Ciné-club – Drones d’idées http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro par Teresa Castro Thu, 19 Jul 2018 12:46:58 +0000 fr-FR hourly 1 Christine (John Carpenter) et le fétichisme des marchandises. http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/2015/10/21/christine-john-carpenter-et-le-fetichisme-des-marchandises/ http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/2015/10/21/christine-john-carpenter-et-le-fetichisme-des-marchandises/#respond Wed, 21 Oct 2015 08:38:06 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/?p=636 Christine – adaptation cinématographique du roman éponyme de Stephen King réalisée par John Carpenter en 1983 – est l’histoire d’une automobile très spéciale. Il s’agit d’une Plymouth « Fury » rouge sang, dont le nom de créature mythique persécutrice lui va comme …

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Christine – adaptation cinématographique du roman éponyme de Stephen King réalisée par John Carpenter en 1983 – est l’histoire d’une automobile très spéciale. Il s’agit d’une Plymouth « Fury » rouge sang, dont le nom de créature mythique persécutrice lui va comme un gant. Jalouse et implacable, Christine condamne à mort ceux qui lui veulent du mal et celles qui lui disputent l’attention de l’élu de son cœur mécanique. Christine est une automobile dotée de volonté, sinon d’une âme, comme on avait auparavant l’habitude de dire (et comme il n’en déplairait pas à Carpenter).

Les cinéphiles le savent : le brouillage des frontières entre l’animé et l’inanimé, l’homme et la machine, est récurrent chez Carpenter. Mais, c’est avec Karl Marx et Le Capital qu’il faudrait penser Christine – marchandise maléfique, hantée depuis le jour où, seule Fury rouge sur la chaîne de montage d’une usine détroitienne, elle mutile et assassine des ouvriers sans que personne ne s’en rende compte. C’était alors l’année 1958 et Detroit entamait, sans le soupçonner, sa longue descente aux enfers*. Christine, pour sa part, porte le fétichisme des marchandises, à son paroxysme, en concrétisant ce qui était une fantasmagorie : non seulement la chose idolâtrée a désormais une vie propre, instaurant avec son adorateur – Arnie, adolescent fragile et solitaire, totalement aliéné – un rapport fétichiste au sens sexuel du terme, mais elle menace le système capitaliste lui-même, puisqu’en se régénérant toute seule, elle s’affranchit du principe de l’obsolescence programmée. C’est en ce sens que Christine est une marchandise perverse : moins parce qu’elle séduit et qu’elle tue (la technique devenant une force de mort), que parce qu’elle constitue une déviation d’un système lui-même pervers. Car si Christine incarne un état où la marchandise possède désormais le sujet, elle échappe néanmoins à une disparition technique annoncée.

Fétichisme n’est pas animisme ; néanmoins, avec Christine nous passons constamment de l’un à l’autre. Non par hasard, Christine est une automobile, c’est-à-dire une chose qui se meut de soi-même : une voiture sans chevaux. L’automobile pose ainsi d’emblée – et de façon extraordinairement frontale – le problème de l’automouvement, c’est-à-dire, la vieille question de « l’âme » et de la vie. Depuis ses débuts, le cinéma a su à la fois stimuler le désir autour de la voiture-marchandise et imaginer des automobiles dotées de « volonté ». Dans le cinéma burlesque des premières décennies, il n’est ainsi pas inhabituel de trouver des Ford T qui carburent à la bière (Hal Roach, Go as you please, 1920) ou à la cocaïne (Harold Lloyd, Oh, la belle voiture, 1920) : elles constituent, sans doute, les ancêtres enfantins et cocasses de Christine, la marchandise qui tue.

* En 1958, les Automobiles Packard ferment les portes de leur célèbre usine en béton armée, construite par l’architecte Albert Kahn en 1903.

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Flowers and Trees http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/2015/09/28/flowers-and-trees/ http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/2015/09/28/flowers-and-trees/#respond Mon, 28 Sep 2015 15:31:13 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/?p=579 Après l’arbre qui souffle de Katia Maciel et l’être-forêt d’Emily Richardson, voici des arbres (et des fleurs et des champignons) qui dorment et qui se réveillent, qui font de la gymnastique et qui dansent, qui tombent amoureux et qui souffrent …

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Après l’arbre qui souffle de Katia Maciel et l’être-forêt d’Emily Richardson, voici des arbres (et des fleurs et des champignons) qui dorment et qui se réveillent, qui font de la gymnastique et qui dansent, qui tombent amoureux et qui souffrent de la jalousie. Voici, en somme, des arbres anthropomorphes, rêvés par Walt Disney en 1932, dans le contexte de la série Silly Symphonies.

Il n’a pas fallu attendre le développement du cinéma pour imaginer que les arbres soient pareils à des hommes. L’analogie entre l’arbre et l’Homme remonte à l’Antiquité, les arbres anthropomorphes s’insinuant dans les arrière-fonds et les marges des tableaux au moins depuis la Renaissance et inspirant les poètes romantiques qui les entendent « palpiter et vivre avec une âme » (Victor Hugo, À Albert Dürer, 1837). Le cinéma, néanmoins, pousse à l’extrême cette tendance animique – non pas parce qu’il se prête à l’illustration de ce qui pourrait être une vieille hantise, mais parce qu’il matérialise en soi un processus animiste. Comme le notait Serguei Eisenstein à propos de Walt Disney, « l’idée même d’animated cartoon est comme l’incarnation de la méthode de l’animisme »*. Autrement dit, l’animisme du cinéma (d’animation) va bien au-delà de sa capacité à anthropomorphiser les animaux et les choses du monde.

Dans le contexte du cinéma, le mot « animation » ne fait pas pas juste allusion à un « genre » (celui du dessin animé) : l’animation renvoie à un principe majeur d’un dispositif, lui-même pensé dans ses premières années comme étant une forme de photographie animée. Pourtant, et cela depuis ses débuts, le cinéma n’anime pas que des photogrammes illustrant un rapport indexical au réel – et débouchant, quasi-systématiquement, sur une impression réaliste du mouvement. Le cinéma anime aussi des dessins, s’ouvrant parfois à un autre type d’effet paradoxal, à la fois réaliste et fantaisiste. « Réaliste », parce les images bougent toujours ; « fantaisiste », parce que la nature non-photographique du dessin autorise aux lignes et aux formes une liberté sans pareille. Ce qui fascine Eisenstein chez Disney, c’est justement le refus de la forme figée, cette « faculté dynamique de prendre n’importe quelle forme »**. Ainsi, dans Flowers and Trees, des fleurs deviennent des clochers, des arbres se transforment en poules et les flammes se découvrent des jambes pour courir. L’« animation » atteint ainsi un stade foisonnant – tout en reconduisant, du moins selon Eisenstein (qui avait lu Lévy-Bruhl), un phénomène typiquement animiste, puisque ces arbres jaloux et ces flammes sautillantes seraient pour nous, dans le même temps et identiquement, ET des arbres et des choses, ET des humains.

* Serguei Einsenstein, Walt Disney, Circé, 2013, p. 58.
** Idem, p. 27.

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Aspect, ou l’« être-forêt ». http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/2015/07/09/aspect-ou-l-etre-foret/ http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/2015/07/09/aspect-ou-l-etre-foret/#comments Thu, 09 Jul 2015 16:08:28 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/?p=161 Emily Richardson, Aspect (extrait), film 16mm, 9 min, 2004. « Parfois le film nous procure une perception de l’être-montagne ou de l’être-mer. C’est un sentiment comme l’évidence à laquelle toute démonstration s’arrête, et où il n’y a rien à dire », écrivait, …

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Emily Richardson, Aspect (extrait), film 16mm, 9 min, 2004.

« Parfois le film nous procure une perception de l’être-montagne ou de l’être-mer. C’est un sentiment comme l’évidence à laquelle toute démonstration s’arrête, et où il n’y a rien à dire », écrivait, en 1935, le cinéaste Jean Epstein. Dans Aspect, film 16 mm tourné en 2009 par l’artiste britannique Emily Richardson, c’est l’être-forêt qu’on voit – et qu’on entend.

Epstein est l’un des grands penseurs de l’animisme au cinéma, sur l’écran duquel il ne voit jamais de nature morte. Indissociable du mystère de la photogénie, l’animisme est, tout d’abord, et pour le cinéaste français, une question de ressources expressives propres au cinéma, du gros plan à la manipulation des vitesses de l’image (le ralenti, l’accéléré). Ce sont ces formes qui confèrent aux objets des attitudes et qui balayent les frontières entre l’inerte et le vivant. Emily Richardson s’appuie précisément sur une technique classique de l’animation : le time-lapse, ou la prise de vues en ultra-accéléré. Elle condense ainsi un an d’observation et de tournage en neuf minutes de film. Si Uma Árvore était comme animé du dedans par la mouvance contenue dans toute fixité, l’animisme d’Aspect repose, lui, sur l’animation de l’immobile propre au dispositif cinématographique. On manipule la cadence des prises de vue pour obtenir, au moment de la projection, l’effet de raccourcissement temporel qui caractérise l’accéléré et sur lequel se fonde sa puissance animiste. Sur une durée condensée, des phénomènes plus ou moins imperceptibles deviennent visibles : ce qui semblait inerte apparaît désormais comme mouvant. Dans Aspect, la forêt s’anime : elle gesticule, elle change de teinte et d’allure, elle fredonne aussi. C’est encore avec Jean Epstein que l’on pourrait penser la très subtile bande-son du film, composée par l’artiste Benedict Drew à partir d’enregistrements menés sur place. Dans son texte « Le gros plan du son » (1947), Epstein s’interroge sur la façon dont « la récolte de bruits encore inouïs » allait « accroitre le pouvoir émouvant des films » et « développer la dramaturgie de l’écran ». Il semble anticiper ce que Drew réussit dans Aspect en travaillant les bruits et les sons inconscients de la forêt.

L’anthropologue Eduardo Kohn s’est récemment posé la question de savoir comment pensent les forêts (How Forests Think. Towards an Anthropology Beyond the Human, University of California Press, 2013). La question est sérieuse et le livre passionnant, l’ouvrage s’inscrivant dans le projet contemporain de développer une anthropologie par-delà l’humain. Pour Kohn (qui s’appuie sur une lecture détaillée du philosophe et sémiologue américain Charles Sanders Peirce), la vie est un processus sémiotique, les différentes espèces animales et végétales produisant un ensemble de signes, notamment lors de leurs étapes de croissance, de reproduction ou de déclin. Ce qui intéresse Kohn (dont le travail se fonde sur son terrain chez les Runa de l’Amazonie équatorienne), c’est la façon dont les humains et les non-humains interagissent au sein de systèmes sémiotiques complexes, percevant et interprétant le monde à partir de leurs corporalités respectives (si les non-humains ne sont pas capables d’interpréter des symboles, ils saisissent bien des signes indexicaux et iconiques). Nous sommes bien loin, en apparence, de la forêt anglaise d’Aspect – mais j’aime penser que ce que Richardson et Drew nous donnent à voir et à entendre, c’est la multitude de signes qui font de la forêt un self à part entière. Un être-forêt sans conscience, mais un être vivant tout de même et qui plus est un être sémiotique.

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Un arbre. http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/2015/06/22/un-arbre/ http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/2015/06/22/un-arbre/#comments Mon, 22 Jun 2015 09:57:05 +0000 http://lemagazine.jeudepaume.org/blogs/teresa-castro/?p=106 Katia Maciel, Uma Árvore (Un Arbre), installation vidéo, 2009 © Katia Maciel J’ai décidé d’inaugurer la section « ciné-club » avec une vidéo de l’artiste brésilienne Katia Maciel intitulée Uma Árvore (Un Arbre, 2009). Cette vidéo avait été exposée l’année dernière à …

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Katia Maciel, Uma Árvore (Un Arbre), installation vidéo, 2009 © Katia Maciel

J’ai décidé d’inaugurer la section « ciné-club » avec une vidéo de l’artiste brésilienne Katia Maciel intitulée Uma Árvore (Un Arbre, 2009). Cette vidéo avait été exposée l’année dernière à la Maison Européenne de la Photographie, lors d’une exposition consacrée au travail de Katia et intitulée « Répétitions ». On y voit un arbre dont les branches se contraignent et se relâchent en boucle, comme si ce majestueux être touffu respirait devant nous et n’était autre qu’un grand cœur qui bat.

Outre le fait que je suis à chaque fois émerveillée par la vision de ce grand arbre soufflant, Uma Árvore m’intéresse pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’on y est face à un imposant être animé. Je sais bien que les arbres sont des êtres vivants et, au passage, qu’ils réalisent en permanence des échanges gazeux, absorbant de l’oxygène et rejetant du dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Mais ce n’est vraiment pas à cette dimension physiologique que je pense. Si je dis que l’arbre de Katia Maciel est animé, c’est parce qu’il semble traversé par un souffle vital qui l’anime du dedans. En cela, l’arbre de Uma Árvore se distingue des arbres de Nettlecombe de Sarah Dobai (visible ici) ou de Horizontal de Eija-Liisa Ahtila qui sont, eux, animés du dehors par le souffle discontinu du vent. Si je reste aussi fascinée qu’un spectateur des premiers temps du cinéma devant la vision (et l’écoute) du frémissement de leurs feuilles, ces arbres ne me suggèrent pas la fiction d’automouvement mise en œuvre par la vidéo de Katia Maciel. Cette fiction est bien ce qu’on pourrait appeler une fiction d’image (belle expression que j’emprunte à mon collègue Emmanuel Siety), dans la mesure où l’animation dépend entièrement des ressources expressives propres aux images – et, en particulier, aux images en mouvement. La vidéo s’appuie sur la création d’une image hybride, constituée d’une couche immobile – l’image fixe sur laquelle se détache l’arbre soufflant – et d’une couche mobile – l’image en mouvement, à la fois réversible et extensible dans la durée (c’est le principe de la boucle, récurrent dans le travail de l’artiste). Uma Árvore ne se fonde pas sur l’animation de l’immobile, mais sur l’incorporation (plus que l’incrustation) de la mouvance dans l’image figée, comme si l’immobilité n’était qu’absence virtuelle de mouvement.

Il y aurait sans doute beaucoup plus à dire sur cette vidéo en tant que lieu de passage entre la mouvance et la fixité – ainsi que sur la temporalité paradoxale qu’elle créé (le temps était, d’ailleurs, l’un des principaux enjeux de l’exposition de la MEP). Je noterai juste que Uma Árvore me semble illustrer, de façon très poétique (Katia est aussi poète*), le souffle vital de l’image en mouvement, animée du dedans par la mouvance contenue dans toute fixité. L’arbre et l’image sont donc toutes les deux concernées par ce que j’ai appelée la fiction de l’automouvement et c’est en cela que la vidéo de Katia Maciel me semble relever d’un double animisme propre aux images mobiles : leur capacité à animer les choses du monde (cette animation assumant, parfois, des formes très complexes) et leur mode d’apparition spécifique (fondé, selon les approches, sur l’actualisation du mouvement ou sur le refoulement de la nature photographique du film-pellicule lors de la projection).


* Pour ceux qui lisent le portugais, je vous laisse un poème de Katia (lagartixa), tiré de son livre Zun (il faut le lire à voix haute et savourer tous les mots) :


Cheguei aqui e a lagartixa já estava.

Quando escuto antes de dormir um zumbido no ouvido penso que devia criar lagartixas. Lindas e frias deslizando nas paredes na paz do silêncio que adormece. Sonho com o verde profundo das florestas. Ouço o barulho das correntes do rio. Subo nas árvores e desço pelos cipós. Me esgueiro entre as orquídeas selvagens e chego no alto da copa da árvore que é minha casa. Deito e olho para as estrelas penduradas no céu, subo para a lua, brilho no espelho d’água. Me distraio, caio na taipa do chão e sou lagartixa.

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