? But you can’t get around the fact that accumulation produces an effect—a striking effect if you sit there and think a bit about what is happening to us in the face of this. It’s interesting, it encourages us to question ourselves. But I think that this effect is limited to a degree, for me at any rate.

DZ: It’s extremely difficult to create a distance or step back from this unfocused haze that the works make apparent. This leads me to another question, based on what you were saying about something grabbing you, something striking. What constitutes a striking image, one that we remember, and which isn’t necessarily connected to a clichéd image or stereotype? When we think about a striking image, we often think about an aesthetic rooted in shock—shocking images, spectacular images. It might be tempting to respond to this question through consideration of two works by Minerva Cuevas: Silver Shell and especially Horizon II, which shows a bucolic landscape that has been plunged in tar, precisely like a denunciation of fossil fuel exploitation and its effects on the environment. Do you think that this work is capable of striking visitors’ minds and raising their awareness? Perhaps like the images of polluted oceans, referred to as “tanker toilets” in the 1970s and 80s, that also refer to a stereotype of ecological disaster.

Minerva Cuevas, Horizon II, 2016. Courtesy the artist and Jeu de Paume

LK: An image that doesn’t start out as a cliché can become one. One image that I found really powerful, like a lot of people, was the one of the cormorants covered in oil sludge. These animals, these living creatures, were suddenly paralyzed, suffocated, which is obviously devastating. This leads me to see that the bucolic horizon and tar in Minerva Cuevas’s piece Horizon II jolted me less, and the same goes for the can in Shell. I view them as a form of repetition. It’s hard for me to say that I really find them very striking.

DZ: I propose that we continue our effort to find an image allowing for the detachment that you talk about. We could also raise the form of images subverting themselves. Could we put this subversion on par with a “hiatus” or interruption of market society that you evoke in your books? Could this hiatus reveal the material underside of the images, that which remains unseen? I at any rate find this to be a strong tendency in the exhibition, whether taking the form of Trevor Paglen’s undersea cables or Martin Le Chevallier’s Clickworkers, for example. The hiatus is produced in showing an underside that contrasts with the accumulation we started off talking about—which amounts to saying, the void.

LK: Yes. I must say that for me, it’s important in a way for everything to be contained in the image, and that what is “to the side”—i.e. an interpretation providing knowledge of what’s in the image, be it for the undersea cables or the empty rooms where “clickworkers” work—tends to impress me less that what is actually directly in the frame of the photo itself. That is what I expect from an image: for it to hold something that touches me. The work I really loved is the installation by William Kentridge, Second-Hand Reading, because it contains both a subject, himself walking, reflecting, as well as Neo Muyanga’s music, which plays a magnificent role, adding depths to the space of the photographs. And there’s really something happening, the only way I can express it is as a metamorphosis, or a series of metamorphoses. The subject of how things change is a timeless one. And I find it absolutely extraordinary, because it’s a representation of what exists—we see things, trees, birds, women gesturing, a few dance steps—and at the same time, it verges on the expression of a poetic art, i.e. that really considers the question of metamorphosis. It also makes me think of Kafka’s little figures, as Kentridge’s works certainly bring to mind those of Kafka, author of The Metamorphosis, among others. Kentridge’s Second-Hand Reading leads us in any number of directions at the same time, condensing an enormous array of different meanings with a given subject—a shifting one, at that. I find this is almost a way of saying, here’s what an image is, or what art is. For me, it’s really tremendous to see that.

William Kentridge

View of the exhibition The Supermarket of Images at Jeu de Paume, Paris; Photo François Lauginie. William Kentridge, Second-hand Reading, 2013; HD video, approximately 7 min.


DZ: It’s quite telling that you mention this specific work, given that it makes no reference to the phenomenon of endless floods of images or a deluge of visual signs, within the exhibition’s general economy.

LK: William Kentridge shows how images change, are able to change, turn into something else in the mind of a person in the midst of thinking about any number of things. There’s a back-and-forth between phrases and images. It’s not at all a reproduction of images through words or vice-versa, but more of a correspondence, as Baudelaire wrote. And I find this idea interesting to set forth the question of images once again, because the idea of accumulation or the mass of images alone doesn’t really provide any departure, to borrow a word from Kafka: how to escape this, find a way out? I think that using accumulation as a starting point is a way of getting bogged down, rather than creating openings.

Second-hand Reading, 2013; HD video, approximately 7 min. © William Kentridge


DZ: It’s interesting to turn to a work like Kentridge’s to question what an image is, when this video installation itself holds a somewhat specific position within the exhibition. It doesn’t coexist with other works in the space, and doesn’t really contribute to the blurring happening in this exhibition between the images deemed as art and those that aren’t. It’s not a question of re-establishing a hierarchy between art and non-art, it’s just that I observe that this coexistence fades around Kentridge, and I wondered whether this distinction interests you or not? I think it’s one of the issues raised by the exhibition, which we can pursue or criticize. The exhibition proposes a flattening of the hierarchies among image regimes, and blurs the boundary between artistic images and images that might be categorized as vernacular, or something not belonging to the realm of art, at any rate—the distinction between high and low, noble and base, and so on. As an author, is this flattening of hierarchies among image regimes problematic for you, or to the contrary, is it something that applies to your work with words?

LK: Look, my criteria is always the same: emotion. What I mean is, if an image strikes me, moves me, brings me somewhere, it doesn’t matter where it comes from. And for example, I don’t know whether it’s noble or not, high or low, but there are images, photojournalistic images, for example, that move me. I find certain images absolutely tremendous in their ability to show something; they reveal something, of course. And that’s what’s important to me in an image, what it reveals to me. So, I’ll perhaps abstain from referring to family photos here, but I’m thinking of images that aren’t quote-unquote artists’ images. In a nutshell, I’m not terribly concerned with questions of labels.



Robert Bresson, Trailer for the film L’Argent, 1983. Film 35 mm. Production : Marion’s Films ; Distribution : mk2 Films

DZ: I know that you also go to the movies frequently, and that film is important to you. In the exhibition, there’s the trailer for Robert Bresson’s film L’Argent (1983), and, in the form of an installation, Labour in a Single Shot, a veritable encyclopedia of work gestures by Harun Farocki and Antje Ehmann. With these works as our starting point, I wonder about the position held by film in your work as a writer. Is the montage of images comparable to your work putting together sentences and giving them order? Is there a similarity or correspondence (you referred to Baudelaire earlier) between film and your work as a writer?



Farocki ; Travail ; Ehmann

View of the exhibition The Supermarket of Images at Jeu de Paume, Paris (« Stock » Section); Photo François Lauginie. Harun Farocki and Antje Ehmann, Eine Einstellung zur Arbeit (“Labour in a Single Shot”), 2011-… Multi-screen installation.

LK: You know, it’s complicated to talk about our influences, influences that at times we’re subjected to. I went to the movies all the time as a kid. My parents were huge cinephiles. It’s something that’s deeply a part of me, just like all of the books I’ve read. And yes of course, I’m absolutely sure that it played a role. I’ll touch on the question of film editing—the process of cutting, interrupting, stopping and starting again, organizing. We’ve left the classic linear structures of the 19th century behind. Cinema has certainly played an extremely important role in my work, or at least a certain type of cinema, let’s say the cinema that I’ve loved. I’m also thinking of Chaplin, not only for the humor and his overtly comic side, but for the way it’s put together. That obviously had to play a role, and continues to do so.

DZ: I have one last question for you about the relationship to an experience dear to you, and that you also recount in your writings—I’m thinking in particular of Mathias et la Révolution (2016): the experience of walking in the city. Urban space is really important for you, whether through walking, rambling or roaming, not even necessarily as Situationist practices. And if we get back to the path through the exhibition, in a previous Meeting Point, Peter Szendy called for an experiment in phrasing, with ellipses and contrasts in the exhibition for “The Supermarket of Images”, which is a continuation of his book The Supermarket of the Visible. I will raise this question by mentioning temporal rhythms, because as you gradually move across the space, you move across what’s been produced over time, knowing that urban rhythms also change according to the emergence of new means of circulation in the city. I find it important that the exhibition features a work that is rarely talked about: La Vue Lumière. A view shows a mobile platform that could very well be imagined at the exhibition entrance, in parallel to the circulation of images installed by Evan Roth. I’d like to know what position urban walking holds in your work, and ask you if, when you visit an exhibition such as “The Supermarket of Images”, this experience of the city is physically present for you?

LK: Yes, that’s a good observation you make: I really love walking in the city, and I also really loved the path through the exhibition. I do think that there’s a sense of—I didn’t think about it in the moment—something like a path through a city of images perhaps, or something like that, and which is very pleasant, with bifurcations, stops, etc. I really took my time and was happy to do so. It was highly enjoyable to stop, think, see… At any rate, that’s how I like to go through exhibitions as a rule. It wasn’t too crowded the day I went, which also plays a role. It was really nice.

DZ: Very well, thank you so much, Leslie Kaplan! We’re also going to try to see the exhibition once again with you, with its bifurcations, interruptions and various flows. Thank you once again.

LK: Thank you!



Translation : Sara Heft, 2020


The Supermarket of images
Peter Szendy – Auscultating images


References[+]

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Meeting Point #5 Dork Zabunyan & Sandra Delacourt: A Walk through the Supermarket of Images http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/02/supermarket-of-images-sandra-delacourt-dork-zabunyan/ Fri, 07 Feb 2020 15:31:39 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=34303 FR A Walk through the Supermarket of Images Doctor in Contemporary Art History at Université Paris 1, a specialist in American art of the 1960s, Sandra Delacourt is also a critic, interrogating the relationships between regimes of visibility of our present history and the knowledge enabling us to grasp this history. She covers a vast[.....]

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FR

A Walk through the Supermarket of Images

Doctor in Contemporary Art History at Université Paris 1, a specialist in American art of the 1960s, Sandra Delacourt is also a critic, interrogating the relationships between regimes of visibility of our present history and the knowledge enabling us to grasp this history. She covers a vast field of disciplinary practices – from anthropology to natural history, from philosophy to the history of techniques – and her research in art never fails to reveal the transversality running through these, as she traces their relationship in the context of globalized capitalism. With a concrete approach inspired by Michel Foucault, and in an ongoing perceptive confrontation with artworks, she untangles power structures linking knowledge to our ways of seeing, and develops a critical discourse that places our modes of both perceiving and contemplating objects and actions on hold. In this perspective, this Meeting Point with Sandra Delacourt sketches out a path through “The Supermarket of Images” and the issues it raises at the crossroads of disciplines, from the economic constraints it questions to the political outcomes it presents. (DZ)

Dork Zabunyan
Translation : Sara Heft



Zabunyan ; Delacourt ; Szendy ; iconomy ; Supermarket ; Jeu de Paume ; images ; conversation

Wednesday, January 28, 2020. Dork Zabunyan and Sandra Delacourt at the Jeu de Paume. Photo A. Chevrot





A historian of contemporary art, Sandra Delacourt is a researcher associated with the HiCSA research unit (Université Paris 1 Pathéon-Sorbonne) and a professor at ESAD TALM-Tours. Concerned with emerging phenomena in the field of art, her work deals with processes of artistic recognition, political regimes of visibility, as well as the construction of knowledge and historical narratives. Her publications include: L’artiste-chercheur, un rêve américain au prisme de Donald Judd (B42, 2019), “Arpenter un présent sans fin” in Bruno Serralongue, “Les Naturalistes en lutte sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes” (GwinZegal, 2019), Le Chercheur et ses doubles (B42, 2016).
Publications available at the Jeu de Paume bookstore: https://bit.ly/2S0FEZS


Dork Zabunyan is a professor of film studies at Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. He contributes to various periodicals, including Trafic, Critique, Les Cahiers du cinéma and Les Cahiers du MNAM. He recently published L’insistance des luttes – Images, soulèvements, contre-révolutions (de l’incidence éditeur, 2016), translated into English: The Insistence of Struggle – Images-uprisings-counter-revolutions (trans. Stefan Tarnowski, IF Publications, 2019), alongside Foucault at the Movies (with Patrice Maniglier, trans. Clare O’Farrell, Columbia University Press, 2018). He is currently preparing an essay on images of Donald Trump. Publications available at the Jeu de Paume bookstore: http://bit.ly/2DTS1k9



The Supermarket of images


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Meeting Point #5 Dork Zabunyan & Sandra Delacourt : Arpenter le Supermarché des images http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/02/sandra-delacourt-dork-zabunyan-supermarche-images/ Fri, 07 Feb 2020 15:28:19 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=34299 EN Arpenter le Supermarché des images Docteure en histoire de l’art contemporain de l’Université Paris 1, spécialiste de l’art américain des années 1960, Sandra Delacourt mène parallèlement une activité de critique qui interroge les relations entre les régimes de visibilité de notre histoire présente et les savoirs nous permettant d’avoir une prise sur elle. Elle[.....]

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EN


Arpenter le Supermarché des images

Docteure en histoire de l’art contemporain de l’Université Paris 1, spécialiste de l’art américain des années 1960, Sandra Delacourt mène parallèlement une activité de critique qui interroge les relations entre les régimes de visibilité de notre histoire présente et les savoirs nous permettant d’avoir une prise sur elle. Elle couvre un vaste champ de pratiques disciplinaires – de l’anthropologie à l’histoire naturelle, de la philosophie à l’histoire des techniques… –, et ses recherches en art révèle à chaque fois la transversalité qui les parcourt en même temps qu’elle les met en rapport dans le contexte du capitalisme globalisé. Dans une démarche concrète inspirée de Michel Foucault, et dans une confrontation toujours sensible aux œuvres d’art, elle démêle ainsi les structures de pouvoir qui lient les savoirs à nos manières de voir, et développe un discours critique mettant en suspens nos modes de perception des choses et des actions comme nos façons de les penser. Dans cette perspective, le Meeting Point avec Sandra Delacourt esquissera un parcours dans « Le Supermarché des images » comme dans les problématiques que l’exposition charrie à la croisée des disciplines, des contraintes économiques qu’elle questionne aux issues politiques qu’elle dessine.

Dork Zabunyan







Historienne de l’art contemporain, Sandra Delacourt est chercheuse associée à l’HiCSA (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et professeure à l’ESAD TALM-Tours. Préoccupés par les phénomènes d’émergence qui opèrent dans le champ de l’art, ses travaux portent sur les processus de reconnaissance artistique, les régimes politiques du visible, ainsi que la construction des savoirs et récits historiques. Parmi ses publications : L’artiste-chercheur, un rêve américain au prisme de Donald Judd (B42, 2019), « Arpenter un présent sans fin » in. Bruno Serralongue, Les Naturalistes en lutte sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (GwinZegal, 2019), Le Chercheur et ses doubles (B42, 2016).
Publications disponibles à la librairie du Jeu de Paume : https://bit.ly/2S0FEZS



Dork Zabunyan est professeur en études cinématographiques à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Il collabore à différentes revues comme Trafic, Critique, Les Cahiers du cinéma ou encore Les Cahiers du MNAM. Il a fait paraître dernièrement L’insistance des luttes – Images, soulèvements, contre-révolutions (de l’incidence éditeur, 2016), ouvrage récemment repris dans une version anglaise : The Insistence of Struggle – Images-uprisings-counter-revolutions (trad. Stefan Tarnovski, IF Publications, 2019) ainsi que Foucault at the Movies (avec Patrice Maniglier, trad. Clare O’Farrell, Columbia University Press, 2018). Il prépare actuellement un essai sur les images de Donald Trump.Publications disponibles à la librairie du Jeu de Paume : http://bit.ly/2DTS1k9


Visuel en page d’accueil du magazine : Trevor Paglen, NSA-Tapped Undersea Cables, North Pacific Ocean, 2016. Courtesy de l’artiste et de Metro Pictures, New York



Peter Szendy : Ausculter les images
Exposition « Le supermarché des images »
Le catalogue de l’exposition






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Peter Hujar à la lumière du genre. Une conversation dans l’exposition. http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/01/peter-hujar-a-la-lumiere-du-genre-une-conversation-dans-lexposition/ Tue, 07 Jan 2020 14:31:52 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=34183 Étienne Hatt a invité Thibault Boulvain, Christian Caujolle et SMITH au Jeu de Paume pour discuter de l'œuvre de Peter Hujar.

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Peter Hujar fait « des photos simples et directes de sujets compliqués et problématiques. »1 Cette formule a été trouvée dans les archives du photographe. Selon le titre du seul livre d’auteur publié de son vivant, Portraits in Life and Death (1976), la vie et la mort seraient ces « sujets compliqués et problématiques » principaux. Étienne Hatt et ses invités, Thibault Boulvain, Christian Caujolle et SMITH, se demandent dans quelle mesure la sexualité, l’identité et le genre en feraient également partie.


Les intervenants :
– Étienne Hatt est rédacteur en chef adjoint d’artpress.
– Thibault Boulvain est Docteur en histoire de l’art contemporain de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur d’une thèse « L’art en sida. Les représentations de la séropositivité et du sida dans l’art américain et européen, 1981-1997 » (sous la direction de M. Philippe Dagen) et enseignant-chercheur en histoire de l’art contemporain (université Paris 1)
– Christian Caujolle est auteur, critique d’art et commissaire d’exposition. Ancien rédacteur en chef chargé de la photographie au journal Libération (1981-1986), il est l’un des fondateurs et directeur artistique de l’Agence Vu, créée en 1986 et directeur artistique de la Galerie Vu. Il est actuellement directeur artistique du Festival Photo Phnom Penh.
– SMITH est artiste, titulaire d’un Master de Philosophie à la Sorbonne et du diplôme de l’Ecole Nationale Supérieure de Photographie d’Arles, ainsi que du Fresnoy – Studio National des Arts Contemporains. Ses travaux furent présentés sous la forme d’expositions personnelles aux Rencontres internationales de la photographie d’Arles, à la galerie les Filles du Calvaire, au Palais de Toyko à Paris, au musée de la Photographie d’Helsinki en Finlande…




« Peter Hujar. Speed of Life »
La sélection de la librairie
artpress


Visuel en page d’accueil : Peter Hujar, Gary Indiana voilé, 1981. Tirage gélatino-argentique, The Morgan Library & Museum, achat en 2013 grâce au Charina Endowment Fund © Peter Hujar Archive, LLC, courtesy Pace/MacGill Gallery, New York and Fraenkel Gallery, San Francisco

References[+]

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Les Confettis atomiques de Marie Losier http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/11/marie-losier/ Wed, 06 Nov 2019 11:46:28 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=34001

Dans le cadre de la rétrospective Confettis atomiques ! au Jeu de Paume, Alice Laguarda a rencontré Marie Losier dans son atelier, Villa Belleville à Paris.

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Dans le cadre de sa rétrospective Confettis atomiques ! au Jeu de Paume, rencontre avec Marie Losier dans son atelier, Villa Belleville à Paris. L’artiste travaille à une nouvelle série de monotypes, crée des « boîtes à images » évoquant les lanternes magiques, et prépare des projets d’exposition et de films dont une comédie musicale, dans le prolongement de ses portraits.





Traversés de chorégraphies joyeuses, acrobatiques et parfois burlesques, les films de Marie Losier se déploient depuis près d’une vingtaine d’années autour de « personnages » qui sont aussi ses amis, luchadores et luchadoras ou représentants de l’avant-garde et de l’underground artistiques (les frères Mike et George Kuchar, les compositeurs Tony Conrad et Felix Kubin…). Entre la liberté d’un Jonas Mekas et l’esthétique camp d’un Jack Smith, son cinéma nourri de ses années new-yorkaises et rythmé d’échappées oniriques tient à distance les conventions du documentaire : surimpressions du visage de Cassandro l’« exotico » avec des images de feux d’artifice, visions psychédéliques d’oiseaux naturalisés dans L’Oiseau de la nuit, séquence d’opération surréaliste dans Felix in Wonderland !… Marie Losier nous invite à une célébration des corps, travestis, déguisés, souvent rebelles, comme autant de figures possibles d’un jeu à être autre, court-circuitant les assignations aux rôles sociaux et aux stéréotypes de genre. Comme les personnages, objets de greffes et d’ornements (masques, costumes, trucages), les films sont régis par une logique de collage ; ce sont des jeux de montage auxquels font écho les monotypes de grand format que l’artiste réalise sur du papier de riz, représentant ses amis mais aussi des caméras mutantes. Chaque film raconte des fragments de vie tour à tour légers et graves, hymnes sans étendard aux artistes et à la création. Le sensualisme des couleurs et la musicalité du montage en assoient la valeur poétique, laissant affleurer une grâce logée quelque part entre mélancolie, étonnement et malice.

Alice Laguarda

Alice Laguarda est auteure et critique (art, cinéma, architecture), chercheuse et professeure d’esthétique à l’Esam Caen/Cherbourg. Prochain ouvrage à paraître en 2020 : L’Ultima maniera. Le Giallo, un cinéma des passions, éditions Rouge profond.





Marie Losier / la programmation
Marie Losier / dvd

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Sally Mann : l’image élégiaque http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/07/sally-mann/ Mon, 15 Jul 2019 13:25:49 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33695 Une conversation dans l'exposition « Sally Mann. Mille et un passages »,
animée par Étienne Hatt, avec Clara Chichin, Géraldine Chouard et Héloïse Conésa

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Selon les mots d’Étienne Hatt, les images de Sally Mann se caractérisent par une tonalité élégiaque. Par ses choix techniques et ses expérimentations, par ses liens ténus avec la littérature et la récurrence de motifs entremêlés (l’enfance et la nature, le paysage et l’Histoire tragique du Sud des États-Unis, les blessures humaines ou végétales et les zones laissées dans l’ombre…), on peut même envisager l’œuvre dans son entier comme une élégie. Clara Chichin, Géraldine Chouard et Héloïse Conésa discutent ici la manière dont les photographies de Sally Mann entrent en résonance avec les moments douloureux de l’Histoire des États-Unis d’Amérique et révèlent les craintes persistantes de la société contemporaine, enracinées jusque dans l’intime.



Sally Mann, Bloody Nose [Saignement de nez], 1991
Tirage à destruction de colorants (Cibachrome)
Collection privée
© Sally Mann




Les intervenants :
– Étienne Hatt est rédacteur en chef adjoint d’artpress.
– Clara Chichin est photographe, diplômée des Beaux-Arts de Paris après une maîtrise en « Arts Littérature et Pensée contemporaine », membre du studio Hans Lucas et finaliste du Prix Leica Oskar Barnack en 2017. Son travail a été récemment exposé à l’abbaye Saint-Georges de Boscherville sous le commissariat de Christine Ollier.
– Géraldine Chouard est professeure à l’Université Paris-Dauphine où elle enseigne la civilisation des États-Unis et chercheuse au LARCA (Laboratoires de Recherches en Cultures Anglophones). Ses domaines de recherches sont la littérature et la culture visuelle américaines (photographie, peinture, patchwork) au XXe et XXIe siècles.
– Héloïse Conésa est docteure en histoire de l’art, chargée de cours à l’École nationale supérieure Louis Lumière et conservatrice du patrimoine en charge des acquisitions et des expositions en photographie contemporaine au département des Estampes et de la Photographie de la Bibliothèque nationale de France depuis 2014. Co-commissaire en 2017 à la BnF de l’exposition « Paysages français : une aventure photographique (1984-2017) ».





Bibliographie sélective :
– Sylvie Aubenas, Le Gray, L’œil d’or de la photographie, éd. Découvertes Gallimard – BnF, 2002
– François Brunet (ed.) – Collectif dirigé par François Brunet, L’Amérique des images : Histoire et culture visuelle des Etats-Unis, Paris : Hazan, 2013
– Anne Cartier-Bresson, L’objet photographique, une invention permanente, éd. Photopoche, Actes Sud, 2012
– Géraldine Chouard, Eudora Welty et la photographie : Naissance d’une vision, Paris, Editions Michel Houdiard, 2012
– William FAULKNER, Le Bruit et la fureur, éd. Gallimard, 1972
– Marc Lénot, Jouer contre les appareils, éditions Photosynthèses, 2017
– Claude Nori et Gilles Mora, L’Été dernier, Manifeste photobiographique, Écrit sur l’image, Collection dirigée par Alain Bergala et Gilles Delavaud, Éditions de l’Étoile. 1983
– François Soulages, « La trace ombilicale », in. Traces photographiques, traces autobiographique, dir. Danièle Méaux et Jean-Bernard Vray, publications de l’Université de Saint-Etienne, 2004.
– Eudora Welty, The Ponder Heart, 1954. Publié en français sous le titre Oncle Daniel, le généreux, traduit par Gérard Petiot, Flammarion, 1997
– Eudora Welty, One Writer’s Beginnings, 1984. Publié en français sous le titre Les Débuts d’un écrivain, traduit par Michel Gresset, Flammarion, 1989




« Sally Mann. Mille et un passages »
La sélection de la librairie

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Situations de Luigi Ghirri. Une conversation dans l’exposition http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/04/situations-de-luigi-ghirri-conversation/ Thu, 18 Apr 2019 17:01:24 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33400 Étienne Hatt a invité Larisa Dryansky, Constance Nouvel et Giuliano Sergio au Jeu de Paume pour discuter du photographe Luigi Ghirri, figure italienne à la croisée des chemins.

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Il est difficile de situer Luigi Ghirri sur la carte des courants et des pratiques artistiques. Près de trente ans après la disparition de leur auteur, ses images continuent d’interroger notre monde et de nourrir la création contemporaine. Photographe, écrivain, éditeur et commissaire d’exposition, Luigi Ghirri a proposé de « penser en images ». Étienne Hatt a invité Larisa Dryansky, Constance Nouvel et Giuliano Sergio au Jeu de Paume pour discuter de cette figure italienne à la croisée des chemins, ainsi que du statut de ses photographies.


Les intervenants :
– Étienne Hatt est rédacteur en chef adjoint d’artpress.
– Larisa Dryansky est maître de conférences en histoire de l’art contemporain à Sorbonne Université, auteure de Cartophotographies. De l’art conceptuel au land art.
– Constance Nouvel est artiste, diplômée des Beaux-Arts de Paris, engagée dans un cycle d’expositions en 2019-20 : galerie In Situ Fabienne Leclerc, Le Point du jour à Cherbourg et le Centre photographique d’Île-de-France à Pontault-Combault.
– Giuliano Sergio est professeur d’histoire de l’art à l’école des beaux-arts de Naples, Italie, auteur de Information, document, œuvre sur la photographie en Italie dans les années 1960-70 et co-commissaire de l’exposition « Luigi Ghirri. Pensare per immagini » au Maxxi à Rome en 2013.





« Luigi Ghirri. Cartes et territoires »
La sélection de la librairie
artpress


Visuel en page d’accueil : Luigi Ghirri, Atlante, 1973.
Bibliothèque nationale de France © Succession Luigi Ghirri

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The Risky Visions of Barbara Hammer http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/03/barbara-hammer/ Mon, 18 Mar 2019 16:04:50 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33330 We learned with great sadness that Barbara Hammer, the pioneering experimental filmmaker, has died at the age of 79. She was a great filmmaker and a deeply human and enthusiastic person. We remember the wonderful moments she gave us in 2012 at Jeu de Paume.

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American filmmaker Barbara Hammer was keen to meet the audience during the opening week of her retrospective, along with Danièle Hibon, programmer of the cycle, Elisabeth Lebovici, critic and art historian, and with the artist Rosa Barba on the occasion of a unique duo performance. With her distinctive spirit of sharing, she gave us an interview in which she elaborated on her « risky visions ». With all its underlying risks of experimentation and commitment, her cinema endeavours to reactivate our vision and all the cognitive processes it involves.

Barbara Hammer a animé les soirées du Jeu de Paume pendant une semaine. La cinéaste américaine a tenu à rencontrer le public, en compagnie de Danièle Hibon, programmatrice du cycle, d’Élisabeth Lebovici, critique et historienne de l’art, ou encore avec l’artiste Rosa Barba lors d’une soirée-performance inédite… C’est dans ce même esprit d’échange qu’elle nous a accordé un entretien vidéo au cours duquel elle déploie ses « visions risquées ». Risques de l’expérimentation et risques de l’engagement sous-tendent un cinéma qui réactive la vision et tous les processus cognitifs qui en découlent.





Since the early 1970s, Barbara Hammer (born in 1939 in Hollywood) has claimed the double identity of feminist and lesbian activist. Pioneer of queer cinema, she has gained an international reputation in the field of American experimental cinema. She wrote, directed and produced more than eighty films and videos, short and feature films, documentaries and autobiographical, deeply personal and political.

Depuis le début des années 1970, Barbara Hammer (née en 1939 à Hollywood) revendique la double identité d’activiste féministe et de lesbienne. Pionnière du cinéma queer, elle a acquis une notoriété internationale dans le champ du cinéma expérimental américain. Elle a écrit, réalisé et produit elle-même plus de quatre-vingts films et vidéos, courts et longs-métrages, documentaires ou autobiographiques, profondément personnels et politiques.


Liens

« Les Visions risquées de Barbara Hammer » au Jeu de Paume
Barbara Hammer, la sélection de la librairie
Site officiel de Barbara Hammer

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Une conversation dans l’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible » http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/01/discussion-exposition-dorothea-lange/ Tue, 22 Jan 2019 12:22:47 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33033 Didier Aubert a proposé à ses collègues chercheurs Anne Lesme et Jean Kempf de discuter de l'exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible », après leur visite au Jeu de Paume.

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Didier Aubert a proposé à ses collègues chercheurs Anne Lesme et Jean Kempf d’échanger autour de l’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible », après leur visite au Jeu de Paume. Au fil de leur conversation, on perçoit la difficulté à saisir ou simplement décrire une œuvre à la fois politique, inscrite dans une histoire institutionnelle, mais également empreinte de hasards, de paroles recueillies et parfois de résistances de la photographe pour son autonomie. La diffusion des images et des informations ou notes qui les accompagnaient présentent leurs propres enjeux et sont souvent un vecteur de déformations ou d’erreurs.

Autant de questions qui ont traversé l’histoire du style documentaire en photographie depuis le début du XXe siècle, et qui chez Dorothea Lange, viennent se superposer avec la dimension iconique de certaines images devenues extrêmement célèbres. La discussion n’oublie pas d’interroger le succès public de cette exposition et la réception contemporaine d’images emblématiques de la Grande Dépression aux États-Unis.





L’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible »
Les camps de réinsertion pour migrants en zone rurale, Californie, 1935
La maison abandonnée de Dorothea Lange
La sélection de la librairie




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Meeting Point #4 Dork Zabunyan & Pierre Alain Trévelo [EN] http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/09/meeting-point-4-dork-zabunyan-pierre-alain-trevelo-en/ Tue, 11 Sep 2018 15:34:17 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=32183 It is vital to look back on Gordon Matta-Clark’s work, among other reasons, to highlight little-known facets of a shape-shifting oeuvre. The exhibition “Gordon Matta-Clark: Anarchitect”, and the accompanying catalogue, do so by revealing Matta-Clark as truly engaged in his era, concerned with the nameless, the have-nots of his time – but devoid of the now-common provocative claim that his art was necessarily political. Discussing his relationship to architecture should help us to further this exploration, which broadens our perception of the urban environment in which Matta-Clark worked, from Paris to New York and Berlin, while inviting us to question our own relationship with the city today – from our persistent worries to our diffuse delights. This is the dual direction of the conversation that follows with Pierre Alain Trévelo, architect and co-founder of the TVK agency, which notably handled the 2013 overhaul of the Place de la République in Paris, and has contributed substantially to reflection on the future of the Parisian outskirts.

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FR

“Pierre Alain Trévelo: The anarchitecture to come”

It is vital to look back on Gordon Matta-Clark’s work, among other reasons, to highlight little-known facets of a shape-shifting oeuvre. The exhibition “Gordon Matta-Clark: Anarchitect”, and the accompanying catalogue, do so by revealing Matta-Clark as truly engaged in his era, concerned with the nameless, the have-nots of his time – but devoid of the now-common provocative claim that his art was necessarily political. Discussing his relationship to architecture should help us to further this exploration, which broadens our perception of the urban environment in which Matta-Clark worked, from Paris to New York and Berlin, while inviting us to question our own relationship with the city today – from our persistent worries to our diffuse delights. This is the dual direction of the conversation that follows with Pierre Alain Trévelo, architect and co-founder of the TVK agency, which notably handled the 2013 overhaul of the Place de la République in Paris, and has contributed substantially to reflection on the future of the Parisian outskirts.
It is thus a question of revealing Matta-Clark not only as an artist focused on construction and destruction, but as an architect who renews the positioning of places – at times glorifying them, as in Day’s End, which, in Matta-Clark’s words, was intended to be transformed into a veritable “temple of water and light”. As Trévelo emphasizes in our conversation, it is also a question of rejuvenating what falls under the notion of intermediary stretches or zones that so interested Matta-Clark – again, not to glorify an aesthetics of abandonment or of urban disinheritance, but rather, to remain vigilant over all spaces, however small, in which communities, however ephemeral, are recreated and regenerated.



Dork Zabunyan
Translation: Sara Heft




Thursday, 28 June, 2018. Dork Zabunyan interviewing Pierre Alain Trévelo at the Jeu de Paume a few weeks prior to the opening of the exhibition “Gordon Matta-Clark: Anarchitect”.





Pierre Alain Trévelo is the founding partner of TVK with Antoine Viger-Kohler. Born in 1973 in Gap (France), he is an architect and urban designer, graduated from École d’Architecture de la Ville et des Territoires in 1999 (DPLG – ENSAVT Marne-la-Vallée) and in Urban Design at Harvard in 2004 (MDesS – Harvard GSD). Co-founder of TOMATO a group gathering 13 future architects who published the book Paris, La Ville du Périphérique (Le Moniteur, 2003), he teached at École d’Architecture de la Ville et des Territoires in Marne-la-Vallée from 2000 to 2015 and at Sciences Po Urban Design Master from 2006 to 2012. He has been guest critic and lecturer at numerous schools of architecture and institutions in France and abroad, inluding EPFL, UDP Santiago (Chile), ETSAV Barcelona, Hochschule Bremen, ARC USI Mendrisio, ENSA Marseille, ENSA Nantes, IVM…


Dork Zabunyan is Professor in Film Studies at Paris 8 University. His main publications include Foucault va au cinéma (Bayard 2011), Les Cinémas de Gilles Deleuze (Bayard 2011), Passages de l’histoire (Le Gac Press, 2013), and most recently L’insistance des luttes (De l’incidence éditeur, 2016). He contributes to Les Cahiers du cinéma, Trafic, Critique and artpress.





“Gordon Matta-Clark. Anarchitect”
TVK / architecture

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Daphné Le Sergent et Agnès Violeau rencontrent Françoise Banat-Berger, Directrice des Archives Nationales http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/09/francoise-banat-berger-directrice-des-archives-nationales/ Tue, 11 Sep 2018 07:26:25 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=32156 Une conversation entre Françoise Banat-Berger, directrice des Archives nationales, Agnès Violeau, commissaire d’exposition et Daphné Le Sergent, artiste, dans le cadre de son projet « Géopolitique de l’oubli ». Agnès Violeau : Nous sommes avec Daphné le Sergent, reçues aux Archives Nationales par sa directrice, Madame Françoise Banat-Berger. Vous avez la gentillesse de nous accueillir dans le[.....]

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Une conversation entre Françoise Banat-Berger, directrice des Archives nationales, Agnès Violeau, commissaire d’exposition et Daphné Le Sergent, artiste, dans le cadre de son projet « Géopolitique de l’oubli ».


Agnès Violeau : Nous sommes avec Daphné le Sergent, reçues aux Archives Nationales par sa directrice, Madame Françoise Banat-Berger. Vous avez la gentillesse de nous accueillir dans le cadre de l’exposition « Géopolitique de l’oubli », présentée par Daphné Le Sergent au Jeu de Paume à Paris, ainsi qu’au CAPC à Bordeaux, et au Musée Amparo à Puebla, au Mexique. Il s’agit du deuxième volet de la programmation satellite 11 que j’ai construite, intitulée « Novlangue_ ». Comment avez-vous accueilli le projet de Daphné Le Sergent, qui est venue travailler avec vos équipes, d’abord pour ses recherches, puis pour le tournage de sa vidéo ?

archives nationales

Agnès Violeau ( à gauche), Daphné Le Sergent et Françoise Banat-Berger (à droite), Archives Nationales, 13 juin 2018



Françoise Banat-Berger : La première rencontre avec Daphné Le Sergent a eu lieu dans le cadre d’un partenariat portant sur des programmes autour du numérique et de l’art. Quelque temps après, nous l’avons revue, quand elle travaillait sur le projet Géopolitique de l’oubli. Elle était de ce fait très intéressée par tout le travail concernant les données nativement numériques. On commence à en recevoir beaucoup depuis un certain nombre d’années, avec à la fois des problématiques liées à l’image, aux masses de données, au sens donné à ces données, à la question de leur pérennisation et à leur repérage. C’est à la suite de cette deuxième rencontre qu’ont eu lieu des discussions beaucoup plus poussées, notamment avec notre département chargé de l’archivage électronique et des archives audiovisuelles, ainsi qu’une visite sur le site de Fontainebleau.

Daphné Le Sergent : On a souvent tendance, au vu de la renommée du site historique des Archives Nationales dans le Marais, à penser que les archives contiennent majoritairement des documents papier, ou du moins concrets. Pourriez-vous plutôt nous parler de cet aspect numérique de l’archivage des données ?

FBB : Les Archives Nationales se sont adaptées, et ce depuis toujours, à l’évolution des supports et à la trace des écrits, puisque les premiers documents que l’on conserve sont des papyrus qui datent du VIIe siècle ap. J.-C. Ensuite les parchemins se sont progressivement imposés, puis le papier, dont la qualité varie en fonction des modes de fabrication dans le temps. Mais il y a également des photographies, des calques, des plans… Apparaissent ensuite les premières archives sonores, audiovisuelles, et enfin, les archives nativement numériques. On a commencé à recevoir ces archives numériques au début des années 1980. Une méthodologie nouvelle a dû être mise en place pour les appréhender. À l’époque, il s’agissait surtout de prendre en charge des extractions de données provenant de grandes bases statistiques, dans tous les domaines d’activité. Pour vous donner une idée, aujourd’hui on doit à peu près conserver 50 Téraoctets de données nativement numériques, ce qui correspond à environ à 150 millions de fichiers. Pendant toute une première période, donc, comme je viens de le mentionner, nous avons collecté de nombreux fichiers provenant de l’INSEE, de l’INED, portant sur des enquêtes statistiques, puis à cela se sont ajoutés de plus en plus de documents audiovisuels ou de photographies nativement numériques, ainsi que des documents issus de la production bureautique, avec un nombre très élevé de fichiers mais une volumétrie bien moindre que celle des documents image et surtout audiovisuels. Aujourd’hui enfin, ce sont beaucoup de messageries que nous recevons. Actuellement, on commence à voir un renversement entre la production papier et la production numérique, c’est-à-dire que l’on observe, par exemple dans le versement des archives des cabinets ministériels lors des changements de Gouvernement, la part papier baisser de manière assez significative, quand la part numérique commence à augmenter sensiblement.

DLS : Pensez-vous qu’un jour, il n’y aura plus de papier du tout ?

FBB : Je ne peux pas me prononcer sur l’avenir, mais ce que je constate c’est que les papiers ont été longtemps conservés tels des preuves, avec une continuité dans les marques d’authentification, et des signature manuscrites. Par exemple, encore aujourd’hui pour la production de lois, malgré la dématérialisation du processus, les originaux sont toujours sous forme papier. Mais c’est un mouvement qui tend peu à peu à disparaître.

DLS : J’imagine qu’il y a désormais des processus d’identification numérique faisant tout autant preuve que les documents papier.

FBB : L’environnement juridique le permet totalement aujourd’hui. Pour autant, cela signifie un complet bouleversement du processus de travail et des modes d’organisation en amont, notamment des circuits de signatures. Dans le cas des archives ministérielles, les ministres continuent à signer des parapheurs sur du papier. Cela n’atteint donc pas tous les niveaux de la chaîne, bien que les outils existent déjà. Ce sont, suivant le contexte, soit des signatures électroniques, soit des systèmes d’empreintes, qui, étant des scellements électroniques, permettent de garantir l’intégrité de l’information.
Le numérique c’est très paradoxal, car il est finalement très difficile de conserver les données numériques correctement dans un temps long, mais il est également très compliqué de les détruire complètement. Aujourd’hui par exemple, au nom de la protection des données à caractère personnel, des données enregistrées dans des systèmes d’information doivent être détruites. Or, il est très compliqué techniquement d’arriver à les effacer totalement. On se contente alors très souvent de supprimer le lien logique entre l’information et son inscription sur un support. Mais ce n’est pas forcément un effacement physique sur le support qui est effectué. Nous n’avons donc pas une maîtrise absolue sur l’information numérique.

Archives nationales, site Fontainebleau. Prise de vue préparatoire pour le projet « Géopolitique de l’oubli » © Daphné Le Sergent. Courtesy Archives nationales

AV : Cela veut dire que l’information qui est sauvegardée sous forme numérique et immatérielle, est plus pérenne que celle sauvegardée de manière matérielle ?

FBB : Comme je le disais, cette information est compliquée à détruire, mais également délicate à bien conserver dans toute son intelligibilité. Cette information est encodée dans un format donnée, elle est gravée et inscrite sur un support dans le contexte technologique de l’époque. Le problème c’est que ce support n’est lui-même pas pérenne. L’enjeu est donc de parvenir à conserver ce contenu d’information de manière à pouvoir le retrouver plus tard, lorsqu’on en aura besoin, donc, dans un environnement technologique du futur qu’on ne peut connaître à l’avance.

DLS : Du coup, la donnée se trouve accompagnée d’une richesse d’informations. Comment avec la perspective du futur et des destinataires éloignés, pense-t-on la hiérarchisation de ces données, et le dispositif grâce auquel une personne, pas forcément familière de notre époque, peut recevoir correctement cette quantité d’informations et la donnée initiale ?

FBB : C’est déjà une question qui se pose pour les archives papier. Nous conservons des archives très anciennes, sous une forme qui n’est intelligible que par des personnes spécialisées. C’est une difficulté qui existe de tout temps, avec des ruptures épistémologiques, dans la langue… Les langues anciennes se sont transformées, les codes ont changé, et sans eux on ne sait pas lire, ni comprendre. Aujourd’hui par exemple, rendre explicite l’ordonnance d’un roi de France, avec les formules de l’époque, demande des connaissances que peu de gens possèdent. Après, tout dépend de la manière dont nous décryptons tout cela et comment toutes ces informations sont décodées et explicitées. On explique tel terme, telle forme, et c’est pour cela que l’on inventorie les archives : pour qu’elles parviennent aux générations futures avec certaines clefs de déchiffrement. Et, le numérique ajoute une couche supplémentaire. C’est la couche technologique, qui fait que tout évolue beaucoup plus vite en terme d’outils. Que ce soit des formats, des systèmes d’exploitation, des supports, ces trois éléments font que lorsque l’on en change un, l’information n’est plus accessible. En revanche la rupture documentaire et cognitive a toujours existé.

AV : Vous parliez de ce rôle de passeur d’un savoir aux générations futures. Il est aujourd’hui lié à des outils numériques qui permettent de conserver ces paysages cognitifs, mais qui changent aussi extrêmement vite. Le rapport au temps n’a-t-il pas changé justement ?

FBB : Le numérique introduit quelque chose de nouveau qui est l’obsolescence technologique rapide. Avant, les sauts technologiques étaient bien plus lents. Il y avait déjà eu d’importantes révolutions, mais avec l’obsolescence technologique qui s’accélère d’une part, et la masse qui augmente d’autre part, c’est d’autant plus délicat. Se posent également de nouvelles questions sur l’appréhension des masses d’informations importantes, qu’il faut caractériser par des modes de description suffisamment explicites et ouverts pour être compréhensibles dans le temps. C’est pour cela qu’aujourd’hui, lorsque l’on fait de la normalisation, on décide que tel type d’information sera décrit de telle manière pour qu’elle le soit partout de la même façon, et ainsi permettre l’interopérabilité entre différents systèmes. La question de la migration des formats est également une question très complexe étant donné le nombre de formats différents qu’on est susceptibles de prendre en charge. Avec la masse, nous retrouvons les enjeux des Big Data, de l’intelligence artificielle. On ne pourra pas faire sans, sinon nous n’aurons jamais la capacité de traiter la masse et les diversités de données, formats et métadonnées que nous rencontrons.

DLS : Vous parlez de masse d’informations. Dans mon projet vidéo, je me suis beaucoup intéressée à la notion de Big Data, de Data Déluge. De la manière dont vous en parlez, j’ai l’impression que l’on pourrait presque, vis-à-vis de cette masse, parler de flux d’informations, de flux de données automatisées, qui seraient possiblement réduits à des canaux, qu’on pourrait rediriger vers tel destinataire ou tel autre. Mais, c’est toute une opération de programmation en informatique. Comment gérer ces masses à un moment où tout est producteur d’informations, et comment gérer cette distribution de flux ? Comment allez-vous archiver ou non, hiérarchiser ou non, parmi ce Big Data de potentielles archives ?

Archives nationales ; Daphné Le Sergent ; Françoise Banat Berger

Archives nationales, site Fontainebleau. Prise de vue préparatoire pour le projet « Géopolitique de l’oubli » © Daphné Le Sergent. Courtesy Archives nationales

FBB : Nous avons une mission réglementaire, qui porte sur la production des institutions et administrations publiques, chacune dans leur domaine d’activité. On assiste à des transformations dans cette période charnière où l’on passe d’un support papier à des supports numériques. Notre travail consiste donc à établir des cartographies des systèmes d’information existants, visant à sélectionner les jeux de données devant être pris en charge pour une conservation définitive. La prise en charge de données numériques demande plus d’investissements humains et technologiques que celle des archives papier. On va donc concentrer nos efforts sur les informations les plus riches, qu’elles soient patrimoniales ou juridiques. Le jeu en vaut pourtant la chandelle puisque lorsque l’on a fait l’effort de modéliser un flux d’archivage, il peut par la suite se répéter et s’automatiser.

DLS : Vous parlez de réservoir, vous parlez de flux. On a l’impression que l’information est devenue liquide. J’ai aussi entendu parler de Lac de données. Ce champ lexical de la redistribution de l’information me semble intéressant à commenter.

FBB : Effectivement, car l’information numérique n’est jamais stable, immuable, immobile ; elle se transforme tout au long de sa vie. Ces fameux filtres permettent de choisir ce qui doit être conservé en priorité, et donc d’organiser cette dérivation pour passer d’un système à un autre, en tentant de trouver un univers lexical qui s’applique à tous les domaines métier, en créant des ontologies. On essaie de créer un environnement global. La difficulté est là.

DLS : Le vocabulaire que vous utilisez est proche de celui d’Internet, avec la notion de nuage, de Cloud data, de surf, l’eau étant la métaphore qui nous permet de faire le lien avec l’information. Mais comment peut-on rattacher ce lien à notre environnement ? Par exemple le Cloud a une image « gentille » mais cache tout un modèle économique (celui de la Sillicon Valley). L’eau, comme élément essentiel de la vie, deviendrait l’image de notre société numérisée ?

FBB : On peut aussi évoquer le pétrole par rapport aux données. Les données sont en train de devenir une richesse essentielle, et ceux qui les maîtrisent, ont un énorme pouvoir. On voit également que cette information numérique est difficile à maîtriser. Elle peut être déviée, falsifiée, déformée, d’où l’importance de posséder des organismes garants de son intégrité. Aujourd’hui, on détermine au sein de l’Etat quelles sont les organismes responsables de la qualité de tel ou tel type de données.

DLS : Pour reprendre le vocabulaire de l’eau, ne peut-on pas parler de piratage de l’identité afin de faire valoir une information qui n’est pas authentique ?

FBB : Oui, et c’est là qu’existent des outils et des technologies qui nous protègent. Aujourd’hui, l’agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information est le service de l’Etat qui embauche le plus en France, car nous savons que c’est un enjeu énorme et une course de vitesse. Il faut toujours conserver une avance par rapport aux hackeurs. Si vous réussissez à mettre en place une clé de chiffrement robuste, tout aussitôt la communauté des hackeurs va travailler pour la craquer, et ainsi de suite. On a donc des technologies, via des outils de scellement ou de cryptage, qui permettent de garantir d’une manière raisonnable qu’une donnée a été produite par telle institution ou tel individu et est restée intègre. C’est une véritable guerre que ces enjeux de sécurité et c’est donc un sujet géopolitique.

AV : Pourrait-on imaginer qu’à un moment donné la machine soit suffisamment intelligente pour décider de ce qui sera archivé ou pas, pour refuser des informations ? Peut-on basculer sous le joug décisionnel d’une machine quant à l’archivage ?

FBB : Pas à l’heure actuelle, car l’intervention humaine est nécessaire dans la prise en charge des archives numériques par les machines. Mais dans le futur, pourquoi pas ? Pour l’instant, les humains apprennent encore aux machines à devenir intelligentes.

AV : Le fait d’archiver un document s’offre à nous du moment que l’on peut le faire. Comment se positionne-t-on face à cette mission qu’est l’archivage de l’histoire ?

FBB : Les services d’archives peuvent être perçus comme des institutions officielles de l’Etat, conservant les sources officielles permettant de documenter les politiques publiques. Mais, les services d’archives conservent également des fonds immenses concernant les histoires individuelles des personnes, traçant tous les moments de la vie où nous avons affaires à l’administration. Or nous sommes dans un pays où l’Etat est fort. Pour accéder à ses droits, il faut être enregistré. Vous pouvez également demander des aides, passer devant la justice… Nous avons des millions de parcours de vie, à travers les dossiers constitués pour instruire telle ou telle demande. Nous collectons également des archives privées infiniment précieuses pour compléter les fonds publics. Ce sont ces liens entre histoire collective et histoires individuelles, entre archives publiques et archives privées, qui font la richesse de nos institutions. Et c’est ensuite à l’historien et au chercheur d’exploiter ces sources tout en sachant bien évidemment repérer les éventuels biais.



Le carnet de Daphné Le Sergent
« Géopolitique de l’oubli » / l’exposition
« Géopolitique de l’oubli » / le livre
Daphné Le Sergent



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Résonances contemporaines de Gordon Matta-Clark. Par Erika Goyarrola Olano. http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/09/resonances-contemporaines-de-gordon-matta-clark/ Mon, 10 Sep 2018 06:29:13 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=32138 Une série d'entretiens menés par Erika Goyarrola Olano, avec les collectifs Arquitectura Expandida, Col·lectiu Punt 6 et les artistes Lara Almarcegui, Nazgol Ansarinia, Abraham Cruzvillegas et Les Frères Chapuisat.

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Les entretiens avec Arquitectura Expandida, Col·lectiu Punt 6, Lara Almarcegui, Nazgol Ansarinia, Abraham Cruzvillegas et Les Frères Chapuisat sont accessibles en ouvrant la galerie ci-dessus.


Ces dernières années et dans plusieurs disciplines, de nombreux projets ont remis en cause les pratiques conventionnelles de l’architecture et de l’urbanisme. À de multiples occasions, le rythme soutenu de la croissance urbaine, entre autres facteurs, a poussé l’architecture et l’urbanisme à négliger les besoins des habitants, délaissant les services essentiels qu’ils doivent apporter à la population et provoquant un renforcement des inégalités sociales. La réflexion sur la ville et sur les modes d’habitation, par sa forte nature politique, a été étroitement liée aux luttes sociales et a donc très souvent remis en question les pratiques de l’urbanisme. Des phénomènes théorisés comme la « gentrification » ou la « mise en tourisme » sont devenus des problèmes graves et répandus, affectant très sérieusement des villes du monde entier. Les habitants des quartiers concernés, rassemblés en collectifs et en associations, se sont mis à lutter contre ces phénomènes, et quelques municipalités ont également pris conscience des préjudices engendrés. Ces problématiques autour des façons de gérer l’espace public, de construire et d’habiter la ville ont aussi été abordées par les artistes. À travers leurs œuvres, ils revendiquent des espaces habitables, publics, sûrs, souples et libres de toute hiérarchie, avec la volonté de créer une esthétique inspirée de la réalité quotidienne et de réfléchir collectivement à des idées constructives et organisationnelles ouvertes à toute la société.

Dans les années 1960 et 1970, des architectes et des collectifs — comme Robin Evans ou Archigram — critiquent le Mouvement moderne pour sa vision unique de l’architecture et affirment la nécessité de s’éloigner de sa vision utilitaire. L’époque connaît aussi une revalorisation de formes constructives alternatives, moins agressives face à l’environnement et à la société. On cherche alors à comprendre les constructions non conventionnelles et à en tirer des leçons, à expérimenter à partir de leurs formes et de leurs esthétiques, et à analyser la manière de les intégrer au sein d’une urbanisation formelle. Le monde de l’art s’intéresse particulièrement à l’« architecture sans architectes », comme lors de l’exposition Architecture without Architects qui se tient en 1964 au Museum of Modern Art (MoMA) de New York. Son commissaire, Bernard Rudofsky, tente de montrer les avantages de l’architecture vernaculaire. Ce type de constructions — également baptisé architecture rurale, architecture spontanée ou traditionnelle — répond à des objectifs et à une volonté venant d’un groupe et non pas d’un seul individu, d’un expert ou d’un architecte de référence. Cet aspect collaboratif va revivre grâce à des tendances et des idées architecturales et urbanistiques alternatives qui encouragent la construction participative, et qui connaissent actuellement une période remarquablement prolifique.

À la même époque, de nombreuses villes encore industrielles subissent une reconversion brutale qui provoque des mutations sociales au sein de leur trame urbaine. À New York, lors d’un plan de réaménagement de la ville particulièrement violent, la municipalité abandonne délibérément les immeubles du sud du Bronx, causant le démantèlement de la structure urbaine de ce quartier. De nombreux mouvements de contestation s’élèvent contre ce plan de réaménagement, comme celui mené par Jane Jacobs, pionnière de l’urbanisme participatif opposée à la transformation de Greenwich Village ou à la construction de l’autoroute urbaine du Lower Manhattan. C’est dans ce contexte new-yorkais et à travers une pratique artistique que Gordon Matta-Clark joue un rôle important dans l’interprétation des modèles architecturaux et urbains qui dominent alors. Il estimait que le citoyen moyen n’était pas pris en compte, ce qui entraînait l’échec des politiques sociales. L’artiste voyait les espaces comme des lieux non pas fixes, mais fluctuants, et il plaidait pour la participation des habitants dans le renouvellement de la ville.

Bien que Gordon Matta-Clark n’ait jamais fondé d’école, et même s’il n’est pas considéré comme une figure majeure de l’architecture, au fil du temps, il a pourtant bien contribué à l’expression d’une problématique et à l’émergence d’une nouvelle façon de penser. Les répercussions de son travail sont indéniables, car il a inspiré de nombreux architectes et artistes. Délibérément ou non, on retrouve fréquemment sa philosophie dans des œuvres contemporaines du monde entier. La liste des artistes qui partagent une vision de l’espace urbain similaire ou proche de la sienne est longue. On peut notamment citer son contemporain Robert Smithson, américain lui aussi, et des artistes actuels comme le brésilien Marlon de Azambuja, la portugaise Fernanda Fragateiro ou le français Michel Le Belhomme. En termes de praxis, de très nombreux collectifs ont fait confiance à la capacité qu’ont les citoyens de définir les usages et les fonctions des espaces et des bâtiments, du collectif anglais Assemble jusqu’au studio espagnol de Santiago Cirugeda, en passant par les espaces communs temporaires conçus par les français Yes We Camp. Curieusement, ce genre de pratiques a réussi à entrer dans les musées et dans les milieux de l’art contemporain. Les maquettes, les plans et les recettes urbaines de l’équipe de Santiago Cirugeda ont par exemple été exposés dans plusieurs musées, et en 2015, le groupe Assemble a reçu le prix Turner, qui récompense tous les ans des artistes britanniques de moins de cinquante ans.

Cet article se penche particulièrement sur le travail de cinq artistes et de deux collectifs qui, à travers leurs interviews respectives, nous aident à comprendre aujourd’hui l’œuvre de Gordon Matta-Clark, dont on constate la pertinence face aux manières de concevoir les villes contemporaines. Les collectifs Arquitectura Expandida, Col·lectiu Punt 6, et l’artiste Lara Almarcegui agissent sur (ou laissent faire) la réalité et l’espace construit, en favorisant des pratiques collaboratives, démocratiques et collectives dans l’environnement urbain. Les artistes Abraham Cruzvillegas, Nazgol Ansarinia et Les Frères Chapuisat, quant à eux, élaborent également un discours critique contre les méthodes dominantes, mais ils le font à travers une pratique métaphorique qui relève d’un terrain plus strictement artistique.



Erika Goyarrola Olano, août 2018
Traduction de l’espagnol : Aurélien Ivars


Jane Jacobs, The Death and Life of Great Amercian Cities
Real Properties: Fake Estates / (e)space & fiction
Arquitectura expandida
Nazgol Ansarinia / green art gallery
Lara Almarcegui / Galerie mor charpentier
Abraham Cruzvillegas / galerie Chantal Crousel
Col·lectiu Punt 6
Les Frères Chapuisat
Collectif Assemble
Recetas Urbanas
Yes We Camp



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Meeting Point #4 Dork Zabunyan & Pierre Alain Trévelo [FR/EN] http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/08/meeting-point-zabunyan-trevelo-fr/ Fri, 17 Aug 2018 10:03:29 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=32072 Une conversation autour de l'œuvre de Gordon Matta-Clark, avec Pierre Alain Trévelo, architecte et co-fondateur de l’agence TVK, à qui l’on doit notamment la reconfiguration de la Place de la République en 2013.

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EN




Pierre Alain Trévelo : L’anarchitecture qui vient

La nécessité de revenir sur le travail de Gordon Matta-Clark s’explique entre autres par la mise en valeur de pans méconnus d’une œuvre protéiforme. L’exposition « Gordon Matta-Clark anarchitecte » et son catalogue y parviennent grâce à la façon dont l’une et l’autre font découvrir un Matta-Clark réellement engagé dans son temps, soucieux des sans-noms et des sans-parts de son époque, sans qu’il ait pour autant la coquetterie, devenue si fréquente aujourd’hui, de clamer que son art est forcément politique. Discuter de sa relation à l’architecture doit nous aider à poursuivre cette exploration qui élargit notre perception de l’environnement urbain dans lequel intervenait Matta-Clark, de Paris à New York en passant par Berlin, tout en nous invitant à questionner notre propre rapport à la ville aujourd’hui, dans nos inquiétudes persistantes comme dans nos enthousiasmes diffus. C’est la double orientation de la conversation qui suit avec Pierre Alain Trévelo, architecte et co-fondateur de l’agence TVK, à qui l’on doit notamment la reconfiguration de la Place de la République en 2013, ainsi qu’une réflexion décisive sur le devenir du périphérique parisien. Il s’agit ainsi de laisser entrevoir un Matta-Clark qui n’est pas seulement un artiste du chantier ou de la destruction, mais aussi bien un architecte qui renouvelle les coordonnées des lieux, en les glorifiant parfois, comme c’est le cas pour Day’s End qui avait vocation, d’après Matta-Clark lui-même, à se transformer en un véritable « temple d’eau et de lumière ». D’autre part, et Pierre Alain Trévelo y insiste dans nos échanges, il s’agit de réinvestir tout ce qui relève de ces étendues ou zones intermédiaires qui intéressaient tant Matta-Clark, non pas, là non plus, pour célébrer une esthétique de l’abandon ou de la déshérence urbaine, mais plutôt pour rester aux aguets de tous les espaces, aussi infimes soient-ils, où une communauté, même éphémère, se recrée et se régénère.

Dork Zabunyan





Exposition “Gordon Matta-Clark. Anarchitecte”
TVK / agence d’architecture et d’urbanisme
Isabelle Chesneau : “I tell you, buildings must die”
Sébastien Marot : “Rope Bridge, feux croisés : Gordon Matta-Clark”

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Meeting Point #3 Dork Zabunyan & Marie Voignier [EN] http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/07/meeting-point-3-dork-zabunyan-marie-voignier-en/ Wed, 11 Jul 2018 16:15:15 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=31585 FR “Marie Voignier: The Suspended Gaze” For a number of years, Marie Voignier has been making films that explore our perception of past and contemporary history, while discreetly analyzing – without preaching to viewers – the ways in which visual and sound stereotypes come to envelop this. In her work, historical strata encounter layers of[.....]

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FR

“Marie Voignier: The Suspended Gaze”

For a number of years, Marie Voignier has been making films that explore our perception of past and contemporary history, while discreetly analyzing – without preaching to viewers – the ways in which visual and sound stereotypes come to envelop this. In her work, historical strata encounter layers of clichés that ultimately inhibit us from grasping the former’s complexity, the often-tormented link between these strata and our present day. It is with this in mind that the analysis of a touristic phenomenon collides with colonial remanences that continue to persist today. Voignier travels a great deal, on all continents (Europe in Hinterland, Africa in L’hypothèse du Mokélé-Mbembé, Asia in Tourisme international, and more), showing us countries that are un- or under-depicted in images, such as North Korea: here, the artist simultaneously deconstructs the propagandistic discourses of the Pyongyang regime, and our own perceptions, which hardly allow us to break with a hackneyed view of the North Korean people. Travels, the deconstruction of stereotypes, the examination of the circulation of images shaping our perception of a world that is itself in the making – all of these represent points of passage between Voignier’s work and that of Susan Meiselas, alongside the clear differences. These points set the tempo of this Meeting Point, recorded during the exhibition Susan Meiselas, Mediations. Here is a way to extend these Mediations or to preserve them dynamically in memory, for other travels, other wanderings through the disgruntled world of images and sounds that surround and even engulf us.



Dork Zabunyan
Translation: Sara Heft





Marie Voignier @ Galerie Marcelle Alix
Bie Michels & Marie Voignier: Dialoguing Gazes
Susan Meiselas, “Mediations”

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Meeting Point #3 Dork Zabunyan & Marie Voignier [FR] http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/06/meeting-point-3-dork-zabunyan-marie-voignier-fr/ Mon, 25 Jun 2018 16:14:24 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=31583 « Marie Voignier réalise depuis plusieurs années des films qui explorent notre regard sur l’histoire passée ou contemporaine, tout en analysant discrètement, sans faire la leçon au spectateur, la manière dont les stéréotypes visuels et sonores viennent recouvrir l’une ou l’autre. [...] »

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Marie Voignier : le regard suspendu

Marie Voignier réalise depuis plusieurs années des films qui explorent notre regard sur l’histoire passée ou contemporaine, tout en analysant discrètement, sans faire la leçon au spectateur, la manière dont les stéréotypes visuels et sonores viennent recouvrir l’une ou l’autre. Ainsi, les strates historiques rencontrent dans son travail les couches de clichés qui nous empêchent au final d’en saisir la complexité, le lien souvent tourmenté que ces strates entretiennent aussi avec notre actualité. C’est en ce sens que l’analyse d’un phénomène touristique se heurte aux rémanences coloniales qui insistent encore dans le présent. Marie Voignier voyage beaucoup, et sur tous les continents (l’Europe dans Hinterland, l’Afrique dans L’hypothèse du Mokélé-Mbembé, l’Asie dans Tourisme international…), en nous montrant des pays dont les images nous manquent ou ne nous parviennent pas, comme la Corée du Nord où l’artiste déconstruit à la fois le discours propagandiste du régime de Pyongyang et nos façons de voir qui peinent à nous éloigner d’une vision éculée du peuple coréen. Voyages ; déconstruction des stéréotypes ; examen de la circulation des images qui façonnent notre perception d’un monde lui-même en devenir : autant de points de passage entre l’œuvre de Marie Voignier et celle de Susan Meiselas qui, malgré des différences évidentes, rythment ce Meeting Point enregistré pendant l’exposition « Médiations » de Susan Meiselas. Manière de prolonger ces « Médiations » ou d’en garder une mémoire dynamique, pour d’autres voyages, d’autres périples dans le monde contrarié des images et des sons qui nous environnent, voire nous enveloppent.



Dork Zabunyan





Marie Voignier @ Galerie Marcelle Alix
Bie Michels & Marie Voignier: Dialoguing Gazes
« Médiations » de Susan Meiselas

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Arborescences, une mémoire conjuguée au futur http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/05/daphne-le-sergent-archives-nationales/ Thu, 31 May 2018 07:38:17 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=31376 Une conversation entre Martine Sin Blima-Barru, responsable du Département de l’archivage électronique et des archives audiovisuelles aux Archives nationales et Daphné Le Sergent.

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Une conversation entre Martine Sin Blima-Barru, responsable du Département de l’archivage électronique et des archives audiovisuelles aux Archives nationales et Daphné Le Sergent. Cet échange fait partie du processus de travail de l’artiste pour son projet « Géopolitique de l’oubli » au Jeu de Paume, Paris, réalisé sur une invitation de la commissaire d’exposition Agnès Violeau, dans le cadre de la programmation Satellite 11, « Novlangue_ ».



 archives ; nationales ; Daphné Le Sergent ; Géopolitique ; Fontainebleau

Archives nationales, site Fontainebleau. Prise de vue préparatoire pour le projet « Géopolitique de l’oubli » © Daphné Le Sergent. Courtesy Archives nationales


Daphné Le Sergent : Qu’est-ce qu’une métadonnée ?

Martine Sin Blima-Barru : Dans un sens très général, on appelle « métadonnée » une information, une donnée qui est produite sur une autre donnée et qui serait ainsi « supérieure » à cette donnée de base. Pourquoi cette construction ? Le numérique peut donner l’impression d’une masse horizontale d’informations. La métadonnée permet de recontextualiser, de replacer chaque information dans sa structure initiale, dans son arborescence d’origine et de la rendre intelligible. D’emblée se pose la question de l’usage et de la diffusion qui doit être prise en compte dès la création des données numériques pour que le modèle de représentation de l’information à prévoir soit le plus ouvert et libre.

Les métadonnées doivent être intelligibles pour nous, à notre époque, mais doivent également le rester dans le temps, pour les générations futures, pour ceux qui ne se trouveront plus dans le même environnement social, culturel et politique que nous.

Par exemple, imaginons des images, des photos. On en retire un plaisir esthétique direct mais si on ignore le contexte dans lequel les interpréter, leur signification reste opaque. Les métadonnées de tes images, Daphné, seraient le titre, l’accompagnement textuel, le contexte de l’exposition et du musée. Aussi à l’ère numérique, le souci est-t-il de conserver autant les métadonnées que les données. Les deux ont la même importance et composent les archives numériques.

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Archives nationales, site Fontainebleau. Prise de vue préparatoire pour le projet « Géopolitique de l’oubli » © Daphné Le Sergent. Courtesy Archives nationales


DLS : Quel est le contenu d’une métadonnée ? On suppose que celui-ci change avec la nature de la donnée elle-même, mais peut-on observer des facteurs invariants d’une métadonnée à une autre ?

MSBB : Oui, on peut dire qu’il y a des invariables : comment la donnée s’appelle-t-elle ? Qui l’a produite ? À quelle date ? Dans quel but ? – avec tout l’aspect historique que cette question sous-tend. Mais aussi quelle est sa taille, son format, etc. Car un autre élément important est de savoir comment cette donnée est arrivée jusqu’à nous. Les archivistes parlent à ce propos d’« historique de la conservation ». La donnée numérique a été produite sur un certain support – un DVD par exemple – mais pour la conserver, il a fallu la transférer sans perte sur un autre support, comme un serveur. Pour préserver au mieux la nature de l’information, il faut que ces opérations soient les plus transparentes possibles et qu’un historique de ces opérations soit édité et conservé. Ces métadonnées sont organisées selon un modèle qui doit être réfléchi. Il y a donc toute une gouvernance de l’information, données et métadonnées.

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Archives nationales, site Fontainebleau. Prise de vue préparatoire pour le projet « Géopolitique de l’oubli » © Daphné Le Sergent. Courtesy Archives nationales


Dans certains cas de figure plus complexes, tels que des données structurées reposant sur une nomenclature, par exemple une base de données, on s’attache également à en expliquer la codification, la structure et l’arborescence. Dans notre environnement habituel, si on clique sur une fenêtre d’un ordinateur et que s’ouvre un répertoire puis un autre répertoire, un utilisateur d’aujourd’hui comprendra la tâche en cours et saura l’exécuter presque intuitivement. Mais peut-être que dans cent ans, cela ne sera plus si évident. Il faut donc que les métadonnées contiennent également des explications sur cette tâche et ses logiques d’utilisation.

Les métadonnées permettent de rendre les données intelligibles, avec le défi qu’elles le restent dans le temps. Les appréhender peut paraître difficile il est vrai, car il faut se familiariser avec une certaine logique. Si on donne un carton d’archives à quelqu’un qui n’en connaît pas l’utilité, cette personne comprendra assez vite de quoi il s’agit, le geste qu’il faut faire – c’est à dire ouvrir la boite pour en révéler le contenu. Par contre, dans l’univers numérique, ce n’est si évident. Si rien n’est consigné, si on ne trouve aucune métadonnée, les contenus risquent de se perdre. Face à une « boîte d’archives numérique », on peut se retrouver dans la même position que le spectateur qui regarde la plaque d’écriture sumérienne dans ta vidéo : on est happé par la beauté des signes et par cette pierre poreuse que le temps a usée, mais on reste totalement ignorant du sens de ces écritures.

Il faut donc définir une stratégie, un écosystème qui englobe la culture, la technologie et la réflexion conceptuelle.

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Archives nationales, site Fontainebleau. Prise de vue préparatoire pour le projet « Géopolitique de l’oubli » © Daphné Le Sergent. Courtesy Archives nationales


DLS : On reste sur le seuil de la matérialité de l’objet…

MSBB : On se retrouverait sinon face à un « objet de musée », figé, désincarné, muet par rapport à son contexte et son utilisation passée et ne permettant pas un accès ou une diffusion futurs… Certaines scénographies muséales nous laissent malheureusement à ce stade.

DLS : Nos discussions ont accompagné la réalisation du projet et m’ont permis d’orienter la réflexion, de choisir certaines formes. Dans la vidéo Géopolitique de l’oubli, j’essaye de créer un enchaînement entre des arborescences et une forme pyramidale qui évoque un organigramme. À un moment de nos discussions, tu m’avais parlé de l’arborescence des données aux Archives nationales, qui se calque sur l’organigramme de l’État. Pourrais-tu revenir sur cette idée ?

MSBB : Effectivement, une sorte de miroir existe entre l’organisation des administrations et la structuration des archives. Le classement aux Archives nationales est totalement différent de ce qu’on a l’habitude de voir dans les bibliothèques ou les centres de documentation, qui classent par thème ou auteur. Aujourd’hui – mais les choses n’ont pas toujours été de la sorte et j’y reviendrai plus tard – les Archives nationales sont structurées conformément aux organisations qui les ont produites. Nous conservons non seulement les archives mais aussi les organigrammes, en quelque sorte. Cela permet de comprendre à quel endroit de la hiérarchie d’un ministère ou d’un gouvernement l’information a été produite. Ces informations sont consignées dans ce qu’on appelle les « référentiels producteurs ». Il est important de suivre leur évolution pour comprendre le circuit de la masse d’archives. Lors d’un remaniement ministériel ou d’un changement de gouvernement, les organigrammes peuvent être bouleversés. Prenons l’exemple d’une recherche effectuée par un lecteur en salle de lecture aux Archives nationales : si celle-ci relève du périmètre du Ministère de la Justice à un instant t, il faut néanmoins savoir qu’une compétence peut avoir changé et être passée au Ministère de l’Intérieur. Les archives de certaines fonctions ne seront donc pas toujours produites au même endroit.

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Archives nationales, site Fontainebleau. Prise de vue préparatoire pour le projet « Géopolitique de l’oubli » © Daphné Le Sergent. Courtesy Archives nationales


D’où l’importance de s’appuyer aussi sur des référentiels par fonction. La recherche d’un document s’effectue ainsi au travers d’un critère plus « intangible » et moins mouvant que les organigrammes. L’objectif est de pouvoir comprendre les données et les métadonnées à travers les époques, d’y avoir accès à tout moment, indépendamment des changements subis par les organisations.

Mais ceci, comme je l’évoquais plus tôt, n’a pas toujours été la vision des archivistes. Un autre aspect des Archives a été de garder des traces des différentes actions de l’État et d’une certaine façon, de légitimer ses actions. À ses premières heures, l’Assemblée nationale révolutionnaire se dote d’un archiviste, Armand-Gaston Camus. Avec l’instauration d’un nouveau pouvoir, il devient crucial de garder trace des délibérations, puis des notes, des discussions et de toutes les décisions qui y sont prises. La trace qui est conservée est aussi une preuve : elle légitime l’action du nouvel État en train de se faire. La Révolution avançant, les révolutionnaires ont compris que les archives étaient des outils précieux et pas seulement celles qu’ils produisaient eux-même. On a en tête l’image d’une Révolution qui fait table rase de tous les signes de la monarchie, mais les législateurs avaient au contraire le souci de préserver les archives de l’Ancien Régime, très utiles pour leur action d’alors.

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Archives nationales, site Fontainebleau. Prise de vue préparatoire pour le projet « Géopolitique de l’oubli » © Daphné Le Sergent. Courtesy Archives nationales


DLS : Tu avais également évoqué la question de pouvoir penser les archives pour les générations futures qui n’auraient plus aucune notion de notre civilisation ?

MSBB : C’est une question complexe et je vais essayer de comparer le numérique au papier pour être plus claire. En ce qui concerne les archives papier, il faut pouvoir penser leur conservation sur des centaines d’années, comme c’est le cas de certains de nos documents. Les techniques de conservation du papier évoluent moins vite que celles attachées au numérique. Si pour l’un, les questions de conservation s’appuient sur les caractéristiques chimiques – un PH le plus neutre possible pour les chemises par exemple –, une très grande attention aux conditions de stockage dans les magasins d’archives et aux manipulations, le numérique nous fait passer de supports en supports extrêmement rapidement. Nous avions le CD Rom, que nous pensions à un moment être le support d’une conservation pérenne, mais nous savons maintenant que de nombreux CD ne pourront pas être relus. L’autre difficulté, c’est que le marché des entreprises qui développent ce type de produit n’est pas spécifiquement dédié à la question de l’archivage. Contrairement aux entreprises qui fabriquent les chemises au Ph neutre et qui sont principalement tournées vers les services patrimoniaux, le marché du numérique développe une recherche nourrie par des intérêts essentiellement commerciaux. Le marché est immense et ses applications sont multiples, avec des problématiques commerciales ne croisant pas nécessairement celles des archives.

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Archives nationales, site Fontainebleau. Prise de vue préparatoire pour le projet « Géopolitique de l’oubli » © Daphné Le Sergent. Courtesy Archives nationales


Actuellement, les Archives Nationales, comme de nombreuses institutions ayant une politique de pérennisation de leur patrimoine numérique, font de l’archivage sur LTO, une bande magnétique qui est un support très stable. Mais nous ne conservons pas ces bandes, qui sont en plusieurs exemplaires, plus de 5 ans. Les données sont transférées de support en support afin de les prémunir de leur obsolescence. C’est ce qu’on appelle une « migration » de données et de métadonnées n’entraînant aucune altération des archives numériques contenues. Certaines de ces migrations se sont aussi accompagnées de conversion. Notre soin se porte sur l’information, afin qu’elle soit la plus complète possible et pour garantir sa pertinence, son accès et sa diffusion, dans la pratique de l’usager qui effectue une recherche. Nous veillons à ce que les fichiers soient enregistrés dans une forme non compressée, comme le serait un fichier photographique, afin que d’année en année, il n’y ait pas de perte.



Nota bene : « Il faudrait pouvoir prolonger le projet et travailler encore l’image pour faire part des éclairs de conscience et de compréhension que m’a permis cet échange. L’arborescence, comme structure de la mémoire, mais aussi comme miroir de notre société, de nos organes de pouvoir. L’arborescence, comme ce qui cherche à dire l’essentiel dans l’épaisseur invisible du quotidien. Martine, après avoir vu la vidéo, tu m’as confié: “je n’y vois pas une géopolitique de l’oubli mais celle de la mémoire.” Un grand merci Martine pour ton discernement et pour nos conversations. » (Daphné Le Sergent)



Le carnet de Daphné Le Sergent
« Géopolitique de l’oubli » / l’exposition
« Géopolitique de l’oubli » / le livre
Daphné Le Sergent



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Meeting Point #2 Dork Zabunyan & Peter Szendy : Ausculter les images http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/02/meeting-point-zabunyan-peter-szendy-fr/ Wed, 07 Feb 2018 15:47:17 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=30127 Peter Szendy « rajeunit » aujourd’hui la pensée des images, comme Baudelaire, en son temps, « [rajeunissait] le romantisme » selon Flaubert. Voilà en effet un philosophe qui renouvelle en profondeur notre rapport aux images – toutes les images : cinéma, télévision, internet, peinture, bande dessinée, etc. Son ouvrage, Le Supermarché du visible constitue un repère salutaire pour sonder notre monde contemporain saturé d’images. (Dork Zabunyan)

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Peter Szendy – Ausculter les images

Peter Szendy « rajeunit » aujourd’hui la pensée des images, comme Baudelaire, en son temps, « [rajeunissait] le romantisme » selon Flaubert. Voilà en effet un philosophe qui renouvelle en profondeur notre rapport aux images – toutes les images : cinéma, télévision, internet, peinture, bande dessinée, etc. Le Supermarché du visible, paru cet automne chez Minuit, constitue un repère salutaire pour sonder notre monde contemporain saturé d’images. Plusieurs raisons expliquent l’importance d’un livre qu’on peut lire, de fait, comme un manuel de survie à l’âge d’une hyper-visibilité généralisée. En premier lieu, et il convient d’y insister pour éviter tout malentendu, les cheminements conceptuels proposés par Peter Szendy forment un réel antidote aux réflexions catastrophistes sur les effets présumés d’un visible en surrégime : effets de déréalisation – un trop-plein d’images engendrerait fatalement une perte de réel –, ou effets d’aliénation – la consommation d’une imagerie à grande échelle entraînerait forcément une aliénation des masses. Ces effets néfastes existent bien ici et ailleurs, avec des spécificités locales au niveau du globe (les stratégies de captation du regard peuvent varier d’un pays à un autre), mais il appartient au travail du philosophe d’esquisser une voix de sortie critique, ou de dessiner un pas de côté qui nous laisse entrevoir la possibilité d’autre chose. Cette possibilité s’incarne notamment dans le mouvement même de l’écriture de Peter Szendy. C’est là un trait caractéristique supplémentaire du Supermarché du visible : la conceptualité de son auteur y est immanente aux œuvres avec lesquelles elle interfère, et nos environnements d’images, aussi asphyxiants soient-ils, trouvent leur envers salvateur dans les espaces-temps construits par les cinéastes, de Robert Bresson aux Marx Brothers, de Jacques Tati à Brian De Palma. Szendy décrit et analyse leurs œuvres avec précision, tout en nous détournant – par de subtils tours et détours à l’intérieur des films –, de tous les mécanismes qui façonnent ou conditionnent nos manières de voir. Il n’y a pas d’ « organes immédiats » disait Karl Marx cité par Szendy ; il n’y a que des « organes sociaux » qui trouvent dans l’art des images mille façons de s’émanciper.

Une autre spécificité du Supermarché du visible en découle, qui élabore sobrement, sans prétendre avoir le dernier mot sur leur signification ultime, une politique des images. Une politique de l’auscultation des images, plus exactement, comme le formule Peter Szendy dans la conversation que nous avons eue avec lui, car il s’agit bien d’ausculter, tel un philosophe-médecin, le devenir marchand de ces images, leurs circulations à haute vitesse, les inventions cinématographiques dont elles font l’objet – dans l’optique, toujours, de révéler le moment où elles fonctionnent comme des contrepoints qui viennent rythmer, ponctuer, envelopper, voire « phraser » nos vies quotidiennes.

Dork Zabunyan



Peter Szendy est philosophe et musicologue, maître de conférences à l’université de Paris Nanterre et conseiller pour la programmation de la Philharmonie de Paris. Peter Szendy a enseigné auparavant à l’Université Marc Bloch de Strasbourg, tout en étant conseiller éditorial à l’Ircam de 1994 à 2001. Il est spécialisé dans l’esthétique de la musique, de la littérature, et du cinéma. Il est également l’auteur de livrets d’opéras ou d’œuvres vocales. Récemment, il a publié Le Supermarché du Visible. Essai d’iconomie, aux Éditions de Minuit, 2017.

Dork Zabunyan, directeur du laboratoire ESTCA — Esthétique, Sciences et Technologies du Cinéma et de l’Audiovisuel, est professeur en études cinématographiques à l’université Paris 8. Ses recherches portent sur le cinéma comme « art impur », et rencontrent divers sujets qui vont du cinéma documentaire aux jeux vidéo, du cinéma exposé aux relations entre cinéma et philosophie. Il collabore aux revues Trafic, artpress, Cahiers du cinéma ou encore Critique. Parmi ses principales publications : Foucault va au cinéma (Bayard 2011), Les Cinémas de Gilles Deleuze (Bayard 2011), Passages de l’histoire (Le Gac Press, 2013), et plus récemment L’insistance des luttes (De l’incident éditeur, 2016).

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Meeting Point #2 : Dork Zabunyan & Peter Szendy http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/02/meeting-point-2-dork-zabunyan-peter-szendy/ Wed, 07 Feb 2018 15:46:17 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=30145 FR Peter Szendy – Auscultating images Peter Szendy is “updating” current thinking about images just as, according to Flaubert, Baudelaire, “[modernised] Romanticism” in his time. Here is a philosopher who has profoundly renewed our relationship with images, every kind of image: cinema, television, Internet, painting, and comic strips, etc. Le Supermarché du visible (published last[.....]

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FR


Peter Szendy – Auscultating images

Peter Szendy is “updating” current thinking about images just as, according to Flaubert, Baudelaire, “[modernised] Romanticism” in his time. Here is a philosopher who has profoundly renewed our relationship with images, every kind of image: cinema, television, Internet, painting, and comic strips, etc. Le Supermarché du visible (published last autumn by Minuit) constitutes a salutary benchmark from which to survey a contemporary world that is saturated with images. Several reasons explain why this book, which you can read as a survival guide for people living in an age of generalised hyper-visibility, is so important. First of all, and we must insist upon this fact to avoid any misunderstandings, the conceptual thought processes that Peter Szendy suggests comprise an antidote to the pessimistic observations about the presumed effects of a visible world in overdrive. These supposed effects include derealisation: as an excess of images inexorably leads to a loss of reality or alienation, so the large-scale consumption of images necessarily leads to mass alienation. These harmful effects may indeed be a reality here and there, with local specificities (strategies implemented to monopolise the gaze vary from one country to another), but it appertains to the philosopher to outline a critique that provides a way out, or to hint at an evasive manoeuvre that allows us to glimpse an alternative. This alternative is notably embodied in Peter Szendy’s writing itself, which is yet another characteristic of Le Supermarché du visible. In this book, its author’s conceptuality is inherent to the works it deals with and therefore our image environments, as suffocating as they may be, find their salutary counterpart in moments of time and space created by filmmakers from Robert Bresson to the Marx Brothers and from Jacques Tati to Brian De Palma. Szendy accurately analyses and describes their work, whilst turning the reader away – using subtle twists and turns within the films themselves – from all the mechanisms that shape or condition our way of seeing. There are no “immediate organs” said Karl Marx, quoted by Szendy, there are only “social organs” that find in the art of images thousands of ways to emancipate themselves. This naturally results in another specific characteristic of Le Supermarché du visible, which soberly develops a politics of images, without claiming to have the last word on their final meaning. In fact, it would be more exact to say a policy for auscultating images (as Peter Szendy himself put it in the conversation that we had) because the idea is indeed to examine or auscultate, like a philosopher-doctor, the future of these images in market terms, their high-speed circulation and the cinematographic inventions that concern them – always with a view to revealing the moment when they act as counterpoints that bring rhythm, punctuate, envelope and even “phrase” our everyday lives.

Dork Zabunyan
Translation : Simon Thurston



Dork Zabunyan ; Peter Szendy ; cinema ; jukebox ; Hits ; Deleuze ; Walter Benjamin

January 17th, 2018. Dork Zabunyan (left) talks with Peter Szendy, a few days after a first public discussion at the Jeu de Paume bookstore, Paris. Photo Adrien Chevrot.






Peter Szendy is a French philosopher and musicologist. He is the David Herlihy Professor of Humanities and Comparative Literature at Brown University and he is a lecturer at the University of Paris Nanterre and advisor for programming at the Philharmonie de Paris. Peter Szendy previously taught at Marc Bloch University in Strasbourg, while being an editorial consultant at IRCAM from 1994 to 2001. He specializes in the aesthetics of music, literature, and cinema. He is also the author of librettos of operas or vocal works. His published works include Listen: A History of Our Ears, with a foreword by Jean-Luc Nancy, Fordham University Press, 2008; Prophecies of Leviathan. Reading Past Melville, with an afterword by Gil Anidjar, Fordham University Press, 2010; Hits. Philosophy in the Jukebox, Fordham University Press, 2011; Kant in the Land of Extraterrestrials. Cosmopolitical Philosofictions, Fordham University Press, 2013; Phantom Limbs: On Musical Bodies, Fordham University Press, 2015; All Ears: The Aesthetics of Espionage, Fordham University Press, 2016.

Dork Zabunyan is Professor in Film Studies at Paris 8 University. His main publications include Foucault va au cinéma (Bayard 2011), Les Cinémas de Gilles Deleuze (Bayard 2011), Passages de l’histoire (Le Gac Press, 2013), and most recently L’insistance des luttes (De l’incidence éditeur, 2016). He contributes to Les Cahiers du cinéma, Trafic, Critique and artpress.

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Meeting Point #1 : Dork Zabunyan & Ali Kazma [FR/EN] http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/01/interview-dork-zabunyan-ali-kazma/ Thu, 11 Jan 2018 10:38:56 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=28902 « Le travail filmique d'Ali Kazma est encyclopédique, au sens où il couvre, sur plusieurs continents, un vaste champ d'activités : industriel, médical, administratif, technologique, artistique, physique... C'est une cartographie en devenir de ce qui nous relie au monde et aux énergies qui le traversent, quel que soit le sentiment que nous éprouvons d'en être séparé. »

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Version française.
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A portrait of the artist as a taxidermist

Ali Kazma’s films are encyclopedic in that that they cross several continents and cover a wide field of activities: industrial, medical, administrative, technological, artistic and physical. His work is like an ongoing mapmaking process connecting us to the world and the energies that pass through it – raw materials, tattooed skin, a library – never mind what we feel when we are separated from these things. The artist tirelessly explores gestures and the places where these diverse activities take place, sometimes overlapping and often answering each other. It is noteworthy that the way in which Kazma’s videos are edited fragments the diverse manifestations of reality, whether this reality appertains to the actions of man, the working of machines or whether it is seen in a place from which man is absent and machines have been abandoned. This process of fragmentation, which is amplified in the exhibition setting by Kazma’s rigorous methods of projection, has a very precise purpose: it provides spectators with a new perspective on places they think they know and presents situations in such a way that their perception is no longer affected by retinal or sensory habits. The result is a double strategy in terms of manufacturing images. On the one hand, Kazma tends to almost exclusively use static rather than dynamic shots because camera movement, as Ali Kazma explains in the interview he gave us, detracts from the specific temporality of a place, in other words its ‘down time’ and the very rhythms that both characterize it and make it unique. On the other hand, fragmentation encourages the reconstruction of our living environment offering a “new dependence” to quote Robert Bresson, one of Kazma’s sources of inspiration. As Bresson wrote in his Notes on Cinematography: “See beings and things in their separate parts. Isolate these parts and render them independent in order to give them a new dependence”. In Kazma’s work, this new reconfiguration of things (after he has carved them up) paradoxically gives them back to us: fragmentation restores a sort of continuity with a fascinating, hostile, obscure or invigorating outside world and offers the spectator of his films or visitor to his installations the possibility to know experiences that they hadn’t ever encountered or which they had never imagined even existed. In contrast (and in parallel) fragmentation is a way of implicitly apprehending everything that disturbs the very fine thread connecting us to our living environment: the exploitation of men by men or the exploitation of animals; cultural and institutional fascism; and the ravages of the contemporary ecological catastrophe. Ali Kazma is like the taxidermist from his series Obstructions: he successively shows us two sides of the same reality in an order that changes from one spectator to another – either its latent beauty or, on the contrary, our world’s disturbing state of devastation – and sometimes even both at the same time.

Dork Zabunyan






Ali Kazma (1971) was born in Istanbul, graduated from the New School, New York, in 1998 and has been living in Istanbul since 2000. He works with lensbased media. All over the world, he investigates situation, places and structures relating to man’s ability to transform the world.

Dork Zabunyan is Professor in Film Studies at Paris 8 University. His main publications include “Foucault va au cinéma” (Bayard 2011), “Les Cinémas de Gilles Deleuze” (Bayard 2011), “Passages de l’histoire” (Le Gac Press, 2013), and most recently “L’insistance des luttes” (De l’incidence éditeur, 2016). He contributes to Les Cahiers du cinéma, Trafic, Critique and artpress.








Ali Kazma. Subterranean
About Ali Kazma / the bookseller’s choice
Dork Zabunyan, L’insistance des luttes
Ali Kazma and Jean-Michel Frodon : Another Discussion

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Matías Piñeiro et Andréa Picard : “Pour l’amour du jeu” http://lemagazine.jeudepaume.org/2017/11/matias-pineiro-lamour-jeu/ Fri, 24 Nov 2017 14:49:14 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=29281 « Le jeune cinéaste argentin Matías Piñeiro (1982) a, en un peu plus d’une décennie, produit un corpus de films sensuels et originaux, qui explore habilement les liens entre la littérature, le théâtre et le cinéma. Cette rétrospective présente pour la première fois en France, dans le cadre du Festival d’Automne, une œuvre comptant parmi l’une des plus vivifiantes du cinéma contemporain, entre création artistique et expérimentation formelle.

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Dans le cadre de la rétrospective qui lui était consacrée au Jeu de Paume à l’automne 2017, le réalisateur Matías Piñeiro s’est entretenu avec Andréa Picard, programmatrice du cycle, à la librairie Shakespeare & Co. dans le 5e arrondissement de Paris.





« Le jeune cinéaste argentin Matías Piñeiro (1982) a, en un peu plus d’une décennie, produit un corpus de films sensuels et originaux, qui explore habilement les liens entre la littérature, le théâtre et le cinéma. Cette rétrospective présente pour la première fois en France, dans le cadre du Festival d’Automne, une œuvre comptant parmi l’une des plus vivifiantes du cinéma contemporain, entre création artistique et expérimentation formelle. « Pour l’amour du jeu » retrace l’évolution de la carrière déjà prolifique de Matías Piñeiro, qui ne demande qu’à être découverte en France. » (Andréa Picard)


« Le monde entier est un théâtre, où tous – les hommes, les femmes – sont de simples acteurs. Ils y ont leurs entrées, leurs sorties… »
Shakespeare, Comme il vous plaira.

Matías Piñeiro

Matías Piñeiro, Todos Mienten © Matías Piñeiro



Né à Buenos Aires, Argentine, en 1982, Matías Piñeiro étudie à l’Universidad del Cine, où il enseignera plus tard la réalisation et l’histoire du cinéma. En 2006, il est l’un des onze cinéastes du collectif « A Proposito » de Buenos Aires et en 2007, il présente son premier long-métrage El Hombre Robado, récompensé du Prix du meilleur réalisateur au Festival de Films de Las Palmas et du Prix du meilleur film au Jeonju International Film Festival. En 2011, il s’installe aux États-Unis où il entreprend une recherche au Radcliffe Institute de l’Université de Harvard, puis un Master of Fine Arts à l’Université de New York. Sa filmographie comprend notamment El Hombre Robado (2007), Todos Mienten (2009), le court-métrage Rosalinda (2011), Viola (2012), La Princesa de Francia (2014) et Hermia & Helena (2016), son premier film en langue anglaise. Il remporte, entre autres, le Prix du Jury pour Viola au Festival International du Film de Valdivia et le Prix du meilleur film argentin pour La Princesa de Francia au Festival International du Cinéma Indépendant de Buenos Aires. Son dernier film Hermia & Helena était en compétition au Festival international du film de Locarno.

Commissaire d’exposition et critique d’art et de cinéma, Andréa Picard travaille au Festival International de films de Toronto (TIFF) depuis 1999 où elle est la programmatrice de Wavelenghts, la section plus avant-gardiste et expérimentale du festival, très acclamé par la critique. En tant que commissaire et critique indépendante, elle collabore régulièrement avec des institutions internationales comme Art Metropole à Toronto, le Centre Pompidou à Paris, Festival Images à Toronto, le Belvédère, MAK et Secession à Vienne parmi d’autres. Elle collabore également avec des magazines internationaux comme Flash Arts International, Canadian Art, Millennium Film Journal et Les Cahiers du cinéma. Elle dirige une rubrique sur les relations du cinéma et les arts visuels dans la revue Cinema Scope. Andréa Picard sera la directrice du Festival Cinéma du Réel à Paris à partir de 2018.




Plus d’informations sur la rétrospective
Le petit journal de la rétrospective

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Ali Kazma présente “Past” http://lemagazine.jeudepaume.org/2017/09/ali-kazma/ Mon, 25 Sep 2017 05:00:37 +0000 http://012fae3308.url-de-test.ws/?p=9436 En 2012, le magazine avait rencontré Ali Kazma pour lui poser quelques questions sur son installation vidéo, "Past", coproduite par le Jeu de Paume dans le cadre du Printemps de Septembre à Toulouse.

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En 2012, à l’Hôtel-Dieu Saint-Jacques de Toulouse, Ali Kazma présentait « Past », une installation vidéo coproduite par le Jeu de Paume dans le cadre du Printemps de Septembre. L’artiste a suivi les travaux des archéologues sur le site de Bibracte, au coeur du Morvan.





Depuis le début des années 2000, Ali Kazma a filmé des métiers, ou plus précisément des activités humaines : boucher, horloger, taxidermiste, ouvrières du textile, danseurs, peintre…  Mais  il traite ce sujet d’une manière très spécifique : il évite toute approche idéologique de la notion de travail, et se dégage d’une vision documentaire en réalisant un travail de réalisation et de montage sophistiqué et directement corrélé à l’activité filmée, notamment par le choix du rythme ou de la distance. Ainsi, Amy Barak et Paul Ardenne soulignent dans leur conversation la complexité du travail esthétique réalisé — qu’il s’agisse de l’image ou de la prise de son —, qui agit tel un miroir de l’action filmée.



Prochainement : Exposition “Ali Kazma. Souterrain
Ali Kazma : « Past » 


Ali Kazma « Past », vidéo (2012) Coproduction Jeu de Paume, Paris. Courtoisie de l’artiste et de la Galerie Analix Forever, Genève. Crédit photo : Nicolas Brasseur, Le Printemps de Septembre 2012





Né en 1971 en Turquie, Ali Kazma vit et travaille à Istanbul. Vidéaste, il participe à de nombreuses expositions en France, en Suisse, en Amérique Latine, en Italie, aux États-Unis. Son travail a été montré dans le cadre des Biennales d’Istanbul 2001 et 2010, à l’Istanbul Modern, à la Biennale de la Havane à Cuba, au San Francisco Art Institute en 2006, et au Palais de Tokyo dans le cadre d’un « Special film screening », présenté à l’occasion de l’attribution du Prix Nam June Paik, qu’il obtient en 2010.


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Paz Errázuriz : une poétique de l’humain http://lemagazine.jeudepaume.org/2017/07/errazuriz-une-poetique-de-lhumain/ Tue, 11 Jul 2017 15:43:01 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=27929 La photographe chilienne Paz Errázuriz s'est entretenue avec Erika Goyarrola Olano, peu après la visite commentée de son exposition « Une poétique de l’humain », présentée par le Jeu de Paume aux Rencontres d'Arles.
Depuis la dictature de Pinochet, Paz Errázuriz n’a cessé de prendre des photographies qui dévoilent les sous-cultures du Chili dans toutes leurs aspérités tout en entrecroisant habilement les thèmes de l’art, du genre, de l’histoire et de la politique.

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Errázuriz ; Chili ; Pinochet ; photographie

Paz Errázuriz, Dormidos V [Dormeurs V], 1979. De la série « Los Dormidos » [Les dormeurs]. Courtesy de l’artiste © Paz Errázuriz



La photographe chilienne Paz Errázuriz s’est entretenue avec Erika Goyarrola Olano, peu après la visite commentée de son exposition « Une poétique de l’humain », présentée par le Jeu de Paume aux Rencontres d’Arles.
Depuis la dictature de Pinochet, Paz Errázuriz n’a cessé de prendre des photographies qui dévoilent les sous-cultures du Chili dans toutes leurs aspérités tout en entrecroisant habilement les thèmes de l’art, du genre, de l’histoire et de la politique. Attachée à ses modèles, Errázuriz a passé des mois et parfois des années au sein de diverses communautés pour gagner leur confiance et étudier leur structures sociales. Sous la dictature, elle a réalisé des projets proscrits par la réglementation imposée par le régime militaire, osant se rendre dans des maisons closes clandestines, des foyers d’accueil, des services psychiatriques et des clubs de boxe où les femmes n’étaient pas les bienvenues.


Erika Goyarrola : Paz Errázuriz, merci d’avoir eu la gentillesse d’accepter cette interview. Nous sommes à l’Atelier de la Mécanique, devant votre exposition « Une poétique de l’humain », organisée par le Jeu de Paume et la Fundación MAPFRE dans le cadre des Rencontres photographiques d’Arles. Cette exposition est une rétrospective qui rassemble plus d’une centaine de photographies que vous avez réalisées entre les années 1970 et aujourd’hui.

Votre relation à la photographie est presque née par hasard. Vous êtes complètement autodidacte, car à l’époque, il était très difficile de trouver des formations et les écoles de photographie n’existaient pas au Chili. Vous étiez institutrice, vos élèves ont ainsi été le premier sujet de vos images. Le pays était alors encore en démocratie. Votre travail de l’époque le plus connu s’intitule La Manzana de Adán [La pomme d’Adam, 1990], qui s’intéresse à un groupe de travestis. Comment êtes-vous passé d’un sujet à l’autre, quelles ont été les étapes entre ces deux moments de votre carrière ?



Errázuriz ; Chili ; Pinochet ; photographie

Paz Errázuriz, Evelyn, La Palmera, Santiago [Evelyn, La Palmera, Santiago], 1983. De la série « La manzana de Adán » [La pomme d’Adam] Courtesy Galeria AFA, Santiago, Chili © Paz Errázuriz



Paz Errázuriz : En réalité, j’ai commencé la photographie après avoir été licenciée de mon poste d’institutrice, au moment du coup d’État de Pinochet. C’est à ce moment-là que j’ai pu me consacrer à la photographie. J’ai commencé par faire un livre pour enfant intitulé Amalia. Ce projet raconte un jour dans la vie d’une poule, avec des textes et des photos de ma création. Ensuite, j’ai gagné ma vie en faisant des portraits d’enfants et de leur famille. C’est grâce à cela que j’ai réalisé ma première série, qui n’a pas été La Manzana de Adán, mais El Circo [Le Cirque], consacrée aux petits cirques habituellement installés en périphérie des villes. J’y allais avec mes jeunes enfants, ce qui me permettait de travailler beaucoup plus facilement.

Très tôt, j’ai aussi fait partie d’un groupe de photographes indépendants, nous réalisions des photoreportages dans la rue. Politiquement, c’était assez engagé. Cela nous permettait un peu de faire de la résistance grâce à la photographie. Ce fut un apprentissage très important pour moi. C’est ce qui m’a permis de me sentir mieux armée pour évoluer dans un monde si répressif. J’ai ensuite travaillé avec un groupe de travestis prostitués, qui eux aussi subissaient une répression très dure. C’est un travail qui a duré au moins quatre ans, et c’est un des projets auquel je suis le plus attachée.


EG : Vos photographies permettent de retracer l’histoire du Chili, ou du moins, de voir une autre histoire du pays, comme c’est le cas dans cette exposition aux Rencontres d’Arles. Habituellement, vous êtes plus attirée par le portrait, grâce auquel on peut découvrir différents endroits, explorer les classes sociales, la politique. Vous faites très peu de paysage, en réalité.

PE : En effet, je n’avais pas trop le temps de faire des photos de paysage. Je fais un travail de recherche, je suis en quête de ma propre identité, dans mon propre pays et dans des mondes parallèles. C’est ça qui m’a réellement poussé à me tourner davantage vers les gens.


EG : Votre œuvre insiste sur des lieux qui se situent en marge du système, en se concentrant sur des minorités qui, comme vous le dites, sont en réalité une majorité. Vous refusez d’ailleurs d’utiliser le mot « marginal » pour éviter les connotations négatives.

PE : Oui. En tant que femme, je fais aussi partie d’une minorité, d’une population en marge, du moins jusqu’à aujourd’hui. Cela dépend évidemment du point de vue, mais parmi les photojournalistes, il y avait vraiment très peu de femmes à l’époque. C’est dans cette situation-là qu’on apprend à créer des relations et à susciter des rencontres.

Errázuriz ; Chili ; Pinochet ; photographie

Paz Errázuriz, Mujeres por la vida, [Femmes pour la vie], 1989. De la série « Protestas » [Manifestations]. Courtesy de l’artiste © Paz Errázuriz



EG : Être une femme sous la dictature ne devait en effet pas être facile. Comment avez-vous été confronté à cela, quel genre d’obstacles supplémentaires avez-vous dû affronter ?

PE : Oui, il y avait des obstacles, mais vous savez, on réussit quand même à s’en sortir, on finit par trouver les moyens de survivre.


EG : Vos photos démontrent un engagement politique face à la réalité chilienne de l’époque, comme on peut le voir dans vos images lors des premières années de la dictature. Par la suite, vous n’abandonnez d’ailleurs pas votre exploration de la marge, à l’écart du discours officiel et totalitaire. Vous essayez sans cesse de transgresser la norme. Comment votre travail était-il accueilli sous la dictature ? Avez-vous rencontré des oppositions ?

PE : Mon travail n’était tout simplement pas accueilli du tout ! [Rires] Et je m’y suis habituée. Cela m’a permis de me sentir très libre et de profiter d’une très grande indépendance. Les poètes, les écrivains et les artistes étaient des gens qu’il fallait éviter de fréquenter à l’époque. Pour moi, c’est donc assez surprenant d’avoir une rétrospective ici. Je ne suis pas habitué à ce que mon travail soit exposé, et encore moins à ce que ma personne le soit aussi.


EG : Même si le Chili ne vit plus sous la dictature, les photos de cette exposition et ce qu’elles revendiquent sont encore tout à fait d’actualité…

PE : Oui, je crois que c’est devenu une partie de notre histoire, la photographie a joué un rôle important pour témoigner de ces événements.


EG : Pour revenir à la manière dont vous faites face aux gens que vous photographiez, comment affrontez-vous ces sujets « en marge », dont le traitement peut être risqué sur le plan éthique ? Vos photos sont dénuées de voyeurisme, il n’y a aucune curiosité malsaine, on y voit au contraire une relation très respectueuse.

PE : Certaines séries demandent un travail d’enquête important, comme Los nómadas del mar [Les Nomades de la mer], sur les Kawésqars, une ethnie vivant à la pointe australe de la Patagonie, du côté chilien. Quand j’ai commencé à me rendre là-bas, j’ai trouvé très peu d’informations. Cette région était une vraie surprise. J’étais même scandalisé par le fait que personne ne s’y soit intéressé avant moi, à l’exception du père Martin Gusinde, un prêtre et anthropologue autrichien. Il est le seul à avoir traité des tribus Kawésqar et Yamana, et ses écrits remontent à plus d’un siècle, c’est tout de même incroyable. Se documenter n’était donc pas évident, les livres qui en parlaient n’étaient pas en espagnol, il n’y avait que très peu de bibliothèques… Ensuite, j’ai dû expliquer mon projet à ces tribus qui vivent dans des régions très isolées. Je ne voulais pas qu’elles craignent que mes photos soient irrespectueuses.

Dans tous mes travaux, et pas seulement celui-là, il très important que les personnes que je photographie comprennent parfaitement ce que je cherche à faire. Il faut que le dialogue soit constant, et je veux que cela puisse se voir dans mes photos. Pour moi, elles représentent aussi un portrait de moi, car en observant ces images, on peut imaginer le photographe qui se trouve derrière l’appareil.


EG : Vous avez déjà eu l’occasion d’expliquer que l’ensemble de votre œuvre peut en effet être vu comme une sorte d’autoportrait.

PE : Oui, j’ai constamment l’impression de faire mon propre portrait. Et c’est en fait très valorisant.


EG : Dans les portraits que vous faites, vous cherchez à sortir du point de vue du dominant, de l’ethnocentrisme de l’homme blanc qui regarde les cultures étrangères à travers le filtre de l’exotisme. Cela représente aussi un travail d’enquête et de compréhension des personnes considérable.

PE : Il y a aussi un peu d’improvisation. Je n’ai jamais travaillé à la chambre, et je n’ai pas non plus de studio, je ne fais jamais de photos en studio. Il y a donc toujours une part d’incertitude, je ne suis jamais sûr du résultat, si le point de vue est correct… Je me jette à l’eau, et voilà.


EG : À ce propos, quelle est selon vous la responsabilité qu’a le photographe dans l’actualité ?

PE : le plus important, c’est l’éthique. Pour moi, c’est fondamental. Je veux montrer aux gens que je les respecte. Je leur offre la photo, par exemple. Et souvent, cela ne leur plait pas non plus et je les déçois. Quand ils voient que c’est du noir et blanc, c’est déjà une déception pour eux. Les choses vont toujours en se compliquant [rires].

Errázuriz ; Chili ; Pinochet ; photographie

Paz Errázuriz, Macarena, Santiago [Macarena, Santiago], 1987. De la série « La manzana de Adán » [La pomme d’Adam]. Courtesy de l’artiste © Paz Errázuriz



EG : Dans le livre La manzana de Adán, vous recueillez le témoignage des personnes que vous photographiez. C’est aussi une façon de ne pas vous imposer et de leur donner la parole, n’est-ce pas ?

PE : Oui, c’est vrai, mais il y a également une relation d’amitié qui se crée, et qui existe encore aujourd’hui avec Coral, le dernier survivant de ce groupe. C’est un très grand ami, même s’il est malade du sida. Mais nous avons toujours gardé le contact, malgré toutes ces années. Pour moi, c’est réconfortant. Cela fait longtemps que j’ai terminé cette série, c’est donc particulièrement émouvant. C’est la même chose avec les Kawésqars. Jusqu’à maintenant, j’ai toujours gardé un contact étroit avec eux. Je réalise d’ailleurs un reportage sur ce thème avec une amie cinéaste, nous y travaillons très sérieusement et nous avons déjà tourné une grande partie des images. Ce que je veux dire, c’est que j’ai toujours eu beaucoup de mal à conclure une série, car je m’attache aux gens. Je tiens à remercier ceux qui participent à mes projets, ils seront toujours les premiers à voir ces images.


EG : Vous avez travaillé sur un autre film, en plus de celui-là, n’est-ce pas ?

PE : Oui, il y a un autre petit film que l’on peut voir dans cette exposition. C’est très expérimental, car je ne suis pas réalisatrice. Mais pour moi, ce n’est pas nécessaire [rires], je n’avais pas d’autres choix que de le faire moi-même, comme c’est souvent le cas.


EG : Les femmes représentent un fil conducteur dans votre carrière, avec des projets comme Mujeres de Chile [Femmes du Chili] ou Vejez [Vieillesse]. Dans l’exposition d’Arles, on peut voir des portraits de femmes âgées intitulés Reina [Reine] ou Las juezas [Les Femmes juges]. Pourquoi ces titres ?

PE : C’est ainsi que je les vois, j’ai beaucoup d’empathie pour elles. Mon travail repose aussi sur le concept d’images latentes, ce concept propre à la photographie argentique. C’est un aspect que j’ai commencé à prendre en compte avec des photos de femmes qui se prostituaient. C’est un projet qui a duré très longtemps. Je suis même devenue la marraine d’un de ses enfants. Mais elles ont fini par me demander de jurer de ne jamais montrer ces photos. Ça a été quelque chose de très dur au début de ma carrière, il a fallu rester loyale.


EG : Et vous ne les avez jamais montrées ?

PE : Non, même si ces femmes ne figurent pas sur la photo.


EG : Dans Vejes, vous photographiez les corps nus de personnes âgées et d’une certaine manière, vous brisez un tabou sur cette époque de la vie. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

PE : À nouveau, je le vois avant tout comme un apprentissage, je m’identifie beaucoup à ces images. À l’époque, j’étais plus jeune, mais aujourd’hui, je pourrais très bien faire partie de ce groupe de femmes. Je n’osais pas faire mon autoportrait, c’était une manière de m’exprimer à travers quelqu’un d’autre. Le fait d’y parvenir m’a apporté un sentiment de liberté, j’étais très heureuse de pouvoir faire ces photos. Quand j’étais enfant, je n’ai jamais eu d’éducation par rapport au corps. Plusieurs générations entières de femmes n’ont absolument pas reçu d’éducation. Cela a donc été très instructif, un merveilleux moment pour moi. Comme une sorte de grand miroir.

Errázuriz ; Chili ; Pinochet ; photographie

Paz Errázuriz, Infarto 29, Putaendo [Infarctus 29, Putaendo], 1994. De la série « El infarto del alma » [L’infarctus de l’âme]. Courtesy de l’artiste © Paz Errázuriz



EG : Vous avez aussi abordé le sujet des corps chez les personnes malades, comme avec El infarto del alma [L’Infarctus de l’âme], un projet que vous avez réalisé dans un hôpital psychiatrique.

PE : C’est également un projet qui me tient très à cœur. Dans cet hôpital, je faisais des portraits de toutes les personnes internées. Comme le projet a duré un certain temps, je me suis rendu compte que plusieurs d’entre elles formaient des couples, et que leur relation était tout à fait stable. Je me suis demandé pourquoi ce fait était passé sous silence. Alors j’ai poursuivi mon travail dans ce sens, en m’intéressant aux couples de l’hôpital psychiatrique. Et cela a été une très belle expérience pour eux. Figurez-vous que tous voulaient se marier, mais ils n’en avaient pas le droit.

J’ai ensuite collaboré avec mon amie Diamela Eltit, une grande écrivaine, pour que cela prenne la forme d’un livre, une très belle réalisation. Quand j’ai installé l’exposition dans l’hôpital pour la montrer aux patients, il s’est produit quelque chose d’assez fascinant. Quand je leur offrais leur photo, ils la mettaient précieusement de côté, sous protection. À leurs yeux, c’était comme une sorte de certificat de mariage. Je n’ai pas pu leur offrir plus, car les cadeaux sont interdits dans cette institution. C’est le protocole, probablement pour éviter les jalousies.

Il y a trois semaines, nous avons sorti la quatrième édition de ce livre. C’est incroyable que ce projet ait vécu si longtemps. C’est une grande satisfaction pour moi.


EG : Vous avez aussi fait des portraits dans des maisons de retraite. Dans votre travail, on peut déceler une certaine obsession pour le passage du temps, de l’enfance, avec la série El circo [Le Cirque], jusqu’aux personnes âgées.

Paz Errázuriz, Miss Piggy II, Santiago [Miss Piggy II, Santiago], 1984. De la série « El circo » [Le cirque]. Courtesy de l’artiste © Paz Errázuriz

PE : C’est vrai, il y a une chronologie assez claire dans mon travail. J’essaye en quelque sorte de m’approcher de la mort grâce à la photographie. C’est une chose dont je suis très consciente actuellement.


EG : Le fait d’être autodidacte a-t-il été une difficulté en termes de références photographiques ? Y a-t-il eu des photographes que vous avez découverts plus tard, avec lesquels vous vous identifiez d’une certaine manière ?

PE : Oui, au début, je ne connaissais rien à l’histoire de la photographie. Évidemment, Internet n’existait pas encore, et il était très difficile de trouver des bibliothèques avec des livres sur le sujet. Ce n’est que bien plus tard que j’ai commencé à me retrouver chez plusieurs photographes, et que je me suis beaucoup intéressée à leurs travaux. Josef Koudelka, Diane Arbus et bien d’autres femmes photographes, par exemple. J’ai aussi beaucoup étudié la peinture. Et très tôt, j’ai eu l’occasion d’avoir accès à quelques photos de Sergio Larraín, un photographe chilien bien connu pour avoir fait partie de Magnum. J’avais donc quand même quelques pistes. Il y a toujours quelque chose d’universel que l’on retrouve chez ces photographes et sur lequel on peut s’appuyer.


EG : Je vous remercie de m’avoir accordé cette interview, et j’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir !

PE : merci !




Traduction de l’espagnol au français : Aurélien Ivars
Érika Goyarrola est historienne de la photographie et commissaire d’exposition. Elle est docteure en Histoire de l’art à l’Université Pompeu Fabra après une thèse intitulée « Auto-referencialité dans la Photographie Contemporaine : Francesca Woodman, Antoine d’Agata et Alberto García-Alix ».



Téléchargez gratuitement le livret de la traduction française des textes du catalogue : Paz Errázuriz – FR

Plus d’infos sur l’exposition
Paz Errazuriz: “Survey” / Aperture Foundation
Paz Errázuriz, lauréate du prix Madame Figaro

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‘‘ils m’ont montré ce que je n’avais pas su voir… ’’ http://lemagazine.jeudepaume.org/2017/06/ils-mont-montre-ce-que-je-navais-pas-su-voir/ Thu, 08 Jun 2017 12:57:17 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=27502 Une conversation entre Ismaïl Bahri et Camille Pradon

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Ismaïl Bahri, 17 août 2016 dans les jardins du Parc du Belvédère à Tunis.
Photo Camille Pradon




Exploration et observation sont deux termes pouvant permettre de définir le travail de l’artiste qui se manifeste sous de multiples formes telles que le dessin, l’installation ou la vidéo.

Explorer : travailler le regard, toucher à la matérialité de l’image, tendre un fil et le nouer, dérouler un papier, découper une forme, froisser, cadrer, masquer… Autant de gestes produits par le déplacement du corps et par des manipulations qui viennent affecter la matière tenue entre les doigts.
Observer ensuite : révéler le cadre de l’image et ses bords, plonger dans la couleur et les teintes de la lumière, suivre des yeux la courbe d’une chute, entrapercevoir le paysage comme contenu dans un battement de paupière, attendre la stabilisation d’une surface liquide pour en découvrir le reflet… Si la main possède une place importante au sein de ses œuvres, Ismaïl Bahri n’a de cesse de déjouer les protocoles et les gestes qu’il agence, faisant bifurquer le regard pour mieux parcourir les champs du visible.

De l’espace d’exposition à la salle de cinéma, les films d’Ismaïl Bahri vont et viennent dans ces lieux qui les accueillent et avec lesquels l’artiste ne cesse de dialoguer, cherchant à développer ce qu’il nomme des « espaces pour voir ».


LES CHAMPS DE VISIBILITÉ


Camille Pradon : Foyer donne à voir un écran blanc soumis à des variations lumineuses. Le dispositif est relativement simple : placé devant l’objectif de la caméra, un cache de papier palpite sous l’effet du vent et se teinte selon la luminosité ambiante. Que représentent ces variations lumineuses ? Sont-elles des images ou bien des formes visuelles d’une autre nature ?

Ismaïl Bahri, Foyer, 2016, HD 16/9, son stéréo ou 5.1, 32 min, arabe tunisien sous-titré français ou anglais.
Production : Spectre Productions & La Fabrique Phantom. Producteur : Olivier Marboeuf. Producteur associé : Cédric Walter


Ismaïl Bahri : Est-ce que ce sont des images ? Qu’est-ce qu’une image ? Je ne sais pas…

Il me semble qu’on se situe entre les deux. D’une part, nous avons un sujet, un morceau de papier filmé pour ce qu’il est. On voit que c’est un objet opaque, blanc, contenant des fibres et des textures, où l’on distingue des ombres et des couleurs. D’autre part, ce morceau de papier est filmé de très près, si bien qu’il finit par devenir abstrait, par devenir une pure lumière. Cette “forme visuelle” pourrait être envisagée sous l’angle de l’abstraction… Je crois que le film ne cesse de balancer entre les deux.

J’ai travaillé la profondeur de champ de façon à ce qu’elle oscille entre abstraction lumineuse et matérialité du papier.

Aussi, quand la mise au point est faite sur l’horizon, la feuille de papier devient lumière et à l’inverse, on peut parfois entrevoir la surface même du papier, sa texture. Au fur et à mesure que le film avance, on se rapproche de cette matérialité-là et on se concentre sur des phénomènes concrets qui se déroulent à sa surface comme par exemple des ombres ou des réflexions d’eau dans la dernière séquence du film… Mais c’est tellement subtil qu’il est possible que ça ne se remarque pas.

Donc est-ce une image ou une forme visuelle ? Lorsque j’ai réalisé l’exposition “Sommeils”, certains visiteurs m’ont fait remarquer qu’il n’y avait pas d’images. Je présentais une série de vidéos montrant un cache en papier noir se soulevant par intermittence sous l’action du vent et laissant entrevoir des bribes de paysages. Étant donné que le cache était le plus souvent inactif, le visiteur se retrouvait dans un espace d’exposition totalement plongé dans le noir. Certaines personnes ont eu l’impression de ne rien voir et m’ont dit que l’exposition manquait d’images. Or, je m’étais rendu compte que c’était précisément la palpitation du cache de papier qui faisait image. L’image était contenue dans l’intermittence, dans le mouvement de bascule du papier qui alternativement cache et rend visible. L’image est donc faite de ce double mouvement, elle n’a rien à voir avec le sentiment d’avoir quelque chose à regarder…

De la même façon, s’il y a un rapport à l’image dans Foyer, il faudrait peut-être l’envisager comme un champ de visibilité. C’est-à-dire comme un champ pouvant embrasser l’ensemble des phénomènes et des énergies – qu’ils soient visibles ou cachés – dans la partie du monde que l’on observe. Le champ de visibilité propre à Foyer serait autant constitué de ce qui se donne à voir que de ce qui reste potentiellement hors de notre perception immédiate. C’est une sorte d’écologie englobant les énergies atmosphériques qui animent le milieu dans lequel se déroule le film ainsi que les frictions de ce milieu avec la caméra qui en enregistre les effets.

Ismaïl Bahri, Foyer, 2016, HD 16/9, son stéréo ou 5.1, 32 min, arabe tunisien sous-titré français ou anglais.


CP : Comment qualifies-tu alors ce qui se produit lorsque le cache se soulève laissant entrapercevoir le lieu de tournage ? On bascule dans le réel ?

IB : J’ai beaucoup hésité à laisser cette ouverture très brève qui arrive à la toute fin du film et je me suis longtemps demandé si j’avais fait le bon choix. Il s’agit tout d’abord d’une erreur de manipulation : le cache s’est soulevé et on a pu voir au‑delà. J’ai gardé ce moment. Ça crée de l’étonnement et j’aimais l’idée de finir le film sur une sorte d’appel d’air. On peut aussi voir cela comme la convocation d’un autre possible de l’image, une autre façon pour l’image de se manifester. Mais pour moi, ce qui arrive avec l’ouverture du cache est plus ou moins l’équivalent de ce qui ce passe quand l’écran reste blanc.

Pour faire un parallèle avec la caméra ou la vision, je dirais que tout cela se construit entre accommodation et distance. C’est d’ailleurs cet effet d’accommodation qui déplie ou rend sensible le champ de visibilité dont je parlais : à quelle distance se positionne-t-on vis-à-vis d’un élément filmé ? Que ce passe-t-il dans cet espace, quelles énergies et intensités s’activent dans l’espace séparant et reliant les éléments du film ? Comme y réagissent les vents, les lumières, les corps et les voix ?

Le film ne cesse de sonder cet espace et j’espère que le spectateur va venir s’insérer comme un point supplémentaire de cet espace. Et cette ouverture agit peut-être aussi comme une contradiction, ou disons un contrepoint qui arrive à la fin, quand chaque spectateur a fait son propre film.


CP : Lorsque João César Monteiro réalise son film Blanche Neige, l’utilisation radicale de l’écran noir comme image même du film témoigne d’une volonté de délaisser une narration imagée classique au profit de l’écoute de la pièce de Robert Walser. L’écran devient alors le « seul envers et endroit de l’image dans lesquels puisse demeurer et s’amplifier le texte poétique (…)» . Le film est également parsemé de plans de ciels qui agissent comme des ouvertures accompagnant les différents lieux et les actions du récit. Penses-tu que l’on puisse créer un lien entre vos deux démarches ?

IB : Je ne connaissais pas Blanche Neige avant de débuter les expérimentations qui m’ont amenées à réaliser Foyer mais j’ai découvert le film alors que j’y travaillais. J’ai été saisi en voyant la radicalité dont a fait preuve Monteiro. J’ai aussi été frappé par son geste, celui consistant à poser sa veste sur la caméra, par dépit, parce qu’il n’était pas satisfait de l’image et parce qu’il considérait que montrer les choses tel qu’il le faisait habituellement n’était, dans le cas de ce film, pas nécessaire…

Je me suis alors demandé : que veut dire faire une image par nécessité ?

Ce film a donc nourri un travail en cours, il m’a aidé à voir et à approfondir Foyer. Il m’a aussi aidé à comprendre le caractère in‑situ de Foyer qui est un film pensé pour la salle de cinéma. Blanche Neige convoque la chambre noire et rend sensible l’espace interne de la caméra. Voir ce film, c’est être dans la caméra qui enregistre. Et Foyer convoque, lui, l’écran. Il provoque un trouble sur l’écran. L’écran de la salle reçoit-elle une image ? Voit-on un film sans images ? L’écran, ainsi éclairé par le projecteur, ne devient-il pas lui-même la chose à voir en tant qu’objet physique ? On en vient à parler de l’ambiguïté qui existe entre la surface de l’image et la matérialité de l’écran… Le film de Monteiro a été tourné en pellicule et il semblerait que le voir en salle en révèle une très belle qualité de noir, des nuances de gris très subtils. La pellicule lui a permis de révéler toutes les subtilités du noir pour en faire un paysage de récit accueillant le texte de Robert Walser. Mais en ce qui me concerne je dirais que le paysage de récit qui existe dans Foyer est issu d’un contexte géographique, très lié à la ville… L’environnement et les passants viennent impressionner le film car la caméra est exposée à ce qui l’entoure et elle enregistre cette exposition.


CP : Dans un entretien accordé à Marie-Pierre Burquier, tu dis que « Foyer est issu de questionnements sur l’abstraction et sur le monochrome (…) ». Cela nous renvoie à Malévitch et notamment au Suprématisme, il y aborde la notion de sans objet et traite la couleur comme une unité autonome.

Comment fais-tu intervenir une part d’abstraction dans ton travail et quels sont les liens esthétiques et théoriques qui te rattachent à ce courant ?

Ismaïl Bahri, Foyer, 2016, HD 16/9, son stéréo ou 5.1, 32 min, arabe tunisien sous-titré français ou anglais.


IB : Pour réaliser ce film je me suis intéressé à ce que l’on appelle le monochrome et plus généralement à l’abstraction. Mais davantage que le monochrome, c’est la question de la nuance et de la légère déclinaison des couleurs qui m’a retenu.

À vrai dire, c’est plutôt Paul Klee qui a guidé cette réflexion. Il développe un positionnement plus ambigu, se situant entre abstraction et représentation. Klee revient toujours à l’idée d’un point d’équilibre, d’un « point gris » ou bien d’un milieu comme point de croissance qui renvoie à une zone flottante dont il est difficile de qualifier une quelconque appartenance. C’est très présent dans ses écrits. Je trouve que la tentative de localisation de ce point de flottement est passionnante. Aussi, la façon dont Klee pense les infimes gradations et déclinaisons de couleur et de teintes m’a beaucoup aidé à reconnaître qu’il existe quelque chose de cet ordre dans Foyer. Le film est construit autour d’un déplacement au sein du spectre des couleurs et de la lumière. Il évolue par degrés et le regarder revient à évoluer d’une teinte à une autre. À un moment donné, j’ai compris que c’était autant un film sur l’accommodation par rapport à un paysage, et plus généralement par rapport à la Tunisie, qu’un nuancier coloré de trente minutes. Ces deux mouvements suivent un même pli. Ils ne font qu’un.

Bref, pour revenir à ta question au sujet de l’abstraction, c’est donc plutôt l’idée de nuance qui m’a intéressé. J’ai voulu traiter le milieu urbain et social dans lequel est plongé le film depuis un rapport de nuance.


CP : Dirais-tu que, dans le même temps, tu as réussi à te libérer de la chose filmée, de ce qui figure ?

IB : Ce que je comprends de la phrase de Malévitch c’est qu’il va isoler un élément du monde, l’entourer d’une sorte de cordon sanitaire, pour l’étudier pour lui-même, en évitant qu’il se contamine. Foyer tente le contraire. Il s’agit de prélever du monde une zone à étudier, d’extraire un blanc, pour en enregistrer les frictions avec le réel qui l’entoure.

Je pense que le film tente de se libérer du fait de figurer. J’ai essayé de faire un film potentiel qui puisse se développer dans la tête du spectateur.

Cela veut dire qu’il y a la possibilité d’activer les blancs. Car cet abîme de blanc qui se teinte en continu, devient une surface que l’on peut impressionner à l’infini.



L’EXPÉRIENCE D’UNE TRAVERSÉE


CP : Les sonorités de la ville de Tunis et les commentaires des passants accompagnent ce que nous ne voyons pas, ou plutôt ce que nous voyons et ce qui nous échappe… Tour à tour se succèdent badauds, enfants, policiers et jeunes gens qui, en s’approchant de la caméra, mettent en lumière le dispositif du film par les remarques ou les questions qu’ils t’adressent. Comment as-tu initialement pensé la convergence de la parole qui vient s’articuler à l’encontre et autour de la caméra ?

Ismaïl Bahri, Foyer, 2016, HD 16/9, son stéréo ou 5.1, 32 min, arabe tunisien sous-titré français ou anglais.


IB : Ça s’est produit par accident en réécoutant les conversations pendant le visionnage des rushes, donc je ne l’avais pas vraiment prémédité. J’ai compris qu’un mot posé sur un blanc avec une teinte bien précise pouvait créer un effet de montage. Cela crée une friction entre une parole brute, absolument pas préméditée et un dispositif extrêmement calculé, puisant ses références dans l’abstraction et un élémentaire du cinéma.

Je me suis rendu compte que ma façon de travailler, autarcique et très liée à de petits phénomènes, se laissait affecter par l’arrivée de l’autre. Ce qui arrive teinte à sa manière les blancs et à l’inverse, le dispositif déteint sur les paroles. Le film se situe au contact de ces deux points.


CP : Justement, les personnes qui viennent à ta rencontre deviennent acteurs du film en même temps qu’ils en sont les spectateurs. On constate aussi cette double expérience-là…

IB : Tout a fait. En réalité j’ai réalisé que les passants qui m’ont abordé font le film sans le savoir en commentant l’expérience en train de se faire. Ils en deviennent les médiateurs. Ils traduisent par la parole ce que le spectateur, peut voir à l’écran autant que ce qui se manifeste en hors-champ. « Foyer » c’est la métaphore du feu autour duquel on se réunit pour parler. C’est la figure du cercle qui réunit avec comme élément central une source de lumière et de chaleur, le feu, l’écran… D’une certaine manière, l’écran est à la salle de cinéma ce que le feu est au foyer.

La particularité du film tient également au fait que ce qui se passe dans l’expérience est aussi ce qui est rendu visible en salle. De ce côté-là c’est le travail de Kiarostami qui m’a beaucoup aidé. Il a écrit un beau texte dans lequel il explique la nécessité de faire participer le spectateur au film que l’on réalise. Foyer est comme une interface entre plusieurs regards, entre deux espaces, celui où se déroule le film et celui où il se voit. La feuille de papier placée devant la caméra matérialise la jonction entre ces deux espaces. Et l’écran de cinéma, qui est la projection à grande échelle de cette petite feuille de papier, matérialise à son tour cette même jonction. Il est l’élément autour duquel on se retrouve pour voir ensemble. J’insiste sur ce point car la question de l’attention me semble être un enjeu majeur.

Nous avons de moins en moins d’espaces pour voir ensemble et la salle de cinéma reste un endroit où il est encore possible de le faire.


CP : À l’écoute, on repère une multitude de sources sonores mais aussi des sons provenant de lieux qui paraissent différents. Il semble que la caméra se déplace à travers la ville.

IB : Oui, il y a un effet de déplacement. J’ai parcouru des lieux avec des ambiances sonores assez variées. On se déplace à l’écoute. Le son de la ville s’agence au nuancier coloré que l’on a évoqué précédemment pour dessiner une sorte d’horizon. Au fur et à mesure que l’on se plonge dans les différentes teintes, on traverse le paysage sonore de Tunis.


CP : Cette traversée « à tâtons » nous amène à nous questionner sur la façon dont tu produis des images en Tunisie, dans le contexte actuel, quelques années après la révolution…

IB : Le film parle aussi du retour dans la ville où j’ai grandi, que j’ai quittée et que j’ai l’impression de ne plus très bien connaître… Alors comment filmer un tel endroit sinon avec précaution ? Je voulais faire quelque chose ici, mais sans savoir comment m’y prendre. Je sens bien que faire des images en Tunisie est difficile pour moi. Vers quoi diriger la caméra ? Que faudrait-il choisir de montrer et de ne pas montrer ? Ces simples questions me dépassent. Foyer part donc d’une forme d’incompétence. Mais cette incompétence est devenue intéressante dès lors qu’elle s’est mise à interroger l’incomplétude. Par incomplétude, je pense à ce qui renvoie au manque, au manquant, mais aussi au blanc et au neutre. Le fait de ne pas arriver à filmer m’a amené à avoir recours à un dispositif de soustraction, à une activité simple, celle consistant à focaliser toute l’attention sur un morceau de papier vierge. J’ai donc filmé cette chose pendant des semaines dans l’intuition d’essayer d’y capter les lumières de la ville jusqu’à ce que je prenne conscience de l’importance des voix. Elles ont donné une profondeur à ces images lumineuses et abstraites. J’ai alors entrevu que le meilleur moyen de filmer Tunis pouvait se faire dans la tension entre abstraction et captation du réel. Mais plus encore, dans la mise en capillarité des mots avec les nuances atmosphériques et lumineuses de la ville. Ca rejoint mon intérêt pour les œuvres qui questionnent ce qui est publiquement imperceptible, qui vont interroger un ensemble, une communauté, un groupe, depuis une activité anodine pouvant échapper au regard.

Au fond, je crois que ce qui m’a permis de filmer est le fait que la caméra n’est tournée vers aucun événement, paysage ou personnage en particulier. Elle n’est dirigée vers rien de signifiant.

Elle est plongée au milieu des énergies auxquelles elle s’expose, un peu comme on expose un film à la lumière. La caméra enregistre depuis l’endroit où elle se trouve. La solution est notamment venue des passants qui ont transformé ce dispositif, qui l’ont infusé d’une forme de poésie et de politique qui m’a étonné.



FIGURE DU PASSAGE : L’INTERCESSEUR


CP : Tu parles d’une activité imperceptible et pourtant tu es éminemment perceptible, tu deviens un point de repère dans la ville et tu crées ce cercle dont tu parlais, cette réunion de personnes qui viennent habiter le cadre et le film par leurs voix, par leurs ombres et avec la lumière.
Il me semble que tu fais le passage entre l’image et ceux qui l’entourent.

Peut-on supposer que la posture que tu adoptes ici puisse être comparée à celle d’un intercesseur ?

IB : C’est tout à fait possible mais je n’avais pas vu les choses de cette manière-là… J’ai plutôt le sentiment que ce sont les passants qui se font intercesseurs dans le film. Je veux dire par-là qu’ils servent de trait d’union entre l’expérience et le spectateur. Ces passants assistent à l’expérience en train de se faire, la commentent, mettent des mots dessus en décrivant ce qui se passe. Ils finissent par ne faire qu’un avec cette expérience. Une fois dans la salle de cinéma, leurs mots suggèrent ce que le spectateur ne peut pas voir.

De la même façon, ne sachant pas vraiment ce que j’étais en train de faire lorsque je filmais, ces mêmes mots m’ont montré ce que je n’avais pas su voir.


CP : Si le rôle des passants est effectivement comparable à la posture de l’intercesseur, je dirais néanmoins que tu es la personne qui matérialise le tout premier trait d’union.

IB : On peut dire que la caméra et ma présence attirent les passants en faisant signe dans le paysage et en le troublant. C’est donc ce trouble que la caméra enregistre. En l’occurrence, l’acte de créer consiste à récolter, à accueillir et, comme le dit Gilles Deleuze, c’est s’inscrire ou s’insérer dans une onde préexistante. Cela explique d’où vient mon intérêt initial pour le vent qui provoque les vibrations, pour la lumière qui donne une palpitation… Par dessus cela, la voix, donc les gens, la pensée, et leurs mots viennent activer le film et sa mécanique.


CP : On constate plusieurs occurrences du même dispositif technique dans certains films que tu as réalisés. Ils paraissent entrer en écho les uns avec les autres et tendent à un rapport à l’image qui serait semblable sans être jamais tout à fait le même. Je pense par exemple à Éclipses, Film à blanc, ou encore Percées.
Foyer serait-il le point d’acmé que ces films ont contribué à atteindre ?

Ismaïl Bahri, Éclipses, 2013
Triptyque vidéo SD 4/3, couleur, silencieux, 15 min 13 s


IB : Je vois ces vidéos comme les différentes étapes, comme des esquisses qui ont menées à la réalisation de Foyer. Ce sont des pièces de recherches que j’ai choisi de garder parce que certaines d’entre elles avaient une autonomie propre. Mais dans l’absolu elles restent des stations dans le mouvement. Elles sont insonores car je me focalisais uniquement sur la question de l’apparition et de la disparition, de l’intermittence et des variations de la lumière. C’est en faisant toutes ces recherches que j’ai remarqué la présence de la parole. Foyer est apparu à ce moment-là. Le film est issu d’une focalisation obsessionnelle sur une chose, sur cette feuille de papier, alors que la solution, la résolution de mes recherches, s’est trouvée à la marge, grâce à l’infiltration imprévue de la parole, chose à laquelle je n’avais pas pensé tout d’abord.



EXPÉRIMENTER, PARCOURIR, TRACER, RÉVÉLER


CP : Orientations est le film d’un parcours avec un gobelet en plastique rempli d’encre qui reflète des fragments de la ville de Tunis lorsque tu t’immobilises et déposes le verre au sol. Des passants t’arrêtent et manifestent leur étonnement quant à ce manège. Des discussions s’enclenchent. « Réfléchir […] au sens propre et au sens figuré, sur la réalité concrète immédiate et sur les processus de pensée », c’est la déduction que tire Bernhard Bürgi à propos d’Extension of Reflection de Gabriel Orozco. Traverser la ville et la réfléchir, serait-ce une façon d’activer ces deux formes de réflexions étroitement entrelacées ?

Ismaïl Bahri, Orientations, 2010. Vidéo HDV 16/9, couleur, son stéréo, 20 min


IB : À l’évocation de Gabriel Orozco je pense à une œuvre en particulier qui s’intitule Yielding Stone : une pierre qui s’affaiblit, une pierre vulnérable. C’est une boule de plastiline du même poids que l’artiste, que celui-ci promène dans la ville et qui capte les poussières des espaces traversés tout en épousant les formes du sol. Il me semble que ce geste rejoint la citation de Bürgi à propos du reflet et de la réflexion. C’est-à-dire, comment accueillir les alentours en un certain point ? Ou, autrement-dit, comment agréger en un centre l’espace périphérique ? C’est une sorte d’énergie centripète… Orientations traite de la traversée de Tunis en myope, le regard focalisé sur un cercle d’encre. L’arrivée du passant à la fin du film prolonge ce mouvement car il incarne une nouvelle arrivée du hors-champ. Le passant est comme attiré par ce cercle.

Ismaïl Bahri, Orientations, 2010. Vidéo HDV 16/9, couleur, son stéréo, 20 min


Orientations et Foyer se rejoignent sur ce point. Ils reflètent le contexte proche en un point précis. C’est une sorte de ricochet inversé où les alentours ne cesseraient de s’agréger en ce centre. Et ce que je trouve intéressant dans la question du reflet, c’est l’affaiblissement qu’il apporte. Je veux dire que le reflet est un pendant, un double affaibli, de ce qui se donnerait à voir sans filtre.

Un autre point que je trouve passionnant dans le premiers travaux d’Orozco est : comment faire sculpture ? En l’occurrence il pose cette question depuis le contexte qui entoure l’œuvre. En interrogeant la réflexivité de l’œuvre il interroge le médium même…


CP : Le médium mais aussi sa mise en mouvement…

IB : Oui. Et en ce qui me concerne je dirais que l’interrogation du médium filmique est très présente dans mon travail. Par exemple, que signifie accueillir quelque chose qui est en mouvement, même imperceptible ? Filmer une image en mouvement c’est faire en sorte que le film soit autant le film que l’on regarde – celui qui est projeté – que le mouvement produit par la chose filmée. Je me suis rendu compte bien plus tard qu’Orientations parle aussi de l’acte de filmer. Celui-ci réside avant tout dans le fait de se servir de la caméra, mais regarder une image à travers l’encre contenue dans ce gobelet c’est déjà filmer. C’est une expérience que l’on peut tous faire. De la même façon, Orozco cherchait à faire sortir la sculpture du moule pour la promener dans la ville. Par ce geste très simple la sculpture est devenue cinétique.


CP : L’expérimentation est une démarche fondamentale dans la construction de tes films, de tes dessins ou de tes installations. Dévoiler, recouvrir, retourner, ouvrir, basculer, refléter, impressionner… Ce sont autant de gestes que tu expérimentes…

Ismaïl Bahri, Ligne fantôme, installation in situ, lumière solaire, épingles sur mur, Tunis, 2002.


IB : C’est exact. Ce sont également ces gestes, ces verbes, ces manipulations qui sont à l’origine de la mécanique présente dans mon travail et dont on a parlé. Par le geste et la manipulation il arrive parfois de capter quelque chose pouvant faire film. Cela suppose que cette chose soit en mouvement, qu’elle se développe : ça se dilate, ça se rétracte, ça s’ouvre, ça se ferme, ça se recouvre, ça se noue et ça se dénoue… Ça suppose un développement dans le temps mais aussi dans l’espace, donc une transformation d’état et d’espace. Si l’on schématise, alors « faire film » c’est tout cela.


CP : Il semblerait que ces préoccupations sur la transformation d’état et d’espace soient présentes au sein d’autres œuvres que tu as réalisées comme par exemple dans Ligne fantôme ou bien Coulée douce. Ce sont des installations qui ont la particularité de sculpter l’espace tout en produisant de l’image : une ligne d’ombre, un reflet dans une flaque d’eau. Quels sont les différents points de passage entre ces installations et tes films ?

Ismaïl Bahri, Coulée douce, installation in situ, Tunis, 2014


IB : Ligne fantôme a été le premier travail que j’ai réalisé et je crois qu’il porte en lui tout ce dont on vient de parler. On y retrouve la question d’une mécanique que l’on pourrait presque qualifier de chronophotographique, c’est-à-dire le découpage d’un mouvement. Dans ce cas précis je ne produis pas la mécanique mais celle-ci s’inscrit dans le pli du mouvement des astres, c’est aussi simple que ça. Depuis que je réalise des films je me suis toujours intéressé à la question de la durée, du temps. Je cherche à articuler quelque chose d’imperceptible, de flottant. Bref, une rythmique, un découpage, une scansion. Cela doit toujours s’inscrire dans une durée pouvant être variable comme c’est le cas pour Ligne fantôme, qui ne fait qu’apparaître et disparaître de façon cyclique. De la même façon, le fil de Coulée douce vient épouser la courbe de la chute d’une goutte d’eau lui imposant de suivre et de sculpter cette courbe. Ici la gravité produit le mouvement qui se déploie dans le temps et dans l’espace. Ces deux pièces ont la particularité de convoquer des instants natifs de la pensée occidentale notamment. En disant cela je pense au clinamen, à Lucrèce et Épicure… À un atomisme faisant que le monde se créé par l’infime décalage des atomes quand ils chutent. Et depuis ce rapport très primaire aux choses natives, je me suis également intéressé au protocinéma : comment faire film avec des choses élémentaires et avec ces éléments de base que sont la durée et l’échelle ?

Ismaïl Bahri, Coulée douce, installation in situ. Les églises, centre d’art contemporain, Chelles, 2014




ESPACES POUR VOIR


CP : Tes films sont le plus souvent dénués de montage, ce sont pour la plupart des plans séquence organisés de façon précise dans l’espace et présentés en boucle. Si le montage en tant que tel est absent de ces films penses‑tu que la mise en espace puisse s’apparenter à une opération de montage ? Dans sa déambulation, le spectateur/visiteur serait alors la personne venant articuler les différentes séquences entre elles ?

IB : Oui. Mais je tiens à préciser que ce que tu avances est valable pour certains films seulement. Il est vrai que la disposition des vidéos se fait en général en fonction d’une écriture de l’espace qui convoque les différents effets d’accommodation, de durée de l’œuvre ainsi que la durée des déplacements du spectateur par rapport à celle-ci…

Une mécanique se manifeste à travers des formes non pas de contamination mais plutôt de capillarité. Une vidéo mise en rapport avec une autre va forcément produire une écriture spécifique.

Lorsque je montre la série « Film » avec les dix écrans de projection, cela produit un effet que je qualifierais presque de « photogrammique ». Chaque vidéo porte en elle sa durée propre et la développe, mais, dans le même temps elle s’inscrit dans une durée d’ensemble. On retrouvait également cet effet dans l’exposition « Sommeils » où l’espace lui-même devenait une chambre obscure et où chaque vidéo était comme un rouage de la mécanique d’ensemble. Et c’est effectivement cet ensemble qui créait le montage. Pour cette exposition tout cela était vraiment voulu, conscientisé et fabriqué pour l’occasion. Il a fallu reconstruire les murs à l’échelle des images, donc en 4/3. Projeter, construire, déconstruire, projeter et reconstruire à nouveau autour de l’image, reformuler, démonter et remonter l’espace comme on démonte et remonte des rushes. Une fois que tout est en place le spectateur parcourt l’espace et l’active.


CP : Lors de sa première projection en France au FID Marseille tu as insisté sur le fait que Foyer a été initialement pensé pour être montré dans une salle de cinéma. Pourrait-il également être accueilli dans un espace d’art contemporain ? Quelle différence fais-tu entre ces deux lieux de monstration ?

IB : Travailler sur une exposition conduit à se poser des questions sur les condition de perception : comment voit-on une œuvre ? Comment amener le spectateur à voir une œuvre, donc à voir le monde qui l’entoure ? Lorsque je travaillais sur « Sommeils » j’avais une vision assez critique de la salle de cinéma que je trouvais trop autoritaire. Mais cette vision a évolué peu à peu. Le caractère diffus qu’induit la multiplication des supports de diffusion des images et de la vidéo tend à affaiblir l’attention des spectateurs. Je me sens maintenant plus attaché au fait de montrer les vidéos dans des conditions qui peuvent soutenir cette attention que par le recours à une scénographie fragmentée, multipliant écrans et sollicitations visuelles. Dans ce sens, la salle de cinéma me paraît être l’un des espaces pour voir les plus intéressants parce qu’il permet de focaliser l’attention.

Je sens bien que je suis moi-même affecté par la propension au diffus de tous ces signaux qui nous entourent. Je me surprends à perdre mes facultés de concentration, d’observation et de focalisation. J’ai le sentiment que travailler revient de plus en plus à tenter de réapprendre à observer ce qui nous entoure, à créer les conditions d’un espace-temps pour voir et pour penser.

Ismaïl Bahri, Dénouement, 2011, vidéo HD 16/9, 8 min


CP : En tant qu’artiste, comment organises-tu la diffusion et le visionnage de ton travail vidéo qui se situe en partie à la lisière de l’art contemporain et du cinéma ?

IB : Il n’y a pas de règle. C’est très lié au contexte, c’est-à-dire en fonction de l’espace et de ses possibilités de transformation qui permettent de montrer les films de différentes façons. D’ailleurs, certains de mes films ne sont pas du tout adaptés à une projection en salle de cinéma. Je les ai longtemps diffusés sur Internet car je voulais que les personnes qui ne pouvaient pas se rendre aux expositions puissent quand même avoir accès au travail.


CP : De quelle façon as-tu décidé d’aborder ta prochaine exposition personnelle qui aura lieu Jeu de Paume en juin 2017 ?

Je me concentre sur une mise en espace simple. Comment créer un espace pour voir qui puisse relier les différentes vidéos entre elles, tout en préservant un temps particulier pour chacune ? Je souhaite repartir d’une articulation entre durées et échelles. Le croisement de ces deux points constitue l’ossature de chacune des vidéos présentées.

L’exposition va se concentrer sur le détail, l’observation, la matérialité des choses et sur la question de l’expérience au contact du monde phénoménal qui nous est proche. Je pense proposer une progression simple.

J’aimerais que l’on puisse parcourir l’exposition comme on suit un développement, le dénouement d’une corrélation d’éléments différents. Ce développement devrait prendre la forme d’un élargissement progressif. Un peu comme si on ouvrait un diaphragme…

Il y aura beaucoup d’éléments répétitifs : corps, choses en mouvement, mains, intérieurs calfeutrés, paysages, formes géométriques, obscurités et lumières, processus de développements lents…


Cette conversation entre Ismaïl Bahri et Camille Pradon a été enregistrée le 17 août 2016 dans les jardins du Parc du Belvédère à Tunis.

Camille Pradon est artiste, vidéaste, diplômée de l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne. Depuis 2015, elle mène un travail éditorial fait d’entretiens avec des artistes-réalisateurs, les précédents ayant été consacrés au travail de Sanaz Azari et Marie Voignier.




Exposition “Ismaïl Bahri. Instruments”
La sélection de la librairie
Site officiel de l’artiste

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Insurreccions a Catalunya [CA] http://lemagazine.jeudepaume.org/2017/05/insurreccions-a-catalunya/ Thu, 18 May 2017 14:25:36 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=27522 En relació amb l’exposició Insurreccions, que es pot veure al MNAC fins al 21 de maig, el magazine en línia del Jeu de Paume ha volgut apropar-se als fotoperiodistes Pilar Aymerich i Manel Armengol, autors de dues sèries d’imatges que el comissari, Georges Didi-Huberman, ha seleccionat per a la mostra a Barcelona. Marta Ponsa :[.....]

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En relació amb l’exposició Insurreccions, que es pot veure al MNAC fins al 21 de maig, el magazine en línia del Jeu de Paume ha volgut apropar-se als fotoperiodistes Pilar Aymerich i Manel Armengol, autors de dues sèries d’imatges que el comissari, Georges Didi-Huberman, ha seleccionat per a la mostra a Barcelona.

[See image gallery at lemagazine.jeudepaume.org]

Marta Ponsa : Com va ser que us vàreu trobar en aquesta manifestació de “Llibertat, amnistia, estatut d’autonomia”? Quin era el paper del fotoperiodista en aquell moment? I quina difusió pública van tenir aquestes fotografies?

Pilar Aymerich : Cada ciutat té un ritme en el dia a dia; hi ha ciutats que són per passejar, com Barcelona, que té una arquitectura a l’alçada de l’ésser humà. Però en un moment determinat, els carrers i la ciutat canvien. Un seguit de gent escenifica un desig col·lectiu i surt al carrer, vol donar a conèixer els seus sentiments, el seu estat d’ànim, o vol protestar per injustícies socials… Poden ser manifestacions festives, doloroses, indignades, reivindicatives.
Aquestes explosions que es produeixen en moments històrics són les que moltes vegades et fan vibrar quan es plasma aquesta realitat i es converteix, al cap dels anys, en un document històric.
La càmera fotogràfica en molts moments té vida pròpia i forma un tot amb la persona que hi ha al darrere. Em vaig acostar a la fotografia per explicar (explicar-me) el món que m’envoltava i sobretot per construir un relat, explicar històries amb la imatge. En aquells moments de la transició vaig poder escriure amb els meus ulls tot el despertar d’un país que sortia de la foscor del franquisme. La insurrecció, els crits, l’alegria i les emocions formaven part de la meva pròpia insurrecció.
El fotoperiodisme, desprès del tall de la guerra civil, sorgia amb força i per primera vegada els diaris publicaven imatges de la societat civil que reclamava els seus drets.
Aquestes imatges es van publicar a les revistes Triunfo, Cambio 16, El Mundo, Destino, Arreu, en diaris com El Periódico o El País, en algunes publicacions polítiques, d’altres d’informació general. Sempre he estat freelance, que vol dir que durant el dia fotografiava, de nit em tancava al meu laboratori a revelar (a les fosques era el moment de la reflexió) i a la matinada repartia les imatges pels mitjans. Algunes vegades eren encàrrecs i d’altres les anava a buscar, tant perquè estava en el lloc com a ciutadana com perquè tenia la sensació que, si passava alguna cosa que no fotografiava, era com si no hagués existit.
Les tècniques fotogràfiques van canviant, però la mirada no canvia, i aquesta mirada és la que importa. Els ulls de l’autor o l’autora ens mostren un retall de realitat, un cop filtrada per la seva subjectivitat ètica, i aquestes imatges s’afegiran després al nostre imaginari històric.

[See image gallery at lemagazine.jeudepaume.org]

Manel Armengol : El dia 1 de febrer del 1976, tres mesos després de la mort del dictador Franco, la unió de totes les forces polítiques i sindicals, d’associacions de veïns, d’intel·lectuals, s’havia de concentrar en la primera gran manifestació —no autoritzada— al passeig de Sant Joan de Barcelona, amb la particularitat que havia de ser una “sentada”: tothom havia d’estar assegut a terra com a demostració pacífica i rotunda davant la previsible presència policial. Aquest acte “provocador” feia intuir que el xoc de la policia (“els grisos”) amb els manifestants a terra produiria situacions d’un cert dramatisme i de violència visual: la força bruta contra manifestants indefensos cridant “Llibertat, amnistia, estatut d’autonomia!”.

Em vaig llevar en un estat d’excitació poc habitual, pressentia quelcom d’extraordinari. Vaig arribar una mica tard al passeig de Sant Joan i els grisos havien baixat de les “furgones”. Avançaven frontalment cap als manifestants, que ja començaven la seguda. En qüestió de mig minut ens vam trobar tots enmig d’un núvol de pots de fum i van començar les garrotades. Em vaig posar a disparar la càmera com si posseís una arma justiciera… Una, dues, tres… Em van perseguir, vaig córrer; havia notat aquell buit al clatell que el fotògraf coneix quan sent que ha captat quelcom extraordinari. Tot fou molt ràpid, no sabia ben bé quines imatges havia pres, però sí que em quedaven l’atmosfera i el dramatisme. Vaig lliurar la càmera amb el rodet a la meva companya i vaig seguir les manifestacions tot el matí, per l’Eixample i fins a la presó Model, amb una altra petita càmera que duia a la butxaca.

No treballava de fotògraf, no tenia cap encàrrec específic per ser allà, tot just estava aprenent a revelar i copiar. Era allà com a periodista i pel meu compromís personal amb el moviment de canvi polític en el franquisme moribund. L’adrenalina m’envaïa i em vaig tancar al laboratori durant moltes hores, i molts dies, fent còpies. Pocs diaris van acceptar les fotografies i tan sols en van publicar les més suaus: “Si les publiquem ens segresten l’edició”. Desenganyat, vaig adquirir tota la premsa estrangera dels quioscs de les Rambles per enviar-los paquetets amb les fotografies. El The New York Times va ser el primer mitjà que m’envià la publicació, després van seguir Newsweek i els més coneguts setmanaris europeus, mentre que a Espanya, on pesava encara el record de l’aparell repressiu franquista, no es van poder publicar com a gran reportatge fins un any més tard.

Marta Ponsa : Què penseu en veure les vostres imatges l’any 2017 en una exposició dedicada als moviments d’insurrecció?

Pilar Aymerich :En contemplar aquesta magnífica exposició sento una gran il·lusió, i també admiració per tots els creadors en les seves diverses disciplines que, a través dels segles, han intentat despertar consciències per aconseguir un món millor.

Manel Armengol : M’honora i em complau que Georges Didi-Huberman hagi escollit quatre de les fotografies del fons del MNAC per formar part d’aquesta magna exposició a Barcelona, i més encara per haver-ne designat una com a imatge promocional per a la coberta del catàleg i per a tota la campanya de difusió.

Sempre m’ha fet un cert rubor ser reconegut com l’autor de les “fotografies emblemàtiques” de la Transició del franquisme a la democràcia, i mai no em vaig cansar de fer còpies per a la gent del carrer que volia guardar un record d’aquella fita col·lectiva. Jo era allà i vaig posar tota la meva intensitat en el que sentia com a compromís social i polític, en la denúncia de la injustícia i la brutalitat dels cossos policials envers la gent que demana llibertat a crits i en els aixecaments contra els poders de l’Estat. Ara, 40 anys després d’aquell esdeveniment, un reconegut pensador ha incorporat les imatges resultants d’aquell anhel postfranquista de “llibertat, amnistia, estatut d’autonomia” a la memòria històrica de les Insurreccions. Benvingut.


Barcelona, abril del 2017



exposició Insurreccions al MNAC, Barcelona

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Insurrections en Catalogne [FR/CA] http://lemagazine.jeudepaume.org/2017/05/insurrections-en-catalogne/ Fri, 12 May 2017 09:25:49 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=27467 À l’occasion de l’exposition “Soulèvements” que l’on peut visiter au MNAC (Museu Nacional d'Art de Catalunya) jusqu’au 21 mai, le magazine en ligne du Jeu de Paume s'est entretenu avec les photographes et photojournalistes Pilar Aymerich et Manel Armengol, auteur d’une série d’images que Georges Didi-Huberman a spécifiquement sélectionnées pour l'exposition à Barcelone.

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À l’occasion de l’exposition “Soulèvements” que l’on peut visiter au MNAC (Museu Nacional d’Art de Catalunya) jusqu’au 21 mai, le magazine en ligne du Jeu de Paume s’est entretenu avec les photographes et photojournalistes Pilar Aymerich et Manel Armengol, auteurs d’une série d’images que Georges Didi-Huberman a spécifiquement sélectionnées pour l’exposition à Barcelone.

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Marta Ponsa : Comment vous êtes-vous retrouvé en 1976 dans cette manifestation de l’opposition catalane pour la « liberté, l’amnistie et le statut d’autonomie », interdite par le gouverneur civil de Barcelone ? Quel était le rôle du photojournaliste à ce moment-là ? Et quelle diffusion ces photos ont-elles connu ?

Pilar Aymerich : Chaque ville possède son propre rythme quotidien. Il y a des villes qui sont faites pour qu’on s’y promène, comme Barcelone, qui présente une architecture à taille humaine. Mais à un moment donné, les rues et la ville changent. Un certain nombre de personnes mettent en scène un désir collectif et sortent dans la rue pour faire connaître leurs sentiments, leurs états d’âme, ou protester contre des injustices sociales… de manière festive, douloureuse, indignée ou revendicatrice.
Ces explosions, qui se produisent à des moments historiques, sont souvent les mêmes qui nous font vibrer lorsque cette réalité est assimilée et qu’elle réapparaît des années plus tard, transformée en document historique.
Souvent, l’appareil photo semble prendre vie et faire corps avec la personne qui se trouve derrière le viseur. Les premiers temps, j’ai abordé la photographie pour expliquer (pour m’expliquer) le monde qui m’entourait et, surtout, pour construire un récit, dire des histoires par le biais de l’image. À l’époque de la transition, j’ai pu écrire avec mes yeux tout le réveil d’un pays qui sortait de l’obscurité du franquisme. Le soulèvement, les cris, la joie et les émotions faisaient partie de ma propre insurrection.
Le photojournalisme jaillissait avec force après la coupure de la guerre civile et, pour la première fois, les journaux publiaient des images de la société civile réclamant ses droits.
Ces photos furent publiées dans les magazines Triunfo, Cambio 16, El Mundo, Destino, Arreu, El Periódico, El País, en général dans les journaux politiques ou d’information générale. J’ai toujours été freelance : je photographiais la journée, puis m’enfermais la nuit dans mon laboratoire pour révéler (l’obscurité était le moment de la réflexion) et le lendemain matin, j’allais distribuer les images dans les rédactions. Il s’agissait parfois de commandes, et d’autres fois je photographiais spontanément, soit parce que je me trouvais sur les lieux en tant que citoyenne, soit parce que j’avais la sensation que, s’il se passait quelque chose que je ne prenais pas en photo, c’était comme si elle n’avait pas existé.
Les techniques photographiques changent, mais le regard ne change pas, et c’est ce regard qui est important. Par son regard, l’auteur(e) nous montre un fragment de la réalité, qui est passé à travers le filtre de sa subjectivité éthique. Ces images s’ajoutent par la suite à notre imaginaire historique.

[See image gallery at lemagazine.jeudepaume.org]

Manel Armengol : C’était le 1er février 1976, trois mois après la mort du dictateur Franco. L’union de toutes les forces publiques, syndicales, des associations de quartier, des intellectuels, devait se rassembler pour la première grande manifestation – non autorisée – sur le Passeig de Sant Joan à Barcelone, avec cela de particulier qu’il devait s’agir d’un sit-in. Tout le monde devait s’asseoir par terre pour manifester pacifiquement mais fermement devant les forces de l’ordre habituelles. Cet acte « provocateur » pouvait laisser penser que le choc de la police – « les gris » – avec les manifestants assis par terre allait produire des situations potentiellement dramatiques et non dénuées d’une certaine violence graphique : la force brute contre des manifestants sans défense, criant « liberté, amnistie, autonomie ! ».

Je me suis réveillé dans un état d’excitation peu habituel, pressentant que quelque chose d’extraordinaire allait se produire. Je suis arrivé un peu tard sur le Passeig de Sant Joan : les « gris » étaient descendus de leurs fourgons et avançaient frontalement vers les manifestants, qui commençaient déjà le sit-in. En moins d’une demi-minute, nous nous sommes tous retrouvés dans un nuage de fumigènes, en train de nous faire passer à tabac. J’ai commencé à déclencher l’appareil photo comme s’il s’agissait d’une arme pour rétablir la justice… Un, deux, trois… On m’a poursuivi, j’ai couru, et j’ai eu ce frisson sur la nuque que le photographe ressent quand il sait avoir capté quelque chose d’extraordinaire. Tout s’est passé très rapidement, je ne savais pas trop quelles images j’avais pu prendre, mais j’en imaginais l’atmosphère et la charge dramatique. J’ai confié l’appareil photo avec la pellicule à mon amie, et j’ai continué à suivre les manifestations pendant toute la matinée, dans le district de l’Eixample et jusqu’à la prison surnommée la Modelo, avec un autre petit appareil photo que j’avais pris dans ma poche.

À l’époque je ne travaillais pas comme photographe, on ne m’avait pas demandé d’aller là-bas ni confié aucune mission particulière. J’étais tout juste en train d’apprendre à développer et à tirer des photos, quand je me suis retrouvé là en tant que journaliste. Mon engagement personnel dans le mouvement de changement politique en réaction au franquisme moribond expliquait également ma présence ce jour là. L’adrénaline m’a envahi et je me suis enfermé dans le laboratoire pendant des heures – des jours –, pour tirer les photos. Peu de journaux les acceptèrent, et seules les moins dures furent publiées – je m’entendais dire : « si on les publie, on nous confisquera l’édition ! ». Fort désabusé, j’ai acheté tous les titres de la presse étrangère dans les kiosques des Ramblas, pour leur envoyer mes photos. Le New York Times fut le premier media à m’envoyer sa publication, puis ce fut Newsweek et les hebdomadaires européens les plus importants, alors qu’en Espagne, où le souvenir de l’appareil de répression franquiste pesait encore, elles ne purent être publiées comme grand reportage qu’un an plus tard.

MP : Que pensez-vous en voyant vos images dans une exposition consacrée aux mouvements de soulèvements, en 2017 ?

PA : Cela me fait très plaisir et, lorsque je contemple cette magnifique exposition, je ressens une grande admiration pour tous ces créateurs qui, dans différentes disciplines, ont essayé au cours des siècles d’éveiller les consciences pour obtenir un monde meilleur.

MA : C’est pour moi un honneur et je suis ravi que Georges Didi-Huberman ait choisi quatre des photographies du fond du MNAC pour enrichir cette grande exposition à Barcelone, et plus encore du fait que l’une d’entre elles ait été choisie comme image de promotion pour toute la campagne de diffusion et figure également en couverture du catalogue.

J’ai toujours été un peu troublé par le fait d’être considéré comme l’auteur des « photos emblématiques » de la transition du franquisme à la démocratie, et je ne me suis jamais lassé d’en tirer des copies pour les gens de la rue qui voulaient garder un souvenir de cette importante étape historique collective. Je me suis trouvé à cet endroit et j’ai mis toute mon intensité et ce que je ressentais du fait de mon engagement social et politique, pour dénoncer l’injustice et la brutalité des corps de police face aux personnes qui demandaient la liberté en criant et en se soulevant contre les pouvoirs de l’État. Aujourd’hui, quarante ans après ces événements, un penseur reconnu intègre ces images, issues des aspirations post-franquistes pour la « liberté, l’amnistie, le Statut d’Autonomie », à la mémoire historique des soulèvements. Merci à lui.

Barcelone, avril 2017
Traduit du catalan par Antoine Leonetti

Voir le site dédié à l’exposition
“Soulèvements”, une bibliographie
“Insurreccions” au MNAC, Barcelone

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Hailé Gerima http://lemagazine.jeudepaume.org/2017/04/haile-gerima/ Thu, 13 Apr 2017 14:44:59 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=27330 Dans le cadre de la rétrospective qui lui est consacrée au Jeu de Paume jusqu’au 25 avril 2017, Hailé Gerima s’entretient avec Marie-Pierre Duhamel-Muller, programmatrice du cycle.


Si l’œuvre et la carrière de Hailé Gerima continuent de surprendre et de passionner, c’est sans doute que la rage qui les anime depuis le lointain Hour Glass de 1971 n’a rien perdu de sa nécessité ni de sa sinistre actualité. Une rage dont la devise serait la « décolonisation des esprits » revendiquée par Frantz Fanon, à laquelle Gerima ajoute le symbole akan sankofa qui donne son titre à son film de 1993 : « se tourner vers le passé pour pouvoir avancer ».

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Dans le cadre de la rétrospective qui lui est consacrée au Jeu de Paume jusqu’au 25 avril 2017, Hailé Gerima s’entretient avec Marie-Pierre Duhamel-Muller, programmatrice du cycle.





Ils discutent les grandes problématiques qui animent l’œuvre du réalisateur éthiopien résidant aux États-Unis depuis 1968, année à laquelle il part faire des études de théâtre à Chicago. D’emblée, Hailé Gerima se pose la question de savoir qui parle, qui “prend” la parole dans l’histoire des luttes contemporaines. Sa réflexion sur la nécessité d’une prise de conscience des opprimés pour porter leur propre lutte et l’inscrire dans une continuité avec le passé, traverse tout son cinéma, depuis Hour Glass (1971), son premier court-métrage réalisé à UCLA jusqu’à Teza (2008), tourné dans le village du père du cinéaste. Hailé Gerima redit ici son combat pour l’indépendance de la pensée, qui s’illustre dans son travail par le refus de se soumettre à une linéarité narrative du scénario et de considérer l’étape du montage comme une entreprise logique.
Hailé Gerima n’a cessé de chercher sa langue de cinéma, ce qu’il appelle son “accent”, pour raconter des histoires en intégrant les à-coups de la mémoire, les tensions et les doutes qui habitent ses personnages, les télescopages des lieux, la fulgurance du rêve et des visions.



Hailé Gerima, Sankofa, 1993, 35 mm, couleur, 125 min

Le symbole akan Sankofa signifie « se tourner vers le passé pour pouvoir avancer »



Plus d’informations sur la rétrospective
Téléchargez la programmation
Le petit journal de la rétrospective

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Isabel Marant & Georges Didi-Huberman http://lemagazine.jeudepaume.org/2016/11/isabel-marant-georges-didi-huberman/ Tue, 15 Nov 2016 11:11:07 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=25980 Isabel Marant, créatrice de mode depuis 1995, a choisi de soutenir les « Soulèvements » proposés par Georges Didi-Huberman au Jeu de Paume.

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Isabel Marant et Georges Didi-Huberman, septembre 2016. Photo Adrien Chevrot

Isabel Marant, créatrice de mode depuis 1995, s’associe pour la première fois à une exposition. Son choix des « Soulèvements » proposés par le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman au Jeu de Paume n’est pas anodin : il résonne avec ses préoccupations de créatrice et de citoyenne. Anne Racine, responsable de la communication et du mécénat leur a donc proposé une rencontre informelle pour échanger sur leurs manières de travailler les tissus, les images, les idées, et questionner « ce qui les soulève ».

Georges Didi-Huberman : Comment créez vous ? Est-ce que vous dessinez vos modèles ?
Isabel Marant : Oui, j’aime bien dessiner.

GDH : Qu’utilisez-vous pour dessiner ?
IM : Un crayon gras.

GDH : Un 3B ?
IM : Non 3B c’est un peu trop gras pour moi. Je préfère le 2B !

GDH : Et le papier ?
IM : J’utilise du papier brouillon, les vieilles photocopies ratées, je recycle.
Mais je ne fais pas de vrais dessins. C’est plutôt des dessins d’intention. Je ne passe pas des heures à faire de magnifiques dessins comme on l’imagine. Chez les gens de la mode, c’est rare. Ce sont plus des esquisses, des pense-bêtes. Après il faut aller directement dans la matière. Il y a des gens qui font de très beaux dessins mais qui font des vêtements horribles. Il faut se méfier du joli dessin.
GDH : Comme les architectes !

 
GDH : Pourquoi avez-vous décidé d’aider cette exposition ?
IM : Parce que c’est un thème qui me parle et que je trouve qu’on a besoin de soulèvements en ce moment. C’est bien de se plonger dans les divers soulèvements qui ont eu lieu. Je trouve que c’est une très belle idée d’exposition dans cette période où l’on ne sait plus très bien où on va. On se laisse beaucoup faire par des gens pour lesquels on n’a pas forcément d’empathie. Dans la plupart des domaines, on a l’impression qu’on arrive au bout de certaines choses et que ça manque un peu de rébellion et de coup de poing sur la table. Nous sommes dans un période de désabusement, de mal-être mais on a l’impression que personne ne fait rien pour en sortir.

Je pense que le fait de se remémorer les grandes luttes et les mouvements de révolte peut peut-être redonner envie aux gens de s’exprimer.

 
GDH : On vient d’évoquer les rythmes infernaux qu’impose le système de la mode aujourd’hui. Est-ce que se soulever ce ne serait pas changer complètement le rythme? Dire « je fais une collection tous les deux ans » ?
L’emploi du temps n’est pas le vôtre. C’est ça ?
IM : On est arrivé dans des systèmes de fonctionnement, desquels il est très difficile de sortir, parce que ça engendre certaines choses qui peuvent faire très peur. Mais si à un moment donné on n’a pas le courage de le faire, on finit par rester dans un système qui ne nous convient pas et continuer éternellement. Ça me fait penser au hamster dans sa roue qui court sans relâche.

GDH : Vous vous sentez comme ça ? Vous ne vous sentez pas libre ?
IM : Complètement. Je pourrais gagner ma liberté en tapant du poing sur la table et en disant « je n’adhère plus à ce fonctionnement ». Mais j’ai une société de 150 personnes et alors tout s’écroulerait. Il faudrait repartir vers des choses qui correspondraient plus à une envie de vivre autrement, qui serait proche de tous ces mouvements comme le slow food par exemple. Il faudrait prendre du temps pour réfléchir à ces idées de décroissance. Ce n’est pas évident de décroître pour recroître d’une autre manière. Je pourrais me le permettre si j’avais une structure plus petite et plus souple. J’espère y arriver un jour.

GDH : Un créateur doit pouvoir avoir la liberté de son temps. Je choisis de ne pas partir, lorsque tout le monde est en vacances. Je suis à Paris pendant l’été et personne ne me demande rien ; le temps est à moi. Je peux faire ce qui n’était pas prévu. Ne rien faire, changer, bifurquer. Ce sont des moments magnifiques. Il faut tenter de ne pas être maitrisé par son temps.
IM : C’est très dur de le faire quand on s’est battu pour y arriver. On ne peut pas dire, ça ne me convient plus, ce n’est pas en phase avec mes croyances ni ce que j’aimerais faire. Si aujourd’hui j’avais la possibilité de tout arrêter et de recommencer, je ferais tout autrement. Mais pour cela il faudrait que je sois toute petite et beaucoup plus flexible.

Germaine KRULL

Germaine KRULL, Jo Mihaly, danse « Révolution », 1925 © Estate Germaine Krull, Folkwang Museum, Essen.

GDH : Vous programmez votre soulèvement en fait…
IM : Oui. J’ai envie d’employer ce temps où j’ai encore la capacité pour réfléchir à d’autres choses et d’autres moyens de le faire. Sans avoir le poids de cette entreprise.

Anne Racine : As-tu des choses à dire sur le fait que dans la programmation du Jeu de Paume, on met souvent en avant des femmes artistes ? Sur le fait que c’est le lieu de l’image ? Est-ce un lieu qui te parle ? Si oui, comment ?
IM : Le Jeu de Paume est un petit centre d’art dans lequel on peut aller souvent et assez rapidement. J’aime le côté humain voire humaniste du lieu. J’aime aussi sa localisation. Le fait qu’au cours d’une promenade on puisse voir une expo. Les expositions sont toujours très intimes presqu’intimistes. L’angle du Jeu de Paume qui se situe souvent « à côté » par rapport à de grosses structures m’intéresse beaucoup. Le fait aussi de vouloir faire connaître des artistes moins connus, parfois à la marge.

 
AR : Dans la mode, n’est-ce pas aussi un peu la position que tu occupes ? Un peu en marge face aux grandes maisons ?
IM : Oui, j’essaie d’avoir un propos un peu à côté de tout ce qui existe. En marge d’un système très établi, de choses qui sont souvent très « marketées. » Je tâche de garder malgré tout une certaine spontanéité et un naturel que les grandes maisons perdent facilement, parce que leurs collections sont beaucoup plus analysées, disséquées dans un sens marketing. Ils en oublient un peu leur essence. Moi, je tente de garder autour de moi toutes sortes d’influences et de continuer à suivre mes intuitions.

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Isabel Marant et Georges Didi-Huberman, septembre 2016. Photo Adrien Chevrot

AR : Isabel, qu’aimerais-tu demander à Georges sur son travail de commissaire ?
IM : Pour une exposition comme « Soulèvements », j’aimerais savoir comment on choisit parmi tant d’œuvres, une plutôt qu’une autre ? Comme dans mon cas, lorsque je choisis un tissu plutôt qu’un autre.
GDH : Le timing est différent. Moi, je n’ai pas à produire deux collections par an. Ca fait plusieurs années que je travaille sur cette exposition et, de façon plus large, sur ces questions de soulèvements. J’ai plus de temps que vous. Je conçois mes livres exactement comme des expositions ; je réalise le chemin de fer avec des images.

Je voudrais que quelqu’un qui ne lise pas mon livre, ait compris l’essentiel de l’argument juste en regardant les images. C’est un travail de choix mais surtout de montage de ce qui me touche.

 
AR : Finalement, que ce soit pour toi Georges ou pour toi Isabel, dans les deux cas, n’est-ce pas l’image le point de départ de votre inspiration ?
IM : Je pense que c’est la résonance des choses les unes par rapport aux autres. Dans mes collections, c’est très important d’avoir un certain contraste et une résonance, de voir comment les choses se répondent. J’aime avoir des reliefs. J’essaie toujours de raconter une histoire. Je me retrouve dans ce que vous disiez, Georges, le fait d’avoir une sorte de fil qui se déroule et qui entraine les gens dans une histoire.
GDH : Je suis parti de l’étude de la Renaissance. Puis le thème du « soulèvement » est venu d’un motif, qui n’a l’air de rien au départ, celui des robes qui se soulèvent dans les peintures de la Renaissance. J’ai été l’élève de Roland Barthes, qui accordait une importance très grande à la mode, au vêtement. Je relisais récemment ce qu’il écrivait sur « Mère Courage » de Brecht. « Mère Courage » est sur le plateau, elle vient d’entendre qu’elle a perdu son fils. Elle se met à hurler. A ce moment là, l’aumônier s’en va et on voit son dos. Roland Barthes dit que la douleur de la mère est insignifiante en soi. La seule chose importante dans cette scène, c’est le tissu du vêtement de l’aumônier. Barthes est très souvent porté sur les détails vestimentaires : des textures, des bouts de robe, des bottillons. Moi ce qui m’a paru fascinant dans ce mode de raisonnement, c’est qu’il a compris qu’on pouvait facilement déplacer l’intensité dans une image.
Là où je ne suis pas du tout d’accord avec lui c’est lorsqu’il dit que l’émotion de la mère est insignifiante. Au contraire de Barthes, quelqu’un qui est très peu connu en France, à qui j’ai dédié beaucoup de travail, c’est Aby Warburg. Il a été pour l’histoire de l’art ce que Freud a été pour la psychologie.
Il a décidé de tout changer.
Par exemple, dans le tableau de Botticelli, La Naissance de Vénus, cette dernière est complètement impassible. Elle est de marbre. Si on détourne le regard, on voit des gens qui essaient de lui mettre un magnifique drapé.
Lui, il dit que ce qui est fascinant c’est que l’émotion s’est déplacée depuis le corps jusqu’aux « accessoires en mouvement », c’est-à-dire vers les vêtements, les cheveux, etc. Je suis plus proche de cette pensée que de celle de Barthes. Barthes utilisait le vêtement pour enlever l’émotion, qui lui semblait vulgaire. Il voulait éviter l’hystérie.

Ce qui est très beau chez Warburg c’est qu’il montre que les vêtements peuvent assumer un contenu émotionnel. Comme d’ailleurs, dans un soulèvement ou un drapeau. Car un drapeau c’est une draperie finalement.

 

Gilles CARON, Manifestations anticatholiques à Londonderry, 1969 © Gilles Caron / Fondation Gilles Caron / Gamma Rapho

Gilles CARON, Manifestations anticatholiques à Londonderry, 1969 © Gilles Caron / Fondation Gilles Caron / Gamma Rapho

Cette image de Gilles Caron est parfaitement « warburgienne », parce que c’est en même temps de la danse et c’est quand même un moment extrêmement violent. Vous voyez par terre là, tout est détruit, les flics sont en face. C’est à Londonderry, il y a eu beaucoup de morts donc ça n’a rien de drôle. Les enjeux sont terribles et en même temps, il y a cette grâce absolument extraordinaire.
Barthes, le grand intellectuel, s’est intéressé à la mode, mais au bout du compte pour de mauvaises raisons. Il voulait « dépathétiser » le vêtement.

 
Ou celle-ci par exemple, c’est extrêmement malin au niveau du vêtement. Cette œuvre de Courbet sur la révolution de 1848, va servir pour un journal politique dans lequel écrit Baudelaire, Le Salut Public. (désignant le personnage) Il a un haut-de-forme donc c’est un bourgeois. Il a une blouse donc c’est un prolétaire. Il crée quelque chose qui n’existe pas dans la nature (ou alors c’est un prolétaire qui a saisi un chapeau à un bourgeois). Mais son image a quelque chose d’allégorique puisque c’est une variante de La Liberté guidant le peuple de Delacroix. Il donne forme à un personnage avec le montage de ces deux vêtements qui ne vont pas ensemble et il crée une allégorie politique. Dans une révolution politique, qu’est-ce que les bourgeois ont à faire avec les ouvriers ?

Gustave COURBET, Révolutionnaire sur une barricade (projet de frontispice pour « Le Salut public »), 1848, fusain sur papier. Musée Carnavalet — Histoire de Paris. © Musée Carnavalet / Roger-Viollet.

Gustave COURBET, Révolutionnaire sur une barricade (projet de frontispice pour « Le Salut public »), 1848, fusain sur papier. Musée Carnavalet — Histoire de Paris. © Musée Carnavalet / Roger-Viollet.

 
AR : Ce type de collage et de montage n’est-ce pas aussi ce que tu fais avec tes vêtements ? Tu aimes bien brouiller les pistes, non ?
IM : Moi ce qui m’intéresse c’est toujours le contraire et son opposé :

associer quelque chose de très féminin avec quelque chose de très masculin, un élément très ethnique avec un élément très urbain ou quelque chose de très fragile avec quelque chose de très solide. Ce sont ces oppositions qui m’intéressent dans mon travail. Le fait de juxtaposer des choses qu’on n’imaginerait pas du tout ensemble.

GDH : Mais vos vêtements ne volent pas beaucoup, ils ne se soulèvent pas, si ?
IM : Ça dépend des collections. Mais je travaille beaucoup avec des mousselines qui pourraient avoir été créées au début du XVIIIe siècle. C’est une manière de dire : “je fais partie d’un monde global avec des cultures très différentes”. Au début de mon travail, dans les années 1980, j’ai été très frappée en regardant la rue, de voir les gens provenant de cultures très différentes à Paris, surtout dans des quartiers comme Belleville ou Barbès. La manière dont ils associaient leurs boubous, par exemple, avec une veste de costume à rayures tennis ou un blouson de sport pour supporter le froid parisien. Ça m’a toujours fasciné de voir comment en gardant leur propre culture, les gens s’adaptent à la culture du pays dans lequel ils habitent. J’ai toujours été extrêmement touchée par ça.

GDH : Vous faites des photos ?
IM : Oui, j’en fais. Je peux poursuivre des gens dans la rue sans qu’ils ne me voient pour photographier leurs looks, et la plupart du temps ce ne sont pas des gens de la mode !
 

Voir le site dédié à l’exposition : soulevements.jeudepaume.org
“Soulèvements”, une bibliographie

Pour en savoir plus:
“Soulèvements” : l’exposition
Isabel Marant, mécène de l’exposition
Isabel Marant

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Okwui Enwezor en conversation avec Joana Hadjithomas & Khalil Joreige http://lemagazine.jeudepaume.org/2016/06/okwui-enwezor-conversation-artistes/ Fri, 03 Jun 2016 11:10:58 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=24900 Commençons notre entretien par l’exploration de la constellation, de la carte de votre carrière [...]

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Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Le Cercle de confusion, 1997. Tirage photographique découpé en 3 000 fragments tamponnés, numérotés et collées sur miroir. © Joana Hadjithomas & Khalil Joreige. Galerie In Situ — fabienne leclerc.

Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Le Cercle de confusion, 1997. Tirage photographique découpé en 3 000 fragments tamponnés, numérotés et collées sur miroir. © Joana Hadjithomas & Khalil Joreige. Galerie In Situ — fabienne leclerc.

 

OKWUI ENWEZOR : Commençons notre entretien par l’exploration de la constellation, de la carte de votre carrière, en allant du formel au conceptuel et au philosophique. Pour décrire votre pratique dans les grandes lignes, on pourrait dire qu’elle est une méditation sur le statut et la nature des images, sur la façon dont les images circulent dans le monde, et sur la façon dont elles s’infiltrent et s’incrustent dans nos consciences historiques.
Je souhaiterais cependant vous poser tout d’abord une question se rapportant non aux images, mais à votre méthodologie. Ce qui m’intéresse tout particulièrement ici, c’est le concept de la coupe, de l’incision que vous pratiquez dans une image, à la fois pour la dégager, la libérer du cadre et pour la recontextualiser en tant qu’objet. Vous êtes cinéastes. Pour être en mesure de regarder une image, vous coupez dans l’image. Comment se situe votre pratique par rapport à ce concept de coupe ? Ce dispositif est-il une clé nous permettant de comprendre votre travail ?

KHALIL JOREIGE : Pour moi, l’idée de coupe vient de l’idée d’un continuum – dans lequel on couperait, dont on prélèverait un fragment. Quand on réalise un film, par exemple, après le tournage il est nécessaire de réarticuler l’ensemble par le montage, en supprimant certaines parties des plans filmés, en rajoutant un effet. De sorte que, lorsqu’on parle de coupe, il s’agit de la relation du fragment au tout. Elle peut en même temps faire référence à la continuité tout en la concentrant, incarner des réalités et simultanément exprimer d’autres potentialités.

 

JOANA HADJITHOMAS : Dans le cas de l’une de nos premières œuvres, Le Cercle de confusion (1997), nous avons concrètement découpé une image en trois mille fragments. L’image, ce n’est pas le fragment, mais le tout. Les gens prennent un fragment, comme l’a dit Khalil, un fragment prélevé dans l’image en tant que tout, de sorte que le fragment devient abstrait et ne représente quelque chose que pour la personne qui l’a pris.
La relation à l’image en tant que tout, c’est d’une certaine manière ce que nous ne cessons de questionner. Si l’on pense qu’il est possible de définir un lieu, qu’on peut en avoir une image complète, on supprime alors la complexité de la façon dont les choses sont fragmentées. Les différentes notions de représentation se superposent les unes aux autres. Elles sont d’une grande complexité. Dans la coupe, au contraire, il y a l’idée d’un moment parfait où arrêter quelque chose et, en même temps, il y a tout ce qui est hors champ, hors de vue, ce qu’on enlève de la scène.

 

ENWEZOR : Comment réunissez-vous ces deux tropes, le fragment et le tout, au-delà de l’idée de couper dans l’image et, dans un certain sens, de localiser le symptôme ? Une coupe, n’est-ce pas vraiment comme une tentative de localiser le symptôme, presque comme une biopsie de l’image ? Qu’est-ce qui vous attire vers telle ou telle image, vers tel fragment, vers tel objet, au point de vouloir en faire la biopsie ?

JOREIGE : Pour en revenir à nos débuts, il faut préciser qu’aucun de nous deux n’a fait des études d’art ou de cinéma, mais des études littéraires. Nous avons commencé à prendre conscience de notre pratique grâce au fait que nous faisions des quantités de prises de vues dans Beyrouth à la fin des guerres civiles. Ici, la notion de rupture, de coupe, est essentielle, car nous avions le sentiment que c’était la fin de quelque chose. La fin des règles, peut-être. On pouvait même retrouver cette rupture dans les procédés de représentation. Cela explique pourquoi, dans nos images, nous ne représentions pas la violence. Ce qui nous intéressait, c’était de savoir comment la représentation était affectée par la réalité. Cette situation avait une incidence sur notre utilisation des images, sur notre utilisation de la narration, sur notre utilisation d’un personnage ou de notre singularité. Ici, la rupture consiste en une certaine façon de traiter les images traditionnelles. D’un côté, la tradition ; de l’autre, la coupe dans cette tradition, parfois même une coupe franche, voire un faux raccord.
Prenez par exemple un immeuble d’habitation. Un immeuble frappé par un obus n’est plus un immeuble. Il a été transformé en autre chose. Au point qu’on ne sait plus parfois où est le toit, où est la droite, la gauche. C’est un fragment dont on peut tourner l’image dans tous les sens. « La forme d’une forme qui n’a pas de forme », comme le dirait Mahmoud Darwich. Cette relation à la rupture, à la tradition, pourrait nous inciter à réfléchir à notre pratique depuis le début. Au Liban, on entend souvent dire qu’il y a un problème de mémoire. En fait, il y a plein de souvenirs, de documents, d’images, venant de l’intérieur ou résultant de l’attention régionale et internationale – les gens font beaucoup d’images.

 

ENWEZOR : Presque comme si la guerre civile avait fait voler en éclats le barrage de la mémoire.

HADJITHOMAS : Précisément. Khalil et moi, nous n’avons jamais pensé que le problème était ici la mémoire. Nous sommes au contraire convaincus qu’il y a trop d’images, trop de souvenirs. Nous sommes environnés d’une si grande quantité d’images. Il y a aussi, peut-être, une difficulté, qui est d’écrire l’histoire, mais cela n’a rien à voir avec la mémoire. La mémoire est présente.

JOREIGE : Dans toute notre pratique, la relation entre fiction et documentaire ne cesse d’évoluer. L’image peut être par moments une fiction, par moments documentaire, avant de changer de nouveau de statut. Cette relation questionne la manière dont nous pouvons nous réapproprier certaines images, certaines réalités, pour percevoir que non seulement elles nous concernent, mais aussi qu’elles nous parlent, qu’elles nous émeuvent.

HADJITHOMAS : Nous avons toujours cherché à rendre cette complexité, tout en lui apportant une dimension poétique. Parce que nous sommes cinéastes, l’idée de narration a toujours été importante dans notre travail, même si ce n’est pas une histoire avec un début et une fin – un instant de fictionnalisation dans l’œuvre, où le poétique participe à la narration du récit. Avec cela vient l’idée de créer notre propre récit, en laissant de la place aux autres pour qu’ils puissent se projeter avec leurs propres narrations, tout en questionnant ce qu’ils sont en train de faire. Cette idée du collectif et de l’individuel était elle aussi très importante.

 

ENWEZOR : J’aimerais creuser un peu plus la question de la narration. Certaines des découvertes ou inventions importantes intervenues dans l’art contemporain, disons du milieu à la fin des années 1990, sont le fait de toute une génération d’artistes originaires de Beyrouth, qui ont entrepris d’utiliser des fragments de la guerre civile libanaise, comme si l’on utilisait les ruines de la ville pour recréer et réinventer les expériences sociales communes du pays à mesure qu’il se reconstruisait. Ces artistes ont dû réinventer la stabilité même de la narration ainsi que la façon dont on pouvait utiliser la narration. Comme si toute la scène artistique s’occupait de forger les possibilités d’existence de ces narrations, leurs conditions d’évolution. Pourriez-vous évoquer avec nous cette question de la narration dans ce contexte, ainsi que ce que vous en avez produit.

HADJITHOMAS : Il était clair, dès le début, que nous ne ferions jamais certaines choses. Nous n’allions pas mettre la guerre du Liban entre parenthèses ; nous n’allions pas nous poser en victimes ni considérer l’histoire du Liban comme un moment traumatique. Ce qui nous intéresse surtout, c’est le présent, et nous ne voulons pas regarder le passé avec nostalgie. Nous voulons au contraire reprendre certaines images du passé pour les réactiver dans le présent. C’est ce que nous avons fait avec les cartes postales de Beyrouth quand nous les avons brûlées, ou avec le projet concernant la Lebanese Rocket Society. Même si c’est un retour vers le passé, c’est une autre forme de projection du passé vers l’avant, qui permet de le repenser.
Nos narrations comportent également toujours un aspect performatif. Nous aimons provoquer des choses dans le présent. Par exemple, transporter des fusées dans les rues de Beyrouth pour voir ce qui peut se passer. Ou amener Catherine Deneuve dans le sud du pays et voir quel pourrait être le rapport à la fiction face à la réalité d’un lieu après une guerre atroce. Nos narrations ne sont jamais linéaires, ni achevées, ni contrôlées. Nous savons où nous n’allons pas. Nous pouvons décider d’aller dans telle direction, mais ensuite, même si nous concevons des dispositifs très stricts, des choses peuvent arriver. Nous assistons à certaines d’entre elles et nous les suivons. Voilà notre conception de la narration.

JOREIGE : C’est une situation spécifique qui en est à l’origine : cette relation très problématique à l’histoire, à l’écriture de l’histoire au Liban. Comme le dit Joana, nous nous focalisions véritablement sur la difficulté de vivre dans le présent ; nous étions en fait enlisés dans le présent. Dans la plupart de nos films – A Perfect Day (2005), Cendres (2003), Khiam (2000), Je veux voir (2008), Open the Door, Please (2006), Rondes (2001) –, les personnages se trouvent enlisés dans le pur présent, luttant entre un passé qui les hante et l’impossibilité de se projeter vers l’avenir – ils incarnent de simples fragments d’une continuité. Cela s’explique probablement par la situation spécifique du Liban. Nous réagissons aux situations, à ce qui se passe autour de nous.

 

Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Khiam, 2000-2007. 2 vidéos, couleur, son, durée : 103 min © Joana Hadjithomas & Khalil Joreige. Galerie In Situ — fabienne leclerc.

Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Khiam, 2000-2007. 2 vidéos, couleur, son, durée : 103 min © Joana Hadjithomas & Khalil Joreige. Galerie In Situ — fabienne leclerc.


 

ENWEZOR : Le mot latence qualifie de façon très significative votre travail. Ce qui le rend fascinant, c’est la façon avec laquelle il résume par des principes formels, limpides et compréhensibles la complexité d’une idée. Dans le contexte des images latentes, il y a une dimension performative, mais aussi une dimension archivistique, une dimension narrative, sans oublier la dimension énonciative du récit. Avec ce concept de latence, vous théorisez, semble-t-il, quelque chose de très puissant. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la latence et comment elle surgit dans votre travail ?

HADJITHOMAS : Nous essayons de ne pas nous contenter de produire des images, nous questionnons inlassablement le médium image. Pourquoi ajouter d’autres images à l’actuel flux d’images ? Les images que nous produisons interrogent la présence des images de manière plus générale.

On définit la latence comme l’état de ce qui existe sous une forme non apparente, mais qui est susceptible de se manifester à n’importe quel moment. L’image latente, c’est l’image invisible qui doit-encore-être-développée sur une surface impressionnée. Nous ne cessons d’avoir l’impression au Liban de vivre dans une époque pleine de traces, traces de violence, traces de destruction, traces d’histoire. Toutes ces traces sont présentes, sans être visibles. La latence est par conséquent apparue parce que nous partagions cette impression politique que beaucoup de choses étaient latentes, qu’elles n’étaient pas discutées, mais aussi parce qu’il nous intéressait de savoir ce qui se passerait si nous retirions du flux certaines de nos images, et comment redonner du pouvoir aux images à une époque où elles sont produites en masse. Le concept de latence était un moyen de questionner notre pratique de cinéastes et d’artistes.

 

Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Images Latentes, 3e partie du projet Wonder Beirut, 1997-2006. 3 épreuves chromogènes sous Diasec mat montées sur châssis aluminium et 38 épreuves numériques plastifiées montées sur aluminium. © Joana Hadjithomas & Khalil Joreige. Galerie In Situ — fabienne leclerc.

Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Images Latentes, 3e partie du projet Wonder Beirut, 1997-2006. 3 épreuves chromogènes sous Diasec mat montées sur châssis aluminium et 38 épreuves numériques plastifiées montées sur aluminium. © Joana Hadjithomas & Khalil Joreige. Galerie In Situ — fabienne leclerc.


 

Notre travail sur la latence a débuté d’une manière organique. Il nous est arrivé de ne pas développer nos photos en argentique pendant un certain temps, puis il nous est venu, peu à peu, l’idée que cela pouvait constituer un principe de travail très intéressant. Nous l’avons alors adopté et nous nous y sommes tenus très strictement. C’est comme cela qu’a commencé le projet Images latentes : journal d’un photographe (1997-2006). Nous avons fait des prises de vues sans les développer durant dix ans, de 1997 à 2006. C’était devenu pour nous une véritable question : que se rappelle-t-on d’une photo, qu’évoque une image si on en lit simplement la description, à quel moment et pourquoi devrait-on la développer ?

JOREIGE : Une autre origine du concept de latence, à mon avis, c’est le problème des personnes kidnappées au Liban. Plus de dix-sept mille personnes ont disparu, parmi lesquelles mon oncle. Nous étions très proches, nous habitions le même immeuble et, très soudainement, vous vous trouvez en face d’une absence présente. Pas de quelqu’un qui serait mort, mais disparu, dont on n’a aucune nouvelle ; il est présent sans être visible. Ou bien il n’est pas là, mais vous sentez qu’il est là. C’est un état très bizarre, entre plusieurs états. De sorte que la latence, pour nous, c’est véritablement un état, quelque chose qui est là, mais dont les conditions de visibilité ne sont pas présentes. Quelles peuvent alors être les conditions de la réapparition d’une image, de la réapparition d’une personne, de la révélation d’une situation ?

 

ENWEZOR : L’un des thèmes-clés de votre travail, c’est la question des conditions nécessaires à la vision. Votre film Je veux voir, par exemple, ne pose pas la question de ce que l’on voit, mais des conditions dans lesquelles une image peut soit apparaître, soit corroborer des situations contradictoires. Quelles conditions établissez-vous comme principes essentiels, nécessaires au développement de la rencontre ?

HADJITHOMAS : Nous avons réalisé Je veux voir en réaction à des images qui étaient montrées pendant la guerre de 2006, des images insoutenables de mort et de ruine, que tout le monde pouvait voir, mais qui n’ont pas eu le moindre effet quant aux hostilités. Nous voulions par conséquent provoquer une véritable rupture, une coupure. En mettant de façon très provocatrice un corps de fiction, de cinéma, représenté ici par l’actrice Catherine Deneuve, dans des lieux où la fiction n’est pas présente, où la réalité pèse de tout son poids ; nous avons essayé de voir si cela pouvait provoquer une réaction, au sens chimique du terme, si cela pouvait produire une autre façon de voir. Nous avons créé un dispositif très clair qui se prêtait aux expérimentations.

JOREIGE : On imagine un dispositif – les conditions nécessaires pour qu’il se passe quelque chose. Mais rien ne se produit jamais là où on l’attendait. Et si cela arrive à l’endroit prévu, alors cela aurait été un programme. Mais ce n’est jamais un programme. La surprise est une nécessité, il est nécessaire de se mettre en danger. C’est très précisément la raison pour laquelle nous ne communiquons jamais le scénario à nos acteurs. Nous l’écrivons, le reste de l’équipe en a connaissance, mais nous voulons être surpris par quelque chose d’inattendu. Comme dans une conversation. Vous savez certaines choses, je sais certaines choses, mais la conversation s’oriente dans une autre direction.

HADJITHOMAS : Et, parfois, il y a une rencontre. Si nous savions très exactement où nous allons, il n’y aurait pas de rencontre. La rencontre explique la création d’un dispositif, mais il faut accepter de ne pas savoir exactement où l’on va.

JOREIGE : Ce n’est ni vous, ni nous, c’est quelque chose d’autre. Ce peut être un lieu neutre, au sens que Roland Barthes aurait donné à ce mot, ni vous, ni nous, ni moi, ni elle, mais c’est un lieu vivant. Un lieu où l’on perçoit toutes les possibilités, toutes les promesses, où il nous est donné la possibilité de construire…

HADJITHOMAS : … des narrations.

JOREIGE : Des fictions.

 

ENWEZOR : Une chose me frappe depuis toujours à propos de votre travail : ses objectifs sont toujours limpides. Il montre la volonté de faire comprendre le but de l’œuvre, même si, en même temps, il y a la tentation de lui refuser une réalisation complète. Comme une sorte d’ajournement, pourrait-on dire, de la conclusion. Telle est bien votre intention ?

JOREIGE : Nous nous considérons nous-mêmes comme des chercheurs. Nous estimons que nous ne savons pas véritablement. Par conséquent, nous cherchons. Mais, quand nous commençons à avoir des réponses, cela implique habituellement que nous devons couper, pour passer à un autre projet. En regardant notre pratique, on constate qu’elle fonctionne par projets, et chaque projet peut prendre de nombreuses formes différentes. Dès lors que nous commençons à maîtriser tel ou tel lieu, cela devient dangereux, car nous risquons de produire des répétitions, alors nous le quittons. C’est pourquoi ce qui nous intéresse, peut-être, ce sont les lieux de doute.

 

Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, 180 secondes d’images rémanentes (détail), 2006. 4 500 photogrammes, tirages lambda sur papier, bois, bandes velcro. © Joana Hadjithomas & Khalil Joreige. Galerie In Situ — fabienne leclerc.


 

HADJITHOMAS : J’utiliserais le terme de fragilité. Nous sommes convaincus qu’une œuvre d’art doit avoir une fragilité essentielle. Qu’il ne faut pas être obsédé par l’efficacité ou la maîtrise. Cette fragilité nous intéresse beaucoup du point de vue de la forme. Lorsque nous avons réalisé 180 secondes d’images rémanentes (2006), par exemple, une œuvre de grand format composée de photogrammes inspirés d’un film tourné par l’oncle de Khalil avant son enlèvement, film que nous avons trouvé sous sa forme latente trente ans plus tard, nous avons eu le sentiment de la grande fragilité des conditions propices à la réapparition de cette image. L’œuvre doit par conséquent restituer cette impression. Les images sont alors scannées, tirées, coupées et collées d’une façon telle que nous avons à tout instant le sentiment que l’œuvre risque de se défaire ou de tomber, de disparaître. Nous estimons qu’il est essentiel de conserver cette idée. En particulier parce que ces œuvres sont vues dans le monde de l’art, qui est aussi un marché et qui véhicule également l’idée de possession. Or, l’œuvre d’art, par sa fragilité, doit être capable de s’échapper. Il est essentiel de conserver cette poétique. Il en va de même pour nos films. Quand nous réalisons nos films, nous ménageons dans la narration un espace ouvert, c’est-à-dire une fragilité. Nous y tenons absolument. Pour ne pas être systématiquement efficaces.

 

ENWEZOR : Ce qui nous amène au fait que, comme Khalil l’a mentionné, vous travaillez un projet après l’autre. Comment décidez-vous du support de votre prochain projet ? Sera-t-il une conférence-performance, un livre, un film, une installation ? Qu’est-ce qui oriente la prise de décision finale ?

 
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JOREIGE : Notre travail fonctionne sous forme de groupes d’œuvres ou de projets : par exemple, Archéologie de notre regard (1997), le projet Wonder Beirut (1997-2006), les films et installations sur Khiam, le projet The Lebanese Rocket Society (2011-2013), et plus récemment les ensembles d’œuvres traitant des arnaques Internet, les scams, et, enfin, de poésie… Ce n’est pas intentionnel. Nous nous lançons habituellement dans de longues recherches, nous explorons les aspects thématiques, formels et historiques, et, selon le matériel que nous rencontrons, les choses évoluent. Par exemple, pour le film intitulé ISMYRNE (2016), nous avions imaginé une installation vidéo, mais, en raison du matériel que nous avons rencontré, c’est devenu un film. Nous devons respecter la rencontre. La rencontre vous emmène d’un lieu à l’autre, et vous évoluez avec elle. Vous cherchez, vous vous questionnez, vous questionnez votre propre pratique. Il y a aussi un aspect performatif qui vous incitera à construire une nouvelle narration, laquelle vous conduira à une certaine forme.

HADJITHOMAS : Comme dans notre conférence-performance Aïda, sauve-moi (2009), un événement intervenu durant la projection de notre long métrage A Perfect Day nous a amenés à réévaluer en profondeur notre relation aux images, à la fiction et aux documents, ou même comme dans le projet que nous avons réalisé pour la Biennale de Venise, une installation artistique devenant un livre, devenant une performance, devenant une nouvelle œuvre. Ce n’est jamais planifié. C’est une série de rencontres. Un mélange de différents médiums, un mélange de pratiques.

JOREIGE : C’est un travail en mouvement.

ENWEZOR : C’est expérimental.

HADJITHOMAS : C’est très expérimental. Ça doit évoluer beaucoup. Et il faut suivre tout cela. Ce qui nous intéresse, c’est de pouvoir explorer un sujet et lui donner différentes temporalités, différentes modalités, différentes formes. C’est une sorte de liberté que nous souhaitons conserver.

JOREIGE : Tout d’un coup, nous pouvons envisager que notre recherche soit la condition de création de nouveaux dispositifs, de nouveaux lieux de négociation. Comme lorsque nous avons amené Catherine Deneuve à la frontière pour voir si nous serions capables de faire un film là-bas ou d’ouvrir une petite route, ou quand nous avons transporté une sculpture représentant une fusée dans les rues en montrant que ce n’était pas un missile, mais une fusée destinée à l’exploration spatiale. Il s’agit d’un travail de reconstitution, de remise en scène de certains événements et d’une négociation dans le cadre de certaines réalités, de trouver de nouveaux dispositifs à un moment où vous avez le sentiment que votre territoire rétrécit. Comme dans notre œuvre vidéo sur deux écrans Se souvenir de la lumière (2016), où nous avons fait des expériences avec la transformation des couleurs et nos perceptions sous l’eau. Les ruptures, les coupes, ce sont des lieux où nous voulons nous battre, où nous voulons être présents.

HADJITHOMAS : C’est une rupture parce qu’il nous est nécessaire d’évoquer l’histoire, de nous rapporter à l’histoire. Pour mieux comprendre comment nous nous situons dans ces temporalités, et comment sont situées ces temporalités elles-mêmes.

 
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ENWEZOR : Cela relève de l’idée de la chronique. Je suis convaincu que votre œuvre est empreinte d’une dimension littéraire très forte.

HADJITHOMAS : Il est certain que nous nous considérons nous-mêmes comme des conteurs. De plus, la littérature, c’est ce que nous avons étudié ensemble. Il me semble que les choses sont plus claires aujourd’hui, parce que de nombreuses œuvres sont reliées entre elles, certains récits sont liés les uns aux autres. C’est ainsi qu’est arrivée l’idée de la chronique, de l’écriture et de la représentation de ce qu’est l’histoire, mais aussi de la construction des imaginaires.

 

ENWEZOR : Je souhaiterais faire un retour en arrière en guise de conclusion. Vous avez beaucoup parlé de cette rupture, ou de failles. Il y a deux simultanéités dont il convient de tenir compte dans votre travail : la faille de la mémoire et la faille de la vision. Comment ces deux aspects sont-ils conciliés ? Lorsque je considère votre travail dans son ensemble, je me demande s’il est vraiment possible de produire une pratique aussi riche, dense, complexe et presque inépuisable en un certain sens, dans un pays aussi minuscule que le Liban. En parlant de cette relation, entre la faille de la vision et la faille de la mémoire. Toutes ces ruptures deviennent visibles à mon sens. Elles sont en quelque sorte à la fois physiques et mnémoniques.

JOREIGE : La plupart du temps, nous nous efforçons de traiter une situation, une préoccupation très spécifique. Très précise. Et plus nous sommes précis et locaux, plus cela permet à certains territoires de s’étendre. Brusquement, cela fait écho dans d’autres territoires, dans d’autres dimensions, dans d’autres époques. Nous sommes convaincus qu’il existe un territoire de l’art et du cinéma, et ce territoire, c’est le lieu où nous avons la possibilité de partager des questions et des soucis d’ordre politique, esthétique et formel. C’est ce qui est intéressant pour nous, quand cela parvient à créer d’autres réseaux, à se raccorder à d’autres dimensions dans le temps et dans l’espace.

 

Traduit de l’anglais par Christian-Martin Diebold

Cet entretien est tiré du catalogue publié à l’occasion de l’exposition. Coédition Jeu de Paume / Sharjah Art Foundation / Haus der Kunst, Munich / IVAM, environ 500 pages et 600 illustrations, 39 €. Entretiens des artistes avec Okwui Enwezor et avec José Miguel G. Cortés et Marta Gili, textes de Hoor Al Qasimi, Philippe Azoury, Omar Berrada, Boris Groys, Brian Kuan Wood, Nat Muller et Anna Schneider.

Okwui Enwezor est directeur de la Haus der Kunst, Munich, et a été directeur artistique de la 56e édition de la Biennale de Venise en 2015. Il est le fondateur et rédacteur en chef de Nka. Journal of Contemporary African Art.

 
L’exposition au Jeu de Paume
La sélection de la librairie

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DES/CHAÎNES Entretiens en série par Emmanuel Burdeau http://lemagazine.jeudepaume.org/2016/03/series-televisees-emmanuel-burdeau/ Wed, 16 Mar 2016 09:33:40 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=24351 Comment regardez-vous les séries ? À quel rythme, à quelles heures, selon quels rituels les regardez-vous ? Pourquoi ces préférences ?

L’article DES/CHAÎNES <br> Entretiens en série <br>par Emmanuel Burdeau est apparu en premier sur le magazine.

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Dans le cadre de son séminaire consacré aux séries télévisées contemporaines, Emmanuel Burdeau1 adresse quelques questions à des amateurs de tous horizons, afin de mieux savoir quelles séries chacun regarde et — tout aussi important — comment.









1. Comment regardez-vous les séries (ordinateur, télé ; fichiers, DVD ; téléchargement, VF ou VO, avec ou sans sous-titres) ? Quelle importance a selon vous ce « dispositif » ?

2. À quel rythme, à quelles heures, selon quels rituels les regardez-vous ? Pourquoi ces préférences ?

3. Quelle série récente, postérieure à 1995 — le défi est de n’en citer qu’une — a bouleversé votre vision du « genre » ? Pourquoi, en quelques mots ?

4. Quelle série en cours vous semble incarner l’avenir du « genre » ? Pourquoi, en quelques mots ?




Maël Le Garrec

Professeur de philosophie en classes terminales.

1. Je les regarde sur l’ordinateur, en téléchargeant les fichiers par Bittorrent ; très rarement en DVD, seulement lorsqu’une série m’apparaît, avec un temps de retard, incontournable et qu’un ami a entretemps acheté le coffret, et peut me le prêter. Les fichiers sont en version originale, les sous-titres aussi, par commodité (ce sont les plus faciles à trouver) mais aussi par scrupule (mon anglais n’étant pas parfait, j’aurais peur de louper une expression, un mot saillant dans la langue d’origine).

2. Le rythme : à la fois échelonné et à court terme. Pas de binge watching (deux épisodes maximum à la suite, trois si c’est du 26 minutes), je ne supporte pas la saturation qui s’installe, l’engourdissement. Je regarde des séries par intensité : un avis, un article, une photo, et j’essaie immédiatement de me lancer, de regarder tous les épisodes, de manière soutenue, régulière, dans les semaines qui suivent, et ainsi de l’avoir vue (Nietzsche parle de « brèves habitudes », dans Le Gai savoir). D’où par la suite des périodes blanches, sans séries. Donc pas de rituel en soi, pas de forme qui préexiste au désir de regarder cette série-là.

3.The Office, Ricky Gervais. Parce que pour la première fois, j’ai vu une série qui était, sur un thème, sur certains affects, des vies, en avance sur n’importe quelle forme autre artistique ou intellectuelle. Je me souviens l’avoir vu en DVD, qu’on m’avait offerts, début 2006 seulement. Je préparais l’agrégation de philosophie, j’étais plongé dans Etre et temps de Heidegger, qui était une révélation. Pour me détendre, j’ai regardé The Office, alors que le concours approchait. J’ai immédiatement pensé que ce que je voyais était (pour moi, mais pas seulement…) au moins aussi important qu’Etre et temps, sans pouvoir encore dire exactement ce qui y était traité, problématisé, exploré et qui ne l’avait pas encore été auparavant. The Office supplantait la philosophie, et je ne m’en suis toujours pas remis.

4. Je ne suis pas vraiment de séries actuelles, en tout cas pas de manière à pouvoir motiver un pronostic. Alors je dirais The Leftovers, justement parce que je n’arrive pas à y plonger, qu’elle me semble objectivement captivante, mais qu’elle me laisse à l’extérieur – sur la touche, et je me demande si cela signifie quelque chose quant à la nature des séries actuelles.




Clémence Madeleine-Perdrillat

Réalisatrice

1. Je regarde les séries sur mon ordinateur. Je les télécharge et j’attends toujours les sous-titres français. J’aime regarder une série lors de sa parution, ainsi je me sens proche de ce qui se passe dans d’autres pays.

2. Je regarde souvent le soir après mon travail et le dîner, vers 22h. Généralement je regarde deux épisodes de 52 minutes dans mon lit, ou plusieurs de 26′. J’aime ce moment assez intime avec les séries, j’ai un sentiment de proximité que je n’aurais pas avec la télévision, d’ailleurs je n’ai pas de télévision. Lorsque je suis en couple j’aime partager ce moment si l’autre aime les même séries et que nous sommes au même stade dans les saisons. J’ai le souvenir d’avoir vu les 5 premières saisons de Mad Men avec un homme que j’ai aimé, c’était un rituel important pour nous, un vrai rdv et le sentiment de découvrir ensemble quelque chose de rare.

3. Les Soprano. J’ai découvert grâce à cette série l’importance des personnages, j’ai eu le sentiment de faire partie de cette famille. La fin de la série m’a attristée comme si un monde s’arrêtait.

4. La série qui incarnait l’avenir du genre pour moi c’était Mad Men qui est à mon sens la plus belle création en série. Aujourd’hui je ne trouve pas d’équivalent, sauf peut-être dans Girls qui est moderne, drôle et qui a, selon moi, un ton unique de sitcom tragi-comique.




Cécile Montigny

Co-fondatrice d’APAR.TV et productrice.

1. En streaming et toujours en VO, depuis mon ordi que je connecte à ma tv (pour avoir un grand écran et du bon son) car la plupart des films que je regarde sont piratés. Mais chut, les agents d’Hadopi sont partout.

2. En binge watching. Avec des provisions, téléphone éteint, en immersion totale, tard le soir, ou la nuit. Parce que ça change tout.

3. Derek, de Ricky Gervais. Parce qu’il est le maitre du genre « mockumentaire » que j’affectionne particulièrement.. Parce qu’il est étonnant de voir à quel point le principe du faux documentaire peut trouver plusieurs résonances chez Ricky Gervais. La sincérité enfantine, la fragilité, la pureté du personnage m’a transportée. Parce que j‘en ai marre du cynisme ambiant. Dans Derek, il n’y a pas de drogue, pas de sexe, pas de violence mais beaucoup de tendresse et d’empathie. Je peux rire et pleurer à 10 minutes d’intervalle dans le même épisode. C’est un chaud/froid permanent, comme la vie.

4. House Of Cards, parce que les temps de production se raccourcissent. Qu’on arrive scénaristiquement à mélanger la fiction avec la réalité. Et je pense que dans les années à venir ce procédé va s’intensifier dans le sen où ce genre de séries/soap opéra peut permettre d’appréhender une nouvelle forme de prospective télévisuelle.





 





 

Guillaume Orignac

Critique (Chronic’art), auteur de David Fincher ou l’heure numérique (Capricci).

1.J’ai toujours regardé les séries télévisées sur l’écran pour lesquelles elles sont produites. Soit, avant le développement d’internet, au rythme parfois irrégulier de leurs diffusions sur les chaînes de télé française, soit, avec les sites de téléchargement, en lisant les fichiers video à l’aide d’un boîtier branché sur la télévision. Dispositif qui me semble tout autant naturel que conventionnel. La convention étant d’éviter de les regarder seul. La consommation frénétique de séries prend parfois des allures de shoot opiacé et addictif.

2. Dès lors que le carcan de la diffusion télévisée a sauté, le rythme choisi a été celui d’un visionnage quotidien de deux à trois épisodes pour épuiser une série en une semaine. Cela avec la volonté de briser l’idée du rendez-vous régulier étalé sur plusieurs mois, et ramener la série vers l’expérience d’un film très long. Reste qu’en suivant en direct la diffusion d’une nouvelle série, on se contraint à la voir au rythme généralement hebdomadaire de leur diffusion. Et donc à substituer à l’expérience du voyage, ramassé mais intense, que suppose la vision d’un film, celle de l’accompagnement familier. Cela crée probablement des affects singuliers, en nouant sa vie à celle de personnages fictifs, mais permet rarement de mesurer la qualité en elle-même de la série.

3. The Wire a été et reste, à ce jour, la plus grande série télévisée que j’ai pu découvrir. Parce que David Simon a fait de son principe même un mode d’exploration du tissu social, en répartissant chaque saison comme une porte d’entrée dans une communauté humaine. C’est à la fois très malin dans son cadre général et éblouissant dans les détails. Sa quatrième saison implantée dans le système éducatif américain s’élève à la hauteur d’un mélo néo-réaliste. En utilisant les codes de la fiction sérielle, The Wire permet surtout de retrouver ce qu’est l’essence de la télévision rêvée, un regard critique et attentif sur la société contemporaine.

4. Je ne sais si True Detective est une série en cours, ou plus simplement récente. Mais elle a en tout cas, indépendamment des qualités qu’on lui prête ou qu’on lui nie, ouvert l’horizon des séries vers une nouvelle forme, plus ramassée et tenue, où tous les épisodes seraient entièrement écrits par la même personne et filmés par un réalisateur unique. Où il s’agit moins d’imposer une cohérence à coups de feuilles de styles que de retrouver le chemin de l’auteur un peu solitaire, quitte à verser dans le fossé parfois. Et, au final, d’hybrider le temps du cinéma avec celui de la télévision.




Ariane Gaudeaux

Enseignante, chercheuse et auteure de « La Balade sauvage (Badlands) de Terrence Malick » (Editions de la Transparence, 2011)

1. IMac (ou Ipad, très rarement). Netflix, streaming, DVD, télé. Avec ou sans sous-titres. L’important est que ce soit simple, pratique et de bonne qualité.

2. À midi et parfois le soir. Pour être raisonnable.

3.Fargo. Six Feet Under. Pour la complexité très réaliste des personnages, leur profondeur, la photographie très soignée, le montage précis, poétique et discrètement évocateur, le scénario d’une sensibilité aussi cynique que touchante, laissant une grande place à l’implicite, et l’idée de la volatilité des instants.

4. The Leftovers. Pour son intensité dramatique, parce qu’elle sonne juste par rapport à notre époque, parce qu’elle flotte entre les genres, parce que sa structure narrative est souvent surprenante et nous fait voguer d’un personnage à l’autre à un rythme irrégulier. C’est une série émouvante, subtile, onirique, mystérieuse, dense, grave et profonde.




Marie-Fleur Albecker

Professeure d’histoire-géographie et blogueuse

1. Je n’ai pas de télé donc toujours sur mon ordinateur, en streaming – j’en regarde une telle quantité que je ne pourrais pas les stocker, mais j’achète en DVD mes séries « cultes », DVD que je ne regarde jamais, bien sûr. Satisfaction de la possession à portée de main. Sans sous-titres bien sûr, pour avoir le prétexte de pratiquer mon anglais. Liberté de s’assujettir à l’image n’importe où, n’importe quand.

2. Une à deux heures par jour, si je ne lis pas ou je n’écris pas (c’est par alternance), en binge-watching total pour les bonnes séries Netflix ou Amazon, sinon selon le rythme des sorties, donc beaucoup le lundi… En ce moment Girls, The Good Wife, The Walking Dead, Shameless, The Family et Elementary ; bon, ça fait donc plus qu’une à deux heures là-dessus. Je suis hyper-fidèle à de vieux soaps qui m’ont vu grandir mais qui tiennent toujours leurs promesses de mélodrame, ah Grey’s Anatomy ! Je n’ai pas de préférences, si ce n’est que je regarde plutôt sur mon canapé quand il fait jour et dans mon lit quand il fait nuit. Le cinéma (sur l’ordinateur), les séries et les livres, c’est l’évasion. Quand je suis vraiment au fond du trou, il m’est arrivé de laisser tomber des séries, par exemple Horace and Pete très récemment (c’est quand même super déprimant), mais que je reprendrai bientôt je pense.

3. Bon, ben, je vais répondre comme tout le monde The Wire, quoiqu’étant une femme je dois dire que Sex and the City a beaucoup compté aussi, mais pour d’autres raisons. Je travaille sur les Etats-Unis et quand je vivais à New York j’ai réussi un double défi : comprendre l’accent de Baltimore sans sous-titres (ça m’a beaucoup aidée pour mes entretiens de thèse) et comprendre mieux les Etats-Unis (on dirait que cette série a été faite par des sociologues, mais humains). Je me souviens d’ailleurs avoir eu du mal à « rentrer dedans » parce que j’avais du mal à m’habituer au rythme plutôt lent. Last but not least, Jimmy McNulty et Stringer Bell ne dormiraient pas dans la baignoire.

4. Ça commence à bien faire avec « une série » ! Ce fascisme ! Bon, alors, il y a Girls qui est pour moi une série absolument remarquable sur une certaine féminité (même si c’est sûr, c’est pas The Wire niveau spectre socio-ethnique) – et pourtant je trouve ce que produit Judd Apatow assez affligeant du point de vue du féminisme, la plupart du temps. Les séries de trash-politique avec leurs accents shakepeariens comme Boss, House of Cards ou Baron noir (malgré le désastreux contre-emploi d’Anna Mouglalis, mais passons), qui sont l’épitomé de la crise politique que traversent les démocraties libérales. En séries policières, j’ai récemment trouvé Murder (série britannique) assez remarquable, comme Making a murderer : des réflexions sur le rapport entre série, documentaire et enquête. Je trouve aussi que les séries historiques peuvent être de la balle, par exemple Un village français (malheureusement comme c’est sur France 2, je n’arrive pas à convaincre mes élèves de le regarder), The Knick, Wolf Hall ou 1992 (qu’on pourrait aussi classer dans les séries politiques sur la montée du berlusconisme). Un regret, la science-fiction me semble assez molle ces derniers temps, à quand le prochain Battlestar Galactica ? Sinon, les chefs d’œuvres, mais il faut quand même un peu s’accrocher, je dirais Fargo et The Leftovers.




Gérald Duchaussoy

Responsable de Cannes Classics et chargé de mission au Marché du Film Classique au Festival Lumière

1. Pendant longtemps, j’avais un ami qui achetait tout ce qui paraissait chez Album en DVD. Ce fut mon moyen de prédilection. Puis le téléchargement et le « replay » ont modifié cette habitude. En revanche, la VO, sans sous-titres pour les séries anglo-saxonnes, demeure la norme. Sur ordinateur, à la télévision ou sur tablette, mes frontières de visionnage ont totalement éclaté sans que j’y perçoive quelque inconvénient que ce soit.

2. Cela dépend du temps dont je dispose, bien que je préfère de plus en plus enchaîner une série dans sa continuité. J’y trouve des qualités de développement narratif et scénaristique ainsi qu’une forme compacte qui me donne le sentiment de traverser un tunnel me liant de manière forte à une histoire sans possibilité de m’échapper.

3. The West Wing (À La Maison Blanche) m’a balayé du fait de ce jeu politique et médiatique qui ne laisse aucun répit au spectateur qui a étudié l’histoire américaine que je suis. En outre, l’énergie qui s’en dégageait m’a fait prendre conscience que l’on franchissait une étape et que le cinéma se devait de rester à niveau !

4. À ma grande surprise, la série qui m’a très impressionné ces derniers temps fut Baron noir qui, tout comme Les Beaux mecs en 2011 et la première saison de Kaboul Kitchen, m’a plongé dans la réalité de notre société et de ses basses manœuvres. Difficile d’affirmer que cela représente l’avenir des séries. Cela dit, si cela fait prendre conscience à des décideurs que le public est avide de choc, j’en serais on ne peut plus ravi.




Virginie Sassoon

Auteure et enseignante à l’institut français de presse, coordinatrice du #WES festival (Web En Séries) et du Txiki festival, festival de cinéma pour enfants.

1. Je regarde les séries sur mon ordi portable en VOST. Mon ordinateur portable est comme une extension de moi-même, un dispositif mobile qui m’accompagne partout, dans mes déplacements, à l’intérieur comme à l’extérieur.

2. J’ai des phases addictives, parfois jusqu’à l’épuisement ! C’est un plaisir assez transgressif d’enchaîner sur un nouvel épisode à 2h du mat’ alors qu’on doit se lever aux aurores le lendemain! J’aime découvrir les séries à deux ou en même temps que des ami-e-s, pour pouvoir en parler, discuter des personnages qui deviennent familiers, comme des potes ou des collègues. Au bout de deux saisons ils font partie du quotidien !

3.J’ai adoré Six Feet Under, qui propose une réflexion inédite sur la mort, à travers une immersion affective dans l’univers d’une entreprise familiale de pompes funèbres. Le dernier épisode est extraordinairement émouvant…The Wire m’a beaucoup impressionnée et marquée, par son ambition et l’aridité, aussi, des premiers épisodes.

4. Les web-séries représentent aujourd’hui un espace de création foisonnant… Ploup, Osmosis, Meufisme, La Loove sont des formats courts qui répondent à un mode de consommation ultra-connecté. C’est aussi le sentiment d’un rapport plus direct, plus libre, avec les créateurs. Reste à trouver le mode de financement de l’avenir !




Nicolas Vieillescazes

Editeur

1. Je les regarde soit, à partir de fichiers téléchargés, a) sur mon ordinateur (la plupart du temps) ou b) sur mon téléviseur ; soit, toujours sur mon ordinateur, sur Netflix. Dans le premier cas, je regarde (ou revois) des séries « choisies », autrement dit des séries – récentes, le plus souvent – que j’ai décidé de regarder ; dans le second cas, le visionnage fonctionne un peu comme la télévision : me soumettant à l’offre disponible, je peux regarder un peu n’importe quoi (cela vaut aussi pour les films). Dans le cas où je choisis, je m’astreins à une discipline : comme la série m’intéresse a priori, je la visionne de façon plus attentive et m’efforce de la suivre même si elle me déçoit. Sinon, je regarde un, deux épisodes ou plus, puis j’abandonne totalement ou pendant quelque temps. Le plus souvent, j’oublie rapidement l’avoir vue. Une série qui ne m’intéresse que peu présente l’avantage d’être un bouche-trou – exactement comme pour les livres. J’ai besoin de regarder des séries comme j’ai besoin de lire des romans, et le dispositif fondé sur les fichiers, Netflix et l’ordinateur permet d’emporter les séries un peu partout avec moi (bien que je n’aime pas en regarder dans le train).

2. Le soir, chez moi, est le moment dédié à la fiction (audiovisuelle ou romanesque). Habitude contractée de longue date, je n’arrive pas à lire un roman ou à regarder une série dans la journée. Je n’en ai pas non plus le temps. Mais, travaillant sur les idées, ce n’est pas seulement un moment de détente et d’oubli, mais aussi un moyen de continuer à réfléchir par d’autres moyens : les fictions que s’invente le monde contemporain pour se penser.

3. Sans hésiter une seconde : The Wire. Parce qu’elle porte moins sur des personnages que sur des mécanismes sociaux, des espaces et des groupes, ce qui les façonne, ce qui les détruit.

4. Better Call Saul : elle est nécessairement finie et déterminée par sa fin et la transformation de l’échec en réussite (comment Saul et Mike deviennent ce qu’ils seront dans Breaking Bad ; comment cette fiction secondaire va rejoindre sa matrice, et peut-être transformer notre perception de celle-ci ; et comment, tout secondaire qu’elle soit, dans l’ordre de production, elle va devenir une source, une parmi d’autres peut-être, dans l’ordre du récit). Par ailleurs, comme Breaking Bad, elle repose entièrement sur la contingence, qui me semble constituer l’un des traits dominants de la fiction contemporaine : personnages et situations s’apparentent à des coordonnées arbitraires – on aurait pu en choisir, en ajouter, en retrancher d’autres – qui se déploient non pas selon un ordre rationnel (comme, par exemple, dans le mélodrame, avec sa mécanique tragique) mais de manière chaotique. Capacité infinie de la fiction à s’engendrer elle-même, tant qu’il y aura des spectateurs, mais aussi reflet d’une condition contemporaine marquée à la fois par les conditions rigides qui s’imposent aux différents acteurs sociaux et par l’instabilité et l’imprévisibilité que ce cadre produit. The Walking Dead, autre série fascinante à mes yeux, fonctionne exactement de la même façon.




Maud Wyler

Actrice

1. DVD. VO. Qualité. Respect du droit d’auteur.

2. Par ci par là. Aucune addiction.

3. The Office. Liberté. Mélange des genres. Génie du jeu.

4. Louie. Génie du jeu. Contre-performance. Insolence.




Rémi Lauvin

Etudiant en Master 2 (Recherche) à Paris 7, sous la direction d’Emmanuelle André.

1.Je télécharge les fichiers dans la meilleure définition possible, en version originale, puis je trouve les sous-titres en anglais. Je visionne ensuite les épisodes sur mon ordinateur. Pour certaines séries (policières, le plus souvent), je me réserve des créneaux durant lesquels le visionnage m’accapare totalement : au casque, désactivant la wifi et fermant toutes les autres fenêtres, je ne fais rien d’autre, sans interruption. Pour d’autres, de format généralement plus court et dans des genres comiques, je me rends sur des sites de streaming, sans souci de VF ou VO — je choisis au plus rapidement disponible. Dans ce deuxième cas de figure, il m’arrive fréquemment de faire autre chose, parfois même de n’écouter que d’une oreille. Souvent, cela concerne des épisodes de sitcoms déjà vus et revus dans le désordre.

2. Je ne suis qu’une poignée de séries au long cours, semaine après semaine, depuis le début (The Walking Dead ; Game of Thrones ; True Detective ; Dexter et Breaking Bad en leur temps). Pour les séries que je découvre une fois qu’elles sont terminées, je visionne généralement les épisodes par blocs de saisons (une saison en 3 ou 4 jours : Six Feet Under ; The Wire). Quand une série me plaît, j’essaie d’espacer les visionnages de saisons différentes de plusieurs mois. Je digère mieux les événements de chaque saison ainsi, et le désir frustré, puis dégonflé, renaît avec plus de vigueur. Je visionne ces séries le soir : je commence pendant le dîner, dans le salon, et termine dans ma chambre. Pour les séries comiques de format court (Simpsons ; Friends ; Scrubs), mes visionnages ressemblent davantage à des « pioches » dans le bain d’épisodes disponibles en streaming.

3. Breaking Bad — parce que la série gonflait chaque semaine en audace. A mes yeux, c’est comme si une série avait ingéré toutes les réactions et l’engouement qui l’entourait, tout en restant au-delà des attentes et des questionnements classiques sur l’issue de la fiction (non pas « qui/quoi ? » mais « comment/dans quelle mesure/jusqu’où ? »). Cela m’a donné l’impression qu’une série était autre chose qu’un programme (littéralement, un objet dont le développement suivait des rails tracés à l’avance) — un organisme qui grandit au contact de son succès. Une série qui donne à voir et dit à la fois : « vous n’avez encore rien vu… »

4. Making a Murderer — Non pas parce qu’il s’agit d’une des séries les plus belles, mais parce que je crois y voir un nouveau paradigme, entre série-télé et télé-réalité. C’est aussi parce que la série semble ouvrir une brèche, en termes d’écriture : au-delà du storytelling virtuose et des situations ou héros exceptionnels, la série peut se tourner vers des images du réel déjà mises en scène (ici, le processus judiciaire). La série-reportage en avenir ? Terminé, le temps des acteurs ?




Marie Bortolotti

Etudiante en classes préparatoires

1. Ordinateur (Netflix, fichiers téléchargés, streaming) et home cinema (Netflix, coffrets DVD). VO sous-titrée, parfois sans sous-titres lorsqu’un épisode vient de sortir et que je n’ai pas la patience d’attendre la traduction en streaming. Netflix est sans doute la meilleure solution pour voir toujours plus d’épisodes sans que la qualité d’image ou le budget en pâtissent.

2. Je suis ce qu’on appelle une sérievore. Cette pathologie se caractérise par une consommation erratique et le plus souvent frénétique d’épisodes à toute heure du jour et de la nuit. J’en suis atteinte depuis presque cinq ans et mon score sur l’application TVShowTime est actuellement de 2 mois 9 jours 11 heures et 55 minutes (ça devrait être plus, mais je suis en prépa). Généralement j’aime bien manger et boire du thé lorsque j’en regarde (devant Twin Peaks, mon rituel était donut/café), mais je peux aussi prendre un bain, me laver les dents, me poser du vernis. Je n’ai cependant jamais poussé l’hérésie jusqu’au sport, parce qu’un certain niveau de concentration est tout de même requis pour apprécier un épisode à sa juste valeur.

3. Fargo. Coup de maître. Chapeau bas. Chapeau pointu. 10 mini-films par saison, une photographie, un scénario, une direction d’acteur et des raccords métaphoriques qui n’ont rien à envier au grand écran (en revanche, rien ne surpassera jamais Dexter en terme de générique. Et puis avant 1995, Twin Peaks, comme tout le monde).

4. Fargo. Parce que le format d’anthologie à l’échelle d’une saison permet, tout en conservant l’esprit et l’esthétique de la série, de renouveler efficacement les enjeux narratifs (et par extension l’intérêt du public). Une histoire, douze épisodes, les scénaristes savent où ils vont, pas de prolongations ennuyeuses ou tirées par les cheveux (ou encore, d’intense frustration lorsque la série est annulée inopinément).




Gabriel Bortzmeyer

Critique et universitaire. Travaillant à une thèse sur les figures du peuple dans le cinéma contemporain.

1. Ordinateur, téléchargement, sous-titres anglais.

2. Dépend des périodes. Les séries sont pour les soirs où je rentre tard. Un épisode maximum, sauf quand c’est une session de travail sur une série particulière. Bref, aucune régularité : parfois des semaines sans série, parfois des semaines avec ou un deux épisodes, parfois plusieurs saisons dans la semaine. Aucun rituel au sens propre.

3. Treme, parce que j’y ai vu la tentative d’un non-récit, d’un récit sans finalité, sans orientation, d’une pure chronique seulement faite du défilé des jours, et qui minimise l’action au sens traditionnel pour en faire un pur passage du rien, ou du peu dont est faite la vie.

4. True Detective, mais cela m’inquiète : c’est une tentative de synthèse entre récit cinématographique et format sériel, et j’y vois plutôt une régression. Mais les réactions peuvent, hélas, représenter un avenir (ceci dit, la première saison est formidable, comme on sait).




Thomas Clolus

Cinéphile, membre du Conseil d’Administration du Café des Images

1. Je regarde les séries sur mon ordinateur domestique après les avoir téléchargées à partir de lui, sans doute par goût de continuité entre le support à partir duquel je déniche les séries et l’interface par laquelle elles continuent par le visionnage à venir jusqu’à moi. Cela relève aussi d’un plaisir physique de proximité entre mon bureau et moi, un rapport d’intimité accru entre mon ordinateur et moi. Piètre linguiste, je regarde systématiquement les séries étrangères accompagnéees de sous-titres. J’imagine que l’impression de facilité d’accès et de souplesse du contrôle que je ressens par l’informatique se combine très bien avec la représentation que je peux avoir des séries dans notre monde comme de plus en plus abondantes, en aisance de circulation où l’embarras et le privilège du choix devient la norme.

2. De toute façon de manière très irrégulière. J’attends souvent que les séries et les saisons passent l’actualité. Je découvre la plupart des séries a posteriori du gros de l’accueil public et critique. La quantité de productions sérielles me dépasse très largement, alors, par manque d’énergie et de courage, je me limite à quelques objets qui ont été adoubés par d’autres lors de leur actualité. Également, je regarde les saisons plutôt par blocs, en quelques jours, avec souvent plusieurs épisodes sur une journée espacés par des pauses, de l’après-midi jusqu’à tard le soir. Il faut que je sois dedans, immergé. Je n’ai pas très bonne mémoire non plus et c’est ma façon d’essayer d’appréhender cela comme un tout, une unité. Je suis en cela un spectateur de Cinéma qui adapte tant bien que mal sa pratique de cinéphile à ces objets monstres, fleuves, morcelés et ingrats que sont les séries télé. Tenter de compenser l’existence temporelle sérielle, intermittente et dispersée, durable et fuyante par une logique de concentration, de réduction.

3. Les Soprano ! L’anecdote amusante est que ça ne m’a ma frappé d’emblée. J’avais commencé à regarder la première saison en me disant que c’était intéressant, sans plus. C’est en reprenant un ou deux ans plus tard, et c’est en cela un symptôme consubstantiellement sériel, que, sur la durée, je me suis dit avec évidence combien c’était absolument remarquable. Et plus j’avançais dans la série, plus ça pesait, plus ce sentiment d’importance de l’objet dans son ensemble s’approfondissait. Là, j’ai pour la première fois par moi-même, physiquement, ressenti que la série télé, c’était effectivement du grand Cinéma. Les Soprano, par sa qualité romanesque, son intelligence vis à vis des personnages, son sens des histoires et de l’Histoire supplantait la relative faiblesse du Cinéma américain présent dans les salles. Et cette prise de puissance ne s’est aucunement démentie depuis, tout au contraire.

4. Il y aurait une relative imposture pour moi à répondre à cette question car, comme je le disais, je suis loin d’être le plus en prise avec l’actualité du territoire sériel. Toutefois, je me permettrai d’émettre un souhait : que la série Louie, par sa souplesse de jeu, de travail de durée des séquences et de relations qu’elles entretiennent entre elles encourage les séries à se libérer, à s’émanciper encore un peu plus d’elles-mêmes et proposent des formes et des formats toujours plus surprenants, aventureux et volatiles.




Vera Derrida

Lycéenne

1. Toujours sur mon ordinateur, elles proviennent du téléchargement ou plus rarement de Netflix. Avec sous-titres anglais. Le visionnage sur écran portable, bien qu’il soit étroit est parfaitement adapté à mon mode de vie : il me permet d’être le moins possible dans la salle commune où se trouve la télévision et de ne jamais m’en servir. Je peux ainsi rapidement passer de la série au travail (bien que ce soit plus souvent l’inverse qui se produise).

2. Parfois un épisode entre les moments de travail de l’après-midi, souvent au moment où je commence à avoir faim, rien de plus triste que de manger en travaillant. Le soir, avant de lire, en dînant j’en regarde toujours un – parfois le deuxième voire troisième si ma journée n’a pas été très productive. Il semblerait donc que les séries soient étroitement liées à la nourriture et au repos dans mes rituels. En une semaine — selon la longueur moyenne des épisodes, je regarde souvent une saison d’une dizaine d’épisodes. Le problème de l’immédiateté du téléchargement c’est que rien ne peut ralentir ma consommation d’épisodes, l’excès arrive vite.

3. La première saison de True Detective, pour le parfait usage du temps dans ses plans. Pour la première fois j’ai regardé une série comme un artefact complexe, dont la fabrication mérite d’être étudiée. Après celle-ci, de nombreuses séries ont renforcé autrement ce sentiment.

4. Difficile. The Leftovers n’incarne aucun avenir, sauf celui d’un « genre » qui s’appuierait sur le doute. Peut être que Baron Noir pourrait incarner un hypothétique futur pour la série française. Je penche pour les premières saisons de Louie, son alliance intelligence-hasard-humour me semble très prometteuse.



Alice Barnole

Actrice

1. Je regarde les séries sur mon ordinateur, en abonnements streaming. Je suis pas très douée en téléchargement, ça ne me dérange pas de payer un peu. Je regarde en VOST. L’importance du dispositif ? Celui de l’ordi m’ennuie. Je vais m’acheter un vidéo projecteur pour mieux en profiter. Et je trouve que parfois la mise à disposition de tous les épisodes sur Internet rompt un peu le charme de l’attente et du suspens. Petite nostalgie de l’adolescence. (Attendre le nouvel épisode de Buffy était assez excitant). Tout ça c’est fini. Ça se finit quand on ne veut plus de télé chez soi, en tout cas.

2. Quand je m’y mets c’est boulimique. A la chaîne. Ça peut être la nuit et ça signifie que je souffre d’insomnie. Et si c’est le jour ça veut dire que j’ai la grippe.

3. Utopia. Hypnotisme visuel, musical, dramaturgique. Je n’ai jamais autant sautillé sur mon canapé. Il paraît qu’ils veulent la refaire. Je suis outrée.

4. Je ne suis pas assez au courant. J’en ai commencé quelques unes… Je n’ai pas le temps de tomber dedans. Et la profusion m’effraie 🙂




Iris Brey

Critique cinéma et séries. Enseignante-chercheuse.

1. Sur mon ordi en téléchargement VO sans sous-titres. Le dispositif permet de créer une intimité avec l’objet, un rapport fusionnel à l’écran et un espace sécurisé.

2. Une fois qu’il fait nuit. Toutes les nuits. Ça n’a pas la même saveur pendant la journée.

3. The West Wing. L’unité de lieu, les dialogues savoureux, le personnage de Toby, le storytelling.

4. Transparent. Une exigence formelle et des dialogues savoureux avec une liberté de ton et un sous-texte politique que l’on ne peut pas voir ailleurs. Amazon rend ça possible.





Oriane Hurard

Productrice et programmatrice spécialisée dans les nouvelles écritures.

1. Je regarde les séries de deux manières :
– les séries actuelles, en téléchargement, en VO avec sous-titres français ou anglais si les sous-titres français ne sont pas encore disponibles. Je regarde ça soit sur mon ordinateur portable dans mon lit, soit sur la télévision via le serveur de la freebox ou encore dans le train quand je voyage. – Idem pour les séries Netflix : sur mon ordinateur ou sur ma télé via la clé « chromecast » et l’application mobile de Netflix. J’utilise aussi l’appli « Mycanal » (mes parents sont abonnés) pour les séries de Canal+, mais l’application bugue souvent et m’oblige parfois à devoir télécharger illégalement les épisodes que je voulais regarder par ce biais.
– les séries « anciennes », que je rattrape, je les achète en coffrets DVD ou Bluray et je regarde ça sur la télévision
J’aime la proximité que me donne mon écran d’ordinateur que je place à côté de moi dans le lit. Etant myope cela me permet de regarder de plus près les personnages, de me sentir proche d’eux. Je fais aussi souvent des captures d’écran des séries que je trouve belles, de plans dont la composition me plaît, etc.

2. Pour moi, la série, c’est la nuit. Je regarde les séries avant de dormir, c’est même la dernière chose que je fais, et c’est le plus souvent assez tard, de minuit à 2h. J’aime regarder les séries actuelles (c’est-à-dire celles en cours de diffusion) en respectant leur rythme de diffusion hebdomadaire, en téléchargeant l’épisode le lendemain et en le regardant dans les jours qui suivent. J’aime pouvoir en parler avec ma meilleure amie ou encore sur Twitter (dont l’utilisation oblige à être très rapide dans le visionnage de certaines séries pour ne pas être « spoilé » trop vite !). Ainsi, j’aime le lundi soir du premier semestre, avec Girls, Game of Thrones ou feu Mad Men… Même les séries Netflix, je ne les « bingewatche » que très rarement. Je dispose rarement de plages de plus de trois heures pour regarder plein de séries.
Je dîne devant d’autres séries, d’autres encore je les regarde en direct (pour les séries françaises) mais pour mes favorites j’essaie de ne rien faire d’autre devant.

3. Buffy contre les vampires : j’avais 12 ans lors de la diffusion sur M6 de la première saison, et c’est l’une des premières séries que j’ai assidûment suivi (avec Friends notamment). Mais en grandissant, et en lisant des critiques et commentaires de la série, j’ai aussi réalisé que contrairement aux autres séries diffusées le samedi soir sur M6 (Charmed par exemple), Buffy allait plus loin qu’un simple divertissement en entamant une vraie réflexion sur le féminisme, sur l’empowerment et l’âge adulte. C’est la première série « d’auteur » que j’ai regardé. Six Feet Under et Mad Men ont été ensuite de vraies découvertes correspondant à des moments-clés de ma vie d’étudiante, puis d’adulte.

4. Question difficile tant le choix est désormais vaste ! Je dirais Girls car la série est très contemporaine dans la gestion de ses personnages, dans l’affirmation quasiment autobiographique de son sujet (un peu comme Master of None), dans l’apparition d’un auteur (Lena Dunham) et dans ses thématiques, la manière de filmer le sexe ou le fait de montrer un féminisme non revendicatif, dans le fait de montrer son corps tel quel et que jamais elle ne le remette en question ou le compare à des canons. Les séries « méta » ont aussi beaucoup la cote en ce moment (Man Seeking Woman, Crazy Ex-girlfriend) mais je ne sais pas si elles ont la capacité à aller au-delà et à se renouveler.




Olivier Joyard

Critique aux Inrockuptibles

1. Je regarde encore un peu les séries sur un écran de télé grâce à l’amélioration prodigieuse de l’offre légale ces deux dernières années en France. DVD très rarement, replay souvent. Environ un quart de mon séries-time total. Le reste se joue avec un ordinateur sur les genoux via streaming (Netflix) et screeners envoyés par les chaînes, ou téléchargement de fichiers avi via Bit Torrent.

2. Je regarde des séries tous les jours, souvent seul ou à deux, jamais à plus de deux pour rester dans un rapport domestique aux images. C’est une partie de mon activité professionnelle, ce qui veut dire que les épisodes sont insérés à la fois dans mon temps de travail et dans le temps intime – avec un regard de spectateur parfois légèrement différent, un peu plus « binge watcher » dans le second cas. En général, les séries que je préfère regarder sont celles qui dérangent quelque chose : le sommeil, les rendez-vous, la vie sociale. Je n’ai presque aucun rituel de confort. Je ne parle pas beaucoup en regardant une série, ce sont des restes de ma cinéphilie.

3. Celle qui m’a retourné en direct me vient en premier : Oz, créée en 1997 par Tom Fontana, premier drama commandé par Chris Albrecht sur HBO, série de prison ultra-violente et sexuée. J’y retrouvais un plaisir simple hérité du soap (dont le devenir-sophistiqué a été la grande affaire des années 80-90, par exemple avec Urgences) mais je tremblais aussi devant l’audace figurative et la dureté des personnages, en me disant : les séries, c’est donc ça. Quelque chose s’est réveillé en moi.

4. Difficile de n’en citer qu’une puisque le genre éclate un peu plus chaque jour. Aucune série ne résume les séries aujourd’hui. Les outsiders et les marges sont rois et reines. Quand je regarde Transparent, je pense que l’avenir sera peut-être moins formel (au contraire de la révolution des années 2000) que thématique. Les séries pourraient donner le « la » politique et social des récits contemporains. Quand un art a beaucoup travaillé sa forme (fin probable de l’épisode, avant un retour probable de l’épisode, arrivée des réalisateurs de cinéma, etc) il lui reste à revoir le fond. Ce qui revient à faire bouger la forme autrement. Transparent est autant un cours de gender studies qu’une grande série – qui a fait mieux que les trois dernières minutes de sa deuxième saison récemment, tous supports confondus ?




Simon Lefebvre

Donne des cours à Paris 1 et écrit pour la revue du Café des Images.

1. Le plus souvent sur ordinateur et en fichiers (téléchargement). Quelques fois en dvd. À la télévision également, mais jamais en replay. Parfois en connectant mon disque dur sur la télé. L’avantage des fichiers, c’est de pouvoir facilement revenir, revoir, aller d’un épisode à un autre qu’importe la saison à laquelle il appartient. C’est la même chose pour les films finalement. On a immédiatement tout à disposition.

2. Visionnage quasi-quotidien, sur trois ou quatre séries environs. Tôt le matin quand je suis seul à regarder telle série. Le soir quand avec mon amie nous suivons une série à deux. Le matin, ça permet d’y travailler par la suite, de prendre immédiatement quelques notes. Le soir ça discute.

3. The Wire. Vu à une époque où je regardais encore peu de séries. Premier intérêt : l’écart entre le plus de voir (épisodes, mais également indices de l’enquête) et la défaite de cette visibilité. L’écart trouvé entre les cartographies et le terrain, entre les observations depuis le haut des tours, et la vie en bas des tours. C’est d’ailleurs très propre à la première saison. Deuxième intérêt (deuxième saison et celles qui suivent) : la série traite de programmes, sans cesse. Du scolaire au politique on est toujours à l’épreuve d’un processus à l’intérieur duquel il faut se libérer des espaces. La série était le format idéal pour traiter de cela.

4. Je n’en vois pas suffisamment pour dire. Ce que fait Vince Gilligan avec Better Call Saul par exemple, ça me rappelle ce que je trouve déjà dans les sérials de Louis Feuillade, à savoir que la série permet au négatif de se transformer en positif (c’est le mauvais côté qui devient éclatant). Et je pense que c’est encore lié à des choses comme l’interruption du récit, le découpage en épisodes, la question du retour, de la programmation et du renouvellement etc. Comment échapper à un programme (la mort, la fin) en survivant à un autre (programme sériel) ? L’avenir est une vieille histoire.




Laure Dardonville

Professeur de lettres au lycée

1. Je regarde les séries selon différents modes : d’abord en coffret DVD bien sûr (mais c’est rare). Ensuite, en streaming sur dp stream afin de les visionner en même temps que leur diffusion US. Il y a deux mois, j’ai pris un abonnement Netflix. Assez convaincue par cet abonnement. Toujours en VOST. Je visionne sur mon ordinateur portable. Il y a sans doute quelque chose de régressif là-dedans dans la mesure où c’est dans mon lit, sous la couette et seule. Je supporte difficilement la présence d’autres spectateurs avec moi.

2. Le rythme est variable mais je peux véritablement enchaîner les épisodes : à l’époque de la série 24h chrono j’avais regardé en 24h les 24 épisodes de la saison 3. Idem pour Les Soprano : en une semaine, j’avais vu trois ou quatre saisons peut-être. Cela peut être le matin avec des litres de café ou la nuit. Je peux passer une journée entière à ne faire que ça, avec très peu de temps entre les épisodes. Cela dépend de la densité. Dans le cas de True Detective, je m’arrêtais car la fiction me forçait à me reposer l’âme, pour le dire de manière lyrique. Je crois que ces modes de visionnage très hystériques renvoient à la volonté de s’enfermer dans un univers et à ne plus en sortir pendant quelque temps. Je sais que les séries m’aident à vivre mais sur le mode du décalage, de l’écart ou du pas de côté.

3. La série “récente” qui a bouleversé ma vision du genre est sans nul doute Six Feet Under. Ce fut mon premier contact avec la « grande saga fictionnelle ». Buffy contre les vampires m’a sauvée d’une adolescence tourmentée mais Six Feet Under, par le biais du prégénérique et de son importance comme clef de lecture, m’a fait comprendre qu’un programme télé pouvait avoir autant de sens qu’une grande œuvre littéraire dont on déchiffre les signes et les thématiques. Sans parler de ce rapport à la mort et au désir qui est au coeur de toute création. Je me souviens d’épisodes incroyables comme celui où David (Michael C. Hall) est pris en otage par un braqueur et puis le sublime dernier épisode, avec cette chanson de Sia qui hante n’importe quel fan… Et les larmes.

4. L’avenir du genre ? Peut-être que True Detective (saisons 1 et 2) a fait un pas de plus que les autres : je pense à cette rivalité avec le cinéma, un dialogue ininterrompu que chaque programme reconvoque comme un leitmotiv (comment produire de la fiction et la reprendre encore et encore là où le cinéma tend vers une résolution dans un temps réduit). La saison 2 de True Detective, si largement décriée par la critique, m’a totalement fascinée : les personnages n’en finissent pas de dire qu’ils vont lâcher prise, abandonner et puis ça continue quand même. C’est une des grandes réussites de la série « moderne » que d’être toujours confrontée à sa propre impossibilité et de tenir. Malgré tout.




Sophie Fillières

Réalisatrice

1. Plutôt sur l’ordi, en VO of course avec ou sans sous-titres selon, fichiers qu’on me refile ou DVD. Sur l’ordi car c’est une consommation différente plus immédiate, rien de « sacré », une pure pulsion, qui permet la frénésie parfois, vite vite enchaîner les épisodes.

2. Pas de rituel, ça peut être n’importe quand et n’importe comment aussi, en plusieurs fois ou en enchaînant les épisodes, au rythme de trois ou quatre par séance. Je « glisse » ça entre les films de cinéma et le travail, c’est comme une récompense, car il y a une facilité, l’attention nécessaire est très différente de celle que demande un film.

3. 24 Heures Chrono, pas ma série préférée mais je n’en avais vu aucune autre depuis Twin Peaks. Grand écart. Une forme d’addiction avec les codes, le rythme, les cliffhangers, le sériel dans sa splendeur (limitée mais efficace). Disons que tout est sacrifié à l’efficacité. Encore une fois pas ma série préférée ni la mieux, juste la découverte d’une autre forme de narration.

4. Love, la série produite par Judd Apatow, parce que c’est « rapide », léger entre la série et la sitcom,  » facile à fabriquer « . Ou Fargo : la revisitation d’un film en série ; je ne sais pas si c’est « l’avenir » mais c’est un créneau, indéniablement.





Gilles Grand

Professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon, compositeur

1. VO avec (et parfois sans) sous-titres. Les relectures (rares) seront sans sous-titres.

a] Fichiers dans une box sur TV + enceintes audio stéréo.

b] Tablette + enceintes audio stéréo en wifi ou casque.

La qualité audio impose le « dispositif » de lecture, l’un est fixe, l’autre est mobile. La VO pour apprécier un mixage d’origine, la stéréo pour distinguer les pistes et les répartitions spatiales. Le confort pour tolérer trois épisodes enchaînés (durée totale équivalente à un film). Peu de variation technique pour simplifier les manipulations. Les interventions sur l’interface, sur la télécommande, doivent être efficaces. La qualité de l’image doit être proportionnée aux sons, pas d’espace sonore large envisageable avec un écran trop petit et réciproquement.

2. En fin de journée, rarement l’après-midi, jamais le matin, sauf pour combler une impatience soudaine. Au minimum, par trois épisodes, probablement pour retrouver la durée d’un film. Au pire jusqu’à épuisement du regardeur. Tout usage de la pause est mal vécu, donc évité, même si des exceptions s’imposent. Aucune nourriture ou grignotage, cela gâche les sons, ici, l’écart existe lors des rares séances à deux ou plus.

3. Breaking Bad (2008–2013) pour son originalité à de nombreux niveaux, narratifs, stylistique, musicaux, etc.

Le résumé après-coup était aisé, présupposer les suites était plus hasardeux. L’invention par l’évitement des attendus ne nuisait nullement à la cohérence fictive. La caricature de chaque personnage laissait exister une familiarité admissible. Partant d’une nécessité réduite, simple conséquence des insatisfactions banales, le parcours, tout autant frustrant, s’ouvrait sans limites apparentes, parsemé de contretemps.

4. Person of Interest (2011– ) débuté avec deux personnages, la tête et les jambes, agissant selon les ordres d’un ordinateur mystérieux, trois forces profitent de tous les canaux de contrôle pour protéger ou traquer un inconnu. Le trio se complique au fur et à mesure du succès de la série et admet les possibilités, anciennes ou récentes, des technologies.

Face au huis-clos d’un groupe de personnage tolérant prudemment leur extension, la progression d’un binôme, ou un très petit groupe, outillé permet une variation plus rapide du casting et l’invitation d’une imagerie inspirée par la transformation des usages de la technologie, la principale source de la concurrence aux séries.

L’accroissement du nombre de personnage est envisageable avec un minimum de principes nécessitant quelques explications, sans être condamné à la seule angoisse des structures de contrôle (un filon largement surexploité).

Noter ici que l’Histoire ou le déjà-vu apparaît comme un indispensable pour toutes les séries. La futurologie est ici peu à son aise.




Laura Marsac

Actrice et réalisatrice

1. Toujours en VO bien sûr. Avec sous-titres ou sans pour les series anglophones. Tv pour celles qui sont en cours. Mais surtout Netflix ou Ocs sur mon ordinateur ou mon ipad. Et de préférence quand une saison est entièrement disponible, pour la voir d’un coup.

2. Le soir, la nuit, en insomnie, ou en voyage (train, avion), à l’hôtel, dans ma caravane sur un tournage, plutôt seule, ou alors avec un seul autre spectateur, que je dois connaître trés bien : mon mari, ma grande fille, mon frère. La nuit je ne suis pas interrompue, je suis emportée, je m’attache aux personnages, je sens la structure l’écriture le grand plan du créateur qui se déploie.

3. Les Soprano parce que chaque épisode est presqu’un film qui reste en vous longtemps longtemps après.

4. House of Cards. Toute une saison d’un seul coup, shakespearien et détestable autant qu’aimable. The Americans est celle que j’attends avec le plus d’impatience. Tout y est : l’epoque le couple la famille le sexe le secret la politique.




Raphaël Nieuwjaer

Critique de cinéma. Il s’occupe de la revue en ligne Débordements depuis sa création en 2012.

1. C’est très variable, et cela définit sans doute un certain rapport affectif à la série en question : il y a celles que je découvre sur ordinateur (fichiers téléchargés, VOST si possible, ou américains), et qui seront conservées ou supprimées au fur et à mesure ; celles que je revois par hasard à la télévision, en VO ou en VF indifféremment, et avec lesquelles je suis très familier (Les Simpsons ou Friends) ; celles enfin, assez rares, découvertes sur ordinateur mais que j’ai aimées au point d’acheter l’intégrale en DVD (Les Soprano, The Wire,…).

2. Je n’ai pas vraiment de rituel. Alias et Six Feet Under sont les dernières séries que j’ai regardées sur un mode proprement feuilletonesque, en suivant le rythme des diffusions télé – c’est d’ailleurs sans doute vers ce moment-là, autour de 2010, que le téléchargement a modifié beaucoup les habitudes de visionnage. Depuis, il m’arrive d’en découvrir certaines au fur et à mesure, mais plutôt saison par saison qu’épisode par épisode (Homeland, Breaking Bad, Louie…). Et puis il y a celles que j’ai découvertes une fois achevées, de manière compulsive, comme Friday Night Lights, The Wire ou Treme. Ma préférence va peut-être à cette dernière manière, pour la raison simple que l’on éprouve alors un attachement aux personnages d’une intensité rare, propre peut-être à ce type de récit. À la fin d’un film ou d’un roman, même lorsqu’il s’agit d’À la recherche du temps perdu, on n’éprouve pas, me semble-t-il, aussi fortement ce sentiment de perte qui vous étreint lorsque McNulty, DJ Davis ou Tony Soprano décident de poursuivre leur vie sans vous.
En tout cas, ce n’est jamais tout à fait prémédité, même si j’aime attendre d’avoir deux-trois saisons devant moi pour commencer quelque chose.

3. Treme, probablement, en ce qu’elle invente des durée moins soumises aux impératifs narratifs (et donc, à la télévision, publicitaires) : il n’y a plus d’intrigue principale pour « cadrer » la série, plus de trucs pour « accrocher » le spectateur ; pourtant, l’on retrouve bien certaines inventions de David Simon : le pic dramatique situé à l’avant-dernier épisode, la séquence « chorale » en musique à la fin de la saison, etc. Mais tout semble couler, se nouer et se dénouer selon une autre logique.

4. Louie, avec son sens si particulier du hasard, de l’absurde et de la rencontre, est probablement vouée à rester une série unique en tant que telle, mais on peut supposer que des productions de ce type, plus souples, plus légères, et dirigées par un homme-orchestre, peuvent se développer. Master of none, d’Aziz Ansari, me semble suivre cette voie « minoritaire », aussi éloignée des grands récits que des cocons familiaux ou amicaux.




Pierre Alferi

Écrivain

1. Par téléchargement, plus rarement par Netflix.
En anglais sans sous-titre. (Avec sous-titres anglais pour la première saison de The Wire.)


Sur l’iPad, parfois l’ordinateur. (Sauf la première saison de True Detective, projetée pour mieux profiter de l’image.)


Le visionage sur très petit écran crée une intimité sans éclat qui me semble fidèle à la quotidienneté du genre.

2. Un épisode par soir, fumant et buvant.
 Effet recherché : immersion, plutôt anxiolithique, dans une fiction documentée, ou bien drôle.

3. The Wire, pour l’intelligence politique.

4. Peut-être The Knick : inventer une image sui generis, explorer un monde réel jamais montré. Les séries comiques sont à part. Pour elles je dirais Louie, qui prend des libertés narratives prometteuses.




Thomas Cantaloube

Journaliste et coordinateur de l’actualité internationale à Mediapart, ancien correspondant aux Etats-Unis.

1. Téléchargement en VO, avec sous-titres en anglais (pour les séries US ou britanniques) ou en français pour les autres langues étrangères.

Visionnage généralement sur ma TV, parfois directement sur l’ordi quand je suis en voyage.

Sur le dispositif : le téléchargement est avant tout une question de « confort » : possibilité de visionner les séries en même temps que leur diffusion aux US. Sur la TV, aussi pour une question de confort « visuel » et parce que c’est pour ce type de visionnage qu’elles ont été conçues. Contrairement aux films que je regarde parfois sur grand écran avec vidéoprojecteur, je visionne les séries sur écran de TV.

2. Je regarde en moyenne une demi-douzaine d’épisodes de série par semaine, mais c’est très variable, cela dépend de ma charge de travail. Je visionne généralement le soir, finalement en lieu et place de regarder la TV ou un film. Le week-end, je peux regarder à n’importe quelle heure.

Pas de rituel particulier, si ce n’est que je regarde rarement un épisode isolé. J’en vois au moins deux d’affilée.

3. The Wire. J’ai adoré l’approche « journalistique » (pour des raisons personnelles évidentes) de l’écriture et de l’ancrage dans le réel. Le choix de raconter finalement une seule histoire par saison, et de thématiser les saisons, m’a fait prendre conscience que la série TV se rapprochait ainsi du genre littéraire du feuilleton ou de la saga que j’ai toujours beaucoup aimé (que cela soit Balzac et Zola ou Cheri Bibi et Perry Rhodan), même si The Wire n’a pas été la première série à jouer sur cette narration au long cours (Twin Peaks ou Wild Palms, une minisérie un peu méconnue que j’avais chroniquée pour Les Cahiers, étaient déjà passé par là).

Enfin, la rupture de nombreux dogmes télévisuels dans The Wire (pas de héros seul ou en tandem, pas de casting « hollywoodien », pas d’« arrondissement des angles » politiques…) m’a convaincu que la série TV pouvait être un médium en soi qui, dans bien des cas, pouvait surpasser le cinéma.

4. Mmmm… je ne sais pas bien.

Je vais tenter plusieurs réponses :

1) The Knick, ou une série hyper-personnelle, quand un metteur en scène aux choix affirmés (Soderbergh) tourne tous les épisodes et impose sa vision à la fois esthétiquement baroque (image, BO) dans un cadre narratif finalement très conventionnel (Urgences au début du XXè siècle)

2) The Expanse, ou comment des moyens assez considérables en termes d’effets spéciaux permettent de concurrencer les blockbusters sur leur terrain et de raconter une histoire beaucoup plus riche qu’en 2h00

3) Le phénomène « Peak Series », ou comment la prolifération de séries empêche désormais à tout sériphile normalement constitué de pouvoir voir tout ce qui paraît intéressant. Et du coup, de conduire les amoureux des séries à s’en détourner en disant : « À quoi bon, je ne peux pas voir tout ce qui est bien, alors j’arrête de regarder… »




Sarah Hatchuel

Professeur en littérature anglaise et cinéma anglophone, auteur de “Rêves et séries américaines. La fabrique d’autres mondes” (Rouge Profond, 2016).

1. Je regarde les séries à la télévision et sur ordinateur, en DVD ou en fichiers téléchargés, strictement en version originale (avec ou sans sous-titre). Le téléchargement me permet de « tester » les séries et d’en voir un grand nombre. J’achète ensuite les coffrets des saisons de celles que j’ai aimées.

2. Je regarde généralement 2 ou 3 épisodes le soir avec la personne qui partage ma vie. Quand nous sommes éloignées, je regarde moins de séries car nous les suivons (et les commentons) ensemble. Il peut m’arriver de rattraper le visionnage de séries que l’on me conseille. Et là je peux aller jusqu’à regarder 10 épisodes par jour. Mon record: 14 épisodes de LOST en une journée quand j’ai découvert cette série lors des vacances de Pâques 2009.

3. Pour moi, sans hésitation, c’est LOST. Pour les raisons que j’ai évoquées dans LOST, Fiction vitale (PUF, 152p, 2013)

4. Je dirais que l’avenir du genre se trouve dans des séries comme The Leftovers, Rectify, Mr. Robot ou The Affair — des séries dont le fondement est marqué par le doute, la mémoire défaillante et une tension entre réalité et fiction.

Mais c’est aussi ce qui correspond à mes propres goûts…!




Mathieu Macheret

Critique de cinéma

1. Je télécharge de préférence par séries complètes, sinon par saisons complètes, sur les réseaux P2P, en VO non sous-titrée. Je récupère les sous-titres à part, sur les sites dédiés, la plupart du temps en anglais, car plus faciles à dénicher. Pour visionner, je branche mon ordinateur, ou mon disque dur, sur un écran plat et des enceintes. Dispositif permettant une meilleure réception du son et de l’image que sur l’ordinateur.

2. Quand l’emploi du temps le permet, donc quand une plage s’ouvre dans la liste des choses à faire. Il faut ajouter à cela une variable : quand l’envie m’en prend. Il n’y a donc aucun rythme, aucune heure, aucun rituel régulier (sinon brancher l’ordinateur). Comme j’ai toute la série, ou toute la saison, sous la main, je dose au feeling (selon l’intérêt, la fatigue, l’appétit) le nombre d’épisodes, très variable, que j’enchaîne. Ça peut aller de 1 à 8 épisodes, le plus souvent entre 3 et 4. Les sessions sont espacées, des fois d’une ou deux journées, par moments d’une ou plusieurs semaines, jusqu’à un ou deux mois. Ce ne sont pas des préférences, mais des contingences.

3. The Wire. Le projet global, sa cohérence extrême, impensable auparavant, la forme sérielle ayant toujours été par essence du domaine de l’inégal, d’une certaine forme d’improvisation (les baisses qualitatives, d’un épisode à l’autre, étant généralement compensées par l’affect de ce qu’il faut bien appeler une « fréquentation »).

4. Trop difficile. C’est un genre très vieux. Un besoin très vieux. Qui remonte aux romans de chevalerie, voire aux récits picaresques. Le besoin des retrouvailles, de prendre des nouvelles, même de loin en loin. Cette angoisse que la fiction qu’on vient d’apprivoiser, où peut être l’on s’est senti bien, ne disparaisse avec le mot « fin ».




Eugenio Renzi

Professeur de philosophie et critique de cinéma

1. Je vidéoprojette sur écran des fichiers (mkv ou mp4, 1080 ou 720) que je télécharge depuis internet.

2. Tous les soirs, vers 20h, je regarde un épisode d’une série, en dînant dans le noir. À la fin (de l’épisode, du dîner), la question se pose d’enchainer sur un nouvel épisode. Et si on ne l’a pas téléchargé ? Alors il faut le faire sur le champ. En attendant, je prépare une tisane. Souvent, les temps d’infusion et de téléchargement coïncident (merci la fibre) : confort total.

3. Tout à été dit sur les deux séries qui ont donné à certains l’impression qu’une politique des show runners était possible : The Soprano, The Wire. Sans forcément choisir entre le deux, je trouve tout de même The Wire plus surprenante. Elle a montré qu’une série pouvait dépasser tout ce qui avait été produit jusqu’à alors en termes de roman matérialiste.

4. Peut-être True detective. The Sopranos et The Wire ont représenté l’âge d’or de la série. True Detective est une, la, série de série b. C’est le moment de la réflexion. Le genre doute, s’éprouve lui-même. Sans cynisme (on est quand même aux States).


References[+]

L’article DES/CHAÎNES <br> Entretiens en série <br>par Emmanuel Burdeau est apparu en premier sur le magazine.

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“Present Continuous” with Omer Fast http://lemagazine.jeudepaume.org/2015/10/present-continuous-with-omer-fast/ Tue, 13 Oct 2015 15:36:37 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=22752 An interview conducted by Marina Vinyes Albes, curator.

L’article “Present Continuous” <br>with Omer Fast est apparu en premier sur le magazine.

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Continuity (Diptych), 2012-2015 © Omer Fast

Version française

Marina Vinyes Albes : The interview format or the witness testimony is the starting point for many of your films: Spielberg’s List (2003), Godville (2005), The Casting (2007), Looking Pretty for God (2008), Take a Deep Breath (2008), Nostalgia (2009), 5,000 Feet is the Best (2011), Talk Show (2009) … How do you work with these formats and what values do you attach to them?

Omer Fast : I use my work as a pretext to escape from the studio. This brings me into contact with strangers and into the lives of others, which are inevitably more interesting than my own. Like a vampire, I need to meet other people for sustenance. I need to suck out their stories and their language in order to fertilize my own. I see my works as portraits resulting from these encounters – incidentally, very often portraits of workers, whether they’re adult-film performers, funeral directors or drone operators. To paraphrase a famous director, without these real encounters my own fictions would collapse.

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Driver I, detail from A Tank Translated, 2002. 4 videos installation, color, without sound. Driver : 9 min 30 s ; Loader ; 4 min 9 s ; Gunner : 13 min 25 s ; Commandert : 5 min 1 s. Courtesy gb agency, Paris, Arratia Beer, Berlin and Dvir Gallery, Tel-Aviv © Omer Fast


MVA : We can notice your interest in the individual’s experience, in particular in demonstrating the gap between this experience and its formalization: the story. In The Casting you put the following words into the mouth of the interviewer: ‘I’m interested basically in the way that the experience is turned into memory and the ways that memories become stories, the ways that memories become mediated…’ We assume that we can consider this sentence as your artistic statement?

OF : That statement you’re quoting from is a complete lie. I wrote it in a hotel room in Texas ten minutes before meeting the soldier I was interviewing and intended it as a last-minute provocation. I wanted to see how he’d react when I stepped out of character and challenged his story, casting doubt on his memories and politics. Inevitably though, with the passage of time, this lie gained more and more traction so that it’s now become the shadow premise of my work. And since I have no more authentic memory of what it is that actually motivated me to make the work, I have to accept that it’s premised on a lie.

MVA : Most of your videos are based on documentary material, which you combine with new fictional elements, always showing the artificial nature of both: the factual and the fictional. However, in your recent works, we find a significant shift in your method: this documentary element disappears and only fiction remains, without the anchoring to the real that used to characterize your practice. How does this step into fiction, this detachment from the real, take place?

OF : I’m not interested in the artificial nature of the stories I’m telling. Quite the contrary, the stories I pick are always marked by the strong belief of the storyteller in what he or she is telling, an identification that is very emotional, even if it turns out that the storyteller is lying. But even if we remove any real-life voice from the work and call it fictional, the work in itself is always a document: it’s a document of wish-fulfilment, as Bill Nichols calls it, but also a historical document of a particular moment in time. And again, I think of my works as portraits. This helps me to elide the fictional and the documentary, the self with an other, since I desperately need both but have faith in neither.


Omer Fast, CNN Concatenated, 2002. Video, color, sound, 18 min. Courtesy gb agency, Paris, Arratia Beer, Berlin and Dvir Gallery, Tel-Aviv © Omer Fast


MVA : Let’s talk about the way you show your work. While the first videos took the form of expanded installations or multi-channel videos, from The Grote Boodschap on they tend to concentrate more and more – with exceptions – on single-channel installations presented in a black box, reproducing the cinematographic classical device.

OF : At some point, I felt that the visual simultaneity offered by multi-screen installation was privileging sensory and spatial experience over temporal processes. Reducing visual input to one screen represents an attempt to focus the works more on the interplay of memory and time. I don’t think it’s a trend though. In the last five years I’ve made two single-screen works and two multi-screen ones.

MVA : What is the audience’s role in all this? I remember Raymond Bellour arguing that installation transforms the viewer into a visitor, and Dominique Païni compares the latter with the figure of the flâneur, with all its implications. Would you agree with that?

OF : The figure of the flâneur strikes me as anachronistic and even impossible given the collapse of space caused by smartphones and the internet. Ideally, I like to think of viewers as detectives or puzzlers. The work is always incomplete prior to their arrival and they need to look at the evidence, establish a chronology, figure out motives, a logic, an interpretive theory for making sense of what’s happened. The crime scene is an appropriate metaphor, not least because of the artist’s inevitable mistakes and omissions, but also because of the deceptive nature of the medium as well as the gaps and distortions involved in any transmission. This leaves the artist with the primary responsibility of covering tracks and making sure the crime scene is perplexing enough to entice questions. One way or another, it has to be a bloody mess.

MVA : So the audience is asked to play an active role vis-à-vis your films. They require indeed an attentive disposition. How do you deal with this and, at the same time, with the fact that the visitor is moving freely all over the space and called upon simultaneously by lots of different stimuli?

OF : I like the open, relatively unruly dynamic that gallery and museum experience involves. The cinema ritual is a little like church where the truth is preached 24 times a second, whereas the gallery functions more like a bazzar or a shopping mall, which I like. To match the logic of the space and the unpredictable movement of viewers, I try to avoid linear storytelling. Instead, I structure my works so that they can be accessible at any time. A looped story can mean that there’s no beginning or ending and no classical narrative arc. Causality and temporality are free to move to the foreground, which creates an alternative to the immersive illusionism of mainstream film. Viewers can come in at any point and develop a subjective understanding of what’s happening in the work, which is highly interpretive and contextual. I’m also interested in processes of defamiliarization, from the uncanny to the Brechtian. These aren’t just critical devices. They’re also seductive hooks meant to entrap viewers. Ideally, I try to create an atmosphere of productive disorientation.


Omer Fast, 5,000 Feet is the Best, 2011. Digital video, color, sound, 30 min. Courtesy gb agency, Paris, Arratia Beer, Berlin and Dvir Gallery, Tel-Aviv © Omer Fast


MVA : Your work plays constantly with the codes of ‘the real’ in film and television, as well as with the reception of those conventions. In this sense, 5,000 Feet is the Best could be seen as a masterclass in them. The mise-en-scène of the principal characters sets in motion an entire series of codes which, from the outset, determine the fictive and the documentary in an almost caricatural manner. Can you tell us about the film in relation to that idea?

OF : My works often have a conversation between two persons as their basis. 5,000 Feet begins with two men talking in a dark bedroom. One of them, we can call him the artist or therapist, is professionally curious and solicitous. The other, let’s call him the pilot or patient, is reluctant and abrasive. The two are somehow stuck together in an unclear but seemingly formal arrangement, which gives the work its initial energy. Who are these two men? Where are they? Who’s paying whom? What are they talking about? Instead of answering these questions, the conversation drifts about and repeatedly stalls over semantics. There’s also a dynamic of power and domination: the patient tries to unmask the therapist, but in doing so he also talks too much and reveals more and more of himself. His talking takes us into other worlds, which appear in colourful flashback and involve impersonation, border-crossing and crime in and around Las Vegas. After each anecdote, the patient abruptly breaks off the conversation and steps out into an empty corridor. It’s only then, when he’s momentarily free and alone, that we hear another voice and the work veers into the documentary and the really surreal. The voice he and we hear belongs to the American military drone operator whom I recorded in a hotel room in Las Vegas in 2010. He talks about his life and work. (People talking about their work is a favourite subject.) Initially, the real drone operator does not appear to share anything with the fictional patient who’s channelling his voice for us – nor with the cock-and-bull stories the latter is telling. But the more he talks and reveals of himself, the more the drone operator’s own crisis appears to be founded on impersonation (not being a ‘real’ pilot, not suffering ‘real’ PTSD), border-crossing (both in real geopolitical and virtual senses) and of course crime (technically called ‘collateral damage’). In doing so, the documentary protagonist of the work is repeatedly anticipated and echoed by his fictional double. And since both subjects appear to be stuck in a crisis, the narrative structure I chose deliberately mirrors their state of mind. It is one that is unresolved and ongoing. Hence the loop.

MVA : With regard to the forms that structure and characterize your work, there is clearly an interest in repetition, as well as in the issue of the double, reconstruction and the loop, although the latter could be considered variations of the former. Can you talk about these concepts in relation to your work?

OF : Doubling is everything for me. I grew up in two countries with two cultures and languages and have never had a fixed unitary identity. My notion of self is completely polluted by the presence of doubles. The trouble I had in early life was feeling that this was unnatural, a temporary dysfunctional state that would eventually be supplanted by the arrival of a much-longed-for, irrevocably authentic, singular self. That never happened and I’ve since revised my expectations a little. In terms of my work though, the notion of the subject as immanently polyvalent, chimeric and forever multiplying is probably the one obsession I can own up to after years of denial. The double, the reconstruction and the loop are just symptoms of this obsession. Artists are bound to repeat themselves. Artists are bound to repeat themselves. Artists are bound to repeat themselves. Repeat.


Omer Fast Continuity (Diptych) 2012-2015. HD video, color, sound, 77 min © Omer Fast


MVA : And sometimes this repetition turns into simulacra, into a radical repetition where the real is substituted by the sign of the real, a thing without referent – for example in Continuity

Kierkegaard said that ‘Repetition and recollection are the same movement, except in opposite directions, for what is recollected has been, is repeated backward, whereas genuine repetition is recollected forward.’ Do you agree with that idea? I am thinking particularly of your works Godville and Spielberg’s List

OF : Having revealed my obsession with doubling, I’m now compelled to add that I’m a boring materialist and don’t actually think genuine, true repetition is possible, at least not as far as human perception is concerned. Time is unbending and linear and each second that goes by is forever lost. If this is so – and we just disappear and our souls evanesce – then any attempt at true repetition must be confined to a symbolic order and represents a perverse wish to buck time, to resist it by a clumsy sleight of hand. And if true repetition is an impossibility, then what we’re left with are shadows: from cave paintings to films, we invest these reflections with a symbolic power that helps us travel in time and communicate with the dead. We see ourselves reflected in pictures and films – even in our children – and tell ourselves that something of us will remain. These images and reflections are our charms, our jujus, our idols and amulets. But they must remain short of being perfect repetitions (or true doubles) or else they won’t be objects of narcissistic pleasure. We can come close to actual cloning but we’re programmed to look for difference and we’ll always find it.

MVA : Your work reveals an interest in evoking groups of individuals who are in some way perceived as outsiders in the community: soldiers – and specifically within the army, the controversial figure of the drone pilot – the refugee, the porno actor, the embalmer… all professions that we do not habitually identify ourselves with. While they share the social space with us, they could be considered intruders due to their particular activities. Why are you interested in portraying these people’s lives and in particular their trade or profession?

OF : I’m not sure I agree. For a very long time in Israeli society, anyone who wasn’t a soldier – anyone who hadn’t done compulsory military service – was more the outsider or intruder. This might not seem or be normal, but even in less outright militaristic societies the notion that soldiers are outsiders is more of a fiction, useful in distancing the citizenry from what soldiers might do in their name. In any event, I think I’m more interested in these figures – soldiers, refugees, adult-film performers, embalmers – because they’re liminal figures invested with special powers (or needs) to cross borders. Soldiers don’t just move across geopolitical borders but also moral and legal ones, where violence is codified and permissible. This special liminal status is also shared by refugees, adult-film performers and embalmers. I keep returning to these subjects because they can report back from these extra-territorial zones where normal behavioural codes no longer apply.


Omer Fast, 5,000 Feet is the Best, 2011. Digital video, color, sound, 30 min. Courtesy gb agency, Paris, Arratia Beer, Berlin and Dvir Gallery, Tel-Aviv © Omer Fast


MVA : Why present 5,000 Feet is Best and Continuity together in the same exhibition? How do you see the relationship between them? What arises from their coexistence in the same exhibition space?

OF : Both of these works deal with trauma. 5,000 Feet looks at trauma in the context of technologization and virtual warfare whereas Continuity looks at how the loss of a child disrupts familial relations. In both works there’s also a strong shared theme of role-playing. The drone operator’s job is defined as much by a mastery of complex technical tasks as it is by a more primitive projection of the operator’s self through the screen and into a distant theatre of combat. As Erving Goffman pointed out, every job involves projection and role-playing: uniforms and formal codes regulate a nurse’s, a waiter’s or a soldier’s perception of self as well as the public’s perception of them. The drone operator is required to put on a flight uniform although his job involves sitting for hours in an air-conditioned container which never leaves the ground. This formal act of dressing-up and make-believe is symptomatic of a central paradox created by the technology which also makes the operator both invulnerable and omnipotent: being an active combatant half-a-world away while carrying on normal domestic life in one’s own neighbourhood. The job of a drone operator involves days and days of surveillance and dreary flight patterns interspersed by moments of extreme urgency, where split-second decisions can impact the lives of both fellow soldiers and innocent civilians. The operator I spoke with claims to be suffering from nightmares, loss of sleep and appetite, as well as anxiety typical of post-traumatic stress disorder. Nevertheless, this self-diagnosis was continually dismissed by people around him, since he’s not deemed to be a ‘real’ combatant and was never at ‘real’ risk. Perhaps in an attempt at self-medication, the operator developed an addiction to role-playing games and flight-simulators, which he played for hours after coming home from his night shifts. Being unable to escape from his nightmare, the traumatized subject goes about reproducing it in a controllable context to the best of his ability. This is exactly the dynamic that’s explored in Continuity. Having lost their child, the parents turn to alternative methods of reproduction, short-circuiting the natural process by inviting strangers into their home and asking them to play family. Lacan defines trauma as an experience that cannot be processed, a rupture in the chain of signification. Both works try to give this rupture a form.



[See image gallery at lemagazine.jeudepaume.org]

MVA : For your new work, which you have specially created for this exhibition, you decided to film new scenes for Continuity. What was your intention and how do they fit into your previous work?

OF : The original idea was to expand Continuity into a diptych, with the existing work and its sequel being doppelgänger or twinned narratives. Until it is edited and ready I won’t be able to say if that’s really what happened.

MVA : Your ongoing project Spring recreates a lynching in an Arab country involving a hundred performers, giving mobile phones to some of them to record this performance as participants. As you have said, this video was inspired by the circulation of images of Muammar al-Quaddafi’s death in 2011.

You have already dealt with re-enactment in your previous work (in The Casting for instance). Nevertheless, by shooting with mobile phones, this re-enactment involves not only the event but also the medium that makes it visible. How did you come to this idea? What does surprise me is the abolition of the distance between the audience and the film. Since your previous works tend to create a distancing between the visitor and the story being shown, and prevent any passive identification, I wonder what will be the place for the audience in this new piece? It seems as if the visitor would be totally involved in this larger-than-life environment recreating a violent spectacle. Are you working with a script or do you plan to improvise during the shooting?

OF : On the day it happened, I watched Quaddafi’s capture and death on my laptop in Berlin, over and over, jumping between the many mobile phone movies as they were being uploaded. The footage was predictably horrific and banal: its protagonist, alone and stripped of his regalia, could no longer sustain the mythic power his assailants zealously wished to punish him for. He was just a shell, an ageing man with dyed hair begging for mercy. After viewing the fourth different mobile phone movie of the same event, I realized that my attention was shifting away from the one doomed man, whose limp body was only occasionally visible, sometimes at the centre of the image, but more often not. What I was increasingly mesmerized by was the multiplicity of simultaneous images, literally a piecemeal portrait of a swarm descending and consuming someone./p>

The work Spring proposes to recreate this swarm’s-eye-view as a multi-screen installation: the idea would be to create a full-scale performance that achieves the ecstatic dynamic of the real event. Although the performance would not be a specific re-enactment of the killing of Quaddafi, it would use this event as a blueprint for a choreography that strives for realism while maintaining repeatability and control. Sprinkled around the mob, ten or twelve performers would be given mobile phones in order to record the performance as participants, giving us simultaneous piecemeal perspectives from different positions. When shown together, their movies would hopefully give the delirious illusion of seeing ‘everything’ at once – of being everywhere and nowhere, of being part of the spectacle while being above it – similar to the illusion of power that occurs when an individual is absorbed into a raging mob. The many screens comprising the installation would be arranged into what I’m hoping would be an engulfing, disorienting environment with the viewer as its centre.

Unlike other recent works, there is no script and the filming will be quite chaotic and spontaneous. I should say that this is a relief. And although it’s always difficult to say what the final form of the work might be before it is finished, I’m hoping to collect enough footage to both recreate the event as a miniature spectacle and reflect on this dynamic at the same time. Cinema is not really a reference point for this work. It’s more about spectacle and the economy of images in the context of YouTube and selfies.

Omer Fast. Present Continuous”, exhibition from 20 October 2015 until 24 January 2016 at Jeu de Paume, Paris.
This interview was originally conducted for the exhibition catalogue

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“Le présent continue” avec Omer Fast http://lemagazine.jeudepaume.org/2015/10/le-present-continue-avec-omer-fast/ Tue, 13 Oct 2015 12:43:15 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=22699 Un entretien réalisé par Marina Vinyes Albes.
«  Tel un vampire, j’ai besoin d’entrer en contact avec des gens pour me nourrir, j’ai besoin d’absorber leur histoire et leur langage pour enrichir mes histoires et mon langage…. »

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Continuity (Diptych) [Continuité (Diptyque)], 2012-2015 © Omer Fast

 

English Version

 

Marina Vinyes Albes : Un entretien ou un témoignage constitue le point de départ d’un grand nombre de vos films, de Spielberg’s List (2003) à 5,000 Feet is the Best (2011), en passant par Godville (2005), The Casting (2007), Looking Pretty for God (2008), Take a Deep Breath (2008), Nostalgia (2009) et Talk Show (2009), par exemple. Comment travaillez-vous à partir de ces entretiens et témoignages, et quelle valeur leur accordez-vous ?

 

Omer Fast : Je me sers de mon travail comme d’un prétexte pour échapper au studio. Je contacte ainsi des inconnus et m’introduis dans la vie d’autres gens, dans des vies qui sont fatalement plus intéressantes que la mienne. Tel un vampire, j’ai besoin d’entrer en contact avec des gens pour me nourrir, j’ai besoin d’absorber leur histoire et leur langage pour enrichir mes histoires et mon langage. Je considère mes œuvres comme des portraits résultant de ces rencontres. Ce sont très souvent, soit dit en passant, des portraits de professionnels, qu’il s’agisse d’acteurs de films X, d’entrepreneurs de pompes funèbres ou d’opérateurs de drones. Pour paraphraser un réalisateur célèbre, je dirais que, sans ces rencontres bel et bien réelles, mes fictions ne tiendraient pas la route.

 

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Driver [Conducteur] I, détail de A Tank Translated [“Un char traduit”], 2002
Installation de 4 vidéos, couleur, sans son. Conducteur : 9 min 30 s ; Chargeur ; 4 min 9 s; Tireur : 13 min 25 s ; Commandant : 5 min 1 s. Courtesy gb agency, Paris, Arratia Beer, Berlin et Dvir Gallery, Tel-Aviv © Omer Fast

MVA : Il est clair que vous vous intéressez à l’expérience individuelle et cherchez notamment à montrer le décalage entre cette expérience et sa formalisation : le récit. Dans The Casting, vous faites dire à l’intervieweur : « Ce qui m’intéresse est la façon dont l’expérience se transforme fondamentalement en souvenir, puis la façon dont les souvenirs deviennent des récits, la façon dont les souvenirs sont relatés […] ». On peut considérer, je pense, que cette phrase résume votre approche artistique.

 

OF : Cette phrase que vous citez est pur mensonge. Je l’ai écrite dans une chambre d’hôtel, au Texas, dix minutes avant de rencontrer le soldat que j’interviewe dans la vidéo, et je l’ai conçue comme une forme de provocation de dernière minute. Je voulais voir comment il réagirait quand je sortirais de mon rôle et remettrais en question son histoire, jetant le doute sur ses souvenirs et notant la dimension politique de son récit. Fatalement, cependant, avec le temps, ce mensonge s’est répandu, et c’est devenu par la suite le supposé point de départ de mon œuvre. Comme je ne me souviens plus de ce qui m’a réellement incité à faire cette œuvre, je dois accepter qu’elle ait eu pour point de départ un mensonge.

 

MVA : La plupart de vos vidéos reposent sur des matériaux documentaires auxquels vous mêlez des éléments de fiction tournés spécifiquement à cet effet, et vous montrez toujours la dimension artificielle tant du factuel que de la fiction. Dans vos œuvres récentes, cependant, on note un changement de méthode important : cette partie documentaire disparaît et seule demeure la fiction, sans l’ancrage dans le réel jusque-là caractéristique de votre pratique. Comment s’effectue ce passage à la fiction, ce détachement du réel ?

 

OF : Le caractère artificiel des histoires que je raconte ne m’intéresse pas. Bien au contraire, les histoires que je choisis ont toujours pour caractéristique le fait que celui ou celle qui raconte croit profondément à ce qu’il ou elle dit, l’identification étant d’ordre profondément émotionnel, même s’il s’avère qu’il ou elle ment. Même si on retire de l’œuvre toute voix empruntée à la vie réelle, et si on la nomme « fiction », elle demeure en soi un document : elle documente la réalisation d’un vœu, pour reprendre l’idée de Bill Nichols, mais c’est aussi un document historique témoignant d’un moment particulier dans le temps. Et, comme je l’ai déjà dit, je considère mes œuvres comme des portraits. Cela m’aide à éluder la question de la fiction ou du documentaire, du moi et de l’autre, étant donné que j’ai désespérément besoin des deux mais ne crois ni en l’un ni en l’autre.

 

Omer Fast, CNN Concatenated [“CNN – Enchaînement”], 2002
Vidéo, couleur, son, 18 min. Courtesy gb agency, Paris, Arratia Beer, Berlin et Dvir Gallery, Tel-Aviv © Omer Fast

MVA : Parlons de la façon dont vous montrez vos œuvres. Après avoir présenté vos premières vidéos sous la forme d’installations et de vidéo multicanal, vous avez tendance, depuis De Grote Boodschap (2008), à préférer de plus en plus – à quelques exceptions près – la vidéo monocanal présentée dans une salle obscure, et donc à reproduire le dispositif cinématographique classique.

 

OF : À un moment donné, j’ai eu le sentiment que la simultanéité visuelle offerte par l’installation multi-écrans privilégiait l’expérience sensorielle et spatiale par rapport aux processus temporels. Réduire l’installation à un seul écran vise à davantage centrer l’œuvre sur l’interaction entre le souvenir et le temps. Je ne pense cependant pas qu’il s’agisse d’une tendance. Au cours des cinq dernières années, j’ai réalisé deux vidéos mono-écran et deux vidéos multi-écrans.

 

MVA : Quel rôle revient au spectateur dans tout cela ? Selon Raymond Bellour, l’installation fait du spectateur un visiteur, et ce dernier a été comparé par Dominique Païni à un flâneur* avec tout ce que cela implique. Seriez-vous d’accord ?

 

OF : La comparaison avec un flâneur* me semble anachronique et même impossible en raison de l’implosion de l’espace causée par les smartphones et Internet. J’aime imaginer les spectateurs, idéalement, comme des détectives ou du moins des gens capables de résoudre des énigmes. Avant d’être vue par des spectateurs, une œuvre est toujours incomplète, et les spectateurs ont besoin de prêter attention aux indices, d’établir une chronologie, de trouver des mobiles, de déceler une logique, d’interpréter les faits de manière à échafauder une théorie permettant de donner un sens à ce qu’ils voient à l’écran. Faire un rapprochement avec le lieu d’un crime me semble approprié, surtout en raison des erreurs et omissions que l’artiste fait inévitablement, mais aussi en raison tant de la nature trompeuse du médium que des lacunes et distorsions décelables dans tout récit. Ce qui fait que l’artiste a pour principale responsabilité de brouiller les pistes et de rendre le lieu du crime assez déconcertant pour susciter des interrogations. Ce doit être, d’une manière ou d’une autre, un sacré foutoir.

 

MVA : Vous attendez donc du spectateur de vos films qu’il joue un rôle actif. Ils requièrent, il est vrai, une grande attention. Comment vous y prenez-vous pour y parvenir alors que le visiteur se déplace à son gré dans tout l’espace et est sollicité simultanément par de nombreux stimuli ?

 

OF : J’aime la dynamique ouverte, c’est-à-dire presque entièrement dénuée de règles, qu’offrent les musées et les galeries. Le rituel au cinéma est un peu comme à l’église : on prêche la bonne parole 24 fois/seconde. La galerie fonctionne plus comme un bazar ou une galerie marchande, ce que j’aime bien. Prenant en compte la logique du lieu et le fait que les déplacements des spectateurs sont imprévisibles, j’essaie d’éviter les récits linéaires. Je structure en effet mes œuvres de manière à ce qu’on puisse entrer dedans à tout moment. Une histoire en boucle peut être une histoire sans début ou sans fin et sans arc narratif classique. La causalité et la temporalité peuvent fort bien occuper le premier plan, ce qui constitue une alternative à l’illusionnisme immersif du film grand public. Les spectateurs peuvent arriver à n’importe quel moment et avoir une compréhension subjective, très interprétative et contextuelle, de ce qu’ils voient à l’écran. Je m’intéresse aussi beaucoup aux processus de défamiliarisation : de l’inquiétante étrangeté à l’aliénation brechtienne. Ce ne sont pas juste des outils critiques. Ce sont aussi des accroches séduisantes destinées à prendre le spectateur au piège. Je cherche à créer une atmosphère provoquant une désorientation productive.

 

Omer Fast, 5,000 Feet is the Best [“Le mieux, c’est 5 000 pieds”], 2011
Vidéo numérique, couleur, son, 30 min. Courtesy gb agency, Paris, Arratia Beer, Berlin et Dvir Gallery, Tel-Aviv © Omer Fast

MVA : Dans vos œuvres, vous jouez constamment avec les codes du « réel » au cinéma et à la télévision, ainsi qu’avec la réception de ces conventions. En ce sens, 5,000 Feet is the Best peut être perçu comme une œuvre emblématique. La mise en scène* des protagonistes s’appuie sur toute une série de codes qui, dès le début, définissent fiction et documentaire de manière presque caricaturale. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet aspect du film ?

 

OF : Mes œuvres reposent souvent sur une conversation entre deux personnes. Au début de 5,000 Feet, on voit deux hommes en train de parler dans une chambre sombre. L’un d’eux, qu’on peut appeler l’artiste ou le thérapeute, fait preuve d’une curiosité toute professionnelle et se montre attentionné. L’autre, qu’on appellera le pilote ou le patient, se montre réticent et agressif. Ces deux hommes sont d’une certaine manière coincés dans une configuration peu claire mais apparemment protocolaire, ce qui donne au début de l’œuvre toute sa vigueur. Qui sont ces deux hommes ? Où sont-ils ? Qui paie qui ? De quoi parlent-ils ? Au lieu de répondre à ces questions, la conversation dévie et bute à plusieurs reprises sur des questions de sémantique. Il y a aussi une dynamique de pouvoir et de domination : le patient tente de démasquer le thérapeute mais, ce faisant, parle trop et se dévoile de plus en plus. En parlant, il nous transporte dans d’autres univers, qui apparaissent à l’écran sous forme de flash-back hauts en couleur relatant des histoires d’imposture, de limite franchie et de crime à Las Vegas et aux alentours. Après chaque anecdote, le patient met brusquement fin à la conversation et sort dans un couloir vide. Ce n’est qu’à ce moment-là, quand il est momentanément libre et seul, que nous entendons une autre voix, que l’œuvre vire au documentaire et devient vraiment surréaliste. La voix qu’il entend et que nous entendons est celle d’un militaire américain opérateur de drone, que j’ai enregistrée dans une chambre d’hôtel à Las Vegas en 2010. Il parle de sa vie et de son travail. (Les gens qui parlent de leur travail constituent un de mes sujets de prédilection.) Au début, l’opérateur de drone semble n’avoir rien à voir avec le patient qui, dans la fiction, nous fait entendre sa voix, ni avec les histoires abracadabrantes que ce dernier raconte. Mais plus l’opérateur de drone parle et se dévoile, plus sa crise semble due à une imposture (ce n’est pas un « vrai » pilote ; il ne peut donc souffrir d’un « vrai » syndrome de stress post-traumatique), mais aussi au fait d’avoir franchi des limites (des limites géopolitiques – des frontières – mais aussi d’autres limites) et d’avoir commis des crimes (des « dommages collatéraux » selon la formule consacrée). Dans la fiction, le double du protagoniste du documentaire anticipe à plusieurs reprises sur le récit de ce dernier et lui fait aussi écho. Étant donné que ces deux hommes semblent être en proie à une crise, la structure narrative que j’ai choisie reflète leur état mental, sans cesse perturbé, d’où la boucle.

 

MVA : En ce qui concerne les formes qui structurent et caractérisent vos œuvres, il est clair que la répétition vous intéresse, de même que la question du double, la reconstitution et la boucle, ces dernières pouvant être considérées, il est vrai, comme des variantes de la première. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

 

OF : Créer des doubles est ce qui m’importe le plus. J’ai grandi dans deux pays, avec deux cultures et deux langues différentes, et je n’ai jamais eu une identité unique et fixe. La perception que j’ai de moi est complètement polluée par la présence de doubles. Quand j’étais plus jeune, c’était un problème car j’avais le sentiment que ce n’était pas naturel, que c’était un état de dysfonctionnement temporaire, qui allait finalement céder la place à un moi singulier, à jamais authentique, auquel j’aspirais depuis longtemps. Ce n’est jamais arrivé et mes aspirations ont depuis lors quelque peu changé. Dans mon œuvre, cependant, l’idée d’un être en soi polyvalent, chimérique et se multipliant sans cesse est probablement l’obsession que je peux avouer après des années de déni. Les doubles, les reconstitutions et les boucles sont juste des symptômes de cette obsession. Les artistes sont voués à se répéter. Les artistes sont voués à se répéter. Les artistes sont voués à se répéter. À répéter.

 

Omer Fast Continuity (Diptych) [“Continuité (Diptyque)”] 2012-2015 © Omer Fast

MVA : Et parfois cette répétition tourne au simulacre, devient radicale, substituant au réel le signe du réel, une chose sans référent comme, par exemple, dans Continuity

Kierkegaard a écrit : « Répétition et ressouvenir sont un même mouvement, mais en sens opposé ; car ce dont on se ressouvient a été ; c’est la répétition dirigée en arrière ; mais la répétition proprement dite est le ressouvenir porté en avant. » 1 Êtes-vous d’accord avec lui ? Je pense en particulier à Godville et à Spielberg’s List

 

OF : Ayant révélé l’obsession qu’est pour moi la création de doubles, je suis maintenant obligé d’ajouter que je suis un matérialiste ennuyeux et ne pense pas, à vrai dire, qu’une véritable répétition soit possible, tout du moins aux yeux des humains. Le temps est inflexible et linéaire, et chaque seconde qui passe est à jamais perdue. S’il en est ainsi – et que nous disparaissions simplement, corps et âme –, toute tentative visant à produire une véritable répétition est forcément d’ordre symbolique et correspond à un désir pervers de s’opposer au temps, de lui résister par un tour de passe-passe maladroit. Et si une véritable répétition est impossible, il ne reste que des ombres : nous dotons ces reflets, des peintures rupestres aux films, d’un pouvoir symbolique qui nous aide à voyager dans le temps et à communiquer avec les morts. Nous voyons des reflets de nous dans des tableaux et des films – même dans nos enfants –, et nous nous disons que quelque chose de nous demeurera. Ces images et reflets sont nos charmes, nos grigris, nos idoles, nos amulettes. Mais ils doivent rester des répétitions ou des doubles pas totalement parfaits, car ils ne susciteront pas sinon de plaisir narcissique. Nous pouvons nous approcher d’un véritable clonage mais nous sommes programmés pour chercher la différence et nous la trouverons toujours.

 

MVA : Vos œuvres montrent que vous aimez évoquer des groupes d’individus qui sont d’une certaine manière perçus comme en marge de la société : des soldats – et plus particulièrement, au sein de l’armée, la figure controversée du pilote de drone –, le réfugié, l’acteur de films X, l’embaumeur… des professionnels avec lesquels nous ne nous identifions généralement pas. Alors qu’ils partagent avec nous un même espace social, on pourrait les considérer comme des intrus en raison du caractère particulier de leur activité. Pourquoi vous intéressez-vous à la vie de ces personnes et, plus précisément, à leur profession ?

 

OF : Je ne suis pas sûr d’être d’accord avec vous. Pendant très longtemps, dans la société israélienne, c’était bien plus celui qui n’était pas soldat – celui qui n’avait pas fait son service militaire – qui était perçu comme en marge de la société ou comme un intrus. Cela n’est ou ne semble peut-être pas normal mais, même dans des sociétés moins militaristes, l’idée que les soldats ne fassent pas vraiment partie de la société relève plus de la fiction, une fiction utile puisqu’elle permet aux citoyens de se distancier de ce que les soldats pourraient faire en leur nom. Quoi qu’il en soit, je pense que je m’intéresse surtout à ces figures – les soldats, les réfugiés, les acteurs de films X, les embaumeurs – parce que ce sont des figures liminaires dotées de pouvoirs (ou de besoins) spéciaux, les amenant à dépasser des limites. Les soldats franchissent certes des frontières géopolitiques mais enfreignent aussi certaines règles morales et légales, basculant dans des univers où la violence est codifiée et admissible. Les réfugiés, les acteurs de films X et les embaumeurs ont aussi ce statut liminaire particulier. Je ne cesse de me tourner vers ces hommes et ces femmes car ils peuvent témoigner de ces zones extraterritoriales où les codes comportementaux habituels ne s’appliquent plus.

 

Omer Fast, 5,000 Feet is the Best [“Le mieux, c’est 5 000 pieds”], 2011
Vidéo numérique, couleur, son, 30 min. Courtesy gb agency, Paris, Arratia Beer, Berlin et Dvir Gallery, Tel-Aviv © Omer Fast

MVA : Pourquoi présenter 5,000 Feet is the Best et Continuity ensemble dans une même exposition ? Quel rapport voyez-vous entre les deux ? Que crée leur réunion dans un même espace d’exposition ?

 

OF : Ces deux vidéos évoquent un traumatisme. 5,000 Feet traite d’un traumatisme lié à la technologisation et à la guerre virtuelle alors que Continuity analyse la façon dont la perte d’un enfant perturbe les relations familiales. Ces deux œuvres ont aussi en commun un thème important, qui est celui du jeu de rôle. Le travail de l’opérateur de drone consiste tant à maîtriser des tâches techniques complexes qu’à se projeter, de manière plus primaire, par l’intermédiaire de l’écran, en un lointain lieu de combat. Comme Erving Goffman l’a fait remarquer, tout métier implique une projection et un jeu de rôle : un uniforme et un code de conduite déterminent la perception qu’ont d’eux-mêmes les infirmières, les serveurs ou les soldats ainsi que la perception que le public a d’eux. On demande à l’opérateur de drone de revêtir un uniforme de pilote bien que son travail l’oblige à rester assis pendant des heures dans un habitacle climatisé qui ne décolle jamais du sol. Cette règle imposant de revêtir un uniforme et de faire semblant est symptomatique d’un paradoxe central créé par la technologie qui rend l’opérateur invulnérable et tout-puissant : il prend activement part à des combats se déroulant à l’autre bout du monde tout en continuant à mener une vie de famille normale dans son environnement habituel. Le travail d’un opérateur de drone, ce sont des jours et des jours de surveillance et de plans de vol ennuyeux entrecoupés de moments d’extrême urgence au cours desquels des décisions prises en quelques dixièmes de seconde peuvent avoir un impact sur la vie tant de camarades de combat que de civils innocents. L’opérateur auquel j’ai parlé se plaignait de cauchemars, d’insomnies et d’une perte d’appétit. Il disait aussi souffrir d’une angoisse caractéristique du syndrome de stress post-traumatique. Son entourage ne prenait cependant pas au sérieux ce diagnostic, qu’il avait posé lui-même, étant donné qu’il n’était pas considéré comme un « vrai » combattant et n’était jamais « vraiment » en danger. Espérant peut-être se soigner lui-même, l’opérateur avait développé une addiction aux jeux de rôle et aux simulateurs de vol, auxquels il jouait pendant des heures après être rentré chez lui quand il était de nuit. Incapable d’échapper à son cauchemar, le sujet traumatisé se met à le reproduire du mieux qu’il peut dans un contexte où il a tout sous contrôle. C’est exactement cette dynamique qui est analysée dans Continuity. Des parents ayant perdu leur enfant se tournent vers des méthodes alternatives de reproduction, court-circuitant le processus naturel en invitant des inconnus chez eux et en leur demandant de faire semblant d’être de la famille. Lacan définit le traumatisme comme une expérience inassimilable, une rupture de la chaîne signifiante. Les deux vidéos essaient de donner une forme à cette rupture.

[See image gallery at lemagazine.jeudepaume.org]

MVA : Pour votre nouvelle vidéo, spécialement créée à l’occasion de cette exposition, vous avez décidé d’ajouter de nouvelles scènes à Continuity. Quelle était votre intention et comment ces scènes s’intègrent-elles dans l’œuvre précédente ?

 

OF : À l’origine, l’idée était de faire de Continuity un diptyque, la suite ressemblant à s’y méprendre à l’œuvre préexistante. Je ne peux dire si ce sera vraiment le cas tant que je n’ai pas monté le film, tant qu’il n’est pas fini.

 

MVA : Votre projet en cours, Spring, reconstitue un lynchage dans un pays arabe. Pour celui-ci, vous allez faire appel à une centaine d’artistes performeurs et donner des téléphones portables à certains d’entre eux pour qu’ils enregistrent cette performance en tant que participants. Comme vous l’avez vous-même précisé, cette vidéo vous a été inspirée par des images de la mort de Mouammar Kadhafi diffusées en 2011.

Vous avez déjà abordé la question de la reconstitution dans d’autres vidéos (dans The Casting, par exemple). Cette reconstitution englobera cependant, dans la mesure où elle est filmée avec des téléphones portables, non seulement l’événement proprement dit mais aussi le médium qui le rend visible. Comment vous est venue cette idée ? Ce qui me surprend, c’est la suppression de la distance entre le spectateur et le film. Étant donné que vos œuvres précédentes avaient tendance à générer une distanciation du visiteur par rapport à l’histoire montrée, et à empêcher toute identification passive, je me demande quelle place reviendra au public dans cette nouvelle création ? On a l’impression que le visiteur sera totalement impliqué dans cet environnement plus grand que nature recréant un spectacle violent. Travaillez-vous avec un script ou avez-vous l’intention d’improviser pendant le tournage ?

 

OF : Le jour où c’est arrivé, je n’ai cessé de regarder la capture et la mort de Kadhafi sur mon ordinateur portable à Berlin, passant d’une vidéo de téléphone portable à une autre au fur et à mesure qu’elles étaient mises en ligne. Les images étaient, comme on peut s’en douter, horribles et banales : le protagoniste, seul et dépouillé de ses insignes royaux, ne pouvait plus incarner le pouvoir mythique qu’il avait détenu et pour lequel les assaillants cherchaient avec zèle à le punir. Ce n’était qu’une coquille vide, un homme vieillissant aux cheveux teints, qui demandait grâce. Après avoir regardé quatre vidéos du même événement tournées avec des téléphones portables, je me suis rendu compte que mon attention se détournait de l’homme voué à mourir, dont le corps sans vigueur était visible de temps en temps, parfois même au centre de l’image, mais ne l’était le plus souvent pas. Ce qui me fascinait de plus en plus était la multiplicité des images simultanées, qui livraient littéralement un portrait fragmentaire d’une nuée de gens s’abattant sur quelqu’un et le mettant en pièces.

Spring se propose de reconstituer cette vue au travers du regard de cette nuée, sous la forme d’une installation multi-écrans : l’idée serait de créer une performance grandeur nature qui ait la dynamique extatique de l’événement réel. Cette performance n’aurait pas vocation à être spécifiquement une reconstitution du meurtre de Kadhafi, mais cet événement servirait de canevas à une chorégraphie s’efforçant d’être réaliste tout en conservant une forme de répétabilité et en demeurant sous contrôle. Des téléphones portables seraient donnés à dix ou douze artistes performeurs disséminés dans la foule et chargés de filmer la performance en tant que participants, livrant ainsi simultanément des vues fragmentaires prises sous des angles différents. Montrés ensemble, leurs films devraient créer l’illusion délirante de « tout » voir en même temps – d’être partout et nulle part, de faire partie du spectacle tout en étant au-dessus de celui-ci –, une illusion semblable à l’illusion de pouvoir qui s’empare d’une foule déchaînée quand elle se referme sur un individu. Les nombreux écrans de l’installation seraient disposés dans ce qui serait, j’espère, un environnement saisissant, déroutant, au milieu duquel le spectateur se situerait.

Contrairement à d’autres œuvres récentes, il n’y a pas de script, et le tournage sera spontané et assez chaotique. Je dirais que c’est un soulagement. Et bien qu’il soit toujours difficile de dire quelle forme l’œuvre revêtira avant qu’elle ne soit achevée, j’espère collecter assez d’images pour pouvoir non seulement reconstituer l’événement sous la forme d’un spectacle miniature mais aussi réfléchir en même temps à cette dynamique. Le cinéma n’est pas vraiment une référence pour cette œuvre. C’est plus une histoire de spectacle et de gestion des images dans le contexte de YouTube et des selfies.

Traduction de l’anglais : Lydie Échasseriaud, 2015.

Exposition “Omer Fast. Le présent continue” au Jeu de Paume.

Cet entretien a été réalisé pour le catalogue de l’exposition.

* En français dans le texte.

References[+]

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Michel Frizot et Shelley Rice Meeting Point #10 http://lemagazine.jeudepaume.org/2015/07/michel-frizot-shelley-rice-meeting-point-10/ Thu, 16 Jul 2015 11:02:19 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=22225 Shelley Rice s’entretient avec Michel Frizot, commissaire de l’exposition « Germaine Krull (1897-1985) Un destin de photographe », présentée au Jeu de Paume, Paris, jusqu’au 27 septembre 2015.

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Shelley Rice s’entretient avec Michel Frizot, commissaire de l’exposition « Germaine Krull (1897-1985) Un destin de photographe », présentée au Jeu de Paume, Paris, jusqu’au 27 septembre 2015.

L’historien et théoricien de la photographie revient ici en détail sur les enjeux d’une exposition qui n’était pas écrite d’avance. En effet, c’est en répertoriant et en étudiant des publications de revues, de livres ainsi que des tirages jusqu’à présent mis de côté (car non publiés), qu’il s’est convaincu du bien fondé d’un nouveau regard sur l’œuvre de Germaine Krull, et plus particulièrement sur la période 1928 – 1931. Michel Frizot apporte un éclairage différent de celui de Kim Sichel dans Germaine Krull. Photographer of modernity 1, en sortant du cadre interprétatif de l’apparition de la photographie d’avant-garde dans les années 1920. À partir d’un corpus plus large et diversifié, Michel Frizot entend montrer « la réalité crue, et la réalité dure du travail d’un photographe […] à tel et tel moment, sans essayer de montrer que c’est le même travail toute sa vie.» Concrètement, cela se traduit dans l’exposition par la mise en avant de nombreuses revues, magazines et ouvrages, sélectionnés parmi les près de 1300 publications auxquelles Krull a participé entre 1928 et 1932. À ce sujet, Michel Frizot montre comment la création du magazine VU, dont Krull fut une collaboratrice régulière aux côtés d’André Kertész et Éli Lotar, va dévier, dés sa création en mars 1928, certaines pratiques des photographes d’avant-garde, en proposant aux lecteurs des reportages d’investigation ou thématiques.



[See image gallery at lemagazine.jeudepaume.org]

Plus d’infos sur l’exposition
La sélection de la librairie

References[+]

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Conversation with Valérie Jouve http://lemagazine.jeudepaume.org/2015/05/conversation-with-valerie-jouve/ Thu, 28 May 2015 14:22:16 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=21895 by Marta Gili and Pia Viewing

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Valérie Jouve — Untitled (Figures with Tania Carl), 2011-2012
© Valérie Jouve/ADAGP, Paris 2015. Courtesy galerie Xippas, Paris


Version française

Marta Gili — You studied anthropology and sociology before enrolling at the École Nationale Supérieure de la Photographie in Arles. How did you come to photography? And how did the change of disciplines actually take place?

Valérie Jouve — The anthropology research I did in the Lyon suburbs – in La Mulatière and the Les Minguettes housing estate in Vénissieux – focused on what was called the “second immigrant generation”. Rather than stressing the fact that the people concerned have a dual culture, this label identified their history with that of their immigrant parents while paradoxically locking them into the idea that they had to adapt to the culture of the country where they had been born. One of my sociology teachers pointed out to me that the photos I had taken to illustrate my dissertation were at odds with my analysis, because I had photographed my subjects individually and thus “out of context”. The interviews I had done with them had confronted me with personalities and mindsets that had nothing to do with this theoretical second generation, and this was something that echoed my personal background. I grew up on a housing estate in the suburbs of Saint-Étienne, a real melting pot where we shared working-class values that went beyond our ethnic differences. So contact with these people took me back to imaginative realms going beyond the strict social framework. This was an aspect I would explore later on in my Characters, which were attempts to do away with preconceptions: the power of the person concerned has to do with the singularity of their presence and way of being, quite apart from their status or social background.

These initial contacts with photography, together with my reading – Michel Foucault in particular – led me to understand that I was trying to challenge the limitations of anthropology, which, along with its near-mandatory co-discipline, sociology, underpins our modern social classifications. A sociological investigation tends towards a result based on argument and a conclusion that synthesises the findings. But in lived situations I see only movement, change and uninterrupted transformation. Through images I try to second-guess the standard responses and undermine the logical explanations of the social sciences, while at the same time creating a less rigid relationship with the world and finding a slightly more poetic language for expressing my own relationship with it. All that I’ve kept of the sociological investigation, finally, is the methodology: the interviews took the form of conversations with the people I photographed, who were often willing contributors to my work.

Valérie Jouve — Untitled (Characters with E.K.), 1997-1998
Courtesy galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015


Pia Viewing — You began your photography in the late 1980s in Saint-Étienne, with pictures of places marked by industrial collapse: the end of an era. Because they’re in black and white and because the people are shown in the course of their everyday activities, that early work is still very close to documentary. So collaboration with your “models” was there right from the start.

VJ — Between 1987 and 1990, when I was studying photography in Arles, I did a project in the Saint-Étienne mining area: people, neighbourhoods, buildings and so on. The mise en scène was still minimal: the people were ready to play along – opening a door, leaning on a wall, coming downstairs, etc. Rather than “models” I prefer to say “characters”, because they’re actors embodying an idea. Already the bodily actions were challenging the places and the space, in the same way that there was a clear urge to find a living, physical equivalent between bodies and buildings.

MG — The concerns that would become constant factors in your practice seemed to take shape very early: working outside the standard settings, pointing up the invisible personal connections that arise in the course of working together, probing the power and the ambiguity of the dialogue between bodies and architecture.

VJ — Yes, I’ve always been obsessed with the alchemy between the Other and oneself, between the space and the person, between the collective and the individual. During that same period, the summer of 1988, the sociologist Albane Fayolle asked me to back up the work she was doing for a town planning agency on Nemausus – the social housing project designed by architect Jean Nouvel in Nîmes – with on-site portraits of the residents. The job mainly involved observing the way these residents adapted to this very singular building. This was a commission that I don’t see as being on the same level as my other work, but that was when I began to think about a different approach to the photographic portrait and the figures began to converse with the space around them. The traditional portrait stresses an identity, whereas I felt that I was more interested in setting a body of individuals against the body of the Jean Nouvel building. So I used mise en scène, because I wanted our collaboration to express as closely as possible the interchange with the architecture; I didn’t ask them to smile if they didn’t feel like it – just to take the time to be there.

PV — Since the early 1990s the artistic approach has drawn increasingly on mise en scène. By that time the use of colour film was fully integrated into your work. In the images we see a growing interest in a kind of narrative in which the presence and expressiveness of the person are more intense, notably in the Untitled (Characters) group.

VJ — Colour seems to have led to that, but it wasn’t my intention at the start; it wasn’t conscious. I naturally went to black and white for the mining town of Saint-Étienne, which I saw as still focused on its industrial past. Black and white reinforced this backward-looking aspect, and worked as a reminder of the blackened nineteenth-century city.

Valérie Jouve – Untitled (Situations), 1997–999
Courtesy galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015


I opted for colour when I got beyond the idea that it necessarily induced a particular artistic intent. At the time, lots of photographers were using it for its own sake, even to the point of tonal saturation. But my interest in the image is a long way from that kind of concern. My first try-outs with colour date from 1988 – three photographs, each showing a mine building in Saint-Étienne. Oddly, they looked greyed: their colours were faded, as if the dust from the mines had run into the light, as a woman from Saint-Étienne pointed out to me one day. Even now there’s still something of those tones in my images, which are shot through with that slightly bluish light. Once I realised that I could neutralise its garish aspect, I was less frightened of colour. And it also helped me get free of that backward-looking thing.

PV — In Characters, the person is shown almost life-size, in fairly tight focus against an open backdrop. The figure-ground relationship is disturbing because the body is striving to wrench itself out of this environment – often an urban one – and get free of it: each “character” generates an event in that he or she triggers a single, singular situation. They literally disturb the viewer with their attitude, their gestures or their bodily position. Whether the character is in front, profile or back view, there’s a confrontation with the viewer.

Valérie Jouve — Untitled (Characters with Josette), 1991-1995
Courtesy galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015


VJCharacters started with Josette in 1999, in Marseille, where I lived for getting on ten years. The first image [p. 18–19] marked the culmination of several years’ research begun in Saint-Étienne: here the body asserts its singularity very clearly. I felt that the physicality and corporeality of the images really worked. The choreographic poses that typify Characters have less to do with behaviour than with attitude: behaviour is defined within a group, in response to a set of codes, whereas attitude is a personal stance towards the world. At first I chose my subjects for their ability to personify an idea of resistance to their environment and to the standardisation of urban places. That choreographic language let me create a space of freedom, move back into the city as a place to inhabit, and explore alternative ways of occupying it. My main artistic goal was to generate movement – a rhythm, a dynamic, and a sonority in the musical sense. I didn’t yet have the cinema in mind, even if I was already putting images together mentally. I wanted to make the tone and energy and vivacity of the city tangible, rather than just offer a description of it.

Valérie Jouve — Leaving the Office, details, 1998-2002
Courtesy galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015


MG — Choreography was a core part of your oeuvre until the early 2000s. The Leaving the Office series was the result of recording the mechanical movement of bodies exiting their place of work. The series reminds me of a video made by Harun Farocki in 2006, Arbeiter verlassen die Fabrik in elf Jahrzehnten (Workers Leaving the Factory). Each of the monitors shows a film by a filmmaker or an anonymous amateur: documentation of people leaving a factory, and bodies moving out of a standardised space.

VJ — When I was living in Marseille, I spent a lot of time with dancers and saw lots of performances ranging from Pina Bausch to Meredith Monk – not to mention Trisha Brown, who was the choreographer who impressed me most: she absolutely merged with the space she was in! It’s true that in Leaving the Office, there’s a choreography of standardisation in the rhythm of the bodies – bodies I decontextualised so as to exaggerate their objectivisation. When I took the pictures outside buildings in the business districts in Paris (at La Défense) and New York (near the Twin Towers, before they were destroyed), what I was seeing seemed quite strange: the people leaving their offices didn’t seem to be there, in their bodies – as if in their minds they were still inside the building. So in order to concentrate on this simple idea, I eliminated the architectural elements: it seemed to me that by establishing the setting these elements took the edge off the harshness of the situation. The grey ground I set the people against was enough to recreate the ambience of the office buildings, which are basically grey architecture, all glass and mirrors. In my work I try to communicate a feeling, something to be felt rather than understood. That’s why choreography and musicality, in the rhythmic sense, come first in a lot of my compositions. In recent years my images have calmed down, leaving room for a more contemplative element; but dance and music are just as important for me as ever.

Valérie Jouve — Untitled (Façades), 2000-2002
Courtesy galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015


PV — Your tireless exploration of the connections between the human figure and urban space has given rise to several series, among them Characters, Situations and Facades. These corpuses change constantly, though, both because you keep adding to them and because you endlessly reorganise them in your exhibition spaces. Seen from this point of view, the time-bound photographic series is quite foreign to your approach.

VJ — Yes, I like the notion of a corpus. What I make is a “body of images”. Each corpus is called Untitled, followed by a form of identification in parenthesis: Characters, Situations, Facades, Passers-by, The Street, Trees and so on. In the 1990s my work was basically structured around these different subjects. Then another space – montage – took shape when the work was being shown. A form of narrative – in the very broad sense – developed out of this juxtaposition of photos from different corpuses. Montage was a consideration right from my first exhibition at the Musée d’Art Contemporain in Marseille in 1995: I feel the need to bring my images together so that they inhabit the space and create a utopian imaginative slant. All these elements fuel each other and combine to offer a visual space in which our world opens up to us without our having to understand anything. It’s just a matter of feeling, of projecting oneself and, most of all, going with the flow.

In my work the image is not tied solely to the moment of its making. And it’s not frozen, either, in the sense that it can be reinterpreted in the light of other images. I like the way images can inhabit physical and mental space over the long term: their timelessness lets them evolve in an ongoing reciprocal dialogue. That way photos I bring back after ten years take on a fresh presence in an exhibition.

Valérie Jouve — Untitled (Landscapes), 2009
Courtesy galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015


Since the outset my photographic work has been focused on the relationship between the human being and his city – his living space in the broadest sense: our living space. Each image and each corpus adds something to my thinking about our cities and our relationship with them. The city is fundamental for me: it’s the incarnation of human presence on Earth, although for some years now I’ve been thinking of space in more intimate terms, with my Trees, for example.

PV — The places you photograph are always lived in. In this sense the body is omnipresent, even if it’s not actually shown in the image. For instance, Untitled (Facades) of 1997 is less concerned with urban anonymity than with the spatial organisation of the modern city. The montages of juxtaposed vertical facades induce a physical sensation of confinement, crushedness and oppressiveness that all of us sometimes feel in cities, but which a single photograph could never have conveyed on its own. Thus your own emotional experience of places provides a grounding for your thinking about urban space and ways of living in it.

À gauche : Valérie Jouve — Untitled (Characters with Andrea Keen), 1994-1995
Collection Musée d’Art moderne de la Ville de Paris © Valérie Jouve / ADAGP, Paris 2015
À droite : Valérie Jouve — Untitled (Landscapes), 2004
Courtesy galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015


MG — Your work emerges from a tension between privacy and exteriority. In his book Mirrors and Windows John Szarkowski notes two tendencies among the protagonists of the “new photography” in America during the 1960s and 1970s: one that uses photography as a mirror onto which the artist projects his subjective vision of the world, and the other which uses it as a window onto reality. I don’t think you adhere to either of these approaches individually, but rather the two together; very subtly you place yourself in the interspace.

VJ — I try to conjure up a certain intensity I find in the living world – to construct a mental image in the sense of a projection space. The mental image is what comes after the seeing; it’s a sort of image-echo that sticks in the mind and takes on meaning once we appropriate the images. There was a time when I was really studying Maurice Merleau-Ponty and wondering about photography’s ability to convey the full force of the living world, which the visible can’t do on its own. How could the image reconstruct and recompose what the mental – the invisible – brings into being? What I do with my images happens in the transition from the visible to the invisible. My work is like documentary in the sense that the subject dictates my artistic choices. I work with what reality offers me. Even so, the intention inclines towards narrative, since what interests me is the image’s capacity to produce meaning out of reality.

For me the image provides a medium for the imaginative realm. That’s why I like to maintain the places I photograph in a kind of indeterminate zone, so I can return to their potential. Similarly, when it comes to presenting an exhibition, I try to set up a rhythm that creates the feeling of some indefinite place. The whole becomes a narrative space in which the viewer plays an active part. This image place – this place of watching – lets you project yourself into a habitable space stripped of the social contingencies. It’s a sort of existentialism to be experimented with.

Valérie Jouve — Untitled (The Street), 2003
Courtesy galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015


PV — In Untitled (Situations) of 1997–1999, we see that the actual image space has been worked on: the perspective has been flattened, in an indirect reference to the picture space of the Quattrocento. The effect of the montage is that the cars seem almost superposed on each other, creating a sensation of density, constraint and external control.

Valérie Jouve — Untitled (Situations), 1997-1999
Centre National des Arts Plastiques, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, Paris 2015


VJ — It’s painters more than photographers who’ve been a help to me. My love of painting was born when I discovered the Italian pre-Renaissance painters and their ability to recreate the feeling of human scale: not a rational scale, but a more affective one that I see as better adapted to conveying our reactions to reality. I love those painters because they’ve caught the physicality of places. The explorations of the movements that followed them were oriented towards bringing order to the world, towards rationalisation of the setting and creating the illusion of space; these are questions that I find less involving.

The need I feel to maltreat illusionist perspective as the sole exact representation of the world is a starting point for my work. A single photograph offers only a single point of view, which I often feel is inadequate for communicating the spatial issues I want to emphasise. Photography doesn’t depict what is seen: it simplifies, it flattens reality and sometimes empties or drains it of meaning. The view camera, which is my favourite tool, gives me the possibility of thwarting perspectivist space and the photographic lens and creating a relationship between a succession of planes.

MG — It’s also in order to skirt the standardisation of reality that you resort to montage; in addition to the presentation of different photographs when the exhibition is set up, montage for you also has to do with the creating of an image out of several photographs.

VJ — This is true, for example, of Untitled (Situations) of 1997, which brings together people photographed separately as they were waiting to cross the street. I took the photos at two points along 50th Street in New York, at Broadway and Park Avenue – neighbourhoods close to each other, but whose residents don’t mix. Pedestrian crossings provide moments where bodies meet without touching, without interacting: the kind of urban situations that have always seemed to me foreign to human nature. As I worked on the image from inside, through montage, a shift took place and the meaning I was hoping to get came together: the image became the reflection of the tension between these bodies. The viewer doesn’t know exactly where this tension comes from, because he doesn’t know that the two groups come from different social classes. These are not the same worlds, and I like being able to confront them through my images. The American novelist Jim Harrison once asked a journalist, “So do you really believe there’s only one world?”

I’ve used montage in a number of my images, but not systematically: in my case the exception is the rule, despite the seeming classification of subjects. The first Characters, which are pre-digital, were often taken for “collages”. But they weren’t montages: they were done with a view camera. In this particular corpus only Untitled (Characters with Marie Mendy) of 1994 is a montage. The person was introduced using an internegative process. I’d photographed her on the Grand Littoral shopping mall building site in Marseille, but set against the backdrop of churned-up earth in the original image, Marie, who’s Senegalese, looked like an African in a desert setting – a real stereotype. I wanted to preserve the spontaneity of her laughter, but as I saw it, it had to be transposed into a more contemporary world. Marie and I talked about it a lot, then decided together on the setting for the final image, which still maintains the spatial confusion I like so much.

Valérie Jouve — Untitled (Characters with Marie Mendy), 1994-1996
Collection FRAC Île-de-France © Valérie Jouve / ADAGP, Paris 2015


PV — The character is very expressive. She exudes a “ferocious” life force, a majestic power of resistance.

VJ — There are moments when photography can be a little bit magic, a kind of gift: something unexpected carries you beyond the initial idea. This image represents a credible situation – somebody really laughing – but it’s not at all a snapshot: Marie’s body was motionless. On the other hand, the image is not the source of this Character: Marie is this person, this life force, this resistance.

PV — The concept of body – of corporeality – permeates your oeuvre. With Trees and Figures, dating from 2006 to 2008, it arises in different terms from before. In contrast with Characters, for example, the subject is shown anchored in the soil, firmly rooted in its setting, and taking on greater volume, depth and presence. You treat your Trees like people: they have body.

Valérie Jouve — Untitled (Trees), 2006
Courtesy galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015


VJ — I did my first portraits of trees during a residence at the art centre in Vénissieux in 2003. I felt culturally close to Vénissieux, having grown up and studied in the same region. The trees really looked like Characters to me; they were spatial markers, with the plots of land of each property being structured around them. Rather than photograph the working-class neighbourhood of the Berliet housing estate in the Bernd and Hilla Becher style – with an individual picture for each house – the urge came to me quite naturally to respond to the commission with trees. They had such power, especially at that time of the year: the smooth wood of the plane trees turned silver under the autumn sun – that magic life sometimes offers.

Since Trees, my way of imagining my work as a photographer has been changing: I’m more detached, and less proactive in terms of movement and mise en scène; I give the subject more autonomy. The shaping of an image is no longer necessarily tied to the urge to follow an urban dynamic, but rather to a desire to provide a space for contemplation. I’ve realised that presence can be powerful without being dramatic and that this also enhances the notion of resistance. Even walls are bodies. History has filled them with humanity: I sense that they are a receptacle for all the lives they have surrounded, and I try to get this feeling across as much with the image itself as with the context I establish. This is why I came up with Compositions.

Valérie Jouve — Composition # 1, 2007-2009
Courtesy galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015


Now I want to work towards something essential, and take time for solitary observation. Formally speaking, the images conjure up moments of meditation that lead to more “cosmological” considerations. I want to show that the world is, maybe, still familiar to us.

MG — Has your subjects’ contribution to the work changed too?

VJ — My collaboration with them may have taken different forms over time, but it hasn’t changed much. It always centres around a decision taken by two or more of us about how to portray an idea, a notion of the world. Sometimes it’s the relationship with the people that becomes the subject of the collaboration, as was the case with the film Repérages, which was shot on Place des Fêtes in Paris with a group from the FRAC Île-de-France, and tells the story of a collective project; and of the recent exhibition “Cinq femmes du pays de la lune” at the MAC/VAL, which was the result of three years’ work with four Palestinian women. The film Grand Littoral was made using almost exclusively Characters I had already photographed. The connections I’ve built up with people continue; a sort of family takes shape.

PV — The verticality of Trees gave rise to a different relationship with people. In Figures they’re shown standing, full-length. From the top to the bottom of the picture.

VJ — In Untitled (Figures with Benyounes Semtati) (1997–2000), we feel the landscape, and in the image this man, who’s actually behind a metal post, becomes a body held up or sectioned by the post. This is not a montage. This photograph questions our relationship with a body that is mistreated, crushed, not listened to. The verticality of this body underscores its vitality, its resistance. The upright stance summons us to become active in the world again. The city as subject becomes secondary.

Valérie Jouve – Untitled (Figures with Benyounes Semtati), 1997-2000
Courtesy galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015


MG — There’s a kind of solitude, a melancholy emanating from this image, in which the body is once again in a much vaster setting.

VJ — I think I suffer from a kind of melancholy linked to a feeling of loss, a feeling of a world that’s being rendered impossible, a world humanity is more and more cut off from by its own vanity. An African friend once said to me, “In your society you’ve forgotten how to be small.” I often think of that remark. Resistance will have to find the strength to cope with the new financial monster.

PV — Over the past few decades the new means of communication that mean we’re connected full-time – from cell phones to virtual networks – have changed the way people interact: they don’t need to move about physically anymore. The upshot is that the fundamental human feeling of belonging is being undermined by this dislocation of the body’s direct relationship with its surroundings. The corpuses Untitled (Passers-by) and Untitled (Landscapes), and the film Grand Littoral form a group of works focusing on these issues. In your exhibitions the Passers-by function as allegories of our time: each of them is walking alone, in postures suggesting a world inhabited by individuals who are in motion but not interacting.

VJ — I’d like to point out that the room I chose for the Passers-by and the Landscapes in the Jeu de Paume exhibition is the one in closest contact with the city, because it opens onto the Tuileries Gardens. It’s also the room I chose for showing two films about journeys. Journeys have a special interest for me, because they induce movement. The Passers-by are bodies just passing by. Maybe they’re embodiments of the very complex times we live in. Unlike the rest of my images, all taken with a view camera, for these I used a Leica CL 24×36 – small, light and discreet. These photos provide a rhythm I need for the exhibition montages: the smaller formats mean I can arrange them in a way that sometimes speeds up the display space. They lead us through the different territories in question and give us tools for looking at the other images.

This conversation took place on the occasion of the exhibition “Valérie Jouve. Bodies, Resisting”, shown at the Jeu de Paume from June 2 until September 27, 2015. It is also published in the eponymous catalog, Paris, Jeu de Paume / Filigranes Éditions, 2015. Curators: Valérie Jouve, Marta Gili, Director of Jeu de Paume and Pia Viewing, Curator at Jeu de Paume.

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« Journeys into the City »– Films in relation with the Valérie Jouve exhibition.

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Un entretien avec Valérie Jouve http://lemagazine.jeudepaume.org/2015/05/avec-valerie-jouve-par-marta-gili-pia-viewing/ Fri, 22 May 2015 15:04:04 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=21785 Par Marta Gili & Pia Viewing. « La construction d’une image n’est plus nécessairement liée à la volonté d’accompagner une dynamique urbaine mais à un désir d’offrir un espace de contemplation […] »

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Valérie Jouve — Sans titre (Les Figures avec Tania Carl), 2011-2012
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

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Marta Gili — Tu as étudié l’anthropologie et la sociologie avant de suivre l’enseignement de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles. Comment es-tu venue à la photographie ? Comment s’est opéré le passage entre ces disciplines ?

Valérie Jouve — Dans le cadre de mon cursus en anthropologie, la recherche que j’ai menée dans la banlieue lyonnaise (à La Mulatière et dans le grand ensemble des Minguettes à Vénissieux) interrogeait la notion de « deuxième génération issue de l’immigration ». Plutôt que de souligner l’appartenance d’individus à une double culture, cette désignation assimilait leur histoire à celle de leurs parents d’origine étrangère et les figeait dans l’idée qu’ils devaient, paradoxalement, s’adapter à la culture du pays même où ils étaient nés. L’un de mes professeurs de sociologie m’a fait remarquer que les clichés que j’avais pris pour illustrer ce mémoire perturbaient mon analyse parce que je photographiais toutes ces personnes dans leur singularité et, par conséquent, «hors cadre». Les entretiens que j’avais réalisés avec elles m’avaient confrontée à des personnalités et des mentalités qui sortaient totalement du cadre de cette deuxième génération théorique, ce qui entrait en résonance avec mon histoire personnelle. J’ai moi-même grandi dans une cité de la banlieue de Saint-Étienne, creuset de mixité, et nous partagions des valeurs populaires au-delà de nos différences ethniques. La rencontre avec ces gens me renvoyait donc à des imaginaires qui dépassaient le strict cadre social. C’est une dimension que j’allais explorer plus tard avec mes Personnages, qui constituent autant de tentatives de déplacement des a priori : la puissance de la figure tient à la singularité de sa présence, de sa manière d’être, indépendamment de son statut ou de son origine sociale.

Ces premiers contacts avec la photographie ainsi que mes lectures — en particulier de Michel Foucault — m’ont permis de comprendre que je cherchais précisément à questionner les limites de la science anthropologique qui, avec sa soeur un peu obligée, la sociologie, demeurent à l’origine de la classification moderne des sociétés. L’enquête sociologique tend vers un résultat argumenté et une conclusion en forme de synthèse. Or je ne vois que du mouvement dans le vivant ; du changement, une transformation ininterrompue. À travers l’image, je tente de déjouer les réponses, d’ébranler les explications logiques des sciences humaines mais aussi de créer un rapport moins figé au monde, de trouver un langage plus apte à exprimer mon rapport à celui-ci, un peu plus poétique. De l’enquête sociologique, je n’ai finalement retenu que la méthodologie ; les entretiens ont pris la forme de conversations avec les personnes photographiées, qui sont souvent partie prenante de mon travail.

Valérie Jouve — Sans titre (Les Personnages avec E.K.), 1997-1998
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

Pia Viewing — Tu inities ton œuvre photographique à la fin des années 1980 à Saint-Étienne, où tu saisis des lieux marqués par l’abandon de l’industrialisation: la fin d’une époque. Du fait du noir et blanc et, également, de la pose des individus dans leurs activités quotidiennes, tes premiers travaux s’apparentent encore beaucoup au documentaire. Le travail collaboratif avec tes « modèles » apparaît dès ces premières recherches.

VJ — Entre 1987 et 1990, dans le cadre de mes études à Arles, j’effectue un travail au coeur du bassin minier de Saint-Étienne, de la population, des quartiers, des bâtiments… La mise en scène est encore minimale : les gens se sont prêtés au jeu de rôle en ouvrant une porte, en s’accoudant à un muret, en descendant un escalier… Plutôt que de « modèles », je préfère parler de «personnages» car il s’agit d’acteurs qui incarnent une idée. Ici, déjà, les actions des corps questionnent les lieux, l’espace, de même que le désir de faire vivre physiquement les corps avec les bâtiments est manifeste.

MG — Les préoccupations qui deviendront des constantes dans ta pratique semblent ainsi se formuler très tôt : œuvrer en dehors des cadres établis, évoquer les rapports invisibles qui se tissent avec l’autre dans le contexte d’une collaboration, sonder la force et l’ambiguïté du dialogue entre le corps et l’architecture.

VJ — Oui, j’ai toujours été obsédée par l’alchimie qui s’opère entre l’autre et soi-même, entre l’espace et la figure, entre le collectif et l’individu. Dans ces mêmes années, au cours de l’été 1988, la sociologue Albane Fayolle m’a demandé d’accompagner le travail qu’elle avait entrepris au sein d’un bureau d’urbanisme sur Nemausus — ensemble de logements sociaux conçu par l’architecte Jean Nouvel à Nîmes — par des portraits d’habitants sur leur lieu de vie. La mission consistait surtout à observer comment ces habitants s’adaptaient à cette architecture particulière. Il s’agit d’un travail de commande que je ne situe pas au même plan que mes autres travaux, mais c’est à ce moment-là que j’ai commencé à envisager une conception différente du portrait photographique et que les figures se sont mises à converser avec l’espace. Le portrait traditionnel insiste sur une identité, or je sentais que je souhaitais davantage placer un corps d’individus face au corps de ce bâtiment. J’ai ainsi mis en scène les habitants, je voulais que notre collaboration traduise l’échange le plus juste avec l’architecture ; je ne leur demandais pas de sourire s’ils n’en avaient pas envie, mais juste de prendre le temps d’être là.

PV — Dès le début des années 1990, ta démarche artistique s’appuie plus fortement sur la mise en scène. À cette époque, l’utilisation de la pellicule couleur est déjà totalement intégrée. On perçoit dans tes images un intérêt croissant pour une forme de narration où s’intensifient la présence et l’expressivité de la figure, notamment dans le corpus Sans titre (Les Personnages).

VJ — C’est ce que la couleur semble avoir entraîné, mais cela n’était pas mon intention de départ, ce n’était pas conscient. J’avais adopté naturellement le noir et blanc pour aborder la ville minière de Saint-Étienne, qui me semblait tournée vers son passé industriel. Le noir et blanc renforçait cet aspect passéiste, renvoyait à l’ambiance de la ville noire du XIXe siècle.

Valérie Jouve – Sans titre (Les Situations), 1997-1999
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

J’ai opté pour la couleur quand j’ai dépassé l’idée qu’elle induisait nécessairement une intention esthétique. À l’époque, de nombreux photographes l’utilisaient en tant que telle, jusqu’à saturation des tons. Or mon intérêt pour l’image est éloigné de ces préoccupations-là. Mes premiers essais en couleur datent de 1988 et correspondent à trois photographies représentant chacune un bâtiment des mines à Saint-Étienne. Étrangement, elles ont comme un voile grisé, leurs couleurs sont éteintes, comme si la poussière des mines déteignait sur la lumière, ainsi que me l’a fait remarquer un jour une Stéphanoise. Aujourd’hui encore, mes images sont un peu habitées de ces tonalités, imprégnées de cette lumière légèrement cyanée. Dès lors que je me suis rendu compte que je pouvais neutraliser son caractère clinquant, la couleur m’a fait moins peur. Elle m’a aussi permis de sortir de cette dimension passéiste.

PV — Dans Les Personnages, la figure est présentée à échelle quasi réelle, cadrée assez serrée dans un lieu qui se déploie en arrière-plan. La relation entre figure et fond est troublante car le corps cherche à s’arracher à cet environnement — très souvent urbain —, à s’en détacher : chaque «personnage» fait événement car il déclenche une situation individuelle et singulière. Il trouble littéralement le spectateur par son attitude, par ses gestes ou par la position de son corps. Qu’il soit de face, de profil ou de dos, il lui propose une confrontation.

Valérie Jouve — Sans titre (Les Personnages avec Josette), 1991-1995
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

VJLes Personnages sont nés avec Josette en 1991 à Marseille, où j’ai vécu pendant près de dix ans. Cette image inaugurale a marqué l’aboutissement d’une recherche de plusieurs années entamée à Saint-Étienne : le corps s’affirme ici très nettement dans sa singularité. Je ressentais que la physicalité et la corporalité de l’image fonctionnaient. Les poses chorégraphiques qui caractérisent Les Personnages relèvent moins du comportement que de l’attitude : le comportement se définit au sein du groupe, répond à un jeu de codifications, alors que l’attitude est un positionnement personnel face au monde. Au début, je choisissais les personnes pour leur capacité à incarner une idée de résistance face à l’environnement et à la normalisation des lieux urbains. Le langage chorégraphique m’a permis de dessiner un espace de liberté, de réinvestir la ville en tant que lieu à habiter, d’explorer des façons alternatives de l’occuper. L’enjeu principal de ma démarche artistique était alors de produire du mouvement avec la photographie, une rythmique, une dynamique, une sonorité au sens musical du terme. Je n’avais pas encore le cinéma à l’esprit, même si je pensais déjà les images ensemble. Je cherchais à rendre tangibles la tonalité, l’énergie, la vivacité de la ville plus qu’à en proposer une description.

Valérie Jouve — Les Sorties de bureaux, détails, 1998-2002
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

MG — La chorégraphie est centrale dans ton œuvre jusqu’au début des années 2000. Les Sorties de bureau résultent notamment de l’enregistrement du mouvement machinal de corps quittant leur lieu de travail. Cette série m’évoque une vidéo réalisée en 2006 par Harun Farocki, Arbeiter verlassen die Fabrik in elf Jahrzehnten [Sorties d’usine en onze décennies]. Les différents moniteurs qui la composent diffusent chacun un film de cinéaste ou d’anonyme qui documente la sortie de l’usine, le déplacement de corps hors d’un espace formaté.

VJ — Quand j’habitais Marseille, j’ai côtoyé beaucoup de danseurs par le biais de « marseille objectif DansE » et vu de nombreux spectacles, de Pina Bausch à Meredith Monk, en passant par Trisha Brown, qui est la chorégraphe qui m’a le plus impressionnée : elle faisait totalement corps avec l’espace ! Il est vrai que, dans Les Sorties de bureau, une chorégraphie de la normalisation s’opère par la rythmique des corps, que j’ai décontextualisés pour exagérer cette objectivation. Lorsque j’ai effectué les prises de vue devant les immeubles de quartiers d’affaire à Paris (à La Défense) et à New York (aux alentours des Twin Towers, avant leur destruction), j’ai trouvé le spectacle assez étrange parce que les gens qui quittent leur bureau ne semblent pas là, dans leur corps, comme si dans leur tête ils étaient encore à l’intérieur du bâtiment. Pour pouvoir me concentrer sur cette idée simple, j’ai éliminé les éléments d’architecture car je trouvais qu’ils lissaient la brutalité de cette réalité en décrivant le contexte. Le fond gris sur lequel j’ai placé les figures était suffisant pour restituer l’atmosphère des bureaux, qui sont essentiellement des architectures assez grises, de verre et de miroirs. Dans mon travail, je cherche à transmettre un ressenti, quelque chose à ressentir plutôt qu’à comprendre. C’est pourquoi la chorégraphie, la musicalité, au sens rythmique, sont premières dans beaucoup de mes compositions. Ces dernières années, mes images se sont apaisées pour laisser place à une dimension plus contemplative, mais la danse, la musique, sont toujours aussi importantes pour moi.

Valérie Jouve — Sans titre (Les Façades), 2000-2002
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

PV — De ton inlassable exploration des relations entre la figure et l’espace urbain résultent plusieurs corpus au nombre desquels figurent Les Personnages, Les Situations ou encore Les Façades. Ces corpus demeurent en constante évolution tant parce que tu continues de les alimenter que parce que tu les rejoues sans cesse dans l’espace de l’exposition. De ce point de vue, la série photographique circonscrite dans le temps est étrangère à ta démarche.

VJ — Oui, j’aime l’idée du corpus. C’est un « corps d’images » que je réalise. Chaque corpus est intitulé Sans titre, suivi d’une forme d’identification entre parenthèses : Les Personnages, Les SituationsLes Façades, Les Passants, La Rue, Les Arbres… Dans les années 1990, mon œuvre s’est nettement structurée autour de ces différents sujets. Et un autre espace, celui du montage, s’est construit dans le moment de la monstration du travail. Une forme de narration — au sens très large du terme — s’est créée à travers cette juxtaposition de photographies issues de divers corpus. Dès ma première exposition au musée d’Art contemporain de Marseille, en 1995, le montage intervient : j’éprouve le besoin d’assembler mes images pour habiter l’espace et tisser un imaginaire de l’utopie. Tous ces éléments se nourrissent les uns les autres, se combinent pour offrir un lieu du regard où notre monde se déploie sans que rien ne nous soit donné à comprendre. Il s’agit juste de sentir, de se projeter et surtout de se laisser emmener.

Dans mon travail, l’image n’est pas ancrée seulement dans l’instant où je l’ai réalisée. Elle n’est pas non plus figée dans le sens où elle peut être réinterprétée à la lumière d’autres images. J’aime la capacité des images à habiter l’espace physique et mental sur la durée : leur intemporalité leur permet d’évoluer dans le dialogue qu’elles tissent entre elles. Des photos que je reconvoque dix ans après acquièrent ainsi une nouvelle présence dans l’exposition.

Valérie Jouve — Sans titre (Les Paysages), 2009
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

Mon travail photographique est, depuis le début, un projet sur le rapport de l’être humain à sa ville, à son espace de vie entendu au sens très large : notre espace de vie. Chaque image, chaque corpus accompagne la réflexion sur nos villes et notre relation à elles. La ville a une importance fondamentale pour moi car elle est l’incarnation même de la présence humaine sur Terre, bien que depuis quelques années je pense l’espace en termes plus intimes, avec Les Arbres par exemple.

PV — Les lieux que tu photographies sont toujours des espaces habités. En ce sens, le corps y est omniprésent même s’il n’est pas représenté dans l’image. Par exemple, Sans titre (Les Façades) (1997-1998) constitue moins une interrogation sur l’anonymat urbain que sur l’organisation spatiale de la ville moderne. La juxtaposition, par montage, des plans verticaux de façades d’immeubles véhicule une sensation physique d’enfermement, d’écrasement et l’oppression que tout un chacun peut éprouver dans la ville mais dont une prise de vue unique n’aurait suffi à rendre compte. Ainsi ta propre expérience émotionnelle des lieux sert de fondement à ta réflexion sur l’espace urbain et les manières de l’habiter.

À gauche : Valérie Jouve — Sans titre (Les Personnages avec Andrea Keen), 1994-1995
Collection Musée d’Art moderne de la Ville de Paris © Valérie Jouve / ADAGP, Paris 2015
À droite : Valérie Jouve — Sans titre (Les Paysages), 2004
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

MG — Ton travail, en effet, s’élabore dans une tension entre l’intime et l’extérieur. Dans son ouvrage Mirrors and Windows, John Szarkowski distingue deux orientations chez les protagonistes de la « nouvelle photographie » américaine des années 1960 et 1970 : celle qui use de la photographie comme d’un miroir où l’artiste projette sa vision subjective du monde, et celle qui en fait une fenêtre pour explorer la réalité. Je crois que tu ne procèdes pas de l’une ou l’autre de ces approches, mais des deux à la fois, que tu te places de façon très subtile dans cet entre-deux.

VJ — Je cherche à évoquer une certaine intensité du monde vivant, à construire une image mentale au sens d’un espace de projection. L’image mentale est ce qui vient après la vision, c’est une sorte d’écho d’images qui nous restent à l’esprit et qui prennent sens dès lors qu’on se les approprie. J’ai beaucoup étudié Maurice Merleau-Ponty à une période où, précisément, je m’interrogeais sur la capacité de la photographie à relayer la puissance du vivant, que le visible est insuffisant à transmettre. Comment l’image pourrait-elle reconstruire, recomposer ce que le mental, l’invisible, fabrique ?

C’est bien en termes de passage du visible à l’invisible que je travaille mes images. Mon œuvre se rattache au documentaire dans le sens où le sujet dirige mes choix esthétiques. J’accompagne ce que m’offre la réalité. Cependant, l’intention tire vers le récit, car c’est la capacité de l’image à produire du sens à partir du réel représenté qui m’intéresse. En effet, pour moi, l’image offre un support à l’imaginaire. C’est pourquoi j’aime maintenir les lieux que je photographie dans une sorte d’indétermination, afin de réinvestir leurs possibles. De même, à l’échelle de mes accrochages, je recherche une rythmique des plans donnant la sensation d’un lieu indéterminé. L’ensemble construit un espace narratif dans lequel le spectateur est acteur. Ce lieu de l’image, du regard, permet de se projeter dans un espace à habiter débarrassé des contingences sociales. C’est une sorte d’existentialisme à expérimenter.

Valérie Jouve — Sans titre (La Rue), 2003
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

PV — Dans l’œuvre intitulée Sans titre (Les Situations) (1997-1999), on peut observer que l’espace même de l’image a été travaillé : la perspective de l’optique photographique est tronquée, faisant indirectement référence au traitement de l’espace pictural du Quattrocento. Par le procédé du montage, les voitures se superposent presque les unes sur les autres, donnant une sensation de densité, de contrainte et de conditionnement.

Valérie Jouve — Sans titre (Les Situations), 1997-1999
Centre National des Arts Plastiques, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, Paris 2015

VJ — Ce sont davantage les peintres que les photographes qui m’ont aidée dans ma démarche ! Mon amour de la peinture est né avec la découverte des primitifs italiens et de leur capacité à recréer une sensation d’échelle humaine : il ne s’agit pas d’une échelle rationnelle, mais d’une échelle plus affective qui me semble davantage à même de transmettre notre ressenti de la réalité. J’aime ces peintres parce qu’ils ont rendu la physicalité des lieux. Les recherches des mouvements qui leur ont succédé se sont orientées vers l’ordonnancement du monde, la rationalisation du cadre, l’illusion de l’espace représenté ; ce sont des problématiques qui me touchent moins.

La nécessité pour moi de malmener la perspective illusionniste en tant que seule représentation exacte du monde constitue un point de départ de mon travail. Une prise de vue photographique unique n’offre qu’une seule perspective qui, souvent, me paraît insuffisante à faire ressentir les enjeux liés aux espaces que je désire souligner. La photographie ne représente pas ce que l’on vit : elle lisse, elle met la réalité à plat et parfois vide son sens ou l’épuise. Le format de la chambre, qui est mon outil de prédilection, me donne la possibilité de déjouer l’espace perspectiviste de l’optique photographique pour créer un rapport de plans successifs.

MG — C’est aussi précisément pour contourner l’uniformisation de la réalité que tu te sers du montage qui, outre la mise en présence de différentes photographies lors de l’accrochage d’une exposition, se rapporte aussi pour toi à la création d’une image à partir de
plusieurs prises de vue.

VJ — C’est le cas, par exemple, de Sans titre (Les Situations) (1997–1999), qui réunit des personnes photographiées séparément alors qu’elles étaient chacune en attente de traverser la rue. J’ai pris ces clichés à deux niveaux de la 50e rue à New York, à Broadway et à Park Avenue, quartiers proches mais dont les populations ne se mélangent pas. Les passages piétons correspondent à ces moments où les corps se croisent sans se toucher, sans interagir, le genre de situations générées par nos villes qui m’ont toujours semblé étrangères à la nature humaine… En travaillant l’image de l’intérieur, par le montage, un glissement s’est opéré et le sens que je souhaitais obtenir s’est précisé : l’image est devenue le reflet de la tension de ces corps. Le spectateur ne sait pas très précisément d’où vient cette tension car il ignore que les deux populations proviennent de classes sociales différentes. Ce ne sont pas les mêmes mondes, et j’aime pouvoir les confronter à travers les images. L’écrivain américain Jim Harrison a lancé un jour à un journaliste : « Parce que vous croyez, vous, qu’il n’y a qu’un seul monde ? »

J’ai utilisé le montage dans plusieurs de mes images sans que cela ne devienne systématique : chez moi, l’exception est de règle, malgré cette impression de classification des sujets. Les premiers Personnages, réalisés avant l’existence du numérique, ont souvent été pris pour des « collages ». Pourtant, il ne s’agit pas de montages, ils sont tous issus d’un travail réalisé à la chambre. Parmi ce corpus, seul Sans titre (Les Personnages avec Marie Mendy) (1994–1996) est un montage. La figure a été introduite par un procédé d’internégatifs. Je l’avais photographiée sur le chantier du centre commercial du Grand Littoral à Marseille. Mais, dans l’image originale, Marie, Sénégalaise, devenait sur ce fond de terre remuée une Africaine dans une nature de désert, un vrai stéréotype… Je voulais conserver la spontanéité de son rire, mais il me paraissait nécessaire de le transposer dans un monde plus contemporain. Marie et moi avons beaucoup discuté, puis nous avons choisi ensemble le lieu de l’image finale, qui cependant maintient la confusion spatiale chère à ma démarche.

Valérie Jouve — Sans titre (Les Personnages avec Marie Mendy), 1994-1996
Collection FRAC Île-de-France © Valérie Jouve / ADAGP, Paris 2015

PV — Le personnage est très expressif. Il jaillit de cette femme une force de vie « féroce », de résistance majestueuse.

VJ — La photographie peut être un peu magique par moments, tel un cadeau ; un imprévu permet de dépasser l’idée de départ. Cette image incarne une situation qui était crédible — on riait vraiment —, mais elle n’est pas du tout un instantané : le corps de Marie était immobile. En revanche, l’image ne fabrique pas ce personnage, Marie est cette personne, cette force, cette résistance dont tu parles.

PV — La notion de corps, de corporalité irrigue toute ton œuvre. Avec Les Arbres et Les Figures que tu as réalisés entre 2006 et 2008, elle se pose en d’autres termes qu’antérieurement. À la différence des Personnages, par exemple, ici le sujet se dresse ancré dans le sol, enraciné fermement dans son milieu, acquérant davantage de volume, d’épaisseur et de présence. Tu traites Les Arbres comme les figures, ils ont du corps.

Valérie Jouve — Sans titre (Les Arbres), 2006
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

VJ — J’ai fait mes premiers portraits d’arbres dans le cadre d’une résidence au centre d’art de Vénissieux, en 2003. Je me sentais culturellement proche de cette ville, ayant grandi et suivi des études dans la même région. Les arbres me sont apparus de façon évidente comme des personnages, ils étaient des marqueurs d’espaces autour desquels s’articulaient les parcelles de chaque propriété. Plutôt que de photographier le quartier ouvrier de la cité Berliet à la manière de Bernd et Hilla Becher, en individualisant chaque façade de maison par un cliché, l’envie de répondre à la commande qui m’avait été faite par les arbres s’est naturellement dessinée. Ils possédaient cette puissance, surtout en cette période de l’année : le bois très lisse des platanes devenait argenté sous le soleil automnal, une magie comme la vie peut en créer !

Depuis Les Arbres, ma façon de concevoir le travail photographique évolue : je prends de la distance, je suis moins volontariste dans la convocation du mouvement et la mise en scène, je laisse entrer l’autre à sa manière. La construction d’une image n’est plus nécessairement liée à la volonté d’accompagner une dynamique urbaine mais à un désir d’offrir un espace de contemplation. J’ai pris conscience qu’une présence pouvait être forte sans théâtralité et que la notion de résistance s’en trouvait également redoublée. Même les murs sont des corps ! C’est l’histoire qui les a pétris d’humanité, je sens qu’ils sont le réceptacle de toutes les vies qu’ils ont entourées et j’essaie de le faire sentir autant par l’image elle-même que par le contexte que je leur donne. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai conçu Les Compositions.

Valérie Jouve — Composition # 1, 2007-2009
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

Aujourd’hui, je veux aller vers quelque chose d’essentiel, prendre le temps de l’observation en solitaire. Du point de vue formel, les images évoquent des moments de recueillement, qui ouvrent des questionnements plus «cosmologiques». Je souhaite montrer que le monde nous est peut-être encore familier.

MG — La participation des personnes à l’élaboration de l’œuvre a-t-elle aussi évolué ?

VJ — Ma collaboration avec ces gens a pu prendre différentes formes au fil du temps, mais elle n’a pas beaucoup changé. Elle concerne toujours la décision que l’on prend à deux ou à plusieurs pour représenter une idée, une pensée du monde. Parfois, c’est la relation avec les personnes qui devient la nature de la collaboration, comme dans le cas du film Repérages qui, réalisé avec un des groupes inscrits à l’Antenne du Plateau (FRAC Île-de-France) sur la place des Fêtes à Paris, retrace l’histoire même de ce projet collectif, ou encore de l’exposition présentée récemment au MAC/VAL, « Cinq femmes du pays de la lune », qui résulte de trois ans de travail avec quatre femmes palestiniennes. Le film Grand Littoral est construit presque uniquement avec des personnages que j’avais déjà photographiés. Le lien que j’ai tissé avec les gens se poursuit dans le temps, c’est une sorte de famille.

PV — Les Arbres ont induit par leur verticalité un autre rapport aux figures. Dans Les Figures, elles apparaissent en pied, debout. Elles traversent l’image de haut en bas.

VJ — Dans Sans titre (Les Figures avec Benyounes Semtati) (1997-2000), nous sentons le paysage, et cet homme, situé derrière un poteau métallique dans la réalité, devient à l’image un corps soutenu ou coupé par celui-ci. Ce n’est pas une image montée. Cette photographie questionne notre rapport au corps, que l’on maltraite, que l’on comprime, que l’on n’écoute pas. La verticalité de ce corps souligne son énergie vitale, sa résistance. La position debout appelle à redevenir acteur de ce monde. La ville comme sujet devient secondaire.

Valérie Jouve – Sans titre (Les Figures avec Benyounes Semtati), 1997-2000
Courtesy de la galerie Xippas, Paris © Valérie Jouve / ADAGP, 2015

MG — Une espèce de sentiment de solitude, de mélancolie émane de cette image où le corps se retrouve au sein d’un environnement beaucoup plus vaste.

VJ — Je pense que j’ai une forme de mélancolie liée au sentiment d’une perte, d’un monde rendu toujours impossible et dont les hommes s’éloignent de plus en plus par leur vanité. Un ami africain m’a dit un jour : « Dans votre société, vous avez oublié d’être petits. » Je pense souvent à cette phrase. La résistance va devoir trouver des forces pour faire face à ce nouveau monstre financier.

PV — Ces dernières décennies, les nouveaux moyens de communication qui nous maintiennent connectés en permanence, de la téléphonie mobile aux réseaux virtuels, ont modifié l’interaction entre les personnes car elles n’ont plus la nécessité de se déplacer physiquement. En conséquence, le sentiment d’appartenance, si fondamental à l’être humain, se trouverait altéré par cette dislocation de la relation directe du corps avec son milieu. Les corpus Sans titre (Les Passants) et Sans titre (Les Paysages) ainsi que le film Grand Littoral forment un ensemble d’œuvres qui traitent de ces questions. Les Passants figurent dans tes accrochages comme des allégories de notre époque : marchant chacun seul, leurs postures évoquent un monde habité d’individus en mouvement qui n’interagissent pas.

VJ — Il faut préciser que la salle que j’ai choisi de consacrer aux Passants et aux Paysages dans l’exposition du Jeu de Paume est celle qui est la plus en contact avec la ville du fait de son ouverture sur le jardin des Tuileries. Et c’est aussi celle dans laquelle j’ai choisi de montrer deux films qui sont des traversées. La traversée m’intéresse particulièrement car elle induit le mouvement. Les Passants sont ces corps qui ne font que passer. Ils incarnent peut-être notre temps, aujourd’hui si chargé. Contrairement au reste de mes images, toutes réalisées à la chambre, ils ont été pris au 24 x 36 (j’ai utilisé un petit Leica, le CL, très léger et discret), ils m’apportent un rythme dont j’ai besoin dans les montages d’exposition. En effet, leurs formats, plus petits, me permettent de les disposer de sorte à parfois accélérer l’espace de monstration, ils nous emmènent à travers les différents territoires représentés, ils nous donnent des outils pour regarder les autres images.

 

Cet entretien a été réalisé à l’occasion de l’exposition « Valérie Jouve. Corps en résistance » présentée au Jeu de Paume du 2 juin au 27 septembre 2015 et publié dans le catalogue éponyme, Paris, Jeu de Paume / Filigranes Éditions, 2015. Commissaires de l’exposition : Valérie Jouve, Marta Gili, directrice du Jeu de Paume et Pia Viewing, commissaire au Jeu de Paume.

En savoir plus sur l’exposition
Le Catalogue de l’exposition
« Voyages dans la Cité. » – Programmation cinéma autour de l’exposition.

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The day after his new theater piece Riding on a Cloud was shown at MoMA, Shelley Rice talked with Lebanese artist, actor, and theater director Rabi Mroué, continuing her series of Meeting Points, now from New York…

Riding on a Cloud is based on Rabi Mroué’s brother, Yasser, and his personal experiences in the aftermath of the Lebanese Civil War. As a young man during the war, Yasser suffered a head injury that resulted in aphasia, a condition that rendered him unable to recognize friends and acquaintances in photographs or other visual representations. Because he was left with this “problem of representation,” Yasser’s doctor advised that he videotape and photograph his surroundings in an effort to retain an understanding of images and, ultimately, reality. Performed by Yasser himself, Riding on a Cloud combines prerecorded video and spoken word in a parafictional meditation on the relationship between lived experience and representation.



[See image gallery at lemagazine.jeudepaume.org]

Currently based in Berlin, Rabih Mroué studied theater at the Lebanese University in Beirut, where he met Lina Saneh, his wife and most frequent collaborator. He has participated in numerous festivals and exhibitions internationally, including the 11th International Istanbul Biennial, Documenta (13), the 2009 Sharjah Biennial, and the 2006 Biennale of Sydney. He is the recipient of an artist grant for Performance Art/Theater from the Foundation for Contemporary Arts, New York. More about Rabih Mroué’s biography.

Shelley Rice is an Arts Professor at New York University, with a joint appointment between the Department of Photography and Imaging and the Department of Art History. A historian and critic of photography and multi-media art, a curator and journalist whose columns have appeared in The Village Voice, The Soho Weekly News and Artforum, her books include Parisian Views, Inverted Odysseys: Claude Cahun, Maya Deren, Cindy Sherman, The Book of 101 Books and several monographs on contemporary artists, like most recently Xing Danwen published by Prestel.

Special thanks to Shelley Rice, Rabih Mroué and to Joshua A Kwassman who recorded the interview.

Rabih Mroué at MoMA / Projects 101
Scenes for a New Heritage at MoMA
Sfeir Semler Gallery: Rabih Mroué

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Meeting Point  #8: Shelley Rice & Jeanne Mercier http://lemagazine.jeudepaume.org/2015/02/meeting-point-8-shelley-rice-jeanne-mercier/ Fri, 06 Feb 2015 15:11:53 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=20289 Shelley Rice a rencontré Jeanne Mercier, co-fondatrice — avec le photographe Baptiste de Ville d’Avray — et rédactrice en chef d’Afrique in visu

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Shelley Rice a rencontré Jeanne Mercier, co-fondatrice — avec le photographe Baptiste de Ville d’Avray — et rédactrice en chef d’Afrique in visu. Leur entretien retrace l’historique de cette plateforme collaborative qu’ils ont créé en 2006, puis qui s’est développée progressivement grâce aux photographes. Jeanne Mercier explique comment ils se sont progressivement emparés de cet outil, lui conférant finalement une capacité à fédérer les acteurs de la photographie à travers le continent.

Afrique in Visu est animée aujourd’hui par près de 90 collaborateurs réguliers, dont le travail permet de partager et mettre en réseau les informations et les projets des photographes, qui gagnent ainsi en autonomie et en visibilité, en Afrique mais aussi sur la scène artistique internationale. Riche de plus de 1100 articles, Afrique in visu atteint une certaine maturité, constituant désormais une “archive vivante” de la création contemporaine et des expériences faites sur le terrain. Jeanne Mercier observe que ce corpus est utilisé comme une base de données par des chercheurs et diverses institutions internationales. Ainsi, même si telle n’était pas son intention première, elle joue désormais un rôle de conseil, de coordination et parfois de programmation pour divers événements transnationaux et internationaux (Rencontres de Bamako, Rencontres d’Arles, Photoquai à Paris…), attirant également le soutien d’acteurs économiques majeurs du numérique et de l’image.

Avec Shelley Rice, Jeanne Mercier évoque néanmoins la limite des infrastructures et des politiques culturelles en Afrique, fragiles et peu homogènes, ainsi que la difficulté pour les artistes de se dégager d’un phénomène récurrent de labellisation géographique, notamment en Europe dans le contexte de l’exposition. Mais la rédactrice en chef d’Afrique in visu porte un regard optimiste sur le contexte culturel : une jeune génération de photographes exploite aujourd’hui au maximum les réseaux virtuels dans une logique plus globale, ouvrant de nouveaux horizons pour l’ensemble des professionnels de l’image. Enfin, des personnalités comme Okwui Enwezor, commissaire général de la Biennale de Venise en 2015, peuvent également contribuer à emmener la production artistique contemporaine du continent africain sur d’autres territoires.

Jeanne Mercier est co-fondatrice et rédactrice en chef d’Afrique in visu. Elle a réalisé en 2005 un mémoire sur “Les Rencontres Africaines de la Photographie” (LHIVIC-EHESS) et travaille sur les nouvelles pratiques et formes de diffusion de la photographie en Afrique du nord et de l’Ouest. Aujourd’hui, elle partage son temps entre Afrique in visu et des activités de conseil en programmation culturelle autour des pratiques photographiques contemporaines et des enjeux du métier de photographe en Afrique. Actuellement, elle enseigne au Maroc et en France et écrit pour différentes revues artistiques et photographiques : elle est correspondante régulière sur l’Afrique pour L’Oeil de la Photographie et Diptyk. Jeanne Mercier est également nominatrice du Prix Pictet et membre du Jury du Prix Popcap, Prize for Contemporary African Photography.

Shelley Rice est professeur à la New York University et enseigne conjointement au sein des départements « Image et photographie » et « Histoire de l’art ». Critique, historienne de la photographie et des arts multi-media, commissaire d’exposition et journaliste, ses articles ont notamment été publiés dans les colonnes du Village Voice, The Soho Weekly News et Artforum. Elle a écrit plusieurs ouvrages, parmi lesquels Parisian Views, Inverted Odysseys: Claude Cahun, Maya Deren, Cindy Sherman, The Book of 101 Books (ed. Andrew Roth). Actuellement, elle est professeur invitée à l’École Normale Supérieure dans le département d’Histoire & Théorie des Arts.

Page d’accueil de la plateforme “Afrique in Visu”

Liens

Afrique in Visu
Afrique in Visu sur Facebook
Arterial Network
Everyday Africa sur Instagram / TumblR
Collectif Génération Elili
Rencontres de Bamako 2015
Fondation Donwahi
Galerie Cécile Fakhoury, Abidjian
Afriphoto
Okwui Enwezor, commissaire général de la 56e édition de la Biennale de Venise

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Yvonne Rainer: from choreography to cinema http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/11/yvonne-rainer-chantal-pontbriand/ Wed, 26 Nov 2014 09:43:16 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=19824 Chantal Pontbriand, curator of the Yvonne Rainer Project, interviews the artist and asks her about dance, film, politics, photography, multidisciplinarity and the new work she’s preparing for an upcoming show at the MoMA in New York

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The Jeu de Paume currently presents a retrospective of Yvonne Rainer’s cinema; including her seven feature films and her five short films. On this occasion, the curator of the program Chantal Pontbriand interviews the artist and asks her about dance, film, politics, photography, multidisciplinarity and the new work she’s preparing for an upcoming show at the MoMA in New York. By explaining her shift from choreography towards cinema in 1972 and how she returned to choreography in 1996, Yvonne Rainer comments on her films and on herself being a “walking example of interdisciplinarity”.

Liens

“The Yvonne Rainer Project. De la chorégraphie au cinéma”, jusqu’au 30 novembre 2014
La sélection de la librairie
Entretien avec Yvonne Rainer pour The Museum of Modern Art Oral History Program

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Meeting Point  #7: Shelley Rice & Chantal Pontbriand http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/09/meeting-point-7-shelley-rice-chantal-pontbriand-yvonne-rainer/ Mon, 01 Sep 2014 07:47:58 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=19218 Shelley Rice talks with Chantal Pontbriand, about her professional career in the art world, from her debut as a founder of the magazine “Parachute”, until now, as she prepares “The Yvonne Rainer Project”.

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Shelley Rice talks with Chantal Pontbriand, about her youth and her professional career in the art world, from her debut as a founder of the magazine “Parachute”, until now, as she prepares “Live of Performers“, an exhibition at La Ferme du Buisson and “The Yvonne Rainer Project”, a series of screenings devoted to Yvonne Rainer at Jeu de Paume, Paris.

In this Meeting Point, Chantal Pontbriand explains the reasons which led her to get involved in performance art, which she considers an attitude, a way of working, not an artistic subgenre. With Shelley Rice, they evoke the socio-political context of the 1960s and 1970s in Montreal, opening the city to the world, the development of the market that marked the art world at that time. The review « Parachute » and the festival “New Dance” that she produced were true events, which carried reflexion on human exchanges throughout the world, on communities and politics, on the place the body could occupy in art. Then, as a curator, she has always paid great attention to the scenography, as a kind of choreography, questionning how one could move and get physically involved inside the exhibition space… Her “Yvonne Rainer Project” at the Jeu de Paume and La Ferme du Buisson certainly came from her desire to reactivate the issues related to performance today and to reassess its meaning inside art.

“Art is a tool to exercise our minds, that can lead to political reinvention”. 
Chantal Pontbriand, 2014

Trio A (The Mind Is a Muscle, Part I), (1966), Yvonne Rainer. Performed by Yvonne Rainer in 1978. 10 min., 7 sec. © Yvonne Rainer


Chantal Pontbriand, curator and critic, is the founding director of PARACHUTE, a contemporary art magazine, for which she conducted 125 numbers between 1975 and 2007. Her work focuses on issues of globalization and cultural hybridity. She has curated numerous international events, exhibitions, festivals and conferences, mainly in the fields of performance, multimedia installation, video and photography. From 1982 to 2003, she led the FIND (Festival international de nouvelle danse) in Montreal. In 2010, she was appointed Head of Exhibition Research and Development at Tate Modern, London. She is currently Associate Professor at the Sorbonne / Paris IV in curatorial studies and founding director of PONTBRIAND WORKS [We_Others and Myself_Research_Knowledge_Systems], which gathers her activities. In 2013, she received the General Governor of Canada Award for her exceptional contribution to the visual and media arts.

Shelley Rice is an Arts Professor at New York University, with a joint appointment between the Department of Photography and Imaging and the Department of Art History. A historian and critic of photography and multi-media art, a curator and journalist whose columns have appeared in The Village Voice, The Soho Weekly News and Artforum, her books include Parisian Views, Inverted Odysseys: Claude Cahun, Maya Deren, Cindy Sherman, The Book of 101 Books (ed. Andrew Roth) and monographs on contemporary artists like Vik Muniz: Obras Incompletas, Candida Hofer: In Portugal (with José Saramago) and, most recently, Xing Danwen to be published in 2014 by Prestel. A Guggenheim, Fulbright and Hasselblad Fellow, winner of the PEN/Jerard Award for Non-Fiction essay, Rice was named a Chevalier in the Order of Arts and Letters in France in 2010. She served as Invited Blogger for the online magazine of the Jeu de Paume Museum in 2012, and is currently the NYU Remarque Fellow and an Invited Professor in the Department of History at the Ecole Normale Supérieure in Paris.

Screenings “The Yvonne Rainer Project” at the Jeu de Paume
Exhibition “Lives of Performers” at La Ferme du Buisson
Yvonne Rainer: Dances and Films, a multimedia portfolio by the Getty Research Institute

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Devenir Graine avec Magali Daniaux & Cédric Pigot http://lemagazine.jeudepaume.org/2014/08/devenir-graine-avec-magali-daniaux-cedric-pigot/ Tue, 12 Aug 2014 16:04:42 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=19296 Le duo d’artistes français présente ici l’œuvre-projet qu’ils ont développée pour l’espace de création en ligne du Jeu de Paume. « Devenir Graine » est une plateforme multimédia interactive, qui associe poésie, fiction, documentaire, interviews, performance…

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Le duo d’artistes français présente ici l’œuvre-projet qu’ils ont développée pour l’espace de création en ligne du Jeu de Paume. « Devenir Graine » est une plateforme multimédia interactive, qui associe poésie, fiction, documentaire, interviews, performance… autant de contenus que Magali Daniaux et Cédric Pigot ont rassemblé et créé après trois ans de recherches et de rencontres à Kirkenes, petite ville du Nord de la Norvège et point stratégique sur la mer de Barents, ainsi que sur l’archipel de Svalbard, à l’intérieur du cercle arctique. Partant du Global Seed Vault, une banque de graines unique au monde, où est conservé un double de toutes les graines de cultures vivrières dispersées dans d’autres « coffres-forts » à travers le globe, les artistes proposent sur le web un univers poétique et prospectif qui, à la lumière de ce rapport entre l’homme et la plante, interroge le devenir de l’humain dans un environnement biologique, économique et politique incertain.

Nés respectivement en 1976 et 1966, Magali Daniaux et Cédric Pigot résident et travaillent à Paris. Depuis leur rencontre, il y a dix ans, leur œuvre est marquée du double sceau de l’expérimentation et de la performance. Leurs pièces mêlent des médias divers et associent des registres opposés, avec une prédilection pour les correspondances entre science-fiction et documentaire, ingénierie de pointe et contes fantastiques. Aux installations et objets plastiques de leurs débuts se sont progressivement substitués des expérimentations et gestes artistiques plus immatériels. Vidéos, créations sonores, pièces musicales, poésie, recherches olfactives et projets virtuels ont formé, ces trois dernières années, un cycle d’oeuvres qui aborde le changement climatique, les questions économiques, politiques et géostratégiques, le développement urbain et enfin des problématiques liées au food management, à la marchandisation du vivant.

Liens

L’espace de création en ligne du Jeu de Paume
Daniaux & Pigot, site officiel
Créations radiophoniques / France Culture

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