En images – le magazine http://lemagazine.jeudepaume.org Wed, 09 Jun 2021 06:56:18 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=5.6.4 http://lemagazine.jeudepaume.org/wp-content/uploads/2015/12/logo-noir-couleur-disc-140x140.png En images – le magazine http://lemagazine.jeudepaume.org 32 32 L’impossible « sécurité » du monde http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/03/impossible-securite-du-monde/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/03/impossible-securite-du-monde/#respond Tue, 30 Mar 2021 09:40:23 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=36251 La vidéo Safe a été tournée en 2015 dans l’archipel du Svalbard, près du Pôle Nord, dans une zone administrée par la Norvège. Dans ce territoire reculé, atteignant des températures négatives extrêmes, sont conservées des semences, mises à l’abri de leur extinction de plus en plus souvent constatée dans les régions où elles sont habituellement cultivées. Ali Kazma nous révèle l’architecture qui abrite ces milliers de graines : un bloc de béton, dont la façade aiguisée semble sortir de terre. Sa caméra nous permet de pénétrer ce bunker, de parcourir les couloirs, de longer les murs et d’ouvrir les portes aux poignées gelées jusqu’à atteindre les étagères puis les bocaux contenant ce qui est nécessaire à notre survie en cas de catastrophes naturelles ou engendrées par l’homme.

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Safe ; Svalbard ; Ali KAzma ; Jeu de Paume ; vidéo ; conservation

Ali Kazma, Safe,
2015, série « Resistance »,
Vidéo HD, couleur, son, 3 min 18 s. Courtesy de l’artiste © Ali Kazma



Privilégiant le medium cinématographique et la vidéo dans sa pratique artistique, Ali Kazma documente un vaste champ des activités humaines : le monde industriel, technologique, administratif, à travers lequel il questionne les rapports des corps aux machines, et les gestes artisanaux et de création où le savoir-faire et la sensibilité ont toute leur place. Ses films, généralement courts, témoignent d’une approche méticuleuse de ses sujets. Ils restituent, de façon nécessairement fragmentaire mais précise, l’essence de ce qu’Ali Kazma a observé et traduisent la façon dont il explore l’environnement avec curiosité et sans idées préconçues plutôt que dans l’optique d’une démarche didactique. Seul pendant la durée du tournage, Ali Kazma souhaite perturber le moins possible le rythme de ce qu’il enregistre, en intervenant uniquement par les choix de cadrage, de point de vue, les prises de son et le montage.


Dans ses œuvres récentes, il offre un contrepoint à son « encyclopédie des activités humaines » en s’intéressant à des lieux qui révèlent les enjeux contemporains de l’humanité et la façon dont elle fait face aux bouleversements actuels et à venir. La vidéo Safe a été tournée en 2015 dans l’archipel du Svalbard, près du Pôle Nord, dans une zone administrée par la Norvège. Dans ce territoire reculé, atteignant des températures négatives extrêmes, sont conservées des semences, mises à l’abri de leur extinction de plus en plus souvent constatée dans les régions où elles sont habituellement cultivées. Ali Kazma nous révèle l’architecture qui abrite ces milliers de graines : un bloc de béton, dont la façade aiguisée semble sortir de terre. Sa caméra nous permet de pénétrer ce bunker, de parcourir les couloirs, de longer les murs et d’ouvrir les portes aux poignées gelées jusqu’à atteindre les étagères puis les bocaux contenant ce qui est nécessaire à notre survie en cas de catastrophes naturelles ou engendrées par l’homme. Ce trajet nous emmène au cœur même du paradoxe de ce type de lieu et dont le titre de la vidéo est un écho : « être en sécurité », se protéger de ce que l’on ne peut maîtriser, mais aussi des conséquences désastreuses des choix politiques, économiques et sociaux à l’échelle de la planète.


La sensation d’un temps figé et donc d’une conservation pérenne est troublée par l’un des seuls éléments mouvant du film : les remous de l’eau, donc de la matière glacée fondue, qui semble annoncer certaines difficultés que ce site pourrait rencontrer à l’avenir. En effet, le réchauffement climatique et le maintien des conditions adéquates est une préoccupation constante pour la sauvegarde de ce patrimoine agricole. Safe appartient à une série de films intitulée « Résistance », ce terme impliquant pour Ali Kazma une conscience aigüe de la complexité des situations, et une volonté d’accompagner, à travers ses films, cette réalité mouvante, en constante évolution qui nécessite un ajustement permanent du regard.



Cécile Tourneur



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La meule de foin de Thibaut Cuisset, entre peinture et photographie http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/03/cuisset/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/03/cuisset/#respond Mon, 22 Mar 2021 08:43:12 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=36232 Thibaut Cuisset arpentait et photographiait le territoire comme les artistes ont commencé à le faire au XIXe siècle. Comme les peintres et les premiers photographes, il marchait beaucoup, s’arrêtait, observait les paysages et les perspectives qui s’offraient à lui.

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Cuisset ; Loire ; campagne ; paysage ; Cézanne

Thibaut Cuisset, Canal de la Martinière, Loire-Atlantique, 2004. Courtesy galerie Les filles du Calvaire © ADAGP, Paris, 2020




Thibaut Cuisset arpentait et photographiait le territoire comme les artistes ont commencé à le faire au XIXe siècle. Comme les peintres et les premiers photographes, il marchait beaucoup, s’arrêtait, observait les paysages et les perspectives qui s’offraient à lui. Muni de sa chambre photographique, il méditait longuement avant de poser son trépied et de réaliser ses prises de vue. Il prenait le temps de regarder et de s’imprégner de ce qui l’environnait. Comme eux, il composait.

Cette meule de foin, solidement ancrée dans le paysage plat des bords de Loire rappelle la série que Claude Monet a réalisée sur ce motif en Normandie entre 1890 et 1891. Sous le pinceau du peintre, ces amas de foin ne sont plus que des formes géométriques qui, sous l’effet des variations de lumière et de l’atmosphère se dissolvent peu à peu pour ne devenir que pures couleurs et matières. Comme lui, Thibaut Cuisset entrait en campagne et se confrontait à son sujet. Attentif à la lumière, il recherchait avant tout à capter sa transparence et sa clarté. Il travaillait essentiellement par temps couvert de façon à obtenir une lumière homogène, sans ombres portées et sans contrastes trop forts. C’est pourquoi nous avons cette impression d’un paysage figé, intemporel et suspendu. Comme si la nature retenait son souffle. En ce sens, cette photographie est très proche des paysages de Cézanne que Cuisset admirait. La meule devient sculpturale. Elle domine le paysage. Le point de vue en légère contre-plongée ainsi que la présence de cette ligne d’horizon verte et bleue au centre de l’image, soulignée par la fine bande des arbres et du relief au loin, contribuent à l’ancrer fermement dans le sol et à lui conférer puissance et monumentalité. Comme Cézanne, il recherchait l’épure, le « concentré du lieu », synthétisait, allait à l’essentiel.

Mais cette image porte aussi en elle le souvenir de la meule de foin d’Henry Fox Talbot, réalisée en 1844. Pour ce scientifique et passionné de botanique qui regarda beaucoup la nature pour mettre au point ses premiers « dessins photogénés » puis la technique du calotype, la meule était un sujet idéal pour démontrer les qualités de la photographie. Comme il l’affirmait dans The Pencil of Nature [Le crayon de la nature] en 1844, sa nature et sa structure même lui permettaient de saisir et de restituer « toutes les nuances d’ombre et de lumière » dans leurs moindres détails. En réponse, Thibaut Cuisset a capté dans cette image d’une grande précision, toute une palette de nuances de couleurs. Et, comme Talbot s’attachant à représenter un sujet simple et familier de la nature, il a tenté de donner à voir, comme il le disait lui-même, ces lieux « qu’on ne regarde pas toujours, peut-être tout simplement parce qu’ils crèvent les yeux ».

Ce qui intéressait Thibaut Cuisset, c’était « d’aller fouiller dans le paysage ». Ainsi cette image, d’une désarmante simplicité, représente et incarne une part du paysage français et nous révèle en même temps le pouvoir qu’a la photographie de rendre visible ce qui est devenu invisible. Comme Cézanne, qui souhaitait faire de l’impressionnisme « un art solide et durable comme l’art des musées », la meule de Thibaut Cuisset revisite la peinture et s’impose à nous comme elle s’inscrit dans l’histoire de la photographie.



Ève Lepaon


L’œuvre de Thibaut Cuisset sera présentée au Jeu de Paume-Château de Tours à partir du 26 novembre 2021.




Thibaut Cuisset / librairie

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Dune mobile de Raoul Hausmann http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/03/raoul-hausmann/ Mon, 15 Mar 2021 15:49:26 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=36216 Raoul Hausmann, lors de ses séjours au bord de la mer, sur l'île de Sylt ou sur la Baltique, est fasciné par les dunes qui s'étendent à perte de vue. Ses photographies donnent à voir un paysage lunaire, intemporel, insituable et immaîtrisable.

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Raoul Hausmann, Dune mobile, septembre 1931 © Adagp, Paris 2021



Raoul Hausmann, lors de ses séjours au bord de la mer, sur l’île de Sylt ou sur la Baltique, est fasciné par les dunes qui s’étendent à perte de vue. Ses photographies donnent à voir un paysage lunaire, intemporel, insituable et immaîtrisable. Il oppose cette indétermination et l’espace de liberté qu’il offre à l’image d’un paysage figé ou idéalisé. La dune est une forme en constant mouvement, qui se déplace et se remodèle sans cesse. Les lignes et les courbes des dunes que photographie Raoul Hausmann sont le signe de leur mobilité, les ondes qui se dessinent à la surface du sable, la trace de l’énergie qui les anime. Il semble ici opposer la clarté et le mouvement du sable aux masses sombres des buissons. Raoul Hausmann photographie alors un phénomène bien connu : la disparition des dunes, leur recul vers les terres et l’avancée des arbres vers la mer. Il enregistre le combat métaphorique de deux armées enchevêtrées : celui des dunes et des arbres, celui du mouvement, de l’énergie et de la vie contre l’enracinement et la persistance. Il semble alors traduire visuellement les propos de Bergson dans L’Evolution créatrice : « Il n’y a pas de forme, puisque la forme est de l’immobile et que la réalité est mouvement. Ce qui est réel c’est le changement continuel de la forme : la forme n’est qu’un instantané pris sur une transition ». Dialectique encore une fois, du fixe et du mouvant, qui réunit ici les grains de sable et les sels d’argent et donne une forme poétique au contexte politique de l’époque.



Ève Lepaon



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Les Arbres d’Albert Renger-Patzsch http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/02/les-arbres-dalbert-renger-patzsch/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/02/les-arbres-dalbert-renger-patzsch/#respond Sat, 27 Feb 2021 19:49:36 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=36148 Cette photographie appartient à une série qu’Albert Renger-Patzsch réalise sur les arbres et qui donne lieu à la publication d’un livre intitulé Baüme [Arbres] en 1962. Si certaines images de forêts rappellent, par leur aspect répétitif, sa démarche des années 1920, une approche plus méditative se dessine ici.

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Albert Renger-Patzsch, Buchenwald [Forêt de hêtres], 1936. Albert Renger-Patzsch Archiv / Stiftung Ann und Jürgen Wilde, Pinakothek der Moderne, Munich © Albert Renger-Patzsch / Archiv Ann und Jürgen Wilde, Zülpich / ADAGP, Paris 2017



Cette photographie appartient à une série qu’Albert Renger-Patzsch réalise sur les arbres et qui donne lieu à la publication d’un livre intitulé Baüme [Arbres] en 1962. Si certaines images de forêts rappellent, par leur aspect répétitif, sa démarche des années 1920, une approche plus méditative se dessine ici. Les variations de lumière ainsi que la déclinaison d’un sujet au fil des saisons esquissent une réflexion nouvelle sur le temps. La nature devient un lieu de promenade et de contemplation, un refuge où Albert Renger-Patzsch puise son énergie. Dans ses représentations, elle paraît moins régulière, plus désordonnée, matérielle et organique. Elle exprime davantage sa subjectivité de marcheur et de photographe confronté à un sujet complexe qui nécessite l’abandon de ses principes premiers d’« objectivité ». La restitution sensorielle des atmosphères, l’aspect graphique de ces images dessinant des silhouettes solides ainsi que l’expression de la petitesse de l’homme face à la puissance de la nature confèrent à ces paysages une dimension métaphysique, très largement empreinte du romantisme de Caspar David Friedrich. Comme lui, le photographe s’attache à dépeindre une nature vierge de tout assaut humain et intemporelle. Dans une lettre à l’écrivain Ernst Jünger, auteur du texte qui accompagne ses photographies, il note qu’il avait songé à placer en exergue de son livre cette citation de Bernard de Clairvaux : « Tu trouveras davantage dans les forêts que dans les livres. Les arbres et les pierres t’apprendront ce qu’aucun maître ne te dira ».


Cécile Tourneur

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Van der Elsken : jazz http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/02/jazz/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/02/jazz/#respond Mon, 08 Feb 2021 14:04:19 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=36044 Le photographe Ed van der Elsken est un grand amateur de musique jazz. Entre 1955 et 1959, il photographie régulièrement les concerts qui ont lieu à Amsterdam.

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Ed van der Elsken, Chet Baker lors d’un concert au Concertgebouw, Amsterdam, 1955 (c. 1985), Nederlands Fotomuseum Rotterdam / © Ed van der Elsken / Ed van der Elsken Estate



Le photographe Ed van der Elsken est un grand amateur de musique jazz. Entre 1955 et 1959, il photographie régulièrement les concerts qui ont lieu à Amsterdam.

Alternant portraits en gros plan des musiciens, vues plus larges sur les orchestres et sur la ferveur du public, Van der Elsken tente de restituer visuellement l’intensité de cette musique. Il joue sur les cadrages et les différents points de vue, n’hésite pas à saisir l’énergie et le mouvement par le flou. Dans ses tirages, il accentue les contrastes et la présence du grain afin de leur conférer plus d’expressivité. Comme chez Robert Frank ou William Klein, le geste et l’acte photographique s’affirment clairement dans la construction des images. Ils participent d’une manière nouvelle d’envisager la pratique artistique dans les années 1950, davantage fondée sur la spontanéité et l’improvisation. Ed van der Elsken partage ainsi avec les musiciens de jazz qu’il photographie une maîtrise parfaite de son instrument lui permettant d’expérimenter avec une grande liberté.

La mise en page qu’il compose pour son livre Jazz en 1959 cherche en outre à traduire graphiquement les rythmes qui se combinent et s’entrechoquent. La succession des images donne à voir le rythme frénétique de la musique, la présence de blancs ménage des moments de silence et la diversité des formats suggère l’alternance des instruments joués en solo ou en chœur et produisent des échos sonores inédits.



Ève Lepaon





Ed van der Eslken, parcours en image
Ed van der Elsken / La vie folle
La sélection de la librairie

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« Speed of Life » http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/01/candy-darling-peter-hujar/ Fri, 29 Jan 2021 08:05:01 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=36024 Superstar warholienne, égérie de la Factory, Candy Darling, née James Lawrence Slattery, fut l’une des figures marquantes de la scène artistique new yorkaise des années 1960 et du début des années 1970. Muse des artistes et des musiciens underground, elle inspire Lou Reed à deux reprises : la chanson Candy Says raconte les difficultés d’une jeune femme transgenre à accepter son corps et son identité de naissance et le célèbre titre Walk on the Wild Side la met en scène parmi d’autres personnages hauts en couleur.

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Peter Hujar, Candy Darling on her Deathbed, 1973. Tirage gélatino-argentique, Collection Ronay and Richard Menschel © Peter Hujar Archive, LLC, courtesy Pace/MacGill Gallery, New York et Fraenkel Gallery, San Francisco



Superstar warholienne, égérie de la Factory, Candy Darling, née James Lawrence Slattery, fut l’une des figures marquantes de la scène artistique new yorkaise des années 1960 et du début des années 1970. Muse des artistes et des musiciens underground, elle inspire Lou Reed à deux reprises : la chanson Candy Says raconte les difficultés d’une jeune femme transgenre à accepter son corps et son identité de naissance et le célèbre titre Walk on the Wild Side la met en scène parmi d’autres personnages hauts en couleur. Le corps, rêvé, fantasmé, transformé, source de plaisir et de souffrance est une des problématiques de sa vie et la cause de sa fin prématurée : une leucémie diagnostiquée avant ses trente ans lui laisse peu de chance de survie. Elle épouse alors l’art de la performance jusqu’au bout, transformant ses séjours à l’hôpital en actes d’une œuvre théâtrale dont elle est l’héroïne.


En témoigne ce portrait de Peter Hujar, photographe fréquentant assidument la scène artistique de l’East Village, qui se lie d’amitié avec Candy Darling et lui rend visite au Columbus Hospital en 1973. Hujar réalise l’une des dernières images de la jeune femme sur son lit d’hôpital, étrange persistance du glamour hollywoodien dans un décor macabre. Les cheveux blonds et la pose lascive côtoient un maquillage rappelant le visage des actrices du cinéma muet mais aussi un masque mortuaire. Les fleurs blanches se détachant sur un noir profond semblent être les dernières lueurs attachant Candy à la vie. Les contrastes extrêmes de cette photographie nous font presque oublier les éléments triviaux qui ramènent le spectateur à la cruelle réalité de la chambre d’hôpital, la tablette près du lit et l’éclairage blafard au néon. Hujar raconte que pour cette séance de prise de vue, Candy Darling joua « toutes les scènes de mort de tous les films. »


Actrice jusqu’au bout, elle incarne ce que Susan Sontag a théorisé sous le nom de Camp en 1964 : le jeu, l’opposé du sérieux, mais aussi une introspection de son moi profond, souvent hors des normes établies et acceptées par la société. Candy Darling on her Deathbed fut l’une des œuvres phare de la rétrospective consacrée au travail de Peter Hujar au Jeu de Paume en 2019, intitulée justement « Speed of Life », titre inspiré d’un autre univers musical proche, celui de David Bowie. De nombreux visiteurs furent aussi surpris de reconnaître, à travers cette photographie, la pochette du deuxième album d’Antony and the Johnsons, I am a Bird Now, sorti en 2005. La trajectoire de Candy Darling, digne d’un mélodrame hollywoodien, aussi fulgurante qu’étincelante, laisse derrière elle de longues traînées de paillettes.



Cécile Tourneur


Peter Hujar, Speed of Life
Peter Hujar / Librairie

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Le chant de Miriam Makeba http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/01/miriam-makeba/ Fri, 22 Jan 2021 20:11:07 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35968 L’installation intitulée Standing Here Wondering Which Way to Go réunit plusieurs œuvres de Zineb Sedira. Ce morceau de pellicule provient du film de William Klein, Le Festival panafricain d’Alger 1969. Tourné au moment de cet événement culturel et politique d’une ampleur inédite, le film constitue un document unique qui a beaucoup influencé Zineb Sedira.

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Zineb Sedira, Standing Here Wondering Which Way to Go, 2019. Installation en 4 scènes. Archives Cinémathèque d’Alger. Production : Jeu de Paume, IVAM, Museu Calouste Gulbenkian, Bildmuseet
© Adagp, Paris 2021



L’installation intitulée Standing Here Wondering Which Way to Go réunit plusieurs œuvres de Zineb Sedira. Ce morceau de pellicule provient du film de William Klein, Le Festival panafricain d’Alger 1969. Tourné au moment de cet événement culturel et politique d’une ampleur inédite, le film constitue un document unique qui a beaucoup influencé Zineb Sedira. Coordonné par l’Organisation de l’Unité Africaine et financé en grande partie par l’État algérien, le festival rassemble différents mouvements de libération provenant de toute l’Afrique, mais aussi d’Amérique latine et des États-Unis, notamment les Black Panthers, venus clamer leur volonté d’émancipation à Alger, devenue depuis 1962 « la Mecque des révolutionnaires ». Les organisateurs, comme le président de la République algérienne Houari Boumédiène, en sont convaincus : face à l’uniformisation induite par la colonisation et l’impérialisme, seule l’affirmation des cultures et de la diversité pourra constituer le fondement des révolutions à venir. Les délégations de chaque pays ou mouvement présentent des expositions, représentations théâtrales et performances de rue, mêlant danse, chants et musique. Le film restitue toute l’énergie et la frénésie de cet instant. Avec le titre We Have Come Back, Archie Shepp, figure afro-américaine du free jazz, accompagné pour l’occasion de musiciens algériens, puise dans les racines de la musique pour mieux traduire son combat culturel et politique. La militante sud-africaine Miriam Makeba, qui a joué dans le film de Lionel Rogosin Come Back Africa en 1959, chante contre l’Apartheid et pour les droits civiques aux États-Unis. Déchue de sa nationalité sud-africaine, elle se réfugie en Algérie, qui lui offre l’asile. Les infimes mouvements de son visage filmés par William Klein tout comme l’image de la bande-son courant sur le côté gauche de la pellicule et observés ici sous la loupe de Zineb Sedira, apparaissent encore aujourd’hui tels les soubresauts des révolutions des années 1960.

Ève Lepaon


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Le Mannequin sans visage d’Erwin Blumenfeld http://lemagazine.jeudepaume.org/2021/01/mannequin/ Fri, 08 Jan 2021 17:53:53 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35933 Erwin Blumenfeld réalise ses premières photographies de mode dès son installation à Paris en 1936. À la fin des années 1930, il collabore aux éditions françaises de Vogue et de Harper’s Bazaar. Suite à son exil aux États-Unis en 1941, il renoue avec le milieu de la mode et ouvre son premier studio à Central Park.

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Erwin Blumenfeld, Mode-Montage, vers 1950. Épreuve gélatino-argentique, tirage d’époque.
Collection Helaine et Yorick Blumenfeld © The Estate of Erwin Blumenfeld



Erwin Blumenfeld réalise ses premières photographies de mode dès son installation à Paris en 1936. À la fin des années 1930, il collabore aux éditions françaises de Vogue et de Harper’s Bazaar. Suite à son exil aux États-Unis en 1941, il renoue avec le milieu de la mode et des magazines et ouvre son premier studio à Central Park. Il y devient rapidement très célèbre. Il doit largement son succès à l’originalité de ses clichés et à l’audace des nombreuses couvertures qu’il compose pour Vogue, pour lesquelles il n’hésite pas à puiser dans ses expérimentations plastiques et photographiques d’avant-guerre. Les techniques de collage et de montage de sa période dada fusionnent alors avec ses travaux d’avant-garde autour de la lumière, des jeux optiques et de la mise en scène. Il est l’un des premiers à tirer parti de la couleur, à laquelle il donne un rôle à la fois expressif et structurel dans la composition de ses photographies. Son travail pour les magazines dans les années 1950 aux États-Unis lui permet, comme il le dit lui-même, de « faire entrer l’art en contrebande » et d’« infecter » le monde de ses images. Diffuser ces photographies est pour lui une façon d’« infiltrer » le milieu de la presse et de convertir les images convenues des couvertures de magazines en véritables œuvres d’art accessibles à tous.


Pour Erwin Blumenfeld, c’est aussi et avant tout une manière de continuer de subvertir le regard de leurs lecteurs. Mode-Montage témoigne d’un regard acéré sur le monde de la mode et la société de consommation naissante. Face à cette silhouette féminine encombrée de paquets et dépourvue de visage qui se détache sur un décor artificiel de rue newyorkaise, nous ne savons plus si nous regardons un mannequin dans une vitrine de magasin ou une figure bien réelle mais désincarnée et dénuée de toute personnalité. L’originalité de cette composition prouve bien qu’Erwin Blumenfeld reste fidèle, en dépit d’un succès international, à son esprit contestataire et dadaïste en continuant à porter un regard critique sur la société contemporaine. Ce corps de femme, dont seules les jambes gainées de bas semblent réelles – sans doute pour mieux suggérer la vélocité frénétique de la newyorkaise moderne comme l’indique aussi le dessin sur un des paquets – n’en demeure pas moins perçu et représenté en tant qu’objet. Cette image, si critique soit-elle, sacrifie aussi au cliché féminin. Ce montage inédit semble ainsi témoigner de la situation complexe dans laquelle se retrouve Erwin Blumenfeld après la guerre : s’il reste toujours empreint des combats politiques qu’il a mené durant la première partie du siècle, l’artiste met dès lors son art et ses expérimentations au service d’une société capitaliste qui n’hésite pas à user des stéréotypes pour accroître la consommation et relancer l’économie.



Ève Lepaon



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Les mannequins de Germaine Krull http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/12/krull/ Mon, 21 Dec 2020 14:10:48 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35880 Ces mannequins stylisés, semblent offrir une chorégraphie de cabaret à un public absent. Leurs chaussures à talon et l’allure maniérée de leurs postures paraissent inadaptées à leurs silhouettes humanoïdes qui évoquent le robot du film Metropolis de Fritz Lang tourné l’année précédente.

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Germaine Krull

Germaine Krull, “étalage : les mannequins”, 1928. Amsab-Institut d’Histoire Sociale, Gand © Estate Germaine Krull, Museum Folkwang, Essen



Bien que Germaine Krull ne fréquente pas du tout les cercles surréalistes, certains de ses clichés se rapprochent, par leur sensibilité ou leur sujet, de ce courant essentiel de la vie artistique parisienne de la fin des années 1920. En effet, à l’instar des surréalistes, Germaine Krull voue une certaine fascination aux vitrines des magasins et aux mises en scène improbables qui peuvent y surgir. Ici, ces mannequins stylisés, semblent offrir une chorégraphie de cabaret à un public absent. Leurs chaussures à talon et l’allure maniérée de leurs postures paraissent inadaptées à leurs silhouettes humanoïdes qui évoquent le robot du film Metropolis de Fritz Lang tourné l’année précédente. Insatiable observatrice du quotidien, Germaine Krull s’émerveille des incongruités et des rencontres fortuites que la photographie participe à révéler. Usant d’un cadrage qui contribue à décontextualiser le sujet et jouant souvent de l’automatisme de l’appareil, elle s’avère proche d’une forme de surréalisme qui cherche à dévoiler, à travers les images, la manière dont le monde moderne fait cohabiter les contraires.



Ève Lepaon



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À table avec Gordon Matta-Clark ! http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/12/food/ Wed, 16 Dec 2020 21:07:03 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35784 Le 25 septembre 1971, à l’angle de Prince Street et Wooster Street dans le quartier new yorkais de SoHo, l’artiste Gordon Matta-Clark et la photographe et danseuse Carol Goodden ouvrent le restaurant Food, conçu comme un soutien à la communauté artistique de Manhattan.

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Le 25 septembre 1971, à l’angle de Prince Street et Wooster Street dans le quartier new yorkais de SoHo, l’artiste Gordon Matta-Clark et la photographe et danseuse Carol Goodden ouvrent le restaurant Food, conçu comme un soutien à la communauté artistique de Manhattan. Dans l’esprit de Fluxus, militant pour s’affranchir des contraintes commerciales du marché de l’art et prônant l’absence de séparation entre l’acte de création et la vie, Food est un lieu de discussions, d’échanges, permettant aussi aux artistes de travailler quelques heures et/ou de se nourrir pour quelques dollars.

Œuvre à part entière, tout est prétexte, au sein de ce restaurant singulier, à une performance : des menus conçus par des artistes les dimanches (Robert Rauschenberg et Yvonne Rainer se sont prêtés au jeu) aux films et photographies documentant la préparation des repas et les services. Certains convives sont repartis avec les fameux « Matta Bones », restes d’une recette de queue de bœuf cuisinée par Matta-Clark et montés en collier, exemple parmi d’autres de la transformation de la consommation en acte de création et de partage. Ces caractéristiques se retrouvent jusque dans la conception spatiale du lieu, en témoigne la cuisine ouverte sur la salle, meublée et décorée par les deux artistes.

Food s’inscrit également dans la lignée de nombreuses œuvres et actions précédentes de Matta-Clark, comme le Garbage Wall (1970) ou Jacks (1971) : ces assemblages de matériaux disparates sont destinés à fournir des abris aux sans-logis et s’inspirent des pratiques de constructions urbaines de survie, en marge et contre la politique immobilière visant à raser les habitations des anciens quartiers pour les remplacer par des buildings inabordables. L’art est pour Matta-Clark un vecteur de transformation sociale et Food, ouvert à tous les habitants d’un quartier abandonné par les pouvoirs publics, vise à proposer, par le fait de pouvoir se nourrir et nourrir les autres, une solution alternative aux inégalités et aux difficultés rencontrées par la population locale pour subvenir à ses besoins.

Cécile Tourneur


Voir Food : Ubuweb
Gordon Matta-Clark, Anarchitecte
L’exposition Gordon Matta-Clark

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L’Amsterdam polychrome d’Ed van der Elsken http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/12/amsterdam/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/12/amsterdam/#respond Wed, 16 Dec 2020 15:00:49 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35777 Ed van der Elsken a photographié Amsterdam, sa ville natale, pendant plus de trente ans. Dès le début des années 1950, la photographie de rue en noir et blanc laisse progressivement place dans sa pratique à la photographie couleur, qui est pourtant largement dénigrée à cette époque. En effet, elle est alors considérée comme triviale et souvent associée à l’imagerie publicitaire. Ce parti pris traduit le peu de cas qu’il pouvait faire des normes et des conventions.

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Ed van der Elsken, Beethovenstraat, Amsterdam, 1967. Nederlands Fotomuseum Rotterdam © Ed van der Elsken / Ed van der Elsken Estate, courtesy Annet Gelink Gallery



Ed van der Elsken a photographié Amsterdam, sa ville natale, pendant plus de trente ans. Dès le début des années 1950, la photographie de rue en noir et blanc laisse progressivement place dans sa pratique à la photographie couleur, qui est pourtant largement dénigrée à cette époque. En effet, elle est alors considérée comme triviale et souvent associée à l’imagerie publicitaire. Ce parti pris traduit le peu de cas qu’il pouvait faire des normes et des conventions.

Lors de ses déambulations dans les rues d’Amsterdam, il manifeste un intérêt particulier pour la polychromie de la ville moderne et les personnes dont il peut exacerber l’apparence vestimentaire par le procédé couleur. La photographie de ces trois femmes saisies dans l’élan de leur marche en témoigne : elles semblent s’affranchir d’un même pas, par le port de la mini-jupe, des codes conservateurs qui régissent encore les Pays Bas. Véritable révolution dans le monde de la mode et symbole incontournable de l’émancipation de la femme dans les années 1960, ce vêtement, créé en Angleterre par Mary Quant, a été adopté massivement dans les sociétés occidentales jusqu’à gagner, non sans difficultés, les collections de haute couture.

Van der Elsken met en valeur cette liberté nouvelle à travers ses prises de vue qui s’apparentent souvent à un jeu : il se dissimule, suit ses sujets et finit souvent par les interpeller afin de détourner leur regard vers l’objectif. Deux des trois femmes de cette photographie se tournent vers lui et semblent amusées par sa harangue. Ses modèles se trouvent ainsi souvent piégés entre une attitude naturelle et celle adoptée plus ou moins consciemment face à l’appareil photographique. La rencontre a lieu : ce point de contact semble chez Van der Elsken au moins aussi importante que le cliché obtenu.



Cécile Tourneur



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Martin Parr, ironie d’un repas de charité http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/12/martin-parr-ironie-dun-repas-de-charite/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/12/martin-parr-ironie-dun-repas-de-charite/#respond Mon, 14 Dec 2020 08:29:51 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35762 Cette image fait partie de la série que Martin Parr a consacré au luxe à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Après s’être intéressé au monde ouvrier et à aux classes populaires dans les années 1970-1980, il entame, en effet, au début des années 1990, une réflexion sur le consumérisme et ses effets à l’ère Thatcher.

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Martin Parr, Vente de charité à Hollywood.De la série « Luxury » © Martin Parr, Magnum Photos



Cette image fait partie de la série que Martin Parr a consacré au luxe à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Après s’être intéressé au monde ouvrier et aux classes populaires dans les années 1970-1980, il entame, en effet, au début des années 1990, une réflexion sur le consumérisme et ses effets à l’ère Thatcher. Cette première étape l’amène progressivement à documenter la richesse, iconographie beaucoup moins présente que celle de la pauvreté dans l’histoire de la photographie sociale mais néanmoins tout aussi nécessaire. Il se focalise alors sur la jet set internationale, ses événements mondains et ses rites : soirées, cocktails, défilés de mode, foires d’art, ventes de produits de luxe, courses hippiques et opérations caritatives.

Cette scène se passe à Hollywood, temple de l’argent et des célébrités, à l’occasion d’une vente de charité. L’attitude de ces bienfaiteurs que parvient à capter Martin Parr n’est pas sans ambiguïté. Leurs gestes semblent déplacés et contredire ironiquement la raison même de leur présence à cette manifestation : offrir aux plus démunis les moyens de se nourrir et de subvenir à leurs besoins. Les corps sont tendus autour de la nourriture. Les bouches s’ouvrent et se ferment, engloutissant frénétiquement des beignets préparés pour l’occasion. Les mains enserrent des piques lourdement chargés et des verres bien remplis, ou agrippent fermement leurs effets personnels. La scène peut rappeler l’enchevêtrement des corps et de la nourriture représenté dans les tableaux d’orgies flamandes du XVIIe siècle. Pourtant, nous sommes en Californie, en l’an 2000. Chacun a revêtu sa plus belle tenue et arbore ostensiblement ses plus beaux atours : bijoux, châles, smoking, nœud papillon et lunettes noires. Il y a, dans cette image, quelque chose d’une scène de prédation. La brillance sombre de leurs mises évoque presque le plumage funeste de certains rapaces. Le moment suspendu trouble notre perception : ces personnes sont-elles en train d’avaler ou de régurgiter la nourriture ?

Si la nourriture est centrale dans le travail de Martin Parr, c’est parce qu’elle est au cœur des enjeux sociaux contemporains qu’il tente de documenter. Consommation de masse, junk food, produit de luxe, la nourriture incarne les différences sociales. L’usage du gros plan qui donne à voir les matières, le travail de la couleur, du cadrage et l’art de la composition, si caractéristiques de Martin Parr, mettent en avant avec humour et sans concession les tensions qui traversent la société. En ce sens une telle image se révèle tout à fait emblématique de la période qui a précédé la crise de 2008. Telle une version contemporaine des Romains de la décadence de Thomas Couture représentant au XIXe siècle les fastes de l’Antiquité tardive qui ont précipité la chute de Rome, cette image nous rappelle cyniquement, au tournant du XXIe siècle, que la nourriture est un luxe et demeure un enjeu de pouvoir.



Ève Lepaon





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Inquiétante étrangeté d’une surface gélatineuse http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/11/michael-schmidt/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/11/michael-schmidt/#respond Wed, 25 Nov 2020 17:26:05 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35652 Entre 2006 et 2010, Michael Schmidt réalise un projet photographique autour de la nourriture et de la consommation. Lebensmittel [Denrées alimentaires] est à la fois un livre et une installation qui rassemble 177 photographies prises dans différents pays européens : Allemagne, Norvège, Pays-Bas, Autriche, Italie et Espagne.

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Michael Schmidt ; consommation ; animal ; lebensmittel ; nourriture ; industrie agroalimentaire

Michael Schmidt, Sans titre (série Lebensmittel), 2006-2010 © Foundation for Photography and Media Art et the Michael Schmidt Archive




Entre 2006 et 2010, Michael Schmidt réalise un projet photographique autour de la nourriture et de la consommation. Lebensmittel [Denrées alimentaires] est à la fois un livre et une installation qui rassemble 177 photographies prises dans différents pays européens : Allemagne, Norvège, Pays-Bas, Autriche, Italie et Espagne. Alternant photographies noir et blanc et couleur, vues générales et gros plans, l’ensemble dresse un portrait de l’alimentation contemporaine. Fermes, exploitations maraîchères, élevages industriels, abattoirs, usines agroalimentaires, la série donne à voir la production, le calibrage et les transformations des denrées alimentaires. L’usage de la couleur met en avant l’utilisation de colorants de synthèse, exacerbe la brillance des emballages en plastique et modifie parfois l’aspect des produits jusqu’à les rendre méconnaissables ou abstraits.

Ce travail n’est pas sans rappeler la série Common Sense que Martin Parr a consacré à la fin des années 1990 à la consommation de masse et à son corollaire, la production de déchets. Celle-ci se décline également sous la forme d’un livre et d’une installation qui matérialise particulièrement bien l’idée d’accumulation. Plus froide et moins spectaculaire, la série de Michael Schmidt n’en interroge pas moins les pratiques de la production alimentaire contemporaine et ses dérives : massification, standardisation, normalisation, conditionnement et transport à outrance. L’agencement de la série par fragments restitue visuellement la discontinuité de la chaîne de production mais aussi les procédés intensifs de découpe et de fractionnement, largement employés dans ce secteur et qui agissent tant sur la qualité des aliments que sur les corps de ceux qui les travaillent et les ingèrent. En nous donnant à voir et à réfléchir autant sur les principes de composition que de décomposition de la matière, l’ensemble agit à la façon d’une vanité contemporaine.

Encore une fois, ce sont avant tout les processus de transformation qui intéressent Michael Schmidt. Ainsi apparaissent ces tranches de jambon de porc industriel à la surface parfaitement lisse et homogène, séparées les unes des autres par de fins films plastiques tout aussi uniformes, empaquetées, comprimées et suintantes sous l’opercule transparent d’une barquette synthétique bleu azur, découpées et colorées artificiellement de façon à suggérer l’image d’un ourson rose souriant et à rendre, sans doute, cet aliment commun et insipide plus attrayant et ludique. La forte présence des ombres portées donne pourtant à ces oursons un caractère plus inquiétant que véritablement appétissant. Plus rien de naturel ici : tout de la matière première, qu’elle soit animale ou pétrolifère, semble avoir été modifié voire nié pour satisfaire aux besoins d’une consommation toujours plus rapide et efficiente. Dans une frontalité analogue à celle des tranches de jambon dans les rayonnages, Michael Schmidt semble comparer avec humour la matière gélatineuse, miroitante, froide et chimique de ces surfaces comestibles (mais sans doute indigestes) à ses propres tirages photographiques.



Ève Lepaon






Exposition « Michael Schmidt. Photographies 1965-2014 »
Catalogue Michael Schmidt

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Réminiscences d’une vie militante. http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/11/militant/ Wed, 18 Nov 2020 14:47:39 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35626

Sur ce photogramme issu du film Confessions d’un jeune militant de Florence Lazar, réalisé en 2008, deux mains s’échangent un livre. L’une, plus jeune, à gauche, tend le livre à celle qui semble plus âgée, à droite. Elles forment une ligne horizontale au milieu du cadre qui est celle, dans cette œuvre, du lien et de la transmission.

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Florence Lazar, Confessions d’un jeune militant (screenshot), 2008. Vidéo, production Fort du Bruissin, Francheville avec le soutien du Cnap, Paris.



Sur ce photogramme issu du film Confessions d’un jeune militant de Florence Lazar, réalisé en 2008, deux mains s’échangent un livre. L’une, plus jeune, à gauche, tend le livre à celle qui semble plus âgée, à droite. Elles forment une ligne horizontale au milieu du cadre qui est celle, dans cette œuvre, du lien et de la transmission.

Le titre du livre échangé est Le Tournant obscur, écrit par le révolutionnaire Serge Victor et publié en 1951 à titre posthume. Proche de Trotski, Serge Victor était l’un des plus virulents critique du stalinisme. Cet écrit, parmi bien d’autres, est évoqué dans le film par le père de Florence Lazar, l’homme à droite, dont elle réalise le portrait par l’intermédiaire de sa bibliothèque. Un adolescent (le fils de l’artiste, à gauche) apporte un à un les livres posés au sol à l’homme âgé, selon sa demande. Ils lui servent d’aide-mémoire pour raconter la formation de sa pensée politique. Le « jeune militant » du titre, c’est lui, mais il s’agit aussi d’une référence à la publication s’intitulant Jeune Militant, Bulletin d’information des jeunes socialistes dont la lecture fut déterminante dans son parcours. Si l’élocution est parfois hésitante, le fil de son discours est tenu par la succession d’ouvrages qu’il manipule et qu’il accompagne de commentaires politiques aussi techniques que précis.

La saisie des livres réactive la pensée, les objets redeviennent eux-mêmes vivants à son contact, nous plongeant dans un contexte, une époque, un foisonnement d’idées oubliées des générations suivantes. Si le jeune garçon qui forme avec lui ce duo dégage une nonchalance propre à l’adolescence, il tente de servir au mieux son grand-père. Florence Lazar, le troisième maillon de cette transmission générationnelle, à l’origine du projet bien qu’absente du cadre, trouve aujourd’hui, avec le recul de l’adulte, une forme pour restituer l’histoire politique et personnelle de son père, mêlant littérature, parole et cinéma.



Cécile Tourneur




À propos de l’exposition
Catalogue : Florence Lazar, Tu crois que la terre est chose morte, Ed. Jeu de Paume, Paris, 2019

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Bouchra Khalili : The Tempest Society http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/11/bouchra-khalili/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/11/bouchra-khalili/#respond Fri, 13 Nov 2020 13:28:41 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35602 « Sur ce tableau noir, des noms ont été écrits, des étoiles dessinées, une constellation s’est formée qui porte le nom d’« Égalité ». Nous pouvons lire au centre, Al Assifa [la tempête], nom du collectif théâtral fondé en 1973 par Philippe Tancelin, Geneviève Clancy et Mohamed Bachiri – dit Mokhtar – militants pour le droit des travailleurs immigrés en France »

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Bouchra Khalili ; blackboard ; pouvoir ; Histoire

Bouchra Khalili, The Tempest Society, 2017, vidéo. Courtesy Bouchra Khalili et Galerie Polaris, Paris © Bouchra Khalili / ADAGP, Paris, 2018




Sur ce tableau noir, des noms ont été écrits, des étoiles dessinées, une constellation s’est formée qui porte le nom d’« Égalité ». Nous pouvons lire au centre, Al Assifa [la tempête], nom du collectif théâtral fondé en 1973 par Mohamed Bachiri – dit Mokhtar –, membre du Mouvement des Travailleurs Arabes, accompagné de Philippe Tancelin et Geneviève Clancy, militants pour le droit des travailleurs immigrés en France. Théâtre de la parole, théâtre-journal qui se modifie en fonction des faits d’actualités passés sous silence, leur but est de témoigner, avec et pour les travailleurs, des conditions de vie en France. Si l’écriture est collective et mouvante, les titres de leurs créations résonnent encore aujourd’hui, comme Ça travaille, ça travaille et ça ferme sa gueule. Sur cette image, extraite de The Tempest Society (2017), film de l’artiste franco-marocaine Bouchra Khalili, ce tumulte est le point de départ et d’ancrage qui lie dans sa diagonale les extrémités de la constellation portant le nom « Syntagma », place d’Athènes où ont eu lieu d’importants rassemblements pour défendre la démocratie entre 2011 et 2015. Puis Ghani, Gazmend, Katerina, Elias, Malek… autant de prénoms et de traces de « la lutte ici et ailleurs, hier et aujourd’hui » pour reprendre les paroles d’Isavella, une des voix de ce film situé dans la Grèce contemporaine.

Dans cette œuvre, les histoires des personnes filmées et leurs trajectoires au-delà des frontières se croisent et dialoguent entre elles. Bouchra Khalili questionne la possibilité d’en faire le récit et de le transmettre. Ce « blackboard » sur lequel écrivent à plusieurs mains les protagonistes de ce film est une façon d’y répondre. Il renvoie au cadre de l’image cinématographique et porte en lui les mots de Jean-Luc Godard et Jean-Pierre Gorin, alors membres du groupe « Dziga Vertov », prononcés dans un amphithéâtre lors de leur venue à l’Université de Yale en avril 1970 : « le tableau noir qu’il [Godard] désigne n’est pas celui du savoir comme pouvoir, c’est celui d’une pédagogie des marges, qui doit circuler en contrebande » (Bouchra Khalili). Ce lieu de l’inscription, de la réflexion et de l’action collective peut émerger et être activé partout, à l’image des représentations de la troupe Al Assifa, dans les rues, les usines, les foyers de travailleurs. Lorsque le film se finit, lorsque les voix s’éteignent, reste le souffle de la tempête dehors qui débute et clôt The Tempest Society, écho des luttes passées et garant de celles à venir.



Cécile Tourneur




Portrait filmé de l’artiste
Catalogue Bouchra Khalili, Blackboard,Ed. Jeu de Paume, Paris, 2018

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Gordon Matta-Clark : graffitis http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/11/gordon-matta-clark-graffitis/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/11/gordon-matta-clark-graffitis/#respond Fri, 06 Nov 2020 16:17:42 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35541 Gordon Matta-Clark (1943-1978) se forme à l'architecture à l'université Cornell d'Ithaca, dans l’État de New York (États-Unis), avant d’en réévaluer les principes, les formes et leurs conséquences sur la vie quotidienne des habitants. Influencé par les réflexions des artistes du Land Art autour des notions d'espace et d'entropie qu'il découvre dans l'exposition « Earth Art » en 1969, Matta-Clark décide de consacrer son travail non pas à ce qui est construit, mais à ce qui est détruit, se défait et disparaît.

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Gordon Matta-Clark, Graffiti: Leon, 1973. Courtesy The Estate of Gordon Matta-Clark et David Zwirner, New York / Londres / Hong Kong. © 2018 The Estate of Gordon Matta-Clark / ADAGP, Paris



Gordon Matta-Clark (1943-1978) se forme à l’architecture à l’université Cornell d’Ithaca, dans l’État de New York (États-Unis), avant d’en réévaluer les principes, les formes et leurs conséquences sur la vie quotidienne des habitants. Influencé par les réflexions des artistes du Land Art autour des notions d’espace et d’entropie qu’il découvre dans l’exposition « Earth Art » en 1969, Matta-Clark décide de consacrer son travail non pas à ce qui est construit, mais à ce qui est détruit, se défait et disparaît. À l’architecte, il oppose l’« anarchitecte », concept qui traduit bien cette démarche. Ses premières œuvres se concentrent sur les murs, intérieurs et extérieurs, ce qui s’y exprime de la vie des occupants des lieux, présents ou passés, et aux traces qui persistent. Il est un des premiers à s’intéresser au phénomène des graffitis à New York au début des années 1970. Comme Brassaï dans le Paris des années 1930, Matta-Clark photographie les inscriptions et les signes sur les parois du Bronx alors en pleine mutation. Sa démarche revêt un caractère social : inventorier les manifestations silencieuses des populations du quartier qui clament à travers leurs noms ou leurs avatars, leur présence et leur désir de s’approprier une partie de l’espace public. Ces photographies prises en noir et blanc puis colorisées à la main mettent aussi en avant la dimension esthétique de ces graffitis et l’inventivité de leurs tracés. En enregistrant ces traces considérées comme du vandalisme et donc vouées à disparaître, Gordon Matta-Clark interroge leur statut autant que leurs formes et prolonge leur durée de vie. Ses images donnent à voir la façon dont le mur, investi par le langage, matérialise le récit souvent invisible d’un quartier populaire écrit à plusieurs voix.

Ève Lepaon



Catalogue de l’exposition Gordon Matta-Clark, Anarchitecte, Ed. Jeu de Paume, Paris, 2018

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Susan Sontag, image de la pensée http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/10/susan-sontag-image-de-la-pensee/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/10/susan-sontag-image-de-la-pensee/#respond Wed, 28 Oct 2020 09:43:38 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35529 Peter Hujar a composé un portrait saisissant du milieu artistique et intellectuel newyorkais des années 1960 à 1980. Dès les années 1950, sa professeure d’anglais à la School of Industrial Arts, Daisy Aldan, également poète et traductrice de Baudelaire, l’initie à la littérature.

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Peter Hujar, Susan Sontag, 1975, tirage gélatino-argentique, The Morgan Library & Museum , achat en 2013 grâce au Charina Endowment Fund © Peter Hujar Archive, LLC, courtesy Pace/MacGill Gallery, New York and Fraenkel Gallery, San Francisco

Peter Hujar a composé un portrait saisissant du milieu artistique et intellectuel newyorkais des années 1960 à 1980. Dès les années 1950, sa professeure d’anglais à la School of Industrial Arts, Daisy Aldan, également poète et traductrice de Baudelaire, l’initie à la littérature. Ses liens avec la Factory d’Andy Warhol et le milieu underground, l’amènent à entrer en contact avec les auteurs de la Beat Generation comme Allen Ginsberg et William Burroughs. Fasciné par le portrait de la bohème artistique parisienne que Nadar a dressé au milieu du XIXe siècle, Peter Hujar tente de le transposer dans le New York contemporain. Il réalise leur portrait en 1975 et tente de capter, à travers le recours à la posture allongée, l’image de leur réflexion.

 

Il compose ce portrait de Susan Sontag la même année. Figure majeure de la littérature et de la pensée d’avant-garde américaine, proche de Peter Hujar, Susan Sontag rédige alors la préface de son livre, Portraits in Life and Death, qui sera publié l’année suivante. Dans ce livre, Peter Hujar associe des prises de vue dans les catacombes de Palerme à des portraits de la bohème newyorkaise. Réunies par la posture étendue et une même impression de temps inéluctablement figé, ces images donnent à Susan Sontag une nouvelle occasion d’écrire sur la photographie. Auteure d’une série d’essais intitulée Sur la photographie à partir de 1973, Susan Sontag y évoquait déjà l’idée d’un visage « embaumé dans l’image fixe », à propos du portrait photographique. Pour elle, comme pour Peter Hujar, « ce lien entre la photographie et la mort hante toute la photo de portrait ». 

 

Le portrait de Susan Sontag fait lui-même partie de ce mélancolique ensemble. Comme le dit Peter Hujar, « tous les personnages du livre sont censés venir de l’underground – du royaume des Enfers ». Tous appartiennent au monde souterrain, au domaine de l’invisible qui caractérise bien souvent les marges. Susan Sontag s’est beaucoup intéressée à la question de la visibilité, en particulier à travers ses Notes on Camp, concept de théâtralité sociale qu’elle a forgé en 1964 et qui est en grande partie inspiré de la vie de Peter Hujar. Comment donner à voir l’invisible ? Comment figurer l’intériorité ? À travers cette image, où l’écrivaine et essayiste, allongée sur un lit, le regard perdu, est absorbée dans sa réflexion, Peter Hujar tente justement de capter l’invisible : la pensée. Si Susan Sontag écrit dans la préface de Portraits in Life and Death, « Life is a Movie. Death is a Photograph », Peter Hujar parvient néanmoins à saisir dans ce portrait la pensée puissante, bien vivante et en mouvement de l’auteure américaine.

Ève Lepaon

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Gordon Matta-Clark : Conical Intersect http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/10/gordon-matta-clark-conical-intersect/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/10/gordon-matta-clark-conical-intersect/#respond Tue, 20 Oct 2020 09:47:37 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35512 Dans le contexte de rénovation du centre de Paris, du chantier des Halles et de la construction du Centre Pompidou qui donnent lieu à un certain nombre de débats, Gordon Matta-Clark propose une intervention monumentale.

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Gordon Matta-Clark, Conical Intersect, 1975. Courtesy The Estate of Gordon Matta-Clark et David Zwirner, New York / Londres / Hong Kong. © 2018 The Estate of Gordon Matta-Clark / ADAGP, Paris

Dans le contexte de rénovation du centre de Paris, du chantier des Halles et de la construction du Centre Pompidou qui donnent lieu à un certain nombre de débats, Gordon Matta-Clark propose une intervention monumentale. Il affirme : « Il y a toujours eu dans mon travail une relation étroite entre sculpture et architecture ». Sa performance consiste en un percement d’un immense cône traversant deux immeubles jumeaux du XVIIe siècle destinés à être détruits, mettant ainsi au jour des espaces invisibles et clos. La pointe du cône est tournée vers le sommet du Centre Pompidou alors en chantier et sa base s’ouvre sur la rue passante. Il s’agit alors pour Matta-Clark de mettre en évidence, par cette forme, la stratification spatiale et temporelle de Paris : le passé qui va disparaître est ainsi compris entre le présent (la rue), et l’avenir (la structure du futur musée national d’art moderne). Le cône est aussi pour Matta-Clark un outil de vision. Traversé par la lumière, à la façon d’une lentille, il matérialise et rend visible de façon éphémère l’espace architectural, ses formes, ses couleurs et les matières qui le constituent. Au cours de son intervention Gordon Matta-Clark fait appel à la photographie et au film. « Les films m’intéressent davantage, parce qu’une caméra permet de capter beaucoup plus précisément l’espace » que la photographie dit-il, et permettent ainsi de transposer au mieux l’expérience de la mobilité de la vision. Il réalise néanmoins des photographies au grand angle et, a posteriori, des montages photographiques qui tentent de restituer à la fois ses opérations mais aussi les déplacements optiques et physiques qu’elles induisent. Cet œil qui se dessine et se déploie ici est ainsi l’image de ses réflexions sur les moyens de transmettre ses expériences, d’interroger et de transformer notre propre vision.

Ève Lepaon et Cécile Tourneur

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Lotar/Krull : Anticipations parisiennes http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/10/lotar-krull-anticipations-parisiennes/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/10/lotar-krull-anticipations-parisiennes/#respond Tue, 20 Oct 2020 09:47:28 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35508 Si la ville moderne est un « collage » permanent composé des rencontres les plus improbables, alors la ville du futur peut être envisagée comme un montage encore plus surprenant.

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Eli Lotar, Champs-Élysées dans l’an 2000, 1930, Amsab-Institut d’histoire sociale, Gand, 019 ; « Anticipations parisiennes », L’Art vivant, no 127, 1er avril 1930, p. 288-289, Centre Pompidou, Paris, Musée national d’art moderne, Bibliothèque Kandinsky.

 

Si la ville moderne est un « collage » permanent composé des rencontres les plus improbables, alors la ville du futur peut être envisagée comme un montage encore plus surprenant. Armé d’un ciseau et de colle, Eli Lotar réutilise des tirages de Germaine Krull pour réaliser une série de montages publiés dans L’Art vivant en 1929. Il s’agit pour lui de proposer des « visions » de l’avenir urbanistique de la capitale dans l’esprit des cartes postales fantaisies de la fin du XIXe siècle : ainsi, une arche métallique enjambe les Champs-Elysées, un pont s’élève au-dessus des toits parisiens et enfin, la Seine, recouverte de bitume laisse place à une autoroute… Bien que réalisées dans un esprit léger, sans la moindre prétention prophétique, certaines de ces images proposent des aménagements qui ne sont pas si éloignés de la réalité et cette « autoroute » en remplacement de la Seine peut être vue comme une préfiguration des voies sur berges construites dans les années 1970. Le montage constitue autant un moyen de porter un regard critique sur la modernité qu’une technique propice à donner corps à certaines « images mentales ».

Ève Lepaon et Cécile Tourneur

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Raoul Hausmann : Ibiza http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/10/raoul-hausmann-ibiza/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/10/raoul-hausmann-ibiza/#respond Wed, 14 Oct 2020 15:17:09 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35502 Considéré comme artiste « dégénéré » par le régime nazi, Raoul Hausmann quitte précipitamment l’Allemagne en mars 1933 et rejoint Ibiza, qui se peuple progressivement d’exilés attirés par la vie bon marché de ce territoire.

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Raoul Hausmann, Maison paysanne (Can Rafal), 1934 © Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart

Considéré comme artiste « dégénéré » par le régime nazi, Raoul Hausmann quitte précipitamment l’Allemagne en mars 1933 et rejoint Ibiza, qui se peuple progressivement d’exilés attirés par la vie bon marché de ce territoire. Isolé dans le village de Sant Josep, sans contact avec les autres artistes et écrivains présents sur l’île, Hausmann se passionne pour les habitations aux formes modernes, construites avec les matériaux locaux par les eivissencs, selon leurs besoins : « À l’intérieur de l’île, vous allez de surprise en surprise : partout la même perfection plastique, partout la même noblesse dans les formes des maisons. À première vue, elles rappellent les constructions algériennes et celles des îles grecques, mais très vite vous réalisez être en présence d’une expression plus pure, infiniment plus intuitive de l’art de bâtir. » Employant dans un article pour la revue moderniste D’Ací i d’Allà l’expression « architecture sans architecte », Hausmann décrit dans ses photographies la puissance intemporelle de ces constructions issues de nombreux croisements et influences dans l’histoire des peuples de la Méditerranée qu’il oppose à l’idéologie nationale-socialiste de la pureté raciale. Hausmann reste trois années à Ibiza, période d’une grande intensité créatrice, avant l’occupation par les franquistes qui le remet sur la route de l’exil. Il expose ses tirages d’Ibiza au Musée des Arts et Métiers de Zurich en 1936, avant d’être expulsé de Suisse. Échouant à rejoindre ses amis installés aux États-Unis, éloigné de l’île inspiratrice, Raoul Hausmann voit ainsi se clore cette décennie de pratique photographique.

Ève Lepaon et Cécile Tourneur

 

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Michael Schmidt : le visage gris de Berlin http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/10/michael-schmidt-le-visage-gris-de-berlin/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/10/michael-schmidt-le-visage-gris-de-berlin/#respond Sun, 04 Oct 2020 22:28:11 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35478 Le travail de Michael Schmidt (1945-2014) est indissociable de sa ville natale : Berlin. C’est en tant que gendarme mobile qu’il a commencé à arpenter le territoire berlinois et à s’y intéresser avant de consacrer son travail photographique à ses mutations.

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Michael Schmidt, Müller-Ecke Seestraße (Angle de la Müllerstraße et de la Seestraße), 1976-1978, Berlin-Wedding, 1978

Le travail de Michael Schmidt (1945-2014) est indissociable de sa ville natale : Berlin. C’est en tant que gendarme mobile qu’il a commencé à arpenter le territoire berlinois et à s’y intéresser avant de consacrer son travail photographique à ses mutations. Avant la chute du mur, il se concentre sur Berlin Ouest. Dans les années 1970, il réalise deux projets sur le quartier de Kreuzberg et entame en 1976 un « inventaire » photographique, selon ses propres mots, du quartier de Wedding. Il parcourt d’abord le quartier à pied ou en voiture à l’aide d’une carte. Il observe longuement chaque portion de rue, note les aspects urbanistiques et architecturaux qui l’intéressent et réalise des esquisses avec un appareil photographique petit format. Il prend le soin de noter précisément l’adresse de chaque prise de vue et de la situer sur sa carte. Il développe ensuite ses photographies, les étudie, sélectionne les lieux et revient photographier au grand format (9 x 12).

Cette image fait la couverture du livre que Michael Schmidt dédie à ce quartier en 1978. Il choisit de photographier cet angle de rues et de mettre l’accent sur le caractère hétéroclite et disparate de l’architecture. L’impression de collage qui se dégage de cette photographie traduit bien le regard que Michael Schmidt porte sur cette ville : elle est le fruit d’une histoire complexe, heurtée et non linéaire. La photographie lui permet de relever les traces de ces transformations successives. Il s’attache alors à trouver la bonne distance, à échapper à sa subjectivité dans le choix de ses cadrages et de ses points de vue afin d’atteindre ce qu’il nomme une forme de « transparence ». Le gris qui domine ses images et qu’il retravaille en chambre noire est pour lui une façon de s’extraire de toute dualité trop nette ou trop définitive entre le noir et le blanc, d’échapper à une lecture manichéenne et simpliste. Les nuances de gris sont au contraire le signe de la complexité géographique, sociologique, économique et historique qu’il souhaite alors apporter à la représentation de Berlin.

Ève Lepaon

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En ligne ! La reconnaissance sociale d’une pratique sportive http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/09/en-ligne-la-reconnaissance-sociale-dune-pratique-sportive/ http://lemagazine.jeudepaume.org/2020/09/en-ligne-la-reconnaissance-sociale-dune-pratique-sportive/#respond Tue, 29 Sep 2020 12:31:36 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=35463 Hors de leur terrain de jeu habituel, cette équipe de footballeuses prend la pose dans le studio de Kazimir Zgorecki, photographe d’origine polonaise qui s’établit à Rouvroy dans le Pas-de-Calais en 1924.

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Kasimir Zgorecki, sans titre, sans date. Tirage numérique. Collection particulière © ADAGP, Paris, 2020

Hors de leur terrain de jeu habituel, cette équipe de footballeuses prend la pose dans le studio de Kazimir Zgorecki, photographe d’origine polonaise qui s’établit à Rouvroy dans le Pas-de-Calais en 1924. Habillées et positionnées de façon rigoureusement identique – hormis la gardienne à l’avant de l’équipe –, ces jeunes femmes ne semblent se distinguer que par leur taille variant sensiblement et l’expression de leurs visages. C’est sans compter l’originalité de la pratique sportive choisie pour cette époque. Bien que plébiscitée dans les années 1920, le football féminin connaît de nombreuses attaques jusqu’à son interdiction sous le régime de Vichy en 1941. L’image qu’elles renvoient est pourtant celle d’une équipe joyeuse, unie et déterminée, dans cet intérieur surprenant par rapport à l’activité représentée réalisée habituellement dans de grands espaces extérieurs. Dans la lignée des studios de portraits du XIXème siècle, de Nadar à Disdéri, Zgorecki emploie des fonds peints en arrière-plan qu’il agrémente de lourds rideaux réduisant plus ou moins la part de décor visible. Parfois peu en accord avec le sujet, ce mode de représentation évoque les codes sociaux de la bourgeoisie, marqués également, dans la pose, par la frontalité et le regard dirigé vers l’appareil. Employant des plaques de verre de grande dimension, Zgorecki ne se soucie pas du cadrage lors de la prise de vue, laissant apparaître sur les côtés des éléments techniques et des accessoires (l’éclairage en haut à droite, l’affiche et le petit mobilier), qui disparaissent lors de la coupe au tirage. Le portrait de groupes est un motif récurrent dans la pratique de Zgorecki : sportifs, musiciens, familles, écoliers viennent se faire photographier dans le studio, parfois le photographe se déplace à leur rencontre. La prise de vue est rentable, la plupart des personnes photographiées achètent un tirage, témoignage de leur appartenance à une communauté, qui est aussi la marque d’une intégration et d’une existence sociale déterminée.

Cécile Tourneur

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Zineb Sedira. L’espace d’un instant. [FR/EN] http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/12/zineb-sedira/ Fri, 27 Dec 2019 15:15:17 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=34189 Ève Lepaon et Cécile Tourneur, conférencières et formatrices au Jeu de Paume, proposent un aperçu du parcours commenté qu'elles réalisent dans l'exposition de Zineb Sedira, « L'espace d'un instant » au Jeu de Paume.

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[EN]

Cécile Tourneur et Ève Lepaon, conférencières et formatrices au Jeu de Paume, proposent un parcours commenté dans l’exposition de Zineb Sedira : « L’espace d’un instant »1. Dans les salles, l’artiste déjoue d’une certaine manière la condition ambigüe d’« œuvre d’art »2 en déroulant d’un geste fluide des objets, des images, des archives, des installations et en jouant des porosités entre les pièces… C’est peut-être ce même mouvement très libre et personnel qui lui permet de parler aussi bien des frontières géographiques et politiques que de la (re)transmission d’histoires individuelles à travers les époques.




L’exposition
La sélection de la librairie
Dossier documentaire


References[+]

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Zineb Sedira: A brief moment http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/12/zineb-sedira-a-brief-moment/ Fri, 27 Dec 2019 10:10:45 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=34240 Ève Lepaon and Cécile Tourneur, lecturers and educators at the Jeu de Paume, offer a commented visit1 of Zineb Sedira’s exhibition, “A brief moment”. In the galleries, the artist in a sense eludes the ambiguous condition of “artwork” 2 by displaying a flow of objects, images, archives and installations, playing with the porosity between pieces.[.....]

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Ève Lepaon and Cécile Tourneur, lecturers and educators at the Jeu de Paume, offer a commented visit1 of Zineb Sedira’s exhibition, “A brief moment”. In the galleries, the artist in a sense eludes the ambiguous condition of “artwork” 2 by displaying a flow of objects, images, archives and installations, playing with the porosity between pieces. It is perhaps this very movement, so free and personal, that allows her to speak of both geographical and political borders, and the (re)transmission of individual histories over time.




Zineb Sedira / The exhibition
The Catalogue

References[+]

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New York underground [FR/EN] http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/11/new-york-underground-fr-en/ Tue, 05 Nov 2019 17:08:21 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33989 Malgré son thème familier – la silhouette des buildings de New York – et sa composition classique en deux plans distincts, cette photographie de Peter Hujar est déroutante. .

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Peter Hujar ; Queens ; Landscape ; Ruins ; Underground ; New York ; Urban;

Peter Hujar, Queens Landscape, 1984. The Morgan Library & Museum, achat en 2013 grâce au Charina Endowment Fund © Peter Hujar Archive, LLC, courtesy Pace/MacGill Gallery, New York and Fraenkel Gallery, San Francisco.





[EN]

Malgré son thème familier – la silhouette des buildings de New York – et sa composition classique en deux plans distincts, cette photographie de Peter Hujar est déroutante. Queens landscape, dit la légende : c’est néanmoins Manhattan qui défile à l’horizon. Comme si le titre invitait à rompre avec les clichés habituels de ce panorama urbain, et à ne l’envisager que comme le simple fond d’un paysage tout entier concentré dans le terrain abandonné et chaotique du premier plan. Il y a là une question posée au regard : comment voir ensemble les deux parties de l’image, que tout paraît opposer ?

L’Incendie à Hoboken de Cartier-Bresson (1946), dont l’image de Hujar présente, intentionnellement ou non, un rappel thématique et formel, constitue un utile terme de comparaison. Dans sa moitié supérieure, la photographie de Cartier-Bresson laisse deviner, dans un lointain un peu flou, la silhouette des immeubles de New-York, tandis qu’au premier plan, les ruines laissées par un incendie sur les rives de l’Hudson offre le spectacle désolant de traverses de bois effondrées et entremêlées. Par un effet de perspective, elles semblent éloigner la ville, que le regard, entravé par ce désordre visuel, tente d’atteindre malgré tout.

L’image de Peter Hujar, elle, est étrangère à toute perspective et à toute volonté de dépassement : sa partie inférieure n’est pas tendue vers sa zone supérieure. Toutes deux, au contraire, très nettes, s’étalent à plat en mondes visuellement parallèles, que la mince frontière de l’East River distingue sans les séparer tout à fait. Le premier plan occupe les deux tiers de l’image, et conduit le regard à se perdre dans le magma de ce qui semble être une décharge à ciel ouvert, conquise sur un ancien site d’activités portuaires. Les lignes droites et nettes de Manhattan y perdent leur rigueur. Le squelette d’une poutrelle métallique trace un segment horizontal sans relief saillant. Écho dérisoire à la verticalité et à l’alignement des gratte-ciels, une végétation sauvage se dresse au milieu des décombres, aussi mal assurée que les poteaux et les montants des grilles dans la zone gauche de l’image. Une bâtisse désaffectée rappelle que le lieu, malgré sa précarité, n’a pas perdu toute référence à la dimension de l’habitable.

Faut-il voir dans le partage de l’image deux lieux étrangers l’un à l’autre, que ne relierait que leur exclusion mutuelle : ou bien les formes nettes de la cité de verre et d’acier, ou bien l’informe et l’abandon qui poussent à ses marges ? Il est sans doute plus fécond de tenter de penser leur coexistence dépolarisée, peut-être leur unité. Aucun lieu ne nie l’autre. Car de même que les morts cohabitent avec les vivants dans d’autres photographies de Peter Hujar, de même la face cachée ou méconnue de la ville est ici mise en avant : non comme son autre ou son envers, mais comme son visage « underground », sa défiguration qui pourtant la constitue et la figure aussi.



Étienne Helmer




Étienne Helmer enseigne la philosophie à l’Université de Porto Rico (États-Unis). Ses travaux portent principalement sur la pensée économique, politique et sociale des mondes grecs, ainsi que sur la philosophie de la photographie. Son dernier ouvrage vient de paraître : Ici et là. Une philosophie des lieux (Verdier, 2019).


« Peter Hujar. Speed of Life »
Peter Hujar / librairie

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New York Underground http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/11/new-york-underground/ Tue, 05 Nov 2019 17:05:05 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33992 [FR] Despite its familiar subject — the New York skyline — and its classic composition, with a clear foreground and background, this photograph by Peter Hujar is disconcerting. The caption says Queens Landscape, but Manhattan lies along the horizon. It is as though the title beckons a break with the usual clichés of this urban panorama, considering it as[.....]

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Peter Hujar ; Queens ; Landscape ; Ruins ; Underground ; New York ; Urban;

Peter Hujar, Queens Landscape, 1984. The Morgan Library & Museum. Purchased on the Charina Endowment Fund. © Peter Hujar Archive, LLC, courtesy Pace/MacGill Gallery, New York and Fraenkel Gallery, San Francisco





[FR]

Despite its familiar subject — the New York skyline — and its classic composition, with a clear foreground and background, this photograph by Peter Hujar is disconcerting. The caption says Queens Landscape, but Manhattan lies along the horizon. It is as though the title beckons a break with the usual clichés of this urban panorama, considering it as merely the backdrop of a landscape wholly concentrated in the abandoned, chaotic terrain of the foreground. Herein lies a question of perception: how might the two parts of the image, seemingly opposed in every way, be viewed together?

Cartier-Bresson’s Fire in Hoboken (1946), which Hujar’s image conjures in terms of content and form, intentionally or not, constitutes a useful element for comparison. In the upper half of Cartier-Bresson’s photograph, the New York skyline can be made out in the hazy distance, while in the foreground, the wreckage left by a fire on the banks of the Hudson offers up the distressing spectacle of collapsed, entangled wooden ties. Through an effect of perspective, this seems to make the city recede, while the eye nevertheless seeks to make it out across this visual havoc.

Peter Hujar’s image, meanwhile, is foreign to any perspective or desire to overtake: the lower part does not reach toward the upper area. To the contrary, each of these extremely sharp sections spreads out levelly—parallel visual worlds, distinguished but not entirely separated by the thin border of the East River. The foreground occupies two-thirds of the image, leading the eye to get lost in the muddle of what appears to be an open-air garbage dump on a former port site. The clear, straight lines of Manhattan lose their precision here. The skeleton of a metal girder traces a horizontal segment without particular depth of field. Wild vegetation rises in the midst of the debris, a paltry echo of the verticality and alignment of the skyscrapers, as listless as the posts and railing supports on the left side of the image. A disused structure is a reminder that the site, despite its precariousness, is not wholly devoid of references to the inhabitable world.

Should this divided image be viewed as two places foreign to each other, connected only by their mutual exclusion? Either the sharp forms of the glass and steel city, or the shapeless abandonment sprouting at its edges? It is perhaps more productive to attempt to consider their depolarized coexistence, even their unity. One place does not negate the other. Just as the dead cohabitate with the living in other photographs by Peter Hujar, here, the hidden or little-known side of the city is in the spotlight—not as its other or its underside, but as its “underground” face, its disfigurement, which both constitutes and embodies it as well.



Étienne Helmer
Translation from French: Sara Heft



Étienne Helmer teaches philosophy at the University of Puerto Rico (USA). His work focuses on the economic, political and social thinking of the Greek worlds, and more recently on the philosophy of photography. He is the author of Ici et là. Une philosophie des lieux (Paris, Verdier, 2019) and Parler la photographie, (Mix, 2017).





“Peter Hujar. Speed of Life”
Peter Hujar / The books





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Sally Mann & Marc Pataut, regards croisés http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/08/sally-mann-marc-pataut-regards/ Tue, 13 Aug 2019 09:41:54 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33744 Voici quatre images que Cécile Tourneur et Ève Lepaon, conférencières et formatrices au Jeu de Paume, ont choisi de commenter parmi celles présentes dans les expositions de Sally Mann et Marc Pataut. Quatre photographies, qui par leur choix formels, leurs teintes et leurs sujets, résonnent curieusement.

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Voici quatre images que Cécile Tourneur et Ève Lepaon, conférencières et formatrices au Jeu de Paume, ont choisi de commenter parmi celles présentes dans les expositions de Sally Mann et Marc Pataut. Quatre photographies, qui par leur choix formels, leurs teintes et leurs sujets, résonnent curieusement. Les intentions, les lieux et les dispositifs des deux photographes peuvent être aux antipodes, il n’empêche : une rêverie poétique se glisse dans la trame des images, dans l’étoffe de l’habit comme dans l’écorce de l’arbre, et persiste quand on ferme les yeux.



« Sally Mann. Mille et un passages »
« Marc Pataut. De proche en proche »
La sélection de la librairie


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Sally Mann’s Invisibles [FR/EN] http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/06/sally-mann-invisibles-etienne-helmer/ Tue, 11 Jun 2019 08:23:57 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33571 From the site of the deadliest battle of the American Civil War (Antietam, Virginia, September 17, 1862), a century and a half later, Sally Mann brought back an image produced with the help of mid-19th century techniques, with all of the imperfections – spots, streaks and burns – of collodion negatives. But why the choice of this literally distressing process, which eats away at the image to the point of making it hard to see – even invisible in places – whereas much sharper images could be produced at the time? Why this ghost of an image, which simultaneously offers and denies something to the gaze?

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Sally Mann ; USA ; Deep South ; invisibles ; Antietam ; Sécession ; collodion

Sally Mann, Battlefield, Antietam (Black Sun), 2001. Gelatin silver print. Courtesy of Edwynn Houk Gallery, New York © Sally Mann





[FR]

From the site of the deadliest battle of the American Civil War (Antietam, Virginia, September 17, 1862), a century and a half later, Sally Mann brought back an image produced with the help of mid-19th century techniques, with all of the imperfections – spots, streaks and burns – of collodion negatives. But why the choice of this literally distressing process, which eats away at the image to the point of making it hard to see – even invisible in places – whereas much sharper images could be produced at the time? Why this ghost of an image, which simultaneously offers and denies something to the gaze?

It’s that here, everything is a question of invisibility, in various ways – starting with the fact of the thousands of dead, absent from the image, yet present in this very absence, at least for those able to interpret the caption. The invisibility of the dead, of course, but also of death itself, which fully inhabits the landscape, is the landscape, but nevertheless remains hidden from view, due to the invisibility – metaphysical, this time – evoked by La Rochefoucauld in his Maxim 26: “Neither the sun nor death can be looked at steadily.”

Death necessitates a fleeting, sidelong gaze, a regime of visibility that is inevitably muddled and uncertain, forcing vision to stand in for sight. The photographer constructs this vision by combining a visual imaginary of the beyond with the empirical elements provided by the place, the central spot bringing to mind a black sun that no longer emits light but absorbs it. Death, this inverted world from which only images veiling the visible from the gaze may be brought back, rather than images that unveil.

This photograph also involves a third form of invisibility, related to the status of images, generally used to spark memory, but which here play with forgetting. Sally Mann does not opt for reconstitution or a documentary-style work that would rip history away from the indifference of its heirs, but for something resembling a sort of visual plea that the quickly fading past might make to the present, beseeching it not to let it fall into oblivion.

This rhetorical dimension is not merely a stylistic effect related to the photograph’s aesthetic choices: with this image in the process of consuming itself, and its content in danger of erasure, Sally Mann highlights the precariousness of photographs as a vector of memory, when, under the effect of time and ignorance, we merely perceive a shot of the Antietam Battlefield. This gaze then produces forgetting, for which photography provides no remedy, unless it makes this its very subject, paradoxically, as is the case here – forcing the gaze to come to terms with the invisible, somehow using this to see, while fully aware that little can be seen.



Étienne Helmer
Translation from French: Sara Heft




Étienne Helmer teaches philosophy at the University of Puerto Rico (USA). His work focuses on the economic, political and social thinking of the Greek worlds, and more recently on the philosophy of photography. He is the author of La Part du bronze. Platon et l’économie (Vrin, 2010), Épicure ou l’économie du bonheur (Le Passager clandestin, 2013), Le Dernier des Hommes. Figures du mendiant en Grèce ancienne (Le Félin, 2015), Diogène le cynique (Les Belles Lettres, 2017) et Parler la photographie (Mix, 2017).




“Sally Mann. A Thousand Crossings”
Sally Mann / Books

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Les invisibles de Sally Mann [FR/EN] http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/06/sally-mann-invisible-etienne-helmer/ Tue, 11 Jun 2019 08:03:53 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33580 Par Étienne Helmer

Du lieu de la bataille la plus meurtrière de la Guerre de Sécession (Antietam, Virginie, 17 sept. 1862), Sally Mann rapporte, un siècle et demi plus tard, une image produite à l’aide des techniques du milieu du XIXe siècle, avec toutes les imperfections des négatifs au collodion : tâches, marbrures et brûlures. Mais pourquoi le choix de ce procédé littéralement troublant, qui ronge l’image au point de la rendre difficile à voir, même invisible par endroits, alors que des photographies bien plus nettes étaient réalisables à l’époque ? Pourquoi ce fantôme d’image, qui donne quelque chose à voir et simultanément le refuse ?

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Sally Mann ; USA ; Deep South ; invisible ; Antietam ; Sécession ; collodion

Sally Mann, Battlefield, Antietam (Black Sun) [Champ de bataille, Antietam (soleil noir)], 2001. Tirage gélatino-argentique Courtesy Edwynn Houk Gallery, New York © Sally Mann





[EN]

Du lieu de la bataille la plus meurtrière de la Guerre de Sécession (Antietam, Virginie, 17 sept. 1862), Sally Mann rapporte, un siècle et demi plus tard, une image produite à l’aide des techniques du milieu du XIXe siècle, avec toutes les imperfections des négatifs au collodion : tâches, marbrures et brûlures. Mais pourquoi le choix de ce procédé littéralement troublant, qui ronge l’image au point de la rendre difficile à voir, même invisible par endroits, alors que des photographies bien plus nettes étaient réalisables à l’époque ? Pourquoi ce fantôme d’image, qui donne quelque chose à voir et simultanément le refuse ?

C’est que tout, ici, est affaire d’invisibilité, sous diverses modalités. À commencer par celle, factuelle, des morts par milliers, absents de l’image et pourtant présents par cette absence même, du moins pour qui sait interpréter la légende. Invisibilité des morts certes, mais aussi de la mort elle-même : elle habite de toutes parts le paysage, elle est ce paysage, mais n’en reste pas moins dérobée au regard, en vertu de l’invisibilité cette fois métaphysique qu’évoque La Rochefoucauld dans sa maxime 26 : « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement. »

La mort impose un regard flottant, de côté, un régime de visibilité forcément trouble et incertain, obligeant la vision à suppléer la vue. Vision que la photographe construit en mêlant aux éléments empiriques fournis par le lieu un imaginaire visuel de l’au-delà, avec cette tâche centrale évoquant un soleil noir qui ne diffuse plus la lumière mais l’absorbe. La mort, monde inversé dont on ne peut rapporter que des images littéralement -monstratives, qui soustraient le visible au regard au lieu de le lui exposer.

Cette photographie engage aussi une troisième forme d’invisibilité, liée au statut de l’image qui, d’ordinaire support de mémoire, fait ici le jeu de l’oubli. Sally Mann n’opte ni pour une reconstitution ni pour un travail de style documentaire qui arracherait l’histoire à l’indifférence de ses légataires, mais pour ce qui ressemble à une sorte d’appel visuel que le passé, au bord de la disparition, lancerait au présent, comme s’il l’implorait de ne pas le laisser sombrer dans l’oubli.

Cette dimension rhétorique n’est pas qu’un effet de style lié aux choix esthétiques de la photographe. Car avec cette image en train de se consumer et son contenu menacé d’effacement, Sally Mann rappelle ce qu’il en est de la précarité des photographies comme vecteur de mémoire, dès l’instant que notre regard, sous l’effet du temps et de l’ignorance, ne perçoit qu’un champ dans le champ de bataille d’Antietam. Ce regard produit alors de l’oubli, auquel la photographie n’offre aucun remède, à moins qu’elle n’en fasse paradoxalement son objet propre, comme ici, en obligeant le regard à composer avec l’invisible, à voir tant bien que mal par lui tout en sachant qu’il ne verra pas grand chose.



Étienne Helmer




Étienne Helmer enseigne la philosophie à l’Université de Porto Rico (États-Unis). Ses travaux portent principalement sur la pensée économique, politique et sociale des mondes grecs, ainsi que sur la philosophie de la photographie. Il est l’auteur de La Part du bronze. Platon et l’économie (Vrin, 2010), Épicure ou l’économie du bonheur (Le Passager clandestin, 2013), Le Dernier des Hommes. Figures du mendiant en Grèce ancienne (Le Félin, 2015), Diogène le cynique (Les Belles Lettres, 2017) et Parler la photographie (Mix, 2017).


« Sally Mann. Mille et un passages »
Sally Mann / librairie

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Gobelins X Jeu de Paume http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/05/gobelins-x-jeu-de-paume/ Mon, 20 May 2019 13:07:37 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33527 Le Jeu de Paume et Gobelins, l’école de l’image, ont invité les élèves en Graphisme motion design à proposer leurs créations en lien avec les expositions de Florence Lazar et Luigi Ghirri.

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Le Jeu de Paume et Gobelins, l’école de l’image, ont invité les élèves en Graphisme motion design à proposer leurs créations en lien avec les expositions de Florence Lazar et Luigi Ghirri.











Après une visite des expositions et une phase de documentation, guidées par l’équipe du Jeu de Paume et leurs enseignants à Gobelins, il a été demandé à ces jeunes créatifs, âgés de 19 à 29 ans, de se saisir d’une œuvre ou d’une série de l’un des deux artistes. Les étudiants ont réalisé un travail d’interprétation en utilisant les moyens du motion design, discipline consistant à mettre le graphisme en mouvement.

Les motion designers utilisent aussi bien des techniques plastiques que numériques. Grâce aux outils informatiques, ils peuvent associer diverses disciplines telles que la vidéo, la photographie, l’illustration, la typographie et le design sonore. Les élèves ont scénarisé, réalisé et sonorisé des vidéos d’une minute environ avec une approche conceptuelle, métaphorique ou didactique.

Le jury était composé de Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, Laure Chapalain, enseignante et coordinatrice de la formation graphiste motion designer des Gobelins, école de l’image, Anaïs Mak, ancienne élève des Gobelins et graphiste motion designeuse, Frédérique Mehdi, responsable des expositions, Jeu de Paume, Sabine Thiriot, responsable du service éducatif, Jeu de Paume et Eleonora Alzetta, attachée de presse, Jeu de Paume. Quatre lauréats ont été retenus : Eva Barenton, Quitterie Boisse, Laure-Astrid Ntsiba et Joelie Semoulin.



Gobelins, l’école de l’image

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Un parcours commenté dans les images de Luigi Ghirri http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/04/un-parcours-dans-les-images-de-luigi-ghirri/ Tue, 23 Apr 2019 17:15:15 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33425 Ève Lepaon et Cécile Tourneur, conférencières et formatrices au Jeu de Paume, proposent un aperçu du parcours commenté qu'elles réalisent dans l'exposition « Luigi Ghirri. Cartes et territoires » au Jeu de Paume.

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[See image gallery at lemagazine.jeudepaume.org]


Luigi Ghirri voyageait le plus souvent dans un mouchoir de poche, lors de brèves excursions à quelques kilomètres de chez lui, comme il l’écrit dans son essai « Paysages de carton » en 19731. Cette même année, il réduit le mur d’enceinte du circuit automobile de Modène et ses affiches publicitaires à un leporello (livre accordéon) intitulé Km 0,250. Puis il condense son trajet radicalement avec sa série désormais célèbre « Atlante », dans laquelle il explore les pages intérieures d’un atlas.

Néanmoins, il arrivait que Luigi Ghirri voyage “réellement” et rapporte quelques photographies d’ailleurs, loin de son Émilie-Romagne natale, comme le montrent les légendes des images commentées par Cécile Tourneur et Ève Lepaon [agrandir les images ci-dessus], conférencières et formatrices au Jeu de Paume. En général, il s’agissait de voyages de vacances, en Corse ou en Suisse par exemple, ou bien de déplacements professionnels à l’occasion d’expositions auxquelles il participait, notamment en Autriche, au Forum Stadtpark de Graz en 1976, puis à Salzburg lors d’une exposition collective consacrée à la jeune photographie européenne en 1978. Mais in fine Luigi Ghirri, par des jeux d’échelle, de duplication ou de recouvrements d’images, brouille les cartes géographiques et le lieu où il réalise la photographie passe au second plan. Les déplacements sont avant tout poétiques et s’opèrent entre plusieurs strates de réel, entre les choses et les images à travers et par lesquelles Luigi Ghirri inscrit le mouvement de sa pensée.



Luigi Ghirri. La carte et le territoire.
La sélection de la librairie.
Dossier documentaire

References[+]

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Why this photo ? [FR/EN] http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/03/why-this-photo-luigi-ghirri-etienne-helmer/ Mon, 11 Mar 2019 08:33:30 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33293 Luigi Ghirri, L’Île-Rousse, 1976.

“Why this photo, which doesn’t show anything decisive or noteworthy? With its swath of blue sky, bright shape-shifting clouds, and thin parallel power lines crossing the sky, the image sidesteps the rule of visual blow and event.” (Etienne Helmer)

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Luigi Ghirri ; Vedute ; ciel ; sky ; electric ; wires ; Corse ; vacances

Luigi Ghirri, L’Île-Rousse, 1976. From the series Vedute © Estate Luigi Ghirri





[FR]

Why this photo, which doesn’t show anything decisive or noteworthy? With its swath of blue sky, bright shape-shifting clouds, and thin parallel power lines crossing the sky, the image sidesteps the rule of visual blow and event. The question “why?” so often expected to deliver the meaning of a photo, reduced merely to what it shows, is moot. The image is simply there, for no reason, which is not to voice criticism of its seemingly accidental or arbitrary nature, but quite the opposite – to accept the full legitimacy of this. It does not intend to add to a preexisting world, in keeping with a mimetic conception of photography; it is an integral part of this world, always already there. This slice of the visible, turned image through the simple effect of an eye behind the lens, may very well echo what vision alone gives us, without enhancement: it is something of a supplementary, and equally fundamental, way of experiencing the world. It thus invites us less to ponder its why, or whys, than to question the effects that it produces, the relationships it sparks with the person viewing it, and potentially, with the person who made it – as all of these elements make up a single framework or ensemble, a single world.

This photograph creates a sort of strangely dynamic pause in time, an impression of calm tension and of lightness, emerging from the simplicity with which opposites here coexist: on the one hand, the movement of the clouds, and on the other, their relative permanency, supporting the taut cords; on the one hand, vaporous masses whose forms spread out to the point of dissolving, and on the other, straight lines providing a delicate frame for the fleeting clouds. Is this ephemeral configuration, stable yet precarious, a metaphor for a still image in a moving world – for photography, in how it offers a frame of visibility, intelligibility, for what are inevitably forms in transition, forms on the verge of formlessness? Or is the idea simply to here appreciate the unprecedented relationship created by such an assembly of diverse elements, subjecting it to the gaze of each viewer in order to see what affects it provokes, what ideas it elicits, what directions and what forms it traces out on the internal map of our desires and thoughts? In short, an image such as this one has nothing to show, in the sense that it appears to have faded into its content, and is – as image itself – an act, an object, and a site of thought.

Étienne Helmer




« Luigi Ghirri. The Map and the Territory »

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Pourquoi cette photographie ? http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/03/luigi-ghirri-etienne-helmer/ Mon, 11 Mar 2019 06:23:13 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33259 Luigi Ghirri, L’Île-Rousse, 1976

Pourquoi cette photographie, qui ne présente rien de décisif ni de notable ? Un pan de ciel bleu, de clairs nuages aux formes transitoires, et des câbles électriques qui strient le ciel de leurs fines lignes parallèles : une image qui échappe au régime du choc visuel et de l’événement.

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Luigi Ghirri ; Vedute ; ciel ; sky ; electric ; wires ; Corse ; vacances

Luigi Ghirri, L’Île-Rousse, 1976. Extrait de la série Vedute © Succession Luigi Ghirri





[EN]

Pourquoi cette photographie, qui ne présente rien de décisif ni de notable ? Un pan de ciel bleu, de clairs nuages aux formes transitoires, et des câbles électriques qui strient le ciel de leurs fines lignes parallèles : une image qui échappe au régime du choc visuel et de l’événement. La question « pourquoi ? », dont on attend souvent qu’elle nous livre le sens d’une photographie réduite alors aux choses qu’elle montre, en devient caduque. Cette image est simplement là, sans raison, ce qui n’est pas une façon d’en dénoncer le caractère apparemment contingent ou arbitraire mais, au contraire, d’en assumer la pleine légitimité. Elle ne vient pas s’ajouter à un monde qui la précèderait, comme la conception mimétique de la photographie le laisserait croire : elle en est partie intégrante, toujours déjà là. Cette découpe du visible, devenue image sous le seul effet d’un œil placé derrière l’objectif, peut bien faire écho à ce que la vue seule nous livre, elle ne la redouble pas : elle constitue bien plutôt une modalité supplémentaire et tout aussi fondamentale de notre expérience du monde. Elle nous invite donc moins à sonder son ou ses pourquoi qu’à nous interroger sur les effets qu’elle produit, sur les relations qu’elle instaure entre elle et celui qui la regarde, éventuellement entre elle et celui qui l’a faite, parce que tous ces éléments ne forment qu’un seul et même plan ou ensemble, un seul et unique monde.

Cette photographie instaure dans le temps une sorte d’arrêt étrangement dynamique, une impression de tension calme et de légèreté, née de la simplicité avec laquelle les contraires s’y côtoient : d’un côté, le mouvement des nuages, de l’autre, leur relative permanence que soutiennent les câbles tendus ; d’un côté, des masses vaporeuses dont les formes s’excèdent au point de se dissoudre, de l’autre, des lignes droites donnant un cadre délicat à la fugacité des nuages. Cette configuration éphémère, stable et pourtant précaire, est-elle la métaphore de ce qu’est une image fixe d’un monde en mouvement, de la photographie en ce qu’elle offre un cadre de visibilité et d’intelligibilité à ce qui n’est toujours que formes en transition, formes au bord de l’informe ? À moins qu’il ne s’agisse que d’apprécier dans celle-ci la relation inédite qu’y créé un tel assemblage d’éléments hétérogènes, et de la soumettre au regard de chacun pour voir quels affects elle provoque, quelles idées elle suscite, quelles directions et quelles formes elle trace sur la carte intérieure de nos désirs et de nos pensées. Une telle image, en somme, n’a rien à montrer, au sens où elle s’effacerait en son contenu : elle est, en tant qu’image même, un acte, un objet et un lieu de pensée.



Étienne Helmer




« Luigi Ghirri. Cartes et territoires »
La sélection de la Librairie
Luigi Ghirri : « L’œuvre ouverte »

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Laura Henno : Outremonde http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/01/laura-henno-outremonde/ Wed, 23 Jan 2019 14:31:01 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=33077 Pendant quelques jours, Laura Henno a partagé des images de Slab City sur le compte Instagram du Jeu de Paume. Dans cette ville sans bâtiments, perdue dans le désert de Californie, l'artiste établit un dialogue avec une communauté incertaine, en marge du récit politique contemporain mais néanmoins emblématique d'une Amérique de pionniers. Dans cette rencontre, Laura Henno établit aussi une traversée dans le temps, travaillant la résonance avec quelques grands noms de la photographie américaine, tels Walker Evans, Dorothea Lange ou William Eggleston.

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Pendant quelques jours, Laura Henno a partagé des images de Slab City sur le compte Instagram du Jeu de Paume. Dans cette ville sans bâtiments, perdue dans le désert de Californie, l’artiste établit un dialogue avec une communauté incertaine, en marge du récit politique contemporain mais néanmoins emblématique d’une Amérique de pionniers. Dans cette rencontre, Laura Henno établit aussi une traversée dans le temps, travaillant la résonance avec quelques grands noms de la photographie américaine, tels Walker Evans, Dorothea Lange ou William Eggleston.



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En plein désert de Sonoran au Sud de la Californie, Slab City est une « ville » qui n’apparaît sur aucune carte. À l’origine, la zone était occupée par une base militaire pendant la seconde guerre mondiale, avant d’être démantelée en 1956. Une poignée de soldats décidèrent de rester sur les ruines du camp, bientôt rejoints par quelques travailleurs venus pour les entreprises locales. C’est le début de ce lieu de campement qui accueille depuis plus de 50 ans les laissés-pour-compte. Un lieu où ceux qui souhaitent disparaître de la société viennent trouver refuge. Sans eau ni électricité, insoumis aux taxes ou à une quelconque loi, les résidents de Slab City ont complètement tourné le dos au rêve américain, choisissant de vivre dans le dernier territoire libre des États-Unis.

Slab City se situe dans un espace migratoire historique traversé par les populations mobiles qui ont bercé la culture nord-américaine : des pionniers aux hobos et aux travailleurs migrants qui se déplacent selon les saisons et les chantiers, en passant par les beatniks et les okies ou encore les fermiers du sud-ouest des États-Unis migrant vers la Californie dans les années 1930 en vue d’une vie meilleure. Ces réfugiés de la récession économique ont été photographiés par Dorothea Lange pour la Farm Security Administration pendant la Grande Dépression.

Ils trouvent un écho contemporain parmi la population de Slab City. Ainsi, depuis son origine jusqu’à aujourd’hui, le campement reflète une histoire migratoire américaine que j’explore dans ses formes actuelles et au travers de ses représentations historiques.



Laura Henno



Site officiel de l’artiste
Instagram / Suivre @jeudepaumeparis
Rédemption / Rencontres d’Arles
Dorothea Lange / une discussion dans l’exposition
« Summer Crossing » de Laura Henno

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Dorothea Lange http://lemagazine.jeudepaume.org/2019/01/dorothea-lange/ Fri, 11 Jan 2019 14:30:44 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=32993 « Dorothea Lange traverse les exploitations agricoles et les champs de coton où les cueilleurs travaillent dix heures par jour pour deux dollars, comme l’indique le commentaire qui accompagne cette image. Le tirage exposé est un recadrage par rapport au négatif original. Dorothea Lange resserre ainsi son attention et celle du spectateur sur les mains de cet homme. Cachant une partie de son visage, ce geste semble témoigner d’une volonté de se dissimuler, mais traduit également une réalité des conditions d’exploitation de ces ouvriers » [...]

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Ève Lepaon et Cécile Tourneur, conférencières et formatrices au Jeu de Paume, proposent un aperçu du parcours commenté qu’elles réalisent dans l’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible » au Jeu de Paume.



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L’exposition « Dorothea Lange. Politiques du visible »
La sélection de la librairie

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Dorothea Lange’s drought-abandoned house http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/11/dorothea-langes-drought-abandoned-house/ Fri, 02 Nov 2018 09:35:14 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=32660 [FR] The photographs of Dorothea Langue speak several languages. There is that of the body, with which we grew familiar through the iconic image of the migrant mother and her children, Nipomo, California, 19361: the marks they bear, their attitudes and posture, their clothing and their faces reveal an era, a social and economic context,[.....]

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Dorothea Lange ; abandoned ; house ; desert ; Oklahoma

Dorothea Lange,Drought-abandoned house on the edge of the Great Plains near Hollis, Oklahoma, 1938 © The Dorothea Lange Collection, the Oakland Museum of California





[FR]

The photographs of Dorothea Langue speak several languages. There is that of the body, with which we grew familiar through the iconic image of the migrant mother and her children, Nipomo, California, 19361: the marks they bear, their attitudes and posture, their clothing and their faces reveal an era, a social and economic context, as well as personal fates and inner lives grappling with the whims of history. And there is that of places, like the image examined here: it expresses the vicissitudes of time in spaces laden with meaning. What does this image tell us about this place? How does it make it emerge as such?

Judging from its caption, this photograph is merely one specific illustration, in Oklahoma, of the consequences of the drought that struck America’s Great Plains states from 1934 to 1939, driving nearly 300,000 people to abandon their homes and land. But this image is not limited to its informative and denotive function; it is suggestive of more than it depicts in constructing a place filled with absence. Beyond the house alone, it encompasses the whole constituted by the house and the singular space in which it is located, at the intersection of the horizon line splitting the image between land and sky. In the lower half, from foreground to background, we can see still-fresh tire tracks from a vehicle – the photographer’s, or that of the inhabitants who abandoned their home? – and a sort of crevice, then, as far as the eye can see, a vast dry expanse of earth and sand with scattered weeds and small posts. In the upper half, under a relentless bright sky, a slight wind scattering the dust can be sensed, under an oppressive midday sun devoid of all shadow (aside from the one the home casts on itself), in a desolate silence.

Lost in this desert, a simple wooden house, open to the four winds, stands vulnerable. Who lived there? For how long? Where did they go? This photograph doesn’t provide answers. But with palpable empathy, it illustrates the very meaning of uninhabitable. The vainly patched-up window attests to the residents’ final effort against the elements. The empty doors and windows abolish the border between interior and exterior, with the emptiness of the landscape now entirely filling the domestic space, bringing the outside in. Through the slanted perspective she uses to present this house reduced to its skeleton, Dorothea Lange allows us to imagine its ghosts, condemned to wandering.



Étienne Helmer
Translation : Sara Heft




Étienne Helmer teaches philosophy at the University of Puerto Rico (USA). His work focuses on the economic, political and social thinking of the Greek worlds, and more recently on the philosophy of photography. He is the author of La Part du bronze. Platon et l’économie (Vrin, 2010), Épicure ou l’économie du bonheur (Le Passager clandestin, 2013), Le Dernier des Hommes. Figures du mendiant en Grèce ancienne (Le Félin, 2015), Diogène le cynique (Les Belles Lettres, 2017) et Parler la photographie (Mix, 2017).


Dorothea Lange. Politics Of Seeing.



References[+]

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La maison abandonnée de Dorothea Lange [FR/EN] http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/10/dorothea-lange-maison-abandonnee/ Mon, 29 Oct 2018 12:13:17 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=32579 Une photographie proposée par le philosophe Etienne Helmer

« Les photographies de Dorothea Lange parlent plusieurs langues. Il y a celle des corps, que l’image devenue iconique de la mère migrante et de ses enfants (Nipomo, Californie, 1936) nous a rendue familière [...] »

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Dorothea Lange ; abandoned ; house ; desert ; Oklahoma

Dorothea Lange,
Drought-abandoned house on the edge of the Great Plains near Hollis, Oklahoma [Maison abandonnée pour cause de sécheresse le long des grandes plaines près de Hollis, Oklahoma], 1938 © The Dorothea Lange Collection, the Oakland Museum of California





[EN]

Les photographies de Dorothea Lange parlent plusieurs langues. Il y a celle des corps, que l’image devenue iconique de la mère migrante et de ses enfants1 nous a rendue familière : les marques qu’ils portent, leurs attitudes et leurs postures, leurs habits et leurs regards disent une époque, un contexte social et économique, mais aussi des destinées personnelles et des vies intérieures aux prises avec les caprices de l’histoire. Et il y a celle des lieux, comme dans l’image qui nous occupe ici : elle exprime les vicissitudes du temps dans des espaces lourds de sens. Qu’est-ce que cette image nous dit de ce lieu ? Comment le fait-elle advenir en tant que tel ?

Si l’on s’en tient à sa légende, cette photographie n’est qu’une illustration particulière, dans l’Oklahoma, des conséquences de la sécheresse qui frappe les États américains des Grandes Plaines de 1934 à 1939, et qui conduit près de 300 000 personnes à abandonner leur maison et leur terre. Mais cette image ne se limite pas à sa fonction informative et dénotative, elle suggère au-delà de ce qu’elle montre, en construisant un lieu rempli d’absence. Celui-ci n’est pas seulement la maison mais l’ensemble qu’elle forme avec l’espace singulier dans lequel elle se trouve, à l’intersection de la ligne d’horizon qui partage l’image entre la terre et le ciel. Dans la moitié inférieure, du plus proche au plus lointain, on discerne les traces encore fraîches du passage d’un véhicule – celui de la photographe ou celui des habitants qui ont abandonné les lieux ? –, une sorte de crevasse, puis, à perte de vue, une étendue sèche de terre et de sable parsemée d’herbes sauvages et de piquets dérisoires. Dans la moitié supérieure, sous un ciel lumineux et implacable, on devine le vent léger qui répand la poussière, un soleil de midi accablant qui ne porte aucune ombre (hormis celle que la bâtisse projette sur elle-même), et le silence de la désolation.

Perdue dans ce désert, une maison simple en bois, ouverte aux quatre vents, se dresse dans sa fragilité. Qui vivait là ? Depuis combien de temps ? Où sont-ils partis ? Cette photographie ne permet pas de le savoir. Mais avec une empathie certaine, elle rend sensible ce qu’inhabitable veut dire. Le vain rafistolage d’une fenêtre signale un ultime effort des habitants contre les éléments. Les portes et les fenêtres évidées abolissent la frontière entre l’extérieur et l’intérieur, le vide du paysage remplit désormais tout l’espace domestique, le dehors est dedans. Par la perspective oblique depuis laquelle elle présente cette maison réduite à son squelette, Dorothea Lange nous laisse imaginer ses fantômes condamnés à l’errance.

Étienne Helmer




Étienne Helmer enseigne la philosophie à l’Université de Porto Rico (États-Unis). Ses travaux portent principalement sur la pensée économique, politique et sociale des mondes grecs, ainsi que sur la philosophie de la photographie. Il est l’auteur de La Part du bronze. Platon et l’économie (Vrin, 2010), Épicure ou l’économie du bonheur (Le Passager clandestin, 2013), Le Dernier des Hommes. Figures du mendiant en Grèce ancienne (Le Félin, 2015), Diogène le cynique (Les Belles Lettres, 2017) et Parler la photographie (Mix, 2017).


Dorothea Lange : la sélection de la librairie
Parler la photographie d’Etienne Helmer



References[+]

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Bouchra Khalili X Gordon Matta-Clark http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/08/bouchra-khalili-x-gordon-matta-clark/ Thu, 02 Aug 2018 07:59:08 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=31778 Ève Lepaon et Cécile Tourneur, conférencières au Jeu de Paume, proposent pour le magazine une brève incursion dans les visites commentées qu'elles réalisent avec les publics dans les salles d'exposition. Ici dialoguent à demi-mot Bouchra Khalili (née en 1975) et Gordon Matta-Clark (1943-1978), deux artistes de générations et de pratiques très différentes, mais qui, du trou percé dans le mur au tableau noir de l'école, interrogent chacun les processus de transmission de l'Histoire et la place de l'artiste dans la société civile.

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Un parcours croisé

Ève Lepaon et Cécile Tourneur, conférencières au Jeu de Paume, proposent pour le magazine une brève incursion dans les visites commentées qu’elles réalisent avec les publics dans les salles d’exposition. Ici dialoguent à demi-mot Bouchra Khalili (née en 1975) et Gordon Matta-Clark (1943-1978), deux artistes de générations et de pratiques très différentes, mais qui, du trou percé dans le mur au tableau noir de l’école, interrogent chacun les processus de transmission de l’Histoire et la place de l’artiste dans la société civile.


[See image gallery at lemagazine.jeudepaume.org]



Exposition “Gordon Matta-Clark. Anarchitecte”
La sélection de la librairie
“Bouchra Khalili. Blackboard”


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Bouchra Khalili, Foreign Office, 2015 http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/07/bouchra-khalili-foreign-office-2015/ Mon, 16 Jul 2018 12:31:41 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=31651 Une image de Bouchra Khalili proposée et commentée par Cécile Tourneur.

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Bouchra Khalili ; Foreign Office ; Jeu de Paume

Bouchra Khalili, Foreign Office, 2015, vidéo. Courtesy Bouchra Khalili et Galerie Polaris, Paris © Bouchra Khalili / ADAGP, Paris, 2018



Ines et Fadi regardent un écran resté hors champ, d’où provient une voix chantant le combat du Front de libération de la province du Dhofar, une région du sud d’Oman. Leur regard et leur écoute sont dirigés vers cette voix, elle s’adresse à eux, à Alger, aujourd’hui, traversant les frontières spatiales et temporelles. Leurs visages reflètent les éclats persistants de cet élan de liberté, provenant du passé : « Écoute la volonté du peuple, le temps et les pensées perdus ont nourri notre détermination qui vaincra l’ennemi et apportera la liberté à Oman ». Ce chant, extrait du film L’heure de la liberté a sonné (1974) de la réalisatrice Heiny Srour, témoigne de la lutte armée déclenchée en 1965. Issa, jeune révolutionnaire, représente ce mouvement lorsqu’elle se rend à Alger, au moment où la ville, entre 1962 et 1972, devient un lieu de rassemblement anticolonial et d’indépendance accueillant le monde entier. Cette décennie est le point de départ de Foreign Office, film réalisé par Bouchra Khalili en 2015, de même que la question posée par la transmission de cette histoire, ou son absence, et l’héritage ainsi perdu.

La position des protagonistes dans le cadre de cette image n’est pas passive. La réception et la compréhension de cette lutte, garanties par leur regard et leur écoute attentive, équivaut aux prémices d’une action future : « L’immobilité de la scène n’est qu’apparente. Comme le tourbillon des courants sous la surface plane de la mer ou le murmure des voix qui se cache derrière le silence » (Marguerite Duras). Nous, spectateurs, sommes entre Ines et Fadi et entre les images, dans cet « intervalle » élaboré par Dziga Vertov et défini par Bouchra Khalili comme « le lieu où le spectateur s’infiltre pour produire de nouvelles collures ». Il s’agit de la façon dont on raconte une histoire que l’on n’a pas apprise, qui n’a pas voyagé et sa réception nouvelle. Les protagonistes, en se l’appropriant, deviennent les conteurs et les monteurs de ces événements et permettent leur circulation.



Cécile Tourneur, 2018
Conférencière et formatrice au Jeu de Paume.




“Bouchra Khalili. Blackboard”
La sélection de la librairie



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Gordon Matta-Clark, Bronx Floor: Boston Road, 1972. http://lemagazine.jeudepaume.org/2018/07/gordon-matta-clark-bronx-floor/ Mon, 09 Jul 2018 09:38:45 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/?p=31596 Une photographie de Gordon Matta-Clark proposée et commentée par Ève Lepaon.

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Gordon Matta-Clark ; Bronx ; anarchitect

Gordon Matta-Clark
Bronx Floor: Boston Road, 1972. Courtesy The Estate of Gordon Matta-Clark et David Zwirner, New York / Londres / Hong Kong. © 2018 The Estate of Gordon Matta-Clark / ADAGP, Paris



Au début des années 1970, Gordon Matta-Clark s’intéresse aux bâtiments abandonnés de quartiers déshérités comme le sud du Bronx. Promis à la destruction, vidés de leurs occupants, ils constituent néanmoins un support d’intervention et un matériau artistique de premier plan pour l’artiste. En réponse au percement du quartier et à son dépeuplement inéluctable suite à la construction de la Cross Bronx Expressway, une voie rapide pour automobiles, Gordon Matta-Clark décide de procéder à des ouvertures d’immeubles pour donner forme à ce vide prédit. Il trace d’abord des formes géométriques dans l’espace puis les découpe. Son geste est à la fois métaphorique, sculptural et social. Héritier des démarches d’avant-garde comme Dada, il tranche, défait, « fait voler en éclats », perturbe le bâti qui impose à l’individu ses déplacements et ses points de vue. Plus que les murs ou les planchers, il dit que ce sont les ouvertures qui l’ont toujours marqué, en tant qu’accès vers autrui et passages « vers d’autres espaces ». Réalisées sous la forme de performances, elles permettent de « changer [notre] vision conventionnelle de l’espace » et d’ouvrir de nouvelles perspectives.

Suspendu ici au-dessus du vide, Gordon Matta-Clark ouvre une porte, frontière amovible entre deux pièces, désormais obsolète, et enjambe un seuil entièrement ouvert. Les photographies réalisées pendant ou après l’événement constituent des documents essentiels pour comprendre le travail de Matta-Clark mais montrent aussi à quel point ses interventions perturbent notre lecture de l’espace et comment l’ombre et la lumière le modèlent de façon inédite. Le point de vue et le cadrage découpent l’étendue de l’image comme Matta-Clark découpe les structures architecturales. Il pense l’image photographique comme le prolongement de ses réflexions et de ses actions.



Ève Lepaon, 2018
Conférencière et formatrice au Jeu de Paume.




Exposition “Gordon Matta-Clark. Anarchitecte”
La sélection de la librairie

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